Indemnités d’éviction et d’occupation : enjeux et calculs en matière de bail commercial

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Indemnités d’éviction et d’occupation : enjeux et calculs en matière de bail commercial

L’Essentiel : Mme [D] [I] a conclu un bail commercial avec M. [L] [K] en septembre 2015 pour des locaux à Colombes. En janvier 2021, elle a délivré un congé pour le 31 août 2021, entraînant une procédure judiciaire sur les indemnités d’éviction et d’occupation. Le tribunal a homologué le rapport d’expertise, fixant l’indemnité d’éviction à 68.000 euros et l’indemnité d’occupation à 3.022,50 euros par mois. M. [K] a été condamné à verser 32.153,63 euros à Mme [I] pour le solde de l’indemnité d’occupation, avec imputation des sommes dues. Les intérêts demandés par M. [K] ont été rejetés.

Exposé du litige

Mme [D] [I] a conclu un bail commercial avec M. [L] [K] le 1er septembre 2015 pour une durée de neuf ans, concernant des locaux à Colombes, pour une activité de mécanique générale. En janvier 2021, Mme [I] a délivré un congé à M. [K] pour le 31 août 2021, entraînant une procédure judiciaire pour déterminer les indemnités d’éviction et d’occupation. Un expert judiciaire a été désigné, et un rapport a été établi en février 2022. Mme [I] a ensuite assigné M. [K] pour homologuer ce rapport, tandis que M. [K] a formulé des demandes reconventionnelles.

Conclusions des parties

Mme [I] a demandé l’homologation du rapport d’expertise, fixant l’indemnité d’éviction à 88.000 euros et l’indemnité d’occupation à 3.022,50 euros par mois. M. [K], en réponse, a demandé à être débouté et a réclamé une indemnité d’éviction de 220.222 euros, en s’appuyant sur un rapport d’expertise amiable. Les deux parties ont contesté les évaluations respectives des indemnités.

Fixation de l’indemnité d’éviction

Le tribunal a examiné les arguments des deux parties concernant l’indemnité d’éviction. Mme [I] a soutenu que l’expert judiciaire avait correctement évalué la valeur du droit au bail et du fonds de commerce, tandis que M. [K] a contesté cette évaluation, arguant que l’expert n’avait pas pris en compte certains éléments favorables à sa demande. Le tribunal a finalement décidé de retenir les conclusions de l’expert judiciaire, fixant l’indemnité d’éviction à 68.000 euros, avec des frais accessoires.

Montant de l’indemnité d’occupation

Concernant l’indemnité d’occupation, Mme [I] a demandé qu’elle soit fixée à 3.022,50 euros par mois, en se basant sur la valeur locative déterminée par l’expert. M. [K] a accepté ce montant mais a demandé un abattement de 20% pour précarité. Le tribunal a statué en faveur d’un abattement de 10%, fixant ainsi l’indemnité d’occupation à 3.022,50 euros par mois.

Condamnation de M. [K]

Le tribunal a condamné M. [K] à verser à Mme [I] une somme de 32.153,63 euros, correspondant au solde de l’indemnité d’occupation due pour la période de maintien dans les lieux. Cette somme a été déterminée après déduction des paiements déjà effectués par M. [K].

Imputation des sommes dues

Mme [I] a demandé que les sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation soient imputées sur celles qu’elle doit à M. [K] pour l’indemnité d’éviction. Le tribunal a accepté cette demande, ordonnant que les sommes dues par M. [K] soient déduites des montants dus par Mme [I].

Intérêts et dépens

M. [K] a demandé des intérêts au taux légal sur l’indemnité d’éviction, mais cette demande a été rejetée par le tribunal. Concernant les dépens, chaque partie a été condamnée à supporter ses propres frais, à l’exception des frais d’expertise qui seront à la charge de Mme [I].

Conclusion

Le tribunal a statué en faveur de Mme [I] sur plusieurs points, tout en rejetant certaines demandes de M. [K]. L’exécution provisoire du jugement a été ordonnée, et les parties ont été informées des modalités de mise en œuvre des décisions prises.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de validité du congé donné par le bailleur en application de l’article L145-4 du code de commerce ?

L’article L145-4 du code de commerce stipule que la durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. Toutefois, à défaut de convention contraire, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, dans les formes et délais prévus à l’article L145-9.

Le bailleur a également la possibilité de donner congé pour des motifs spécifiques, notamment pour construire ou reconstruire l’immeuble existant, conformément aux articles L145-18, L145-21, L145-23-1 et L145-24. Dans ce cas, le bailleur doit respecter les formes et délais de notification prévus par la loi.

En l’espèce, Mme [I] a délivré un congé à M. [K] à effet du 31 août 2021, date de la deuxième échéance triennale, en se fondant sur l’article L145-4 alinéa 3. Cela signifie que le congé a été donné dans le respect des conditions légales, permettant ainsi à Mme [I] de justifier son action en éviction.

Comment est déterminée l’indemnité d’éviction selon l’article L145-14 du code de commerce ?

L’article L145-14 du code de commerce précise que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail, mais doit, sauf exceptions, payer au locataire évincé une indemnité d’éviction. Cette indemnité est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement et comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession.

