Prolongation de rétention administrative : critères et appréciation de la menace à l’ordre public.

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Prolongation de rétention administrative : critères et appréciation de la menace à l’ordre public.

L’Essentiel : M. [E] [S], né le 15 avril 1996 en Libye et de nationalité tunisienne, est actuellement retenu au centre de rétention de Mesnil Amelot 2. Il a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral le 25 octobre 2024, suite à une obligation de quitter le territoire français. M. [E] [S] a interjeté appel de cette décision, arguant que les critères de prolongation de sa rétention n’étaient pas remplis. La cour a confirmé la prolongation, soulignant que l’administration avait justifié sa décision en démontrant sa capacité à obtenir des documents de voyage rapidement.

Identité de l’Appelant

M. [E] [S] alias [E] [G], né le 15 avril 1996 en Libye et de nationalité tunisienne, se présente à l’audience sous le nom de [E] [S] et déclare être originaire de [Localité 2]. Il est actuellement retenu au centre de rétention de Mesnil Amelot 2, assisté par son avocat Me Mariem Bouzekri et une interprète en arabe, Mme [F] [K].

Contexte de la Rétention

L’appelant a été placé en rétention administrative par un arrêté préfectoral en date du 25 octobre 2024, fondé sur une obligation de quitter le territoire français (OQTF) émise le 12 mai 2023. La prolongation de sa rétention a été ordonnée pour la quatrième fois par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux le 09 janvier 2025, pour une durée de 15 jours.

Appel de la Décision

M. [E] [S] a interjeté appel de cette décision le 10 janvier 2025, soutenant que les critères de prolongation de la rétention, tels que définis par l’article L742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers, ne seraient pas remplis. Il conteste ainsi la légitimité de sa rétention prolongée.

Réponse de la Cour

La cour rappelle que le magistrat doit vérifier les diligences de l’administration pour limiter la rétention au temps strictement nécessaire. Toutefois, elle souligne que l’administration n’a pas de pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires. La prolongation de la rétention peut être justifiée si l’un des critères de l’article L742-5 est rempli, ce qui a été établi dans le cas présent.

Éléments de la Menace à l’Ordre Public

La cour examine la notion de menace à l’ordre public, qui doit être fondée sur des éléments objectifs et démontrés. Elle précise que la simple commission d’une infraction pénale ne suffit pas à établir une menace. L’appréciation doit se faire au regard des comportements de l’intéressé et des risques qu’il pourrait poser.

Comportement de l’Appelant

M. [E] [S] a d’abord affirmé être libyen, mais les autorités consulaires libyennes ne l’ont pas reconnu. Il a ensuite déclaré être algérien et a refusé une audition avec les autorités algériennes. Les autorités tunisiennes ont été saisies et une audition a eu lieu le 03 janvier 2025, permettant à l’administration de justifier la prolongation de la rétention.

Conclusion de la Cour

La cour confirme la décision de prolongation de la rétention de M. [E] [S] alias [U] [G], considérant que l’administration a démontré sa capacité à obtenir des documents de voyage à bref délai. L’ordonnance est donc confirmée, et une expédition de celle-ci est ordonnée pour le procureur général.

Q/R juridiques soulevées :

Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon l’article L.742-5 ?

L’article L.742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile stipule que, à titre exceptionnel, le magistrat du siège peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention au-delà de la durée maximale prévue à l’article L.742-4, lorsque certaines situations se présentent dans les quinze derniers jours.

Ces situations incluent :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L.754-1 et L.754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, et il est établi que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Il est important de noter que les critères énoncés ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie qu’il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier une prolongation de la rétention.

Quelles sont les obligations de l’administration en matière de rétention administrative ?

L’article L.741-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile impose au magistrat du siège de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour s’assurer que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ.

Cela requiert, dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour de l’étranger.

Cependant, il est crucial de noter que l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires, comme l’indique la jurisprudence (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165).

Le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’actes sans véritable effectivité.

