Violation du principe du contradictoire dans la reconnaissance d’une maladie professionnelle

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Violation du principe du contradictoire dans la reconnaissance d’une maladie professionnelle

L’Essentiel : M. [D] [K], maçon depuis 1988, a déclaré une maladie professionnelle le 1er décembre 2020. Malgré un avis favorable du comité régional le 30 juin 2021, l’employeur a contesté la décision, arguant d’une violation du principe du contradictoire. Le tribunal judiciaire de Paris a jugé le recours recevable, déclarant la procédure inopposable à l’employeur. En appel, la caisse a soutenu que la procédure avait été respectée, mais la cour a confirmé le jugement initial, estimant que le délai de consultation de l’employeur n’avait pas été respecté, rendant ainsi la décision de prise en charge inopposable.

Contexte de l’affaire

M. [D] [K] était employé en tant que maçon par la SAS [5] depuis 1988. Le 1er décembre 2020, il a déclaré une maladie professionnelle, une « tendinopathie de l’épaule gauche », à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise, accompagnée d’un certificat médical. Ce dernier indiquait une première constatation médicale au 25 septembre 2018.

Procédure de déclaration

La caisse a informé l’employeur le 2 décembre 2020 de la déclaration de maladie professionnelle et a demandé à la société de compléter un questionnaire en ligne dans un délai de 30 jours. La société a répondu le 10 décembre 2020, tandis que M. [K] avait également soumis des informations le 3 décembre 2020.

Évaluation médicale

Le 4 décembre 2020, le médecin-conseil de la caisse a confirmé le diagnostic et a fixé la date de première constatation médicale au 7 août 2020. Cependant, le service administratif a estimé que la maladie ne remplissait pas les conditions réglementaires pour être reconnue comme maladie professionnelle.

Transmission au comité régional

Le 29 mars 2021, la caisse a notifié à l’employeur la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, lui permettant de consulter le dossier jusqu’au 29 avril 2021 et de formuler des observations jusqu’au 10 mai 2021. La société a reçu cette notification le 31 mars 2021.

Avis du comité régional

Le comité a rendu un avis favorable le 30 juin 2021, reconnaissant le caractère professionnel de la maladie de M. [K]. En conséquence, la caisse a informé l’employeur le 1er juillet 2021 de sa décision de prise en charge de la maladie.

Contestation de la décision

L’employeur a contesté cette décision devant la commission de recours amiable, puis a saisi le tribunal judiciaire de Paris. Le 11 juillet 2023, le tribunal a déclaré le recours recevable et a jugé que la procédure de reconnaissance de la maladie était inopposable à l’employeur en raison d’une violation du principe du contradictoire.

Appel de la caisse

La caisse a interjeté appel de ce jugement, soutenant que la procédure d’instruction avait été respectée et que l’inopposabilité de la décision était infondée. Elle a demandé à la cour d’infirmer le jugement et de déclarer la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle opposable à la SAS [5].

Arguments de la société

La société a maintenu que la caisse n’avait pas respecté le délai de 30 jours pour permettre à l’employeur de formuler ses observations, ce qui constituait une violation du principe du contradictoire. Elle a demandé la confirmation du jugement du tribunal.

Décision de la cour

La cour a confirmé le jugement du tribunal, estimant que la caisse n’avait pas respecté le principe du contradictoire en réduisant le délai de consultation de l’employeur. Par conséquent, la décision de prise en charge de la maladie était inopposable à la société. La caisse a été condamnée aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations de la Caisse en matière de procédure d’instruction des maladies professionnelles ?

La Caisse primaire d’assurance maladie a des obligations précises en matière de procédure d’instruction des maladies professionnelles, notamment en ce qui concerne les délais de consultation et d’observation des parties.

Selon l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale, la Caisse dispose d’un délai de cent-vingt jours francs pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Ce délai commence à courir à partir de la date à laquelle la Caisse reçoit la déclaration de la maladie professionnelle, accompagnée du certificat médical initial.