L’indemnité d’éviction doit être calculée en tenant compte de la valeur vénale du droit au bail et de la valeur marchande du fonds de commerce. La loi présume que le refus de renouvellement entraîne la disparition du fonds, et l’indemnité principale doit alors être égale à la somme la plus élevée entre la valeur marchande du fonds et la valeur vénale du droit au bail.

Dans le cas présent, l’expert judiciaire a évalué l’indemnité d’éviction à 88.000 euros, en tenant compte de la valeur du droit au bail et de la valeur marchande du fonds, ce qui est conforme aux dispositions de l’article L145-14.

Quelles sont les modalités de fixation de l’indemnité d’occupation selon l’article L145-28 du code de commerce ?

L’article L145-28 du code de commerce stipule qu’aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant d’avoir reçu cette indemnité. Jusqu’au paiement de cette indemnité, le locataire a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré.

L’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, en tenant compte de tous les éléments d’appréciation. Cette indemnité doit être fixée selon la valeur locative des lieux. Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation de la valeur locative et peuvent tenir compte de la précarité de la situation du locataire pour appliquer un abattement.

Dans cette affaire, l’indemnité d’occupation a été fixée à 3.022,50 euros par mois, en se basant sur la valeur locative de 130 euros/m²/an pour une surface de 310 m², conformément aux conclusions de l’expert judiciaire. L’abattement de précarité a été fixé à 10%, ce qui est conforme aux usages.

Quelles sont les conséquences de la restitution des locaux par le preneur sur les indemnités dues ?

La restitution des locaux par le preneur a des conséquences directes sur les indemnités dues. En effet, lorsque le preneur restitue les lieux, il doit payer une indemnité d’occupation pour la période durant laquelle il a occupé les locaux après la date de congé.

Dans le cas présent, M. [K] a restitué les lieux le 20 janvier 2023. Mme [I] a demandé à ce que M. [K] soit condamné à lui verser une somme de 32.153,63 euros au titre du solde de l’indemnité d’occupation due pour la période de maintien dans les lieux, après déduction des sommes déjà versées.

Cette demande est fondée sur le fait que l’indemnité d’occupation a été fixée à 3.022,50 euros par mois, et que M. [K] a versé une somme mensuelle de 1.079,90 euros. Ainsi, la différence entre l’indemnité d’occupation due et celle déjà versée constitue le montant réclamé par Mme [I].

Comment se déroule l’imputation des sommes dues entre les parties ?

L’imputation des sommes dues entre les parties est régie par l’article 768 du code de procédure civile, qui stipule que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée.

Dans cette affaire, Mme [I] a demandé que les sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation s’imputent sur les sommes dues par elle au titre de l’indemnité d’éviction. M. [K] a acquiescé à cette demande, reconnaissant qu’il devait une somme de 20.603 euros à Mme [I].

Le tribunal a donc décidé d’accueillir cette demande d’imputation, permettant ainsi de compenser les sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation avec celles que Mme [I] doit au titre de l’indemnité d’éviction. Cela illustre le principe de compensation des dettes, qui est une pratique courante en droit civil.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

8ème chambre

JUGEMENT RENDU LE
13 Janvier 2025

N° R.G. : N° RG 22/05239 – N° Portalis DB3R-W-B7G-XQT3

N° Minute :

AFFAIRE

[D] [I]

C/

[L] [K] Enseigne Frein Auto Service

Copies délivrées le :

DEMANDERESSE

Madame [D] [I]
65 rue Paul Bert
92700 COLOMBES

représentée par Maître Jacques RAYNALDY de la SCP LEICK RAYNALDY & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0164

DEFENDEUR

Monsieur [L] [K] Enseigne Frein Auto Service
65 rue Paul Bert et 4 rue René Aperré
92700 COLOMBES

représenté par Me Farid BOUZIDI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1097

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Février 2024 en audience publique devant :

Elisette ALVES, Vice-Président, magistrat chargé du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Elisette ALVES, Vice-Président
Elsa CARRA, Juge
Caroline KALIS, Juge

qui en ont délibéré.

Greffier lors du prononcé : Maeva SARSIAT, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte sous signature privée du 1er septembre 2015, Mme [D] [I] a donné à bail commercial à M. [L] [K], pour une durée de neuf années, des locaux dépendant d’un immeuble situé à l’angle du 65, rue Paul Bert et du 4, rue René Aperré à COLOMBES (92700), afin qu’il y exploite une activité de mécanique générale, tôlerie peinture et électricité, moyennant un loyer annuel fixé à 12.600 euros en principal.

Par acte extrajudiciaire du 26 janvier 2021, Mme [I] a fait délivrer à M. [K] un congé à effet du 31 août 2021, date de la deuxième échéance triennale, en application de l’article L145-4 alinéa 3 du code de commerce.

Par exploit d’huissier en date du 19 février 2021, Mme [I] a attrait M. [K] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de NANTERRE afin de voir désigner un expert judiciaire chargé de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’éviction susceptible d’être due à M. [K] et sur le montant de l’indemnité d’occupation susceptible d’être due par lui consécutivement au congé donné pour le 31 août 2021.

M. [N] [F], désigné en qualité d’expert judiciaire par ordonnance de référé du 30 juillet 2021, a établi son rapport le 6 février 2022.