Ainsi, l’administration doit démontrer qu’elle a pris toutes les mesures nécessaires pour faciliter le départ de l’étranger, tout en respectant les limites de son pouvoir d’action face aux autorités consulaires.

Comment est appréciée la menace pour l’ordre public dans le cadre de la rétention ?

La menace pour l’ordre public, qui peut être mobilisée par l’administration lors des prolongations de la mesure de rétention, doit faire l’objet d’une appréciation in concreto.

Cela signifie qu’il faut examiner un faisceau d’indices permettant d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La jurisprudence (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A) précise que la commission d’une infraction pénale, à elle seule, ne suffit pas à établir que le comportement de l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public.

L’appréciation de cette menace doit également prendre en compte les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

Ainsi, l’administration doit fournir des éléments positifs, objectifs et démontrés pour justifier la qualification de menace pour l’ordre public, en tenant compte des circonstances spécifiques de chaque cas.

Quelles sont les voies de recours possibles contre l’ordonnance de prolongation de la rétention ?

L’ordonnance de prolongation de la rétention n’est pas susceptible d’opposition, mais le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention, ainsi qu’au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification de l’ordonnance.

Le pourvoi doit être formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Ces dispositions garantissent un recours effectif pour les personnes concernées, leur permettant de contester la légalité de la prolongation de leur rétention administrative.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour

des étrangers et du droit d’asile

ORDONNANCE DU 11 JANVIER 2025

(1 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 25/00152 – N° Portalis 35L7-V-B7J-CKTBP

Décision déférée : ordonnance rendue le 09 janvier 2025, à 15h15, par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux

Nous, Elise Thevenin-scott, conseillère à la cour d’appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Camille Besson, greffière aux débats et au prononcé de l’ordonnance,

APPELANT :

M. [E] [S] alias [E] [G]

né le 15 avril 1996 en Lybie, de nationalité tunisienne

Se disant à l’audience se nommer [E] [S] et être né à [Localité 2],

RETENU au centre de rétention : Mesnil Amelot 2

assisté de Me Mariem Bouzekri, avocat de permanence au barreau de Paris et de Mme [F] [K] (Interprète en arabe) tout au long de la procédure devant la cour et lors de la notification de la présente ordonnance, serment préalablement prêté

INTIMÉ :

LE PREFET DE LA SEINE ET MARNE

représenté par Me Margaux Chikaoui, du cabinet Centaure, avocats au barreau de Paris

MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l’heure de l’audience

ORDONNANCE :

– contradictoire

– prononcée en audience publique

– Vu l’ordonnance du 09 janvier 2025 du magistrat du siège du tribunal judiciaire de Meaux rejetant le moyen d’irrecevabilité, déclarant la requête recevable et la procédure régulière et ordonnant une quatrième prolongation de la rétention de M. [E] [S] alias [E] [G] né le 15 mai 1997 à [Localité 3] au centre de rétention administrative n°2 du [Localité 1], ou dans tout autre centre ne dépendant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée de 15 jours à compter du 08 janvier 2025 ;

– Vu l’appel motivé interjeté le 10 janvier 2025, à 12h04, par M. [E] [S] alias [E] [G] né le 15 mai 1997 à [Localité 3] ;

– Après avoir entendu les observations :

– de M. [E] [S] alias [E] [G] né le 15 mai 1997 à [Localité 3], assisté de son avocat, qui demande l’infirmation de l’ordonnance ;

– du conseil du préfet de Seine-et-Marne tendant à la confirmation de l’ordonnance ;

SUR QUOI,

Monsieur [E] [S], né le 15 avril 1996 en Lybie, alias [U] [G], né le 15 mai 1997 à [Localité 3] (Tunisie), a été placé en rétention administrative par arrêté préfectoral en date du 25 octobre 2024, sur le fondement d’un arrêté préfectoral portant OQTF en date du 12 mai 2023.