De plus, l’article R. 461-10 précise que lorsque la Caisse saisit le comité régional, elle doit informer la victime et l’employeur par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information.

Le dossier doit être mis à la disposition des parties pendant quarante jours francs, durant lesquels elles peuvent le consulter, le compléter et faire connaître leurs observations. Ce délai se décompose en deux phases :

– Les trente premiers jours, où les parties peuvent compléter le dossier et formuler des observations.

– Les dix jours suivants, où seules la consultation et la formulation d’observations sont possibles.

Il est donc essentiel que la Caisse respecte ces délais pour garantir le principe du contradictoire, permettant ainsi à l’employeur et à la victime de faire valoir leurs droits.

Quel est le principe du contradictoire dans la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles ?

Le principe du contradictoire est fondamental dans la procédure de reconnaissance des maladies professionnelles, garantissant que toutes les parties aient la possibilité de présenter leurs observations et de consulter le dossier.

L’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale stipule que la Caisse doit informer les parties des dates d’échéance des différentes phases de la procédure. Cela inclut un délai de 30 jours pour que les parties puissent consulter le dossier, le compléter et faire connaître leurs observations.

Le respect de ce principe est crucial, car il permet à chaque partie de prendre connaissance des éléments du dossier et de contester les informations qui pourraient leur être défavorables. En cas de non-respect de ce principe, comme cela a été constaté dans l’affaire en question, la décision de la Caisse peut être déclarée inopposable.

La cour a souligné que le délai de 30 jours est tout aussi important que le délai de 10 jours, car il permet à l’employeur de produire des pièces et de formuler des observations, ce qui est essentiel pour garantir un traitement équitable de la procédure.

Quelles conséquences en cas de non-respect des délais de consultation par la Caisse ?

Le non-respect des délais de consultation par la Caisse peut avoir des conséquences significatives sur la validité de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle.

En vertu de l’article R. 461-10, si la Caisse ne respecte pas le délai de 30 jours pour permettre à l’employeur de consulter le dossier et de formuler ses observations, cela constitue une violation du principe du contradictoire. Dans ce cas, la décision de prise en charge de la maladie professionnelle peut être déclarée inopposable à l’employeur.

Dans l’affaire examinée, la cour a constaté que la Caisse n’avait pas respecté le délai de 30 jours, car l’employeur n’avait reçu l’information que le 31 mars 2021, ce qui lui a laissé seulement 29 jours pour agir. Cette réduction du délai a été jugée suffisante pour entacher la procédure d’irrégularité, entraînant l’inopposabilité de la décision de la Caisse.

Ainsi, le non-respect des délais de consultation peut entraîner l’annulation de la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle, comme cela a été confirmé par le jugement du tribunal.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 10 Janvier 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 23/06440 – N° Portalis 35L7-V-B7H-CIJ5E

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Juillet 2023 par le Pole social du TJ de PARIS RG n° 22/00072

APPELANT

CPAM DE L’OISE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

INTIMEE

S.A.S. [5].

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Morgane COURTOIS D’ARCOLLIERES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503 substituée par Me Vincent LHUISSIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 Octobre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre ,

Monsieur Christophe LATIL, Conseiller

Madame Sandrine BOURDIN, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, et Madame Agnès Allardi, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise d’un jugement rendu le 11 juillet 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris

(RG22-72) dans un litige l’opposant la société [5].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que M. [D] [K] était salarié de la SAS [5] (ci-après désignée ‘la Société’ ou ‘l’employeur’) depuis 1988 en qualité de maçon lorsque, le

1er décembre 2020, il a adressé à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise (ci-après désignée ‘la Caisse’) une déclaration de maladie professionnelle mentionnant une « tendinopathie de l’épaule gauche » avec une date de première constatation médicale au 13 octobre 2020 qu’il accompagnait d’un certificat médical initial établi par le

docteur [M] le 19 octobre 2020 mentionnant : « D+G Tendinopathie des épaules » avec une date de première constatation médicale au 25 septembre 2018.