C’est dans ce contexte que Mme [I] a fait assigner M. [K] devant ce tribunal par exploit du 30 mai 2022 aux fins essentiellement de voir homologuer les termes du rapport d’expertise judiciaire sauf en ce qu’il a retenu un abattement de 20% au titre de la précarité de l’occupation et de voir ainsi fixer l’indemnité d’éviction due à M. [K] à la somme totale de 88.000 euros et l’indemnité d’occupation due par celui-ci à compter de la date d’effet du congé à la somme mensuelle de 3.022,50 euros.

En cours de procédure, M. [K] a restitué les lieux loués le 20 janvier 2023.

Aux termes de ses dernières conclusions en ouverture de rapport notifiées par voie électronique le 29 mars 2023, Mme [I] demande au tribunal, de :

RECEVOIR Madame [I] en ses demandes, fins et conclusions,

Y FAISANT DROIT,
HOMOLOGUER le rapport d’expertise judiciaire de Monsieur [N] [F] déposé le 6 février 2022 sauf en ce qu’il a retenu un abattement de 20% au titre de la précarité de l’occupation,

EN CONSEQUENCE,
FIXER le montant de l’indemnité d’éviction due par Madame [I] à Monsieur [K], principale et accessoire, à la somme de 88.000 €,

FIXER le montant de l’indemnité d’occupation mensuelle due par Monsieur [K] à Madame [I] à compter du 31 août 2021 et jusqu’au 20 janvier 2023 à la somme de 3.022,50 €,

CONDAMNER Monsieur [L] [K] à payer à Madame [D] [I] une somme mensuelle de 32.153,63 € au titre de ladite indemnité d’occupation,

DIRE que les sommes dues par Monsieur [K] au titre de l’indemnité d’occupation viendront en déduction des sommes dues par la bailleresse au titre de l’indemnité d’éviction,

CONDAMNER Monsieur [L] [K] au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER Monsieur [L] [K] aux entiers dépens.

Suivant dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 octobre 2021, M. [K] demande au tribunal, de :

DEBOUTER Madame [I] de ses demandes,

RECEVOIR Monsieur [K] en ses demandes reconventionnelles,

En conséquence,
FIXER le montant de l’indemnité d’éviction due par Madame [I] à Monsieur [K], principale et accessoire, à la somme de 220.222€,

ASSORTIR cette somme des intérêts au taux légal à compter du jugement,

ORDONNER la capitalisation des intérêts,

IMPUTER sur la somme due au titre l’indemnité d’occupation la somme de 20.603€,

ORDONNER l’exécution provisoire,

CONDAMNER Madame [I] à verser à Monsieur [K] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNER Madame [I] aux entiers dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions précitées des parties pour ce qui concerne l’exposé détaillé de leurs moyens et prétentions.

La clôture de la procédure a été prononcée le 9 juin 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 6 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire

Il sera préalablement rappelé que les demandes tendant à « recevoir » et « dire » ne constituent pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile lorsqu’elles ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert, ces demandes n’étant en réalité que la redite des moyens invoqués, et non des chefs de décision devant figurer dans la partie exécutoire du jugement, sur lesquelles il n’y a donc pas lieu de statuer.

La demande relative à la déduction des sommes dues au titre de l’indemnité d’occupation de l’indemnité d’éviction constitue une véritable prétention en dépit de l’emploi erroné du terme « dire » en lieu et place de « ordonner ». Il sera donc statué sur celle-ci.

Sur la note en délibéré

Selon l’article 445 du code de procédure civile, après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444 du même code.

Aux termes dudit article 442, le président et les juges peuvent inviter les parties à fournir les explications de droit ou de fait qu’ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur.

Par ailleurs, l’article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

En l’espèce, à l’issue de l’audience de plaidoirie du 6 février 2024, le conseil de Mme [I] a été autorisé à adresser une note en délibéré concernant les jurisprudences insérées dans son dossier de plaidoirie par le défendeur, non communiquées, ni visées dans ses écritures.

Par message électronique en date du 8 février 2024, le conseil de Mme [I] a adressé une note en délibéré au tribunal sur ce point.

Dûment autorisée, celle-ci est recevable et il en sera tenu compte dans le cadre du présent jugement.

Sur la fixation de l’indemnité d’éviction due à M. [K]

Mme [I] expose qu’elle a fait délivrer un congé pour reconstruire à M. [K] à effet du 31 août 2021, en application des articles L145-4 et L145-18 du code de commerce. Elle précise que le preneur à bail ayant droit, dans cette hypothèse, au versement d’une indemnité d’éviction, elle a sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal judiciaire de NANTERRE la désignation d’un expert judiciaire chargé de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’éviction devant revenir à M. [K]. Elle convient que l’éviction du défendeur des lieux loués a entraîné la perte de son fonds de commerce, tel que retenu par expert judiciaire. Elle souscrit au mode de calcul de l’indemnité d’éviction opéré par M. [F] qui a déterminé la valeur du droit au bail, d’une part, et la valeur marchande du fonds, d’autre part, résultant de l’application du pourcentage habituellement pratiqué pour les ventes de fonds de même activité au chiffre d’affaires moyen réalisé dans les lieux loués, ce avant de retenir le montant le plus élevé entre ces deux sommes. Elle demande au tribunal d’homologuer les conclusions du rapport d’expertise de M. [F] concernant le montant de l’indemnité d’éviction chiffrée à la somme totale de 88.000 euros, dont une indemnité principale d’un montant de 68.000 euros. Elle soutient que le pourcentage (40% du chiffre d’affaires hors taxe) et le coefficient (2,5) retenus par l’expert sont conformes aux usages de la profession et à la jurisprudence.

