Cour d’appel de Paris, 10 janvier 2025, RG n° 22/06700
Cour d’appel de Paris, 10 janvier 2025, RG n° 22/06700

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Incapacité et accès aux droits : enjeux de la reconnaissance des restrictions à l’emploi

Résumé

Exposé du litige

Mme [S] [E], née le 15 mai 1991, a déposé une demande d’allocation adulte handicapé (AAH) et de cartes de mobilité inclusion (CMI-S et CMI-P) auprès de la MDPH du Val de Marne le 31 mai 2018, accompagnée d’un certificat médical. La CDAPH a reconnu un taux d’incapacité de 50% mais a refusé l’AAH, ne considérant pas que Mme [E] présentait une restriction substantielle et durable à l’emploi. Elle a été reconnue comme travailleur handicapé pour une période déterminée. Après un recours gracieux et un recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, le tribunal judiciaire de Paris a ordonné une expertise.

Expertise et jugement

L’expert a conclu que Mme [E] souffrait de douleurs persistantes et d’une incapacité évaluée entre 50% et 79%, entraînant une restriction substantielle à l’emploi. Le tribunal a ensuite annulé les décisions de la CDAPH concernant l’AAH et la CMI-P, ordonnant l’attribution de l’AAH pour une période déterminée et de la CMI-P pour cinq ans. La MDPH a fait appel de ce jugement.

Prétentions des parties

La MDPH demande l’infirmation du jugement concernant l’AAH, arguant que Mme [E] ne remplissait pas les conditions requises à la date de sa demande. De son côté, Mme [E] sollicite la confirmation du jugement du 7 juin 2022, en insistant sur son droit à l’AAH et à la CMI-P, tout en demandant des indemnités et la prise en charge des dépens par le trésor public.

Arguments de la MDPH

La MDPH soutient que la restriction substantielle et durable à l’emploi doit être évaluée en fonction des capacités de la demanderesse à exercer tout emploi, et non seulement celui qu’elle occupait avant son handicap. Elle fait valoir que Mme [E] a pu travailler dans divers emplois, ce qui prouverait qu’elle n’est pas dans l’incapacité d’exercer une activité professionnelle. La MDPH conteste également la pertinence de l’expertise, arguant que la situation de Mme [E] doit être appréciée à la date de la demande.

Arguments de Mme [E]

Mme [E] fait valoir qu’elle souffre d’une grave lésion des nerfs, entraînant des limitations fonctionnelles significatives. Elle souligne ses difficultés à trouver un emploi adapté à son handicap et mentionne ses antécédents médicaux, y compris plusieurs interventions chirurgicales. Elle insiste sur le fait que son état de santé l’empêche d’exercer une activité professionnelle à temps plein et qu’elle a fait des efforts pour se réinsérer sur le marché du travail.

Décision de la cour

La cour a constaté que le taux d’incapacité de Mme [E] était inférieur à 80% et qu’il n’y avait pas de preuve d’une restriction substantielle et durable à l’emploi à la date de sa demande. Elle a infirmé le jugement du tribunal judiciaire de Paris, confirmant le refus de la CDAPH d’accorder l’AAH à Mme [E]. Les dépens ont été laissés à la charge du trésor public, et Mme [E] a été déboutée de sa demande d’indemnité.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 12

ARRÊT DU 10 Janvier 2025

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 22/06700 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCJN

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 07 Juin 2022 par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 19/03865

APPELANTE

MDPH DU VAL DE MARNE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Mme [G] [L] en vertu d’un pouvoir spécial

INTIMEE

Madame [S] [E] épouse [Y]

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparante en personne, assistée de Me Valérie BLANCHARD, avocat au barreau de PARIS, toque : D1463

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro C75056-2024-001382 du 22/01/2024 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de PARIS)

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 Mai 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Marie-Odile DEVILLERS, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-Odile DEVILLERS, présidente de chambre

Monsieur Gilles BUFFET, conseiller

Monsieur Christophe LATIL, conseiller

Greffier : Madame Agnès ALLARDI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 28 juin 2024, prorogé au 27 septembre 2024, 22 novembre 2024, 20 décembre 2024 et 10 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par et par Mme Agnès ALLARDI, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [S] [E], divorcée [Y], est née le 15 mai 1991.