Par courrier du 2 décembre 2020, la Caisse a informé l’employeur de la réception de cette déclaration de maladie professionnelle qu’elle lui transmettait avec la copie du certificat médical initial. Elle l’informait également de la nécessité d’engager des investigations et lui demandait, dans ce cadre, de compléter sous 30 jours un questionnaire en ligne, sur un site dédié dont elle lui fournissait le lien. Elle lui demandait enfin de transmettre au médecin du travail attaché à son établissement un exemplaire de la déclaration de maladie professionnelle accompagné du courrier destiné au médecin du travail.

Ce courrier précisait encore qu’à l’issue des investigations, l’employeur aurait la possibilité de consulter les pièces du dossier et de formuler des observations du 15 mars au

26 mars 2021, directement en ligne sur le même site et qu’au-delà de cette date, le dossier resterait consultable jusqu’à la décision fixée au plus tard le 2 avril 2021.

La Société a reçu notification de ce courrier le 4 décembre 2020 ainsi qu’il résulte des mentions portées sur l’accusé de réception qui comporte en outre la signature et le cachet de l’établissement.

La Société a complété et retourné à la Caisse son questionnaire le 10 décembre 2020, qu’elle accompagnait d’un rapport circonstancié sur les fonctions exercées par M. [K].

Le salarié en avait fait autant le 3 décembre 2020

Par avis du 4 décembre 2020, le docteur [U], médecin-conseil de la Caisse, a confirmé le diagnostic du certificat médical initial, qualifié la pathologie comme étant « Coiffe des rotateurs rupture partielle ou transfixiante gauche objectivée par IRM du 18/11/2020 » et fixé la date de première constatation médicale au 7 août 2020 correspondant à la date de la réalisation d’une IRM.

Par contre, le service administratif considérait que l’affection déclarée par M. [K] ne remplissait pas l’ensemble des conditions réglementaires prévues par le tableau n°57 des maladies professionnelles notamment celle liée à la liste des travaux.

La fiche de concertation médico administrative établie le 30 décembre 2020 à l’issue des investigations proposait alors la transmission du dossier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (ci-après désigné « le Comité » ou « le CRRMP »).

Par courrier du 29 mars 2021, la Caisse a notifié à l’employeur la transmission du dossier au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, l’informant de la possibilité de consulter et compléter le dossier jusqu’au 29 avril 2021directement en ligne sur un site dédié dont elle lui fournissait les liens puis de la possibilité de formuler des observations sans joindre de nouvelles pièces jusqu’au 10 mai 2021. Elle lui précisait que sa décision sur la prise en charge de la pathologie lui sera adressée après avis du CRRMP et au plus tard le 28 juillet 2021. La Société a reçu notification de ce courrier le 31 mars 2021 ainsi qu’il résulte de l’accusé de réception qu’elle a signé.

Effectivement, la Caisse adressait le dossier de M. [K] au CRRMP des

Hauts-de France, qui l’a reçu le 29 mars 2021, lequel, par avis du 30 juin 2021, était favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie en retenant que

« M. [K] a travaillé en tant que maçon puis chef d’équipe puis chef de chantier ; qu’après avoir étudié les pièces du dossier communiqué, [se]constate la réalité d’une exposition à une gestuelle et des postures hyper sollicitantes pour les épaules tout au long de la carrière professionnelle, y compris au cours des activités de chef d’équipe et chef de chantier qui comportaient en particulier une aide à la manutention du matériel et à la mise en place des implantations. Pour toutes ces raisons, il convient de retenir un lien direct entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle ».

La Caisse a alors, par courrier du 1er juillet 2021, informé l’employeur de l’avis favorable rendu par le CRRMP et, tenue par cet avis, lui a notifié sa décision de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels l’affection déclarée par M. [K].

La Société a reçu notification de cette décision le 6 juillet 2021, laquelle en a contesté le bien fondé et l’opposabilité à son égard devant la commission de recours amiable.