Elle s’oppose à la demande reconventionnelle de M. [K] tendant à obtenir le versement d’une indemnité d’éviction d’un montant de 220.222 euros, dont une indemnité principale de 167.118 euros. Elle fait grief au défendeur de se prévaloir d’un rapport d’expertise amiable qu’il a fait établir. Elle explique que, contrairement aux usages, l’expert mandaté par le défendeur n’a pas procédé au calcul du chiffre d’affaires moyen, mais s’est exclusivement fondé sur le chiffre d’affaires 2019, et qu’il a retenu un pourcentage du chiffre d’affaires de 50% ne tenant pas compte des caractéristiques propres au fonds exploité dans les lieux loués relevées par l’expert judiciaire : absence de potentiel d’évolution dans un contexte concurrentiel et de mutation du marché de l’automobile, outillage traditionnel en deçà de la concurrence, configuration et localisation des locaux à l’écart du flux de chalands et mauvais état d’entretien des lieux. Elle conteste aussi le coefficient multiplicateur de 6 revendiqué, selon elle contraire à la jurisprudence et à la doctrine. Elle ajoute que M. [K] ne peut prétendre ajouter à la surface locative de 302,80 m², une mezzanine de 37 m², s’agissant d’une construction non autorisée et dont la hauteur sous plafond est de 1,20 m. Enfin, elle estime que les indemnités accessoires retenues par l’expert judiciaire sont conformes aux usages, contrairement à celles revendiquées par le défendeur. Elle souligne que M. [F] n’a pas retenu de frais de déménagement considérant que le devis produit par le preneur d’un montant de 6.000 euros était trop élevé, et que le propre expert amiable de M. [K] propose un montant de 1.500 euros, sans commune mesure avec les prétentions du défendeur. Elle soutient que dans la mesure où il a quitté les locaux le 20 janvier 2023, de tels frais ne peuvent être accueillis que sur présentation de la facture qu’il a acquittée. S’agissant des frais de licenciement, que l’expert judiciaire avait admis, selon l’usage, sur présentation de justificatifs, elle accepte de régler la somme totale de 6.794,25 euros au titre des indemnités de licenciement mentionnées dans les pièces produites, contestant être redevable du surplus des montants réclamés correspondant à des salaires, charges patronales, avantages etc. qui ne découlent pas de l’éviction.

M. [K] s’oppose à l’homologation des termes du rapport d’expertise judiciaire concernant l’indemnité d’éviction à laquelle il peut prétendre. Il reproche à M. [F] de ne pas avoir tenu compte des observations formulées dans son Dire n°4, fondées sur les termes du rapport d’expertise amiable établi à sa demande par M. [B]. Il invoque les dispositions de l’article L145-14 du code de commerce et le rapport rédigé par son expert amiable pour dire que l’éviction ayant entraîné la perte de son fonds de commerce, son préjudice doit être évalué à la valeur vénale dudit fonds, sans pouvoir être inférieur à la valeur du droit au bail. Reconventionnellement, il sollicite que l’indemnité d’éviction soit fixée à la somme de 220.222 euros, dont 167.118 euros au titre de l’indemnité principale d’éviction correspondant à l’application d’un coefficient de capitalisation de 6 à la valeur du droit au bail qu’il évalue à 27.852,92 euros.

Il soutient que l’expert judiciaire a, à tort, limité la chalandise à une clientèle d’habitués ou de proximité, alors que M. [B] a relevé une très bonne desserte des lieux par voie routière (D106 et A86). Il estime qu’il doit aussi être tenu compte du fait que le loyer était minoré par rapport à la valeur locative et n’avait pas vocation à augmenter. Il considère qu’il est fondé à voir appliquer un coefficient de 50% au chiffre d’affaires hors taxe retenu de 177.000 euros, qui était en cours de progression, au lieu de 40% tel que proposé par l’expert judiciaire dont il déplore l’avis subjectif voire divinatoire concernant les freins allégués quant à la possibilité de s’adapter aux évolutions de l’activité exercée. Il déclare qu’il se serait nécessairement adapté aux évolutions technologiques requises, arguant que nombre de ses concurrents ne sont d’ailleurs pas encore formés non plus. Tout en rappelant que les fonds de commerce de garage de réparations automobiles sont valorisés en appliquant un coefficient compris entre 35% et 60% du chiffre d’affaires hors taxes selon l’indicateur de référence Francis Lefebvre (2018), il demande de tenir compte de la méthode appliquée par M. [B] fondée sur l’excédent brut d’exploitation (EBE).