Le 31 mai 2018, Mme [E] a déposé auprès de la maison départementale des personnes handicapées du Val de Marne (ci-après, la ‘MDPH’) une demande aux fins de percevoir l’allocation adulte handicapé (‘AAH’), ainsi qu’une demande de carte de mobilité inclusion mention stationnement (‘CMI-S’) et une carte d’orientation professionnelle (‘CMI-P’).

Elle joignait à l’appui de sa demande un certificat médical en date du 23 février 2018.

Lors de sa séance du 30 octobre 2018, la commission départementale des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (‘CDAPH’), tout en retenant un taux d’incapacité égal ou supérieur à 50%, a refusé l’AAH, ce taux n’atteignant pas 80% et une « restriction substantielle et durable à l’emploi » n’étant pas reconnue.

La CDAPH reconnaissait cependant à Mme [E] la qualité de travailleur handicapé pour la période du 30 octobre 2018 au 29 octobre 2023.

Le président du conseil départemental a quant à lui opposé un refus d’attribution de la CMI-S comme de la CMI-P.

Mme [E] a formé un recours gracieux à l’encontre de cette décision, le

16 novembre 2018.

Lors de sa réunion du 27 novembre 2018, la CDAPH a maintenu sa décision.

Entre temps, le 22 novembre 2018, Mme [E] avait formé un recours devant le tribunal du contentieux de l’incapacité, à l’encontre de la décision du 30 octobre 2018.

L’affaire est venue devant le tribunal judiciaire de Paris qui, par jugement en date du 5 octobre 2021, a ordonné une expertise, confiée au Docteur [Z].

L’expert a conclu qu’à la date de mars 2018, Mme [E], qui venait d’être opérée pour ablation dé matériel d’ostéosynthèse, souffrait beaucoup et effectuait de la rééducation avec un kinésithérapeute, que ces répercussions devaient durer plusieurs années, il évalue le taux d’incapacité entre 50% et 79%. Il fait valoir que les interventions, la rééducation et la douleur, liées à son handicap sont cause d’une restriction substantielle et durable à l’emploi. Il estime que la station debout est pénible au sens du regard porté sur la différence de son bras, vivement ressentie par Mme [E] lorsqu’elle est dans les files d’attente.

Par jugement en date du 7 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris a notamment :

– déclaré recevable le recours formé par Mme [E] contre les décisions de la CDAPH des 30 octobre et 27 décembre 2018 en ce qu’elles ont refusé l’attribution de la CMI-P ;

– déclaré fondé le recours formé par Mme [E] contre les décisions de la CDAPH des 30 octobre et 27 décembre 2018 en ce qu’elles ont refusé l’attribution de la CMI-P ;

– annulé les décisions de la CDAPH des 30 octobre et 27 décembre 2018 en ce qu’elles ont refusé l’attribution de la CMI-P ;

– ordonné l’attribution de la CMI-P pour une durée de cinq ans à compter du

1er juillet 2022 ;

– déclaré fondé le recours formé par Mme [E] contre la décision du 30 octobre 2018 en ce qu’elle a refusé l’attribution de l’AAH ;

– annulé la décision de la CDAPH du 30 octobre 2018 en ce qu’elle a refusé l’attribution de l’AAH ;

– dit que Mme [E] a droit à l’attribution de l’AAH du 1er juin 2018 au 31 mai 2023, sous réserve de la réunion des conditions administratives ;

– ordonné l’exécution provisoire ;

– rejeté la demande au titre de l’article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 ;

– dit que les éventuels dépens seront supportés par la MDPH.