A défaut de décision explicite, la Société a porté sa contestation devant le pôle social du tribunal judiciaire de Paris, lequel, par jugement du 11 juillet 2023, a :

– déclaré le recours de la SAS [5] recevable et bien fondé,

– déclaré la procédure de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée par M. [K] inopposable à son employeur, la SAS [5] pour violation du principe du contradictoire,

– rejeté toutes autres demandes des parties ;

– laissé les dépens à la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise.

Pour juger ainsi, le tribunal a relevé que si les divers courriers adressés par la Caisse à la Société, informait celle-ci sur les étapes de la procédure d’instruction et de prise de décision, l’organisme n’avait pas respecté les délais mentionnés à l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale. Il a considéré alors qu’elle n’avait pas permis à l’employeur de bénéficier pleinement du délai des « trente premiers jours (francs) pour consulter, compléter par tout élément et faire connaître ses observations » et que la décision de prise en charge du 1er juillet 2021 avait été prise bien avant l’expiration des délais prévus. Ayant méconnu le principe du contradictoire, et peu important que l’employeur n’ait pas usé de son droit de consulter le dossier ni émis des observations ou communiqué quelques pièces, la décision de la Caisse devait être déclarée inopposable à la Société.

Le jugement a été notifié à la Caisse le 19 juillet 2023, laquelle en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 11 août 2023, reçue au greffe le 16 août suivant.

L’affaire a alors été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 1er février 2024 puis à l’audience collégiale du 24 octobre 2024 lors de laquelle les parties étaient représentées.

La Caisse, reprenant, en les développant, les conclusions visées à l’audience, demande à la cour de :

– dire et juger recevable son appel,

– infirmer le jugement déféré dans son intégralité et, statuant de nouveau,

– constater qu’elle a mené une procédure d’instruction parfaitement contradictoire à l’encontre de l’employeur,

– constater qu’elle n’a pas manqué à son obligation de loyauté et, par voie de conséquence,

– dire et juger la décision de reconnaissance de la maladie professionnelle de M. [D] [K] opposable à la S.A.S [5],

– débouter la S.A.S [5] de ses demandes d’inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par son salarié M. [D] [K] le 1er décembre 2020.

A titre très subsidiaire, la Caisse demande à la cour de lui donner acte qu’elle s’en rapporte quant à la transmission du dossier de M. [D] [K] auprès d’un nouveau comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles pour avis sur l’origine professionnelle de la pathologie déclarée par l’assuré « tendinopathie de l’épaule gauche ».

La Société, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris le

11 juillet 2023 et, en conséquence,

– déclarer que la décision prise par la caisse primaire d’assurance maladie de reconnaître le caractère professionnel de l’affection de l’épaule gauche déclarée par

M. [D] [K], le 7 août 2020, est inopposable à son égard, la Caisse n’ayant pas respecté le principe du contradictoire et ayant manqué à son obligation de loyauté.

A titre subsidiaire, la Société demande à la cour de solliciter l’avis d’un second CRRMP afin de statuer sur le caractère professionnel de l’affection du 7 août 2020 déclarée par

M. [D] [K].

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 24 octobre 2024 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s’être assurée de l’effectivité d’un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l’affaire et mis son arrêt en délibéré au 10 janvier 2025.

MOTIVATION DE LA COUR

Sur la régularité de la procédure d’instruction

Moyens des parties

Au soutien de son appel, la Caisse fait valoir que contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal, aucune inopposabilité ne saurait être encourue au motif que la phase de complétude du dossier n’aurait pas duré 30 jours à compter de la réception du courrier informant la Société de la saisine du CRRMP.

Elle estime, d’une part, que l’inopposabilité ne peut sanctionner que le non-respect de la phase de consultation contradictoire du dossier complet c’est-à-dire la phase des

10 jours francs et, d’autre part, que la phase de 40 jours débute « logiquement » à compter de la saisine du CRRMP matérialisée par l’envoi aux parties d’un courrier les informant de cette saisine et des dates d’échéance, et non par la réception de cette information, soit en l’espèce le 29 mars 2021.