Il conteste aussi le défaut d’entretien des locaux mentionné. Il indique que l’état des lieux tient à la nature salissante de l’activité exploitée et à un important incendie survenu au cours de l’année 2018. Selon lui, les locaux nécessitaient des travaux de rénovation incluant une reprise des sols et la réfection de la toiture. Il estime encore que l’expert judiciaire n’a pas accompli sa mission faute d’avoir mesuré la surface des locaux. Il lui reproche de s’être basé sur la surface locative contractuelle (310 m²), alors que son propre expert amiable, M.[B], a procédé à leur mesurage et conclu à une surface totale de 339,80 m² dont 302,80 m² au rez-de-chaussée et 37 m² de mezzanine. Il a aussi eu recours à la société SDIExpertise diagnostic immobilier qui a, quant à elle, retenu une superficie de 334,82 m² le 3 janvier 2023. Il oppose à la bailleresse qu’elle n’établit pas que les surfaces de mezzanine n’existaient pas lors de sa prise à bail. Il tire aussi argument du fait qu’elle n’a pas sanctionné le manquement aux stipulations du bail résultant de la prétendue construction « sauvage » desdites surfaces, y compris à la suite de l’incendie survenu en 2018, alors même qu’elle lui a fait signifier un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail l’année suivante.

Selon l’article L145-4 du code de commerce, la durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans.
Toutefois, à défaut de convention contraire, le preneur a la faculté de donner congé à l’expiration d’une période triennale, dans les formes et délai de l’article L145-9.
Le bailleur a la même faculté s’il entend invoquer les dispositions des articles L145-18, L145-21, L 145-23-1 et L145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l’immeuble existant, de réaffecter le local d’habitation accessoire à cet usage ou d’exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d’une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l’immeuble dans le cadre d’un projet de renouvellement urbain.

L’article L145-18 du même code dispose que le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l’immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l’indemnité d’éviction prévue à l’article L145-14.
Il en est de même pour effectuer des travaux nécessitant l’évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L 313-4 et L313-4-2 du code de l’urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles.
Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent.
Le cas échéant, le locataire perçoit une indemnité compensatrice de sa privation temporaire de jouissance et de la moins-value de son fonds. Il est en outre remboursé de ses frais normaux de déménagement et d’emménagement.
Lorsque le bailleur invoque le bénéfice du présent article, il doit, dans l’acte de refus de renouvellement ou dans le congé, viser les dispositions de l’alinéa 3 et préciser les nouvelles conditions de location. Le locataire doit, dans un délai de trois mois, soit faire connaître par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception son acceptation, soit saisir la juridiction compétente dans les conditions prévues à l’article L145-58 .

Si les parties sont seulement en désaccord sur les conditions du nouveau bail, celles-ci sont fixées selon la procédure prévue à l’article L145-56.
En application de l’article L145-14 du même code le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

La loi présume ainsi que le refus de renouvellement entraîne la disparition du fonds : l’indemnité principale doit alors être égale à la somme la plus élevée entre la valeur marchande du fonds et la valeur vénale du droit au bail, afin de permettre au locataire évincé d’acquérir un fonds présentant une valeur identique.

Le droit au bail peut être défini comme étant l’élément qui mesure l’intérêt pour un exploitant d’être situé à un emplacement donné pour exploiter un commerce donné moyennant un loyer donné et qu’il est généralement évalué selon la méthode du « différentiel de loyer » qui consiste à:
– tenir compte de la différence entre le loyer et la valeur locative du marché ( la valeur locative étant le loyer maximum HT HC qui peut être obtenu pour un local libre, avec pondération des surfaces pour tenir compte de la configuration des boutiques),
– à calculer la différence sur un an entre le loyer qui aurait été payé si le bail avait été renouvelé et la valeur locative du marché, ce montant étant ensuite capitalisé,
– et, le cas échéant, à constater qu’il n’y a pas de valeur de droit au bail si le loyer correspond à la valeur locative du marché, voire lui est supérieur.

Si le fonds n’est pas transférable, l’indemnité principale est dite de remplacement, alors qu’elle est dite de déplacement lorsque le fonds peut être réinstallé. La valeur marchande du fonds est déterminée selon les usages de la profession.

Le fonds doit être évalué dans sa consistance à la date d’effet du congé et le préjudice doit l’être à la date la plus proche possible du départ du locataire. Il appartient à celui qui réclame le paiement de l’indemnité d’éviction de justifier du montant des sommes réclamées à ce titre.

Les indemnités accessoires correspondent, quant à elles, à tous les frais que le preneur peut être amené à engager du fait de la perte de son fonds et de la nécessité dans laquelle il se trouve de se réinstaller, en acquérant un fonds ou un droit au bail équivalent, ces frais supplémentaires n’étant pas inclus dans l’indemnité principale.

Peuvent être alloués, si le fonds n’est pas transférable, notamment des frais de remploi couvrant les frais de recherche et de commissions pour trouver un nouveau fonds, une indemnité pour trouble commercial, des frais de réinstallation, des frais de déménagement, ainsi que des frais divers (couvrant les modifications au Registre du commerce, de remplacement d’imprimés et documents sociaux ou commerciaux d’information des fournisseurs etc. en suite de la fermeture du fonds et en lien avec la réinstallation éventuelle dans de nouveaux locaux).

En l’espèce, M. [F] est d’avis qu’en l’absence de local permettant au preneur de se réinstaller à proximité, l’éviction entraînera la perte de son fonds de commerce. Afin de déterminer la valeur de celui-ci, il a, d’une part, calculé la valeur du droit au bail et, d’autre part, la valeur du fonds selon la méthode du chiffre d’affaires, selon l’usage.

