Conformité aux stipulations d’un accord collectif sur la communication syndicale

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Conformité aux stipulations d’un accord collectif sur la communication syndicale

L’Essentiel : La société Manpower France a assigné le syndicat CGT Manpower pour non-respect des dispositions de l’accord collectif de 2018, notamment l’interdiction d’utiliser la messagerie professionnelle pour des communications syndicales. Le tribunal a constaté cette violation et a ordonné au syndicat de cesser cette pratique, avec une astreinte de 50 euros par infraction pendant 90 jours. Cependant, la demande d’indemnisation de Manpower France a été rejetée, faute de preuve de préjudice. Le tribunal a également condamné le syndicat à payer 1 500 euros pour les frais de l’instance, tandis que sa propre demande de remboursement a été rejetée.

Exposé du litige

La société Manpower France, spécialisée dans la location de main d’œuvre, est régie par un accord collectif signé le 27 novembre 2018, qui encadre l’activité des représentants du personnel. Depuis décembre 2022, la direction a demandé au syndicat CGT Manpower de respecter les dispositions de cet accord concernant la communication syndicale. Le 1er février 2024, Manpower France a assigné le syndicat devant le tribunal, et l’instruction a été clôturée le 21 novembre 2024.

Demandes de Manpower France

Dans ses conclusions du 16 septembre 2024, Manpower France demande au tribunal d’ordonner au syndicat CGT Manpower de respecter l’article 5.1.1.2 de l’accord de 2018, interdisant l’utilisation de la messagerie professionnelle pour des communications syndicales. Elle réclame également une astreinte de 50 euros par communication syndicale envoyée, ainsi qu’une indemnisation d’un euro pour préjudice et 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Réponse du syndicat CGT Manpower

Le syndicat CGT Manpower, dans ses conclusions du 31 août 2024, conteste la demande de Manpower France et demande une indemnisation de 5 000 euros. Il argue que les stipulations de l’article 5.2.1.2 de l’accord sont illégales, car elles ne prévoient que deux communications syndicales postales par an, alors que la loi exige une communication mensuelle. Il conteste également l’imputation des communications litigieuses.

Motifs de la décision

Le tribunal rappelle que l’article L. 2142-6 du code du travail permet aux accords d’entreprise de définir les modalités de diffusion des informations syndicales. L’article 5.1.1.2 de l’accord de 2018 stipule que les messageries professionnelles ne doivent pas être utilisées pour des communications syndicales. Même si certaines stipulations de l’accord sont jugées illégales, cela n’exonère pas le syndicat de respecter les autres articles de l’accord.

Injonction et astreinte

Le tribunal constate que le syndicat CGT Manpower a violé les stipulations de l’accord en envoyant des communications syndicales via la messagerie professionnelle. Il ordonne donc au syndicat de cesser cette pratique, assortie d’une astreinte de 50 euros par infraction constatée pendant 90 jours.

Demande indemnitaire

La demande d’indemnisation de Manpower France est rejetée, car la société n’a pas prouvé le préjudice causé par la méconnaissance de l’accord par le syndicat.

Dépens et frais de l’instance

Le tribunal impose au syndicat CGT Manpower de payer 1 500 euros à Manpower France pour les frais exposés, tandis que la demande de Manpower France pour le remboursement de ses propres frais est rejetée. Les dépens de l’instance sont également à la charge du syndicat CGT Manpower.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de diffusion des informations syndicales selon l’accord collectif du 27 novembre 2018 ?

L’article L. 2142-6 du Code du travail stipule que « un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise ».

Dans le cas présent, l’article 5.1.1.2 de l’accord collectif du 27 novembre 2018 précise que « les messageries Manpower France des salariés étant réservées à un usage strictement professionnel, ces dernières n’ont pas vocation à être utilisées pour la diffusion de publications, tracts de nature syndicale et toute communication liée aux élections.