Elle relève que ce délai de 40 jours comporte lui-même deux délais : 30 jours et 10 jours. Le premier délai est dédié à la complétude du dossier et vise simplement à permettre aux parties de compléter le dossier de sorte que son non respect n’est pas sanctionné par l’inopposabilité qui sanctionne exclusivement la méconnaissance du principe du contradictoire résultant de ce que l’employeur n’a pas été en mesure de faire valoir utilement ses observations préalablement à la prise de décision par la Caisse, et ce pendant un délai suffisant ou réglementairement, ici le second délai de10 jours francs. Elle estime que, comme la Cour de cassation le jugeait sous l’empire de l’ancien article L. 461-1 et D. 421-29 du code de la sécurité sociale, le principe du contradictoire était respecté dès lors que la Caisse, avant la saisine du CRRMP, avait laissé à l’employeur 10 jours francs pour consulter le dossier et faire ses observations. Elle considère que « d’évidence », le nouvel article R. 461-10 ne fait qu’entériner cette construction jurisprudentielle en garantissant aux parties un délai de consultation du dossier de 10 jours avant la transmission effective du dossier au Comité. Elle considère que le non respect de cette première période est sans incidence sur la régularité de la procédure.

Elle indique par contre que, conformément aux dispositions de l’article R. 461-9 du code de la sécurité sociale, la Société a été invitée par lettre recommandée avec accusé de réception du 29 mars 2021 à venir compléter et consulter le dossier de son salarié jusqu’au 29 avril suivant puis de la possibilité de consulter l’ensemble des éléments recueillis et de formuler des observations jusqu’au 10 mai 2021. La Société en a accusé réception le

31 mars suivant, ce qui établi qu’il n’y a eu aucune retard dans l’acheminement du courrier. L’employeur a donc été placé dans la possibilité de consulter le dossier et d’émettre toutes observations, arguments ou commentaires utiles lors de la transmission du dossier au CRRMP, de sorte qu’il ne peut utilement invoquer une quelconque violation du principe du contradictoire.

S’agissant du point de départ de la phase d’enrichissement de 30 jours, la Caisse indique qu’aucun article du code de la sécurité sociale ne les qualifie de « jours francs », c’est uniquement l’intégralité du délai de 40 jours qui est qualifié comme tel. C’est donc à la date de saisine du CRRMP qu’il doit débuter, ce qui se déduit des dispositions de l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale qui précise expressément qu’en cas de saisine du CRRMP, la Caisse dispose d’un nouveau délai de cent-vingt jours francs « à compter de cette saisine » pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie. La Caisse relève d’ailleurs qu’elle ne peut pas être en mesure de connaître la date exacte de réception d’un courrier par les parties au moment de son envoi. Elle ne pourrait donc pas être en mesure d’informer les parties dans un courrier des dates d’échéances afférentes à un décompte qui courrait à compter de la date de réception dudit courrier. Au demeurant, elle souligne que le point de départ du délai de 40 jours doit nécessairement être identique pour toutes les parties au risque d’entraîner un décalage entre les délais impartis respectivement à la victime et à l’employeur pour compléter le dossier et pour ensuite formuler leurs observations sur le dossier destiné au Comité régional. Or le principe même du contradictoire suppose que les parties aient accès en même temps à un dossier complet qui ne peut plus être enrichi de pièces nouvelles.

La Caisse fait encore valoir que conformément à l’article R. 461-10, la Caisse est tenue d’indiquer les ‘dates d’échéance’ et non ‘le délai’, ce qu’elle ne peut faire si le délai de consultation court à compter de la réception du courrier par les parties. Elle souligne d’ailleurs que la période de 30 jours n’est jamais qualifiée de « phase contradictoire » et que le courrier visé à l’article R. 461-10 est « un courrier d’information » et en aucun cas une notification et qu’il n’est prévu qu’une mise à disposition du dossier et non d’un délai pour consulter.