L’expert a relevé que les locaux :
– sont situés à COLOMBES (92700), dans un secteur excentré par rapport au centre-ville, à proximité du stade Yves du Manoir, dans un quartier à faible chalandise ne comptant que de rares commerces, à l’angle de la rue Aperré, qui est une petite voie, et de la rue Paul Bert, axe à double sens de circulation qui permet de rejoindre la A86 ;

– dépendent d’un ensemble immobilier vraisemblablement construit entre 1900 et 1950 dont ils constituent le lot n°2, comprenant deux ensembles d’habitation pour partie à usage professionnel ;
– se développent en rez-de-chaussée sur une surface de 310 m² et sont composés d’un local de réception d’environ 30 m² à l’angle des deux voies, bénéficiant d’un linéaire de façade de 8,10 mètres sur la rue Aperré et de 5 mètres sur la rue Paul Bert, et auquel on accède au niveau d’un pan coupé par une porte vitrée à simple vantail qui s’ouvre sur une aire de vente avec étagères murales et comptoir-caisse (sol carrelage – murs peints – faux plafond éclairage néons) ainsi que d’un atelier de mécanique – tôlerie – peinture qui occupe les trois-quarts de la superficie restante soit 250 m² (sol ancien béton, murs béton enduit ciment, toiture fibrociment et plaques Onduclair portée par une charpente en bois) équipé de quatre ponts et d’une cabine de peinture mais sans aspirateur de fumée ni réseau de traitement d’air, sans isolation sous toiture ni chauffage et climatisation, outre des sanitaires comprenant WC, douche et lavabo d’une surface de 10 m².

L’expert précise que la distribution des lieux est fonctionnelle pour l’activité exercée. Mais, il souligne le caractère vétuste de l’ensemble, l’installation électrique à reprendre et une absence d’entretien des locaux, indépendamment du caractère salissant de l’activité exploitée. Il ajoute que les locaux ont subi un incendie en 2018 et un important dégât des eaux en 2019 sans travaux de remise en état ultérieurs et que le preneur ne lui a pas transmis de déclaration de sinistre malgré ses demandes.

Concernant la valeur du droit au bail, après avoir rappelé que pour ce type d’activité artisanale, la charte en expertise immobilière préconise de retenir la surface utile brute, qui correspond à la SHON déduction faite des éléments de structure et circulations verticales, l’expert judiciaire a procédé à l’analyse du bail et de l’acte d’acquisition du fonds par le preneur en 2005 pour retenir une surface de 310 m² telle que contractuellement définie et correspondant au règlement de copropriété.

Il a ensuite recherché la valeur locative statutaire des lieux loués à la date de l’éviction et analysé à cette fin quatre références de comparaison ( 107 euros/m²p/an. 130 euros/m²p/an ; 140 euros/m²p/an ; 150 euros/m²p/an). Il a également tenu compte des quatre références invoquées par la bailleresse (88 euros/m²p/an, 103 euros/m²p/an et 110 euros/m²p/an à ARGENTEUIL ainsi que 115 euros /m²/an à COLOMBES) et des trois références présentées par le preneur (170 euros/m²p/an, 143 euros /m²p/an et 170 euros/m²p/an à COLOMBES). Il est d’avis que le prix unitaire ressort à la somme de 130 euros/m²p/an, soit une valeur locative annuelle statutaire de 40.300 euros pour une surface de 310 m².

Après déduction du loyer annuel contractuel d’un montant de 13.090 euros en principal, il aboutit à un différentiel de 27.210 euros auquel il propose d’appliquer un coefficient multiplicateur de 2,5 au regard de la localisation de l’emplacement des locaux objet de l’éviction, de leur état d’entretien et d’équipement. Il en conclut que la valeur du droit au bail ressort à la somme de 68.025 euros.

Concernant la valeur du fonds de commerce, M. [F] rappelle que les fonds de commerce de mécanique automobile, tôlerie et peinture sont vendus sur une base de 30% à 60% du chiffre d’affaires moyen réalisé. Il a calculé le chiffre d’affaires moyen réalisé dans les lieux loués au cours des trois dernières années (177.747,68 euros TTC) puis a appliqué un taux de 40% pour tenir compte des forces et freins du commerce de M. [K] dont il souligne le déficit technologique constaté en plus des modalités d’exercice sus-décrites. Il en déduit une valeur du fonds de 71.000 euros TTC, soit 59.200 euros HT.

Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, il est d’avis que l’indemnité d’éviction peut être chiffrée sur la base de la valeur du droit au bail, comme suit :

– indemnité principale (valeur de droit au bail) : 68.000 euros
– frais de remploi : 8.160 euros
– trouble commercial : 8.455 euros
– frais administratifs : 3.000 euros
– frais de déménagement : sur justificatifs
– frais de licenciements : sur justificatifs.

La bailleresse souscrit à l’avis de l’expert judiciaire demandant de limiter les frais de déménagement à la somme de 1.500 euros, tandis que le défendeur revendique que l’indemnité d’éviction soit fixée à la somme de 220.222 euros, dont 167.118 euros au titre de l’indemnité principale d’éviction correspondant à l’application d’un coefficient de capitalisation de 6 à la valeur du droit au bail qu’il chiffre pareillement à une somme de l’ordre de 27.000 euros, de sorte que la question de la surface locative est indifférente.