Seules les informations relatives aux activités sociales et culturelles du CSE/CSEC y sont autorisées ».

Ainsi, cet article encadre strictement l’utilisation des messageries professionnelles pour toute communication syndicale, ce qui est conforme aux dispositions légales.

Quelles sont les conséquences d’une méconnaissance des stipulations de l’accord collectif ?

L’article L. 2262-4 du Code du travail dispose que « les organisations de salariés et les organisations ou groupements d’employeurs, ou les employeurs pris individuellement, liés par une convention ou un accord, sont tenus de ne rien faire qui soit de nature à en compromettre l’exécution loyale ».

Dans le cas présent, le tribunal a constaté que le syndicat CGT Manpower a sciemment méconnu les stipulations de l’article 5.1.1.2 de l’accord collectif.

En conséquence, le tribunal a enjoint au syndicat de ne plus utiliser la messagerie professionnelle pour sa communication syndicale, assortissant cette injonction d’une astreinte de cinquante euros par infraction constatée pendant une durée de quatre-vingt-dix jours.

Cela démontre que la méconnaissance des stipulations de l’accord peut entraîner des sanctions financières et des injonctions.

Quelles sont les implications de l’exception d’illicéité soulevée par le syndicat CGT Manpower ?

Le tribunal a précisé que même si les stipulations de l’article 5.2.1.2 de l’accord du 27 novembre 2018 étaient illégales, cela ne saurait affecter la légalité des stipulations d’un autre article de l’accord.

En effet, l’article 5.1.2.1 de l’accord prévoit l’accès de l’ensemble des salariés à la communication des organisations syndicales via la plateforme informatique « Web Syndicale ».

Ainsi, même si certaines dispositions de l’accord sont contestées, cela n’exonère pas le syndicat de son obligation de respecter les autres stipulations.

Le tribunal a donc conclu que le régime dérogatoire mis en place au sein de l’entreprise est plus favorable que celui prévu par la loi, rendant les stipulations en cause non illégales.

Quelles sont les conditions pour obtenir une indemnisation en cas de méconnaissance d’un accord collectif ?

La demande indemnitaire de la société Manpower a été rejetée car celle-ci n’a pas apporté d’éléments prouvant la réalité du préjudice causé par la méconnaissance de l’accord collectif par le syndicat CGT Manpower.

Cela souligne l’importance de prouver le préjudice pour obtenir une indemnisation.

En application de l’article 700 du Code de procédure civile, le tribunal a mis à la charge du syndicat CGT Manpower la somme de 1 500 euros pour les frais exposés par la demanderesse, mais a débouté la société Manpower de sa demande d’indemnisation.

Cela démontre que la charge de la preuve incombe à la partie qui réclame une indemnisation.

Quelles sont les conséquences des dépens et des frais de l’instance ?

Selon l’article 696 du Code de procédure civile, les dépens de l’instance sont à la charge de la partie perdante.

Dans cette affaire, le tribunal a mis à la charge du syndicat CGT Manpower les entiers dépens de l’instance, ce qui signifie qu’il doit couvrir tous les frais liés à la procédure.

De plus, l’article 700 du Code de procédure civile permet au tribunal d’allouer une somme à la partie qui a gagné, pour couvrir ses frais non compris dans les dépens.

Ainsi, le tribunal a condamné le syndicat à verser 1 500 euros à la société Manpower France, illustrant l’application de ces articles dans le cadre des frais de justice.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE SOCIAL

Contentieux collectif du travail

JUGEMENT RENDU LE
10 Janvier 2025

N° RG 24/01077 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZGHT

N° Minute : 25/00003

AFFAIRE

S.A.S. Manpower France

C/

Syndicat CGT Manpower

Copies délivrées le :

à
Maître Romain CHISS (copie exécutoire)
Maître Catherine BOUSQUET (CCC)

DEMANDERESSE

S.A.S. Manpower France
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Romain CHISS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R245

DEFENDEUR

Syndicat CGT Manpower
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représenté par Maître ANNE Mathilde substituant Maître Catherine BOUSQUET, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 1702, et Maître Fabien JORQUERA avocat au barreau de Grenoble

***

L’affaire a été débattue le 3 Décembre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :

Vincent SIZAIRE, Vice-président,
Anne-Cécile LACHAL, Vice-présidente,
Juliette VIGOUROUX, Juge placée,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats et du prononcé : Pascale GALY, Greffier.