Enfin, s’agissant des pièces du dossier mises à la disposition de l’employeur, la Caisse indique qu’au regard des articles R. 461-9 et D. 461-29 du code de la sécurité sociale, le CRRMP peut prendre connaissance de l’avis du médecin du travail « éventuellement demandé par la Caisse », ce dont il se déduit que l’avis est facultatif. Aucune inopposabilité ne peut être encourue ni du fait qu’elle ne justifie pas avoir sollicité l’avis de ce professionnel ni même qu’elle n’a pas informé la Société de la possibilité de se voir communiquer les conclusions administratives de l’avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par les services du contrôle médical. Au cas présent, toutes les pièces prévues par les dispositions précitées ont été mises à la disposition de l’employeur.

La Société conteste l’argumentation développée par la Caisse. Elle soutient qu’elle n’a pas respecté les dispositions de l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale imposant un délai de 30 jours pour permettre à l’employeur, comme à l’assuré, de présenter leurs observations et de communiquer des pièces destinées à être jointes au dossier transmis au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Elle rappelle qu’au regard des dispositions précitées, lorsque le CRRMP est saisi pour avis sur le lien de causalité entre l’affection d’un salarié et l’activité professionnelle, deux obligations s’imposent à la Caisse à l’égard de la victime et de son employeur : tout d’abord l’information des parties de la saisine du CRRMP ; ensuite, leur laisser accès à l’ensemble des pièces du dossier pendant un délai minimum de 40 jours francs se décomposant en deux phases : un premier délai de 30 jours francs au cours duquel les parties peuvent compléter le dossier et faire connaître leurs observations, un second délai de 10 jours francs au cours duquel seules la consultation et la formulation d’observations restent ouvertes à la victime ou ses représentants et l’employeur. La Société estime que le non respect par la Caisse du délai de consultation ouvert à l’employeur doit être sanctionné par l’inopposabilité de la décision puisque si la phase d’instruction et d’échanges est destinée au Comité qui disposera ainsi d’un dossier complet, elle a aussi pour finalité de permettre à l’employeur de verser au dossier, pour qu’elles soient prises en compte par celui-ci et soumises à son examen, les pièces qu’il estime de nature à remettre en cause le lien entre la maladie et l’activité professionnelle du salarié. Le délai imparti a donc pour finalité de préserver le caractère contradictoire de la procédure, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce puisqu’elle n’a reçu le courrier l’informant de la transmission du dossier au CRRMP et de la possibilité de compléter le dossier jusqu’au 29 avril 2021, que le 31 mars 2021. Elle n’a ainsi pas pu bénéficier du délai réglementaire de 30 jours mais seulement d’un délai de 29 jours. Contrairement à l’argumentation de la Caisse, elle estime que tout délai décompté en ‘jours francs’ court nécessairement à compter du lendemain de la réception par les destinataires du courrier d’information, ce qu’a d’ailleurs jugé la Cour de cassation concernant l’application des dispositions de l’article R. 441-14 ancien du code de la sécurité sociale. Au demeurant, si l’article R. 441-10 prévoit que la Caisse, lorsqu’elle saisit le CRRMP, doit informer les parties « par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information », c’est bien que le délai est décompté à compter de la réception du courrier. La Société entend indiquer que contrairement à ce que plaide la Caisse, il n’est pas nécessaire que le point de départ de la computation des délais soit identique pour toutes les parties, il suffit pour la Caisse d’adapter à chaque partie la durée globale de la phase de consultation et d’observations avant la transmission du dossier au comité et ainsi respecter l’égalité entre les parties tout en ne faisant pas reposer sur elle les aléas postaux et ce tout en statuant dans le délai de 120 jours. Elle considère qu’aucune entorse au principe du contradictoire ne découle de cette interprétation de l’article R. 461-10 dès lors que chaque partie dispose du même délai décompté de la même façon.

La Société déduit de ces éléments que la Caisse ne peut, sans nier les dispositions de l’article R. 461-10 du code de la sécurité sociale, affirmer que le non-respect du délai de

30 jours francs ne porte pas atteinte au caractère contradictoire de l’instruction et ce, peu importe qu’elle ait pu consulter les pièces du dossier sur la plate-forme dédiée dès lors qu’elle n’a pas pu bénéficier du délai réglementaire de 30 jours.