Les éléments du dossier démontrent que l’emplacement des locaux objet de l’éviction n’avait rien d’exceptionnel en termes de situation, ce qui exclut que le coefficient de 6 invoqué par M. [K] puisse être appliqué.

Au regard de l’emplacement quelconque, mais aussi de l’absence d’entretien des lieux et de leur déficit d’équipement, le coefficient appliqué par l’expert judiciaire apparaît adapté.

Partant, ainsi que le demande Mme [I], l’indemnité d’éviction sera fixée dans les termes du rapport d’expertise, étant précisé, d’une part, que les frais de déménagement seront admis sur présentation de justificatifs dans la limité de 1.500 euros, et que seuls les frais de licenciement induits par l’éviction incombent au bailleur, ce qui exclut les indemnités de congés payés et autres indemnités de préavis.

L’indemnité d’éviction due à M. [K] en application de l’article L145-14 du code de commerce sera en conséquence fixée comme suit :

– indemnité principale (valeur de droit au bail) : 68.000 euros
– frais de remploi : 8.160 euros
– trouble commercial : 8.455 euros
– frais administratifs : 3.000 euros
– frais de déménagement : sur justificatifs dans la limite de 1.500 euros
– frais de licenciements : sur justificatifs.

Sur le montant de l’indemnité d’occupation due par M. [K]

Mme [I] demande que l’indemnité d’occupation statutaire due par le preneur à compter du 31 août 2021 soit fixée à la somme mensuelle de 3.022,50 euros en principal. Elle souscrit au prix unitaire de 130 euros/m²/an calculé par l’expert judiciaire, pour une surface de 310 m². Elle conteste que la surface de la mezzanine puisse être prise en compte au titre de la surface utile brute dans la mesure où elle n’apparaît pas dans les documents contractuels (bail et règlement de copropriété), que le preneur n’a pas été autorisé à l’édifier, que sa hauteur sous plafond est inférieure à 120 cm et que le l’expert a constaté qu’elle était inoccupée. Elle s’oppose à l’application d’un abattement de précarité de 20% tel que proposé par M. [F] arguant qu’il est excessif en l’espèce. Elle propose de retenir un abattement de 10%, selon l’usage.

M. [K] déclare ne pas avoir d’observation particulière à formuler concernant l’indemnité d’occupation calculée par l’expert judiciaire. Il précise toutefois que le prix unitaire retenu par l’expert judiciaire ressort en réalité à 139 euros/m²/an, somme variant de surcroît en fonction de la surface retenue. Il demande au tribunal d’appliquer un abattement de précarité de 20% tel que préconisé par l’expert judiciaire.

Aux termes de l’article L145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections 6 et 7, compte tenu de tous éléments d’appréciation.

Il est de droit que cette indemnité d’occupation doit être fixée selon la valeur locative (Pourvoi n°06-17.766) et que dès lors qu’ils respectent ce principe de fixation, les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation de la valeur locative (Pourvoi n°04-12.613) et qu’ils peuvent tenir compte de la précarité de la situation du locataire (Pourvoi n°94-18.215 et n°99-11.035) pour appliquer un abattement.

Cet abattement est usuellement fondé sur le fait que la situation du preneur maintenu dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction présente des inconvénients manifestes. Il ne peut réaliser des travaux de modernisation ou d’amélioration de ses locaux et, s’il peut théoriquement céder ses droits, cette faculté lui est interdite en pratique, dès lors qu’il trouvera peu de candidats désireux d’acquérir des droits précisément précaires et, par ailleurs, le fait de ne pas savoir avec exactitude la date à laquelle il sera amené à devoir quitter les locaux constitue une gêne incontestable pour son exploitation.

Il est constant que le montant de cet abattement n’est réglementé par aucune disposition. Au-delà de situations courantes justifiant des abattements classiques de 10 et quelquefois 15 %, les juridictions
peuvent être amenées en fonction de circonstances particulières, à pratiquer des abattements
bien plus élevés.

L’application de ce coefficient de précarité ainsi que l’évaluation de son montant relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (Pourvoi n°06-10.476).

En l’espèce, les parties ne discutent pas la valeur locative statutaire calculée par l’expert judiciaire mais sont contraires sur le taux de précarité à appliquer.

L’expert judiciaire a proposé d’appliquer un coefficient de précarité de 20%, qui n’est pas conforme aux usages.

M. [K] n’articule aucun moyen en fait ou en droit justifiant d’appliquer un coefficient de précarité supérieur à celui d’usage, d’un montant de 10%.

Par conséquent, le coefficient de précarité sera fixé à 10% et l’indemnité d’occupation statutaire due par M. [K] à compter du 1er septembre 2021 sera fixée à la somme de 3.022,50 euros par mois, ainsi que le demande la bailleresse, soit 36.270 euros par an en principal.

Sur la condamnation de M. [K] à payer la somme de 32.153,63 euros à Mme [I]

Mme [I] demande qu’il soit tenu compte tenu de la libération des locaux par M. [K] en cours de procédure, le 20 janvier 2023, et que celui-ci soit donc condamné à lui verser une somme totale de 32.153,63 euros au titre du solde de l’indemnité d’occupation due pour la période de maintien dans les lieux, après déduction de la somme provisionnelle acquittée mensuellement d’un montant de 1.079,90 euros sur la base du bail expiré.