Le 23 juin 2022, la MDPH a relevé appel de ce jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions déposées le 24 mai 2024 et soutenues à l’audience, la MDPH demande à la cour de :

– infirmer le jugement concernant l’AAH ;

Statuant à nouveau,

– juger qu’à la date de sa demande, Mme [E] ne remplissait pas les conditions lui permettant de se voir accorder l’AAH.

Par dernières conclusions déposées le 26 mars 2024 et soutenues à l’audience, Mme [E] sollicite la cour de :

– confirmer le jugement rendu le 7 juin 2022 par le tribunal judiciaire de Paris pôle contentieux social technique en ce qu’il a :

annulé la décision de la CDAPH du 30 octobre 2018 en ce qu’elle a refusé l’attribution de l’AAH ;

dit que Mme [E] a droit à l’attribution de l’AAH du 1er juin 2018 au 31 mai 2023, sous réserve de la réunion des conditions administratives ;

annulé les décisions de la CDAPH des 30 octobre et 27 décembre 2018 en ce qu’elles ont refusé l’attribution de la CMI-P ;

ordonné l’attribution de la CMI-P pour une durée de cinq ans à compter du 1er juillet 2022 ;

– débouter la MDPH de l’ensemble de ses demandes ;

– condamner la MDPH en application de l’article 700 alinéa 2 du code de procédure civile à une somme au profit de Maître Valérie Blanchard qui ne pourra pas être inférieure à la part contributive de l’Etat majorée de 50% ;

– juger que les dépens seront à la charge du trésor public, Mme [E] bénéficiant d’une aide juridictionnelle totale.

EXPOSE DES MOTIFS

La MDPH soutient, en particulier, que, le taux d’incapacité n’étant pas discuté, le débat « porte sur la restriction substantielle et durable à l’emploi » (ci-après, ‘RSDAE’), que dans cette perspective, seuls les facteurs liés exclusivement au handicap peuvent permettre la reconnaissance d’une RSDAE, que celle-ci « s’entend comme une restriction à tous les emplois et non pas uniquement à l’emploi occupé par la demanderesse avant la survenue du handicap ou avant la demande auprès de la MDPH ».

Par ailleurs, il n’appartient pas au juge d’annuler une décision administrative mais de décider si, à la date de la demande, l’usager remplit les conditions lui permettant l’attribution de la prestation demandée.

Elle soutient que Mme [E] souffre d’une déficience motrice du membre supérieur droit « non dominant » (en gras dans les conclusions) avec une gêne pour certains actes de la vie quotidienne mais sans RSDAE.

Elle rappelle que Mme [E] a pu travailler de 2013 à 2015 en tant que secrétaire médicale puis a gardé un enfant à domicile pendant six mois en 2017 puis a occupé un emploi d’aide-ménagère de mars à juin 2018 pour de nouveau garder des enfants jusqu’à février 2019.

La MDPH « a donc conclu que la demanderesse est en mesure d’exercer une activité professionnelle en milieu ordinaire de travail pour une durée de travail supérieure à un mi-temps ». La seule restriction avérée est au port de charges lourdes et à certains travaux impliquant la manipulation de charge.

Mme [E] n’apporte pas d’élément justifiant que son état de santé l’empêcherait d’exercer une activité professionnelle pour un temps égal ou supérieur à un mi-temps.

Au demeurant, elle souhaite trouver un projet professionnel ou une formation adaptée à son handicap pour travailler comme secrétaire médicale.

Par ailleurs, le tribunal a entériné l’expertise « alors même que l’examen clinique ne donne des informations qu’à la date à laquelle il a été effectué soit le 13/01/2022 ». Or la situation de la demanderesse doit s’apprécier à la date de la demande, soit au 31 mai 2018.

De plus, l’expert n’a pas caractérisé la RSDAE ni ne s’est interrogé sur la capacité de Mme [E] à occuper un poste adapté à son handicap au moins sur un mi-temps.

Au demeurant, Mme [E] semble avoir d’une part démissionné d’un emploi pour en occuper un autre tandis que l’un des documents qu’elle produit suggère qu’elle a été licenciée pour faute grave et non à raison de son handicap.