JUGEMENT

Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Les avocats des parties ont été entendus en leurs explications, l’affaire a été ensuite mise en délibéré et renvoyée à ce jour pour mise à disposition de la décision.

EXPOSE DU LITIGE

La société Manpower France a pour activité la location de main d’œuvre.

L’activité des représentants du personnel y est encadrée par un accord collectif conclu le 27 novembre 2018.

A plusieurs reprises depuis décembre 2022, la direction de l’entreprise a demandé au syndicat CGT Manpower de se conformer aux stipulations de cet accord relatives à la communication syndicale.

Le 1er février 2024, la société Manpower France a assigné le syndicat CGT Manpower devant la présente juridiction.

La clôture de l’instruction a été ordonnée le 21 novembre 2024.

Dans ses dernières conclusions, enregistrées le 16 septembre 2024, la société Manpower France demande au tribunal :
D’enjoindre au syndicat CGT Manpower de se conformer aux stipulations de l’article 5.1.1.2. de l’accord d’entreprise relatif à la rénovation du dialogue social et de valorisation de l’employabilité des représentants du personnel au sein de Manpower France du 27 novembre 2018 et de cesser toute communication de nature syndicale via la messagerie professionnelle des salariés de Manpower France sous astreinte de 50 euros par communication syndicale et par salarié adressée sur la messagerie professionnelle de Manpower France, le tribunal se réservant la liquidation de l’astreinte ;La condamnation du syndicat CGT Manpower à lui verser la somme de 1 euro en réparation de son préjudice ;La condamnation du syndicat CGT Manpower à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, elle soutient que les prévisions de l’accord ne méconnaissent pas les dispositions légales relatives à la communication syndicale dans les entreprises de travail temporaire dès lors qu’elles sont plus favorables et que le syndicat CGT a, en méconnaissance de l’accord, adressé plusieurs communications syndicales aux salariés par l’intermédiaire de leurs messageries professionnelles.

Dans ses dernières conclusions, enregistrées le 31 août 2024, le syndicat CGT Manpower conclut au rejet de la demande et sollicite la condamnation de la demanderesse à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Il soutient que les stipulations de l’article 5.2.1.2 de l’accord du 27 novembre 2018 sont illégales en ce qu’elles ne prévoient que deux communications syndicales postales quand la loi exige une communication par mois, de sorte qu’on ne saurait lui reprocher de méconnaître les stipulations de l’accord relatives à la communication syndicale. Il soutient en outre qu’il n’est pas établi que les communications syndicales litigieuses puissent lui être imputées.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur les demandes d’injonction

Aux termes de l’article L. 2142-6 du code du travail « un accord d’entreprise peut définir les conditions et les modalités de diffusion des informations syndicales au moyen des outils numériques disponibles dans l’entreprise ». En l’occurrence, l’article 5.1.1.2 de l’accord collectif du 27 novembre 2018 stipule que « les messageries Manpower France des salariés étant réservées à un usage strictement professionnel, ces dernières n’ont pas vocation à être utilisées pour la diffusion de publications, tracts de nature syndicale et toute communication liée aux élections. Seules les informations relatives aux activités sociales et culturelles du CSE/CSEC y sont autorisées ». Enfin, l’article L. 2262-4 du code du travail dispose que « les organisations de salariés et les organisations ou groupements d’employeurs, ou les employeurs pris individuellement, liés par une convention ou un accord, sont tenus de ne rien faire qui soit de nature à en compromettre l’exécution loyale ».