M. [K], qui conclut au débouté de la demanderesse, ne développe aucun argument en fait ou en droit dans la partie discussion de ses écritures à l’appui de son opposition. Par ailleurs, il se reconnaît redevable à tout le moins d’une somme de 20.603 euros à l’égard de Mme [I] puisqu’il propose d’imputer cette somme sur celles qu’elle lui doit dans le dispositif de ses conclusions.

En l’espèce, les conclusions concordantes des parties et les termes du rapport d’expertise établissent que M. [K] a réglé une somme mensuelle de 1.079,90 euros en principal, conformément aux termes du bail expiré, dans le cadre de son maintien dans les lieux.

Or, il résulte de ce qui précède que l’indemnité d’occupation statutaire a été fixée à la somme de 3.022,50 euros par mois.

Par conséquent, il convient d’accueillir la demande de Mme [I] et de condamner M. [K] à lui verser une somme de 32.153,63 euros au titre du solde de l’indemnité d’occupation due pour la période du 1er septembre 2021 au 20 janvier 2023, après déduction de la somme provisionnelle acquittée mensuellement d’un montant de 1.079,90 euros sur la base du bail expiré.

Sur l’imputation des sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation sur les sommes dues par Mme [I] au titre de l’indemnité d’éviction

Mme [I] demande, au terme du dispositif de ses conclusions, qui lie le tribunal, que les sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation s’impute sur les sommes dont elle est redevable à son égard au titre de l’indemnité d’éviction.

M. [K] acquiesce, dans le dispositif de ses écritures, à l’imputation de la somme de 20.603 euros due au titre de l’indemnité d’occupation sur les sommes dont la bailleresse est redevable à son égard.

En vertu de l’article 768 du code de procédure civile, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, Mme [I] ne développe aucun moyen en fait ou en droit à l’appui de cette prétention dans la partie discussion de ses écritures.

Toutefois, au vu des conclusions concordantes des parties, il convient d’accueillir sa demande et d’ordonner que les sommes dues par M. [K] au titre de l’indemnité d’occupation s’imputeront sur les sommes dues à celui-ci par Mme [I] au titre de l’indemnité d’éviction.

Sur les intérêts au taux légal dus sur l’indemnité d’éviction et leur capitalisation

M. [K] sollicite, au terme du dispositif de ses conclusions, qui lie le tribunal, que les sommes dues par Mme [I] au titre de l’indemnité d’éviction produisent intérêts au taux légal à compter du présent jugement et que soit ordonnée la capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière.

Mme [I] ne réplique pas sur ces prétentions.

En vertu de l’article 768 du code de procédure civile, les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion.

En l’espèce, M. [K], qui n’a pas formulé de demande de paiement de l’indemnité d’éviction au terme du dispositif de ses conclusions, ne développe aucun moyen en fait ou en droit à l’appui des prétentions relatives aux intérêts au taux légal et à leur capitalisation dans la partie discussion de ses écritures.

Ses demandes de ces chefs seront en conséquence rejetées.

Sur les mesures accessoires :

Sur les dépens

Selon l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.

En l’espèce, il convient de laisser à chaque partie la charge des dépens qu’elle a exposés dans le cadre de la présente instance, à l’exception des frais d’expertise judiciaire qui seront supportés par Mme [I] qui est à l’origine de l’éviction.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

L’équité commande de laisser à chaque partie la charge des frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’exposer pour faire valoir ses droits dans le cadre de la présente instance. Leurs demandes respectives fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront donc rejetées.

Sur l’exécution provisoire

L’art

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant par jugement contradictoire et en premier ressort

DECLARE recevable la note en délibéré notifiée le 8 février 2024 par Mme [I],

FIXE l’indemnité d’éviction due par Mme [D] [I] à M. [L] [K] comme suit :

– indemnité principale (valeur de droit au bail) : 68.000 euros
– frais de remploi : 8.160 euros
– trouble commercial : 8.455 euros
– frais administratifs : 3.000 euros
– frais de déménagement : sur justificatifs dans la limite de 1.500 euros
– frais de licenciements : sur justificatifs.

FIXE l’indemnité d’occupation due par M. [L] [K] à compter du 1er septembre 2021 à Mme [D] [I] à la somme annuelle de 36.270 euros hors taxes et hors charges, soit 3.022,50 euros par mois en principal,

CONDAMNE M. [L] [K] à payer Mme [D] [I] la somme de 32.153,63 euros au titre du solde de l’indemnité d’occupation due en principal pour la période du 1er septembre 2021 au 20 janvier 2023,

ORDONNE que la somme de 32.153,63 euros due par M. [L] [K] au titre du solde de l’indemnité d’occupation s’imputera sur les sommes dues à celui-ci par Mme [D] [I] au titre de l’indemnité d’éviction,

DEBOUTE M. [L] [K] de ses demandes au titre des intérêts au taux légal, capitalisés,

REJETTE les demandes des parties fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,

ORDONNE que les honoraires d’expertise judiciaire seront supportés par Mme [D] [I],

LAISSE à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés dans le cadre de la présente instance,

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

RAPPELLE que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Signé par Elisette ALVES, Vice-Président et par Maeva SARSIAT, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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