Clause abusive et ses conséquences sur la saisie immobilière

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Clause abusive et ses conséquences sur la saisie immobilière

L’Essentiel : La société Crédit Foncier de France a émis un commandement de payer à l’encontre de Monsieur [X] [P] et Madame [W] [L] pour un montant de 168.693,95 euros, lié à des prêts notariés. Le 2 juillet 2024, le juge a validé la saisie et ordonné la vente forcée de l’immeuble. Madame [L]-[P] a contesté cette décision, arguant que certaines clauses du contrat de prêt étaient abusives, notamment celle de déchéance du terme. La cour d’appel a jugé cette clause non écrite, tout en maintenant la validité du contrat et en ordonnant la vente de l’immeuble.

Contexte de l’affaire

La société Crédit Foncier de France (SA CFF) a délivré un commandement de payer valant saisie à Monsieur [X] [P] et Madame [W] [L] épouse [P] concernant un immeuble à usage d’habitation. Ce commandement a été émis en raison de créances liées à deux prêts notariés, dont le montant total s’élevait à 168.693,95 euros au 15 octobre 2022.

Jugement d’orientation

Le 2 juillet 2024, le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne a validé la procédure de saisie, ordonné la vente forcée de l’immeuble et autorisé l’huissier à faire visiter le bien. Ce jugement a été contesté par Madame [L]-[P] par voie d’appel le 26 juillet 2024.

Contestation des clauses abusives

Madame [L]-[P] a demandé à la cour d’infirmer la décision initiale, arguant que certaines clauses du contrat de prêt créaient un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Elle a notamment contesté la clause de déchéance du terme, qui permettait au prêteur de déclarer le prêt exigible en cas de retard de paiement d’une seule échéance.

Arguments de la SA Crédit Foncier de France

La SA CFF a soulevé l’irrecevabilité des contestations de Madame [L]-[P], affirmant qu’elle n’avait pas soulevé de contestation sur le montant ou l’exigibilité des créances lors de la première instance. La banque a également demandé la confirmation du jugement d’orientation et la condamnation de Madame [L]-[P] aux dépens.

Décision de la cour d’appel

La cour d’appel a jugé recevable la demande de Madame [L]-[P] concernant la clause de déchéance du terme, considérant qu’elle était abusive. La cour a déclaré cette clause non écrite, ce qui a des conséquences sur l’exigibilité des sommes dues par les emprunteurs.

Conséquences de la décision

La cour a confirmé que la clause abusive ne remettait pas en cause la validité du contrat de prêt ni du commandement de payer. Elle a fixé les montants dus au titre des mensualités échues et impayées, tout en ordonnant la vente forcée de l’immeuble saisi. Les dépens ont été inclus dans les frais de vente soumis à taxe.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de la demande nouvelle en cause d’appel

La question de la recevabilité de la demande nouvelle en cause d’appel est régie par les articles 564 et 565 du Code de procédure civile. Ces articles stipulent que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait nouveau.

Il est précisé que ne sont pas nouvelles les prétentions d’appel qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l’espèce, Mme [L]-[P] n’a soulevé aucune contestation sur le montant ou l’exigibilité des créances lors de sa comparution devant le juge de l’exécution de première instance. Cependant, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments nécessaires à cet effet.

Ainsi, la demande en annulation de la clause de déchéance du terme, présentée pour la première fois en cause d’appel, est recevable.

Sur la qualification de la clause de ‘déchéance du terme’

La qualification de la clause de déchéance du terme contenue dans l’acte authentique de prêt est régie par l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, qui stipule que le juge de l’exécution connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée.

Il peut donc se prononcer sur la nullité d’un engagement résultant d’un acte notarié exécutoire. De plus, l’article L. 132-1 du Code de la consommation précise que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels, les clauses abusives sont réputées non écrites.

La CJUE a également précisé que l’appréciation du caractère abusif d’une clause doit tenir compte de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat. En l’espèce, la clause relative à la déchéance du terme ne prévoit pas de préavis raisonnable permettant à l’emprunteur de régulariser ses paiements.