Enfin, la circonstance que Mme [E] se soit vue attribuer l’AAH postérieurement au jugement est sans conséquence sur le présent litige, la MDPH ne se désistant pas de son appel.

Mme [E] fait notamment valoir, pour sa part, qu’elle souffre d’une grave lésion des nerfs suite à un traumatisme du plexus brachial lors de sa naissance, avec pour conséquence la paralysie totale du plexus brachial, la destruction des nerfs ayant un impact sur tout le côté droit du corps.

Mme [E] rappelle qu’elle a été opérée alors qu’elle était âgée d’un an, sans reconstruction des nerfs arrachés. Elle a été à nouveau opérée le 3 mars 2008, le 28 mars 2017 (arthrodèse du poignet) et le 28 mars 2018 (ablation du matériel d’ostéosynthèse).

Elle a fait une première demande d’AAH en 2017, qui a été refusée. Elle n’a pas alors formé de recours. Son premier enfant est né.

Le 12 octobre 2022, Mme [E] a formé une troisième demande d’AAH, laquelle lui a été attribuée pour la période du 1er juin 2023 au 31 mai 2025.

Mme [E] souligne qu’elle « a fait beaucoup d’efforts pour trouver du travail » et qu’elle a été embauchée en qualité de salarié du particulier employeur (1er septembre au 30 novembre 2017), assistante ménagère à temps partiel de 16,51 heures par semaine (30 mars au 22 juin 2018), travail auquel elle a mis un terme « à la fin de la période d’essai car elle souffrait trop de sa main gauche, sur-sollicitée ».

Elle a également été embauchée en contrat à durée indéterminée pour la période du 30 mars 2018 au 19 février 2019, à temps partiel de 7,31 heures par semaine, pour s’occuper d’une enfant à la sortie de l’école. Elle a été licenciée.

Mme [E] a suivi une formation du 28 janvier au 12 avril 2019 puis a été embauchée en qualité de manutentionnaire, à temps partiel, en intérim, du 24 avril au 31 juillet 2019.

Elle fait valoir que depuis elle n’a pas retravaillé, qu’elle a suivi un stage de reclassement professionnel de remise à niveau du 3 février au 6 juillet 2020, qu’elle a commencé une formation le 24 septembre 2023, devant se terminer le 12 avril 2024.

Les conclusions du rapport d’expertise sont que le taux d’incapacité peut être évalué entre 50 et 79%, que les interventions, la rééducation, les douleurs, – tous éléments liés à son handicap -, sont cause d’une RSDAE, la station debout étant surtout pénible au sens du regard porté sur la différence de son bras qui est vivement ressentie par Mme [E] lorsqu’elle est dans les files d’attente.

Elle soutient que rester assise toute la journée lui est difficile, sa main gauche, sur-utilisée, a une inflammation et il est prévu qu’elle doive porter un corset pour « maintenir son épaule à la bonne place ».

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe le 20 septembre 2024 en ce qui concerne la société et le 30 septembre 2024 en ce qui concerne la Caisse.

Réponse de la cour

A titre préliminaire, la cour relève, en premier lieu, que le taux d’incapacité tel que déterminé par l’expert désigné par le tribunal, n’est pas contesté par les parties, soit en l’occurrence un taux se situant entre 50% et 79%, pourcentage inférieur à celui permettant de ne bénéficier de l’AAH que s’il existe une restriction substantielle et durable à l’emploi.

En second lieu, il n’existe plus aucun débat quant à la carte CMI-P, dont la MDPH a précisé à l’audience qu’elle avait été délivrée à compter du 31 mai 2018, ce dont Mme [E] convient.