En tout état de cause, la Société estime que la Caisse a manqué à son égard à son obligation de loyauté en ne l’informant pas de la possibilité de se voir communiquer les conclusions administratives de l’avis motivé du médecin du travail et du rapport établi par les services du contrôle médical, pourtant communicables de plein droit, et de la possibilité d’avoir accès à la totalité de ces avis et rapport par l’intermédiaire d’un praticien désigné à cet effet par la victime.

Réponse de la cour

Aux termes de l’article R. 461 -9 du code de la sécurité sociale, la Caisse dispose d’un délai de cent-vingt jours francs pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie ou saisir le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles mentionné à l’article L. 461-1. Ce délai court à compter de la date à laquelle la caisse dispose de la déclaration de la maladie professionnelle intégrant le certificat médical initial mentionné à l’article

L. 461-5 et à laquelle le médecin-conseil dispose du résultat des examens médicaux complémentaires le cas échéant prévus par les tableaux de maladies professionnelle.

Pour sa part, l’article R. 461-10 du même code prévoit que lorsque la Caisse saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, elle dispose d’un nouveau délai de cent-vingt jours francs à compter de cette saisine pour statuer sur le caractère professionnel de la maladie. Elle en informe la victime ou ses représentants ainsi que l’employeur auquel la décision est susceptible de faire grief par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information.

La caisse met alors le dossier mentionné à l’article R. 441-14, complété d’éléments définis par décret, à la disposition de la victime ou de ses représentants ainsi qu’à celle de l’employeur pendant quarante jours francs. Au cours des trente premiers jours, ceux-ci peuvent le consulter, le compléter par tout élément qu’ils jugent utile et faire connaître leurs observations, qui y sont annexées. La caisse et le service du contrôle médical disposent du même délai pour compléter ce dossier. Au cours des dix jours suivants, seules la consultation et la formulation d’observations restent ouvertes à la victime ou ses représentants et l’employeur.

La caisse informe la victime ou ses représentants et l’employeur des dates d’échéance de ces différentes phases lorsqu’elle saisit le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information.

A l’issue de cette procédure, le comité régional examine le dossier. Il rend son avis motivé à la caisse dans un délai de cent-dix jours francs à compter de sa saisine.

La Caisse notifie immédiatement à la victime ou à ses représentants ainsi qu’à l’employeur la décision de reconnaissance ou de refus de reconnaissance de l’origine professionnelle de la maladie conforme à cet avis.

La cour rappellera qu’un délai franc se définit comme un « délai dans lequel on ne compte ni le jour de l’événement qui le fait courir ni le jour qui d’après la stricte durée du délai devrait être le dernier (dies ad quem), de telle sorte que le jour suivant est encore (par faveur) dans le délai ». Le premier jour d’un délai franc est le lendemain du jour de son déclenchement et son dernier jour est le lendemain du jour de son échéance (CE, avis, 1er juill. 2020, req. n° 438152)

En l’espèce, la société [5] fait valoir que la première phase de consultation de 30 jours n’a pas été respectée, puisqu’elle a réceptionné le courrier d’information le 31 mars 2021 de telle sorte qu’elle n’a disposé que d’un délai de 29 jours au lieu de 30 jours pour consulter les pièces du dossier, émettre des observations et ajouter des pièces. Elle estime que le délai de 30 jours commence à courir à compter du lendemain de la date de réception du courrier.

La Caisse soutient que le délai d’instruction de 120 jours court à compter de la saisine du CRRMP qui se matérialise par l’envoi aux parties d’un courrier les informant de cette saisine et des dates d’échéance. Elle relève que pour pouvoir tenir les délais, elle ne peut tenir compte de la date de réception du courrier d’information par chacune des parties de sorte que le point de départ du délai de 40 jours doit nécessairement être identique pour toutes les parties, le principe du contradictoire supposant que les parties aient accès en même temps à un dossier complet.