En ce qui concerne l’exception d’illicéité de l’accord

A supposer que les stipulations de l’article 5.2.1.2 de l’accord du 27 novembre 2018 soient illégales, cette circonstance ne saurait, en tant que telle, affecter la légalité des stipulations d’un autre article de l’accord, ni, à plus forte raison, exonérer une organisation syndicale de son obligation d’en respecter les termes.

En toutes hypothèses, si l’article 5.2.1.2 de l’accord limite à deux envois annuels la prise en charge par l’employeur de l’acheminement postal des tracts syndicaux aux salariés en mission alors que l’article L. 2142-7 du code du travail exige un envoi mensuel, les stipulations de l’article 5.1.2.1 prévoient l’accès de l’ensemble des salariés, à tout moment, à la communication des organisations syndicales via la plateforme informatique « Web Syndicale ». Ainsi, le régime dérogatoire mis en place au sein de l’entreprise s’avère plus favorable que celui prévu par la loi, de sorte que les stipulations en cause n’apparaissent pas illégales.

En ce qui concerne la méconnaissance de l’accord

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier et notamment des courriels versés aux débats par la demanderesse qu’à au moins six reprises entre le 23 et le 29 janvier 2024, des salariés de la société Manpower France ont reçu des communications syndicales estampillées de la CGT. Dès lors que ces courriels sont relatifs à une initiative du syndicat CGT Manpower, qu’ils sont signés par des personnes se présentant comme ses représentants et qu’ils sont adressés au moyen d’adresse mail comportant les termes « cgt » ou « cgtmanpower », le défendeur – qui ne produit au demeurant aucun élément de nature à démontrer qu’il ne s’agirait que d’une initiative isolée désapprouvée par les instances – ne saurait utilement soutenir que ces courriels n’émanent pas de lui.

Il s’ensuit que le syndicat CGT Manpower a sciemment méconnu les stipulations de l’article 5.1.1.2 de l’accord collectif du 27 novembre 2018.

Il convient dès lors de lui enjoindre de ne plus utiliser la messagerie professionnelle pour sa communication syndicale. Il y a en outre lieu, en application de l’article L. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, d’assortir cette injonction d’une astreinte de cinquante euros par infraction constatée pendant une durée de quatre-vingt-dix jours. Il n’y a en revanche pas lieu de se réserver la liquidation de l’astreinte.

Sur la demande indemnitaire

La société Manpower n’apportant aucun élément de nature à démontrer la réalité du préjudice que lui cause la méconnaissance par le syndicat défendeur de l’accord collectif du 27 novembre 2018, la demande indemnitaire qu’elle forme à ce titre doit être rejetée.

Sur les dépens et les frais de l’instance

Il y a lieu, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de mettre à la charge du syndicat CGT Manpower la somme de 1 500 € au titre des frais exposés par la demanderesse et non compris dans les dépens.

Cette dernière n’étant pas la partie perdante, la demande présentée à son endroit au titre des frais de l’instance ne peut qu’être rejetée.

Il convient enfin, en application de l’article 696 du code de procédure civile, de mettre à la charge du syndicat CGT Manpower les dépens de l’instance.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant par jugement contradictoire, publiquement et en premier ressort :

ENJOINT au syndicat CGT Manpower, sous astreinte de cinquante euros par infraction constatée pendant une durée de quatre-vingt-dix jours, de cesser d’utiliser la messagerie professionnelle Manpower France pour la diffusion de publications, tracts de nature syndicale et toute communication liée aux élections.

MET à la charge du syndicat CGT Manpower la somme de 1 500 euros à payer à la société Manpower France en application de l’article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE la société Manpower France du surplus de ses demandes.

MET à la charge du syndicat CGT Manpower les entiers dépens de l’instance.

Et le présent jugement est signé par Vincent SIZAIRE, Vice-président et par Pascale GALY, Greffier, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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