Cela étant, aux termes de l’article L. 821-2 du code de la sécurité sociale :

L’allocation aux adultes handicapés est également versée à toute personne qui remplit l’ensemble des conditions suivantes :

1° Son incapacité permanente, sans atteindre le pourcentage fixé par le décret prévu au premier alinéa de l’article L. 821-1, est supérieure ou égale à un pourcentage fixé par décret ;

2° La commission mentionnée à l’article L. 146-9 du code de l’action sociale et des familles lui reconnaît, compte tenu de son handicap, une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi, précisée par décret.

Le versement de l’allocation aux adultes handicapés au titre du présent article prend fin à l’âge auquel le bénéficiaire est réputé inapte au travail dans les conditions prévues au cinquième alinéa de l’article L. 821-1. (souligné par la cour)

L’article D. 821-1-2 du même code dispose, quant à lui :

Pour l’application des dispositions du 2° de l’article L. 821-2, la restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi subie par une personne handicapée qui demande à bénéficier de l’allocation aux adultes handicapés est appréciée ainsi qu’il suit :

1° La restriction est substantielle lorsque le demandeur rencontre, du fait de son handicap même, des difficultés importantes d’accès à l’emploi. A cet effet, sont à prendre en considération :

a) Les déficiences à l’origine du handicap ;

b) Les limitations d’activités résultant directement de ces mêmes déficiences ;

c) Les contraintes liées aux traitements et prises en charge thérapeutiques induits par le handicap ;

d) Les troubles qui peuvent aggraver ces déficiences et ces limitations d’activités.

Pour apprécier si les difficultés importantes d’accès à l’emploi sont liées au handicap, elles sont comparées à la situation d’une personne sans handicap qui présente par ailleurs les mêmes caractéristiques en matière d’accès à l’emploi.

2° La restriction pour l’accès à l’emploi est dépourvue d’un caractère substantiel lorsqu’elle peut être surmontée par le demandeur au regard :

a) Soit des réponses apportées aux besoins de compensation mentionnés à l’article L. 114-1-1 du code de l’action sociale et des familles qui permettent de faciliter l’accès à l’emploi sans constituer des charges disproportionnées pour la personne handicapée ;

b) Soit des réponses susceptibles d’être apportées aux besoins d’aménagement du poste de travail de la personne handicapée par tout employeur au titre des obligations d’emploi des handicapés sans constituer pour lui des charges disproportionnées ;

c) Soit des potentialités d’adaptation dans le cadre d’une situation de travail.

3° La restriction est durable dès lors qu’elle est d’une durée prévisible d’au moins un an à compter du dépôt de la demande d’allocation aux adultes handicapés, même si la situation médicale du demandeur n’est pas stabilisée. La restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi est reconnue pour une durée de un à cinq ans.

4° Pour l’application du présent article, l’emploi auquel la personne handicapée pourrait accéder s’entend d’une activité professionnelle lui conférant les avantages reconnus aux travailleurs par la législation du travail et de la sécurité sociale.

5° Sont compatibles avec la reconnaissance d’une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi :

a) L’activité à caractère professionnel exercée en milieu protégé par un demandeur admis au bénéfice de la rémunération garantie mentionnée à l’article L. 243-4 du code de l’action sociale et des familles ;

b) L’activité professionnelle en milieu ordinaire de travail pour une durée de travail inférieure à un mi-temps, dès lors que cette limitation du temps de travail résulte exclusivement des effets du handicap du demandeur ;

c) Le suivi d’une formation professionnelle spécifique ou de droit commun, y compris rémunérée, résultant ou non d’une décision d’orientation prise par la commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées mentionnée à l’article L. 241-5 du code de l’action sociale et des familles. (souligné par la cour)

Il convient de préciser d’emblée que, comme le décret ci-dessus le précise, la situation de la personne concernée s’apprécie au jour de la demande. Dans cette perspective, la circonstance que Mme [E] ait, postérieurement au jugement dont appel et alors que son taux d’incapacité permanente n’était pas modifié, pu bénéficier de l’AAH est indifférent dès lors que c’est à la date de la demande que la situation de la demanderesse doit être appréciée.

Le débat porte ainsi exclusivement sur la question