Cette absence de préavis crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, rendant la clause abusive et donc non écrite.

Sur les conséquences de la qualification de la clause de déchéance du terme en ‘clause abusive’

Il est établi que le caractère abusif de la clause de déchéance du terme n’entraîne ni la nullité du contrat de prêt, ni la perte de son caractère exécutoire. Cela signifie que la clause annulée n’affecte pas l’objet principal de la convention, qui est de mettre à disposition de l’emprunteur une somme d’argent.

L’article R. 321-3 du Code des procédures civiles d’exécution précise que la nullité du commandement de payer n’est pas encourue au motif que les sommes réclamées sont supérieures à celles qui sont dues au créancier.

Ainsi, même si la clause de déchéance du terme est déclarée abusive, cela ne remet pas en cause la validité du commandement de payer. Les sommes dues au titre des mensualités échues et impayées demeurent exigibles.

En conséquence, la créance de la S.A. Crédit Foncier de France sera fixée aux montants des mensualités échues, et la vente forcée de l’immeuble pourra être ordonnée.

Sur l’orientation de la procédure

L’orientation de la procédure de saisie immobilière est régie par les dispositions du Code des procédures civiles d’exécution. Il convient d’autoriser la vente forcée sur la mise à prix mentionnée au cahier des conditions de vente.

Cette autorisation est nécessaire pour permettre au créancier de récupérer les sommes dues par la vente du bien saisi. La procédure doit respecter les modalités prévues par la loi, garantissant ainsi les droits des parties impliquées.

Sur les dépens et l’article 700 du Code de procédure civile

Les articles 696 et 700 du Code de procédure civile stipulent que la partie perdante est condamnée aux dépens et que, sauf considération d’équité, la partie tenue aux dépens doit supporter les frais irrépétibles de procédure exposés par l’autre partie.

Dans cette affaire, les dépens de première instance et d’appel seront compris dans les frais de vente soumis à taxe. Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont exposés, compte tenu de la solution donnée au litige.

ARRÊT N°

du 14 janvier 2025

(B. D.)

N° RG 24/01218

N° Portalis

DBVQ-V-B7I-FQ2N

Mme [L] épouse [P]

C/

– M. [P]

– S.A. Crédit Foncier de France

Formule exécutoire + CCC

le 14 janvier 2025

à :

– la SCP Delvincourt – Caulier-Richard – Castello avocats associés

– la SCP Sammut-Croon-

Journe-Léau

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE CIVILE

CONTENTIEUX DE L’EXÉCUTION

ARRÊT DU 14 JANVIER 2025

Appelant :

d’un jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Châlons-en-Champagne le 2 juillet 2024

Mme [W] [L] épouse [P]

[Adresse 8]

[Adresse 8]

[Localité 6]

Comparant, concluant par la SCP Delvincourt – Caulier-Richard – Castello avocats associés, avocats au barreau de Reims

et par Me Philippe Fortabat Labatut, avocat au barreau de Paris

Intimé :

– M. [X] [P]

[Adresse 9]

[Localité 2]

N’ayant pas constitué avocat bien que régulièrement assigné le 29 août 2024 par remise de l’acte à sa personne

– S.A. Crédit Foncier de France

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparant, concluant et plaidant par Me Raphaël Croon de la SCP Sammut-Croon-Journé-Léau, avocat au barreau de Reims

DÉBATS :

A l’audience publique du 10 décembre 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 14 janvier 2025, sans opposition de la part des conseils des parties et en application de l’article 805 du code de procédure civile, M. Bertrand Duez, Président de chambre, a entendu les conseils des parties en leurs conclusions et explications, puis ce magistrat en a rendu compte à la cour dans son délibéré.