La mesure a été prolongée pour la quatrième fois par le magistrat du siège en charge du contrôle des mesures restrictives et privatives de liberté de Meaux le 09 janvier 2025.

Monsieur [E] [S] alias [U] [G] a interjeté appel de cette décision au motif que, selon lui, aucun des critères de l’article L742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ne serait rempli.

Réponse de la cour :

S’il appartient au magistrat du siège, en application de l’article L. 741-3 du même code, de rechercher concrètement les diligences accomplies par l’administration pour permettre que l’étranger ne soit maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ, ce qui requiert dès le placement en rétention, une saisine effective des services compétents pour rendre possible le retour, en revanche, l’administration française ne dispose d’aucun pouvoir de contrainte sur les autorités consulaires (1re Civ., 9 juin 2010, pourvoi n° 09-12.165) et le juge ne saurait imposer à l’administration la réalisation d’acte sans véritable effectivité.

En application de l’article L.742-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dans sa rédaction en vigueur depuis le 28 janvier 2024 :

« A titre exceptionnel, le magistrat du siège peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. »

Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.

Pour l’application du dernier alinéa de l’article précité à la requête en quatrième prolongation, créé par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024, il appartient à l’administration de caractériser l’urgence absolue ou la menace pour l’ordre public établie dans les 15 jours qui précèdent la saisine du juge.

S’agissant de la menace à l’ordre public, critère pouvant être mobilisé par l’administration à l’occasion des troisième et quatrième prolongations de la mesure de rétention elle impose, compte tenu du caractère dérogatoire et exceptionnel de ces ultimes prolongations, une vigilance particulière sur les conditions retenues pour qualifier ladite menace qui doit se fonder sur des éléments positifs, objectifs et démontrés par l’administration. Elle a pour objectif manifeste de prévenir, pour l’avenir, les agissements dangereux commis par des personnes en situation irrégulière sur le territoire national.

La menace pour l’ordre public doit faire l’objet d’une appréciation in concreto, au regard d’un faisceau d’indices permettant, ou non, d’établir la réalité des faits, la gravité, la récurrence ou la réitération, et l’actualité de la menace selon le comportement de l’intéressé.

La commission d’une infraction pénale n’est pas de nature, à elle seule, à établir que le comportement de l’intéressé présenterait une menace pour l’ordre public (CE, 16 mars 2005, n° 269313, Mme X., A ; CE, 12 février 2014, ministre de l’intérieur, n° 365644, A).

L’appréciation de cette menace doit prendre en considération les risques objectifs que l’étranger en situation irrégulière fait peser sur l’ordre public (CE, Réf. N°389959, 7 mai 2015, ministre de l’intérieur, B).

En l’espèce, Monsieur [E] [S] alias [U] [G] s’est d’abord présenté comme étant libyen ; que les autorités consulaires libyennes ne l’ont pas reconnu et qu’il a, alors, dit être algérien. Il a refusé une première audition consulaire avec les autorités algériennes, le 11 décembre 2024. Par la suite, les autorités consulaires algériennes ont refusé de le rencontrer, le 18 décembre, en raison de son précédent refus de collaborer.

Les autorités consulaires tunisiennes ont été saisies, une audition consulaire a eu lieu le 03 janvier 2025.

Dès lors, l’administration démontre être en mesure d’obtenir des documents de voyage à bref délai justifiant que soit ordonnée une quatrième prolongation de la mesure de rétention.

Dans ces conditions la décision sera confirmée en ce qu’elle a fait droit à la requête de la préfecture aux fins de prolongation de la rétention de Monsieur [E] [S] alias [U] [G].

PAR CES MOTIFS

CONFIRMONS l’ordonnance,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d’une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 11 janvier 2025 à

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

REÇU NOTIFICATION DE L’ORDONNANCE ET DE L’EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L’ordonnance n’est pas susceptible d’opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l’étranger, à l’autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d’attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.

Le préfet ou son représentant L’intéressé L’interprète L’avocat de l’intéressé


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