Ce faisant, aux termes des dispositions de l’article R. 461-10 précité, la Caisse dispose d’un délai de 120 jours à compter de la saisine du CRRMP pour prendre sa décision, délai au cours duquel le dossier doit être mis à disposition de l’employeur pendant 40 jours francs. S’il prévoit également que la Caisse doit informer l’employeur des dates d’échéance des différentes phases, par tout moyen conférant date certaine à la réception de cette information, il ne précise cependant pas le point de départ de ce délai.

Néanmoins, afin de garantir l’effectivité de ce délai de 40 jours, il ne peut courir qu’à compter de l’information qui en est donnée à l’employeur.

Dès lors, le délai étant stipulé franc, son point de départ doit être fixé au lendemain de la date de réception par l’employeur du courrier de notification. A défaut, ce délai serait nécessairement entamé de la durée d’acheminement de la notification par les services postaux ou du délai de transmission par voie électronique de la notification et de son accusé de réception par le destinataire, et ce en violation des droits de l’employeur.

La fixation d’un tel point de départ n’est nullement en contradiction avec l’obligation faite à la Caisse de notifier à l’employeur les dates d’échéance des différentes phases de l’instruction d’un dossier transmis au CRRMP, et non des délais, puisque l’organisme peut fixer les dates d’échéance du délai de 40 jours francs, subdivisé en deux délais de 30 et 10 jours, en tenant compte des délais d’acheminement susvisés.

Au cas présent, il résulte de l’avis du CRRMP qu’il a reçu le dossier complet le

29 mars 2021, c’est-à-dire avant la date à laquelle l’employeur pouvait l’enrichir.

Par courrier du 29 mars 2021, dont il est constant, au regard de l’accusé de réception qu’il a été reçu par l’employeur le 31 mars suivant, la Caisse l’a informé qu’il pouvait :

– compléter son dossier jusqu’au 29 avril 2021,

– formuler des observations jusqu’au 10 mai 2021, sans néanmoins pouvoir joindre de nouvelles pièces.

L’employeur ne soulève pas l’absence de respect du caractère franc du délai de 40 jours, mais l’absence de respect du délai de 30 jours,

Le délai de 30 jours débutait le lendemain de la réception du courrier du 29 mars 2021, reçu le 31 mars 2021 et s’achevait donc le 30e jour soit le 30 avril 2021.

Le délai de 30 jours n’étant pas stipulé franc, l’employeur devait pouvoir faire ses observations jusqu’à minuit, et non jusqu’au 29 mars 2021 comme indiqué par la Caisse.

En réduisant ainsi le délai de 30 jours alloué à l’employeur, la Caisse n’a pas respecté la procédure d’instruction et c’est sans fondement qu’elle considère que seul le délai de

10 jours aurait pour objet de garantir le respect du contradictoire puisque pendant le délai de 30 jours, l’employeur peut consulter le dossier et le compléter en produisant des pièces et en formulant des observations, alors que pendant le délai de 10 jours, il dispose d’un droit réduit ne lui permettant plus de formuler des observations. Le principe du contradictoire consistant en la faculté de prendre connaissance et de discuter de toute pièce ou observation présentée par l’ensemble des parties, le délai de 30 jours participe, au même titre que le délai de 10 jours, au respect du principe du contradictoire.

A défaut de respect par la Caisse du principe du contradictoire à l’égard de l’employeur, la décision de la Caisse de prendre en charge, au titre du risque professionnel, la pathologie déclarée par M. [K] le 1er juillet 2021 lui est inopposable.

Il n’y a par conséquence pas lieu de statuer sur les autres griefs et demandes des parties.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile

La Caisse, qui succombe à l’instance sera condamnée aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, après en avoir délibéré, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE l’appel formé par la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise recevable,

CONFIRME le jugement rendu le 11 juillet 2023 par le pôle social du tribunal judiciaire de Paris (RG22-72) en toutes ses dispositions ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie de l’Oise aux dépens.

La greffière La présidente


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