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Bertrand Duez, Président de chambre

Mme Christel Magnard, Conseiller

Mme Claire Herlet, Conseiller

GREFFIER lors des débats et du prononcé

Mme Sophie Balestre, Greffier

ARRÊT :

Réputé contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour le 14 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par M. Bertrand Duez, Président de chambre, et Mme Sophie Balestre, Greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

Exposé du litige :

Suivant acte délivré le 1er décembre 2022 par la SCP [Z] [S], commissaires de Justice associés à [Localité 12] (Yvelines) et suivant acte délivré le 5 décembre 2022 par Maître [T] [R], commissaire de Justice à [Localité 13] (Marne) la société anonyme Crédit Foncier de France (SA CFF) a délivré à monsieur [X] [P] et à madame [W] [L] épouse [P] un commandement de payer valant saisie portant sur un immeuble à usage d’habitation leur appartenant, sis commune de [Adresse 9], cadastré section B n° [Cadastre 4] pour 9 a 60 ca et section B n° [Cadastre 5] pour 40 ca, soit une contenance totale de 10 ares.

Ces commandements étaient délivrés en vertu de la copie exécutoire d’un acte reçu le 31 janvier 2014 par Maître [B] [M], notaire associé, membre de la Société d’exercice libéral à responsabilité limitée «[C] [K], [B] [M] et [N] [V], notaires associés  », [Adresse 7] à [Localité 11] (Seine et Marne), contenant deux prêts par le Crédit Foncier de France au profit de monsieur [X] [P] et de madame [W] [L] épouse [P], le premier d’un montant en principal de trente deux mille sept cent soixante euros (32.760,00 € – prêt à taux 0% n° 4737310), le second d’un montant en principal de cent cinquante mille huit cent un euros (150.801,00 €- prêt ‘PAS LIBERTÉ’ n° 4737311) outre intérêts, frais et accessoires et pour la somme de 165.268,12 €, créance arrêtée au 15/10/2022.

Par jugement d’orientation du 2 juillet 2024 le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Châlons en Champagne a principalement :

Constaté que la procédure de saisie a été engagée dans le respect des conditions prévues par les articles L.311-2, L.311-4 et L.311-6 du code des procédures civiles d`exécution

Mentionné la créance du Crédit Foncier de France au titre des prêts notariés du 31 janvier 2014 à la somme totale de 168.693,95 euros.

Ordonné la vente forcée de l’immeuble visé aux commandements de payer valant saisie en date des ler et 5 décembre 2022 à l’audience de vente du Tribunal Judiciaire de Châlons-en-Champagne du mardi 10 octobre 2024 à 10 heures sur la mise à prix fixée par le créancier poursuivant.

Dit qu’en vue de cette vente, Me [R], commissaire de justice à [Localité 13], pourra faire visiter le bien saisi selon des modalités arrêtées dans la mesure du possible en accord avec les occupants ou, à défaut d’accord, les mercredis des deux semaines précédant celle de la vente, de 14 heures à 15 heures.

Autorisé l’huissier de justice à se faire assister, le cas échéant, de deux témoins, d’un serrurier et de la force publique.

Dit que les dépens sont compris dans les frais de vente soumis à taxe.

Mme [L]-[P] a interjeté appel de cette décision le 26 juillet 2024.

Autorisée par ordonnance du premier président de la cour d’appel de Reims en date du 26 août 2024, Mme [L]-[P] a fait assigner à jour fixe, au visa de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, M. [P] et la SA CFF par exploit de commissaire de Justice en dates respectives des 29 et 30 août 2024, devant la chambre de l’exécution de la cour d’appel de Reims pour l’audience du 10 septembre 2024.

Mme [L]-[P] sollicite de la cour par voie d’infirmation de la décision déférée de :

Juger que l’acte authentique de prêt contient des clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; que revêtent un tel caractère abusif les dispositions d’un acte qui :

En un article 11, prévoit que la déchéance du terme peut être prononcée de plein droit en cas de retard de paiement d’une seule échéance.

Et en ses dispositions particulières, pages 14 et 15 du titre exécutoire et par mention spéciale sur le tableau d’amortissement d’un prêt aidé par l’Etat, porter sciemment une évaluation inadéquate ayant pour effet de majorer, au moins provisoirement, les échéances de remboursement et modifier de manière subreptice la durée du prêt.

2. En conséquence : Prononcer la nullité du titre exécutoire et par voie de conséquence la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière et la nullité de l’assignation délivrée à l’encontre de l’appelante ainsi que tous les actes subséquents

Reconventionnellement :

3. Décider ce que de droit quant à l’amende civile de l’article L241-1-1 du code de la consommation.

En tout état de cause,

4. Condamner le Crédit Foncier de France à payer à Mme [L]-[P] la somme de 12.000,00 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à tous les dépens, dont distraction au profit de Me Castello.

Par conclusions signifiées et déposées à la cour le 4 septembre 2024 la SA Crédit Foncier de France soulève l’irrecevabilité des contestations émises par Mme [L]-[P] sur le titre exécutoire au visa de l’article R. 311-5 du code des procédures civiles d’exécution invoquant le fait que Mme [L]-[P], comparante en personne devant le juge de l’exécution de première instance n’a pas constitué avocat en première instance et n’a soulevé aucune contestation sur le montant ou l’exigibilité des créances.

La SA Crédit Foncier de France sollicite en conséquence l’irrecevabilité de l’appel interjeté par Mme [L]-[P] et sa condamnation aux dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions responsives du 8 novembre 2024 Mme [L]-[P] maintient ses prétentions d’origine et y ajoute de :

‘ Juger que l’existence de clauses abusives à l’acte notarié, notamment celle relative aux conditions d’exigibilité immédiate du prêt qu’il constate, fait perdre à cet acte authentique sa qualité de titre exécutoire au sens de l’article L.111-3 du code des procédures civiles d’exécution.

Par conclusions récapitulatives n° 3 signifiées par RPVA à l’appelante et par exploit de commissaire de Justice en date du 09/12/2024, la S.A. Crédit Foncier de France sollicite la confirmation en son entier du jugement d’orientation rendu par le juge de l’exécution de Châlons-en-Champagne le 2 juillet 2024.

Subsidiairement, vu les échéances échues et impayées au titre des deux crédits souscrits par monsieur et madame [P] auprès du Crédit Foncier de France :

– Fixer les sommes dues au Crédit Foncier de France au titre de ces deux prêts aux sommes suivantes :

‘ Prêt à taux 0% n° 4737310 : 997,36 € (solde débiteur au 22/02/2023 et échéances échues du 05/03/2023 au 05/10/2024)

‘ Prêt ‘PAS LIBERTÉ’ n° 4737311: 41.043,06 € (solde débiteur au 22/02/2023 et échéances échues du 05/03/2023 au 05/10/2024)

– Confirmer le jugement d’orientation rendu par le Juge de l’exécution de Châlons en Champagne le 2 juillet 2024 en ce qu’il a ordonné la vente forcée du bien saisi.

En tout état de cause,

– Condamner Madame [P] à verser au Crédit Foncier de France la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

‘ Vu les conclusions récapitulatives de l’appelante signifiées le 08 novembre 2024 et auxquelles il sera renvoyé pour l’exposé des moyens et arguments, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

‘ Vu les conclusions récapitulatives de l’intimée signifiées le 05 décembre 2024 et auxquelles il sera renvoyé pour l’exposé des moyens et arguments, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1/ Sur la recevabilité de la demande nouvelle en cause d’appel :

Il ressort des articles 564 et 565 du code de procédure civile que les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions, sauf pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait nouveau.

Ne sont pas nouvelles les prétentions d’appel qui tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

En l’espèce, Mme [L]-[P], comparante en personne devant le juge de l’exécution de première instance, n’a soulevé aucune contestation sur le montant ou l’exigibilité des créances.

Toutefois, la Cour de justice des Communautés européennes devenue la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) juge que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif d’une clause contractuelle dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet et que, lorsqu’il considère une telle clause comme étant abusive, il ne l’applique pas, sauf si le consommateur s’y oppose (CJCE, 4 juin 2009, C-243/08).

Il se déduit du caractère d’ordre public de la demande tenant faire qualifier d’abusive une clause contractuelle que la juridiction d’appel est tenue, soit de répondre à cette prétention, soit de la soulever d’office, même lorsque cette prétention est soulevée pour la première fois en cause d’appel. (Cass 1ère civ 29 mai 2024 N° 23-12.904).

En conséquence, la demande en annulation de la clause de déchéance du terme, présentée par Mme [L]-[P], pour la première fois en cause d’appel est recevable.

2/ Sur la qualification de la clause de ‘déchéance du terme’ contenue dans l’acte authentique de prêt.

Aux termes de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution connaît de manière exclusive des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée même si elles portent sur le fond du droit.

Il en résulte qu’il peut se prononcer sur la nullité d’un engagement résultant d’un acte notarié exécutoire.

Selon l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. Les clauses abusives sont réputées non écrites.

Par arrêt du 26 janvier 2017 (C-421/14), la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la directive 93/13 devait être interprété en ce sens que s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

Par arrêt du 8 décembre 2022 (C-600/21), elle a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu’il dégageait pour l’appréciation du caractère abusif d’une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d’une clause contractuelle.

Il en résulte que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement. (Cassation 1ère civile – 22 mars 2023 – pourvoi n°21-16.044).

En l’espèce, la clause relative à la déchéance du terme des deux contrats du prêt (article 11 §4 des conditions générales stipule :

A la discrétion du prêteur, le prêt pourra être résilié et les sommes empruntées, en principal, intérêts et accessoires, deviendront immédiatement et intégralement exigibles de plein droit par notification faite à l’Emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, dans l’un des cas suivants :

– Défaut de paiement à bonne date de tout ou partie des échéances, d’une fraction de capital venant à échéance ou de toutes sommes avancées par le Prêteur, tant sur le présent prêt qu’au titre de l’un quelconque des prêts finançant le bien objet de la présente offre.

Il n’existe donc en l’espèce aucun préavis d’une durée raisonnable permettant à l’emprunteur de régulariser une ou plusieurs mensualités impayées sans encourir la résiliation du prêt.

Les conséquences d’une telle clause sont considérables pour l’emprunteur puisque à défaut de régularisation dans ce délai, il se voit contraint de rembourser immédiatement la totalité des sommes restant dues au titre du prêt.

Ainsi, cette clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment des époux [L]-[P], ainsi exposés à une aggravation soudaine des conditions de remboursement.

Il convient donc de constater que la clause susvisée est abusive et de la déclarer non écrite.

La S.A. Crédit Foncier de France ne peut donc plus opposer à Mme [L]-[P] la déchéance du terme fondée sur la mise en oeuvre de cette clause.

Cette disposition bénéficiera de droit à M. [X] [P] par l’effet de la solidarité passive assortissant le contrat de crédit.

3/ Sur les conséquences de la qualification de la clause de déchéance du terme en ‘clause abusive’

Il est constant que le caractère abusif de la clause de déchéance du terme n’entraîne ni la nullité du contrat de prêt, ni la perte de son caractère exécutoire comme le soutient Mme [L]-[P], cette clause annulée n’étant pas l’objet principal de la convention, qui reste de mettre à disposition de l’emprunteur une somme d’argent et de déterminer les conditions et termes de son remboursement.

Il est également constant que le caractère abusif de la clause de déchéance du terme n’entraîne pas la nullité du commandement de payer valant saisie immobilière.

Il résulte en effet de l’article R. 321-3 du code des procédures civiles d’exécution que la nullité du commandement n’est pas encourue au motif que les sommes réclamées sont supérieures à celles qui sont dues au créancier.

Sur ce :

A) Quant au capital restant dû des deux prêts :

Les sommes correspondant, dans les commandements valant saisie immobilière des 1er et 5 décembre 2022, au capital restant dû pour un montant de 32.760 euros (prêt n° 4737310) et 109.245,78 euros (prêt n° 4737311) ne sont donc pas exigibles.

La banque ne saurait les rendre exigibles, sous couvert d’une demande tendant au prononcé de la résolution judiciaire du prêt. Une telle demande est en effet irrecevable dans la mesure où, s’il ressort de l’article L 213-6 du code de l’organisation judiciaire que le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire, et s’il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageable des mesures d’exécution forcée, il n’entre pas dans ses pouvoirs, ni dans ceux de la cour statuant sur appel de sa décision, de délivrer un titre exécutoire hors les cas prévus par la loi.

B) Quant aux mensualités échues et impayées des deux prêts :

Lorsque le prêteur a délivré à l’emprunteur un commandement de payer comprenant à la fois les mensualités échues et impayées et le capital restant dû, l’annulation de la clause de déchéance du terme du contrat de prêt ne remet pas en cause le commandement de payer qui demeure valable à concurrence du montant des seules mensualités échues et impayées.

(Cour d’appel de Douai 05septembre 2024 N° 24/01844)

Il en résulte qu’à la date du 1er décembre 2022 (délivrance du commandement à Mme [L]-[P]) et au 5 décembre 2022 (délivrance du commandement à M. [P]) la S.A. Crédit Foncier de France disposait d’une créance liquide et exigible au titre des mensualités échues des prêts visés dans ces commandements correspondant à :

‘ Au titre du prêt n° 4737310 :

Echéances impayées au 05/10/2022 : 351,94 euros

‘ Au titre du prêt n° 4737311

Echéances impayées au 05/10/2022 : 14.029,00 euros

La créance au titre de ces deux prêts de la S.A. Crédit Foncier de France sera donc fixée à ces deux sommes, outre les frais de la procédure de saisie immobilière.

4/ Sur l’orientation de la procédure :

Il convient d’autoriser la vente forcée sur la mise à prix mentionnée au cahier des conditions de vente.

5/ Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

Il ressort des articles 696 et 700 du code de procédure civile que la partie perdante est condamnée aux dépens et que, sauf considération d’équité, la partie tenue aux dépens doit supporter les frais irrépétibles de procédure exposés par l’autre partie.

Compte tenu de la solution donnée au litige, il convient de dire que les dépens de première instance et d’appel seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.

Il n’est pas inéquitable de laisser à la charge des parties les frais irrépétibles qu’elles ont exposés.

PAR CES MOTIFS

Déclare recevable la prétention de Mme [L]-[P] tenant à l’annulation au titre des clauses abusives de la clause de ‘déchéance du terme’ des conditions générales du contrat authentique de prêt reçu le 31 janvier 2024 par Me [M], notaire à [Localité 10].

Infirme le jugement d’orientation prononcé par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Châlons-en-Champagne le 2 juillet 2024 (RG N° 23/00005)

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate le caractère abusif de la clause des conditions générales du contrat authentique de prêt reçu le 31 janvier 2024 par Me [M], notaire à [Localité 10] stipulant que :

A la discrétion du prêteur, le prêt pourra être résilié et les sommes empruntées, en principal, intérêts et accessoires, deviendront immédiatement et intégralement exigibles de plein droit par notification faite à l’Emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, dans l’un des cas suivants :

– Défaut de paiement à bonne date de tout ou partie des échéances, d’une fraction de capital venant à échéance ou de toutes sommes avancées par le prêteur, tant sur le présent prêt qu’au titre de l’un quelconque des prêts finançant le bien objet de la présente offre.

Déclare cette clause non écrite.

Rejette la demande tendant à voir annuler le commandement de payer aux fins de saisie immobilière délivré à Mme [L]-[P] le 1er décembre 2022.

Fixe la créance de la S.A. Crédit Foncier de France pour les montants suivants avec intérêts au taux contractuel à compter du 05 octobre 2022 :

‘ Au titre du prêt n° 4737310 :

Echéances impayées au 05/10/2022 : 351,94 euros

‘ Au titre du prêt n° 4737311

Echéances impayées au 05/10/2022 : 14.029,00 euros

Ordonne la vente forcée du bien saisi, sur la mise à prix mentionnée au cahier des conditions de vente ;

Renvoie la S.A. Crédit Foncier de France à poursuivre la procédure de saisie immobilière devant le premier juge qui fixera la date de l’audience d’adjudication et déterminera les modalités de visite.

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Dit que les dépens de première instance et d’appel seront compris dans les frais de vente soumis à taxe.

Le Greffier Le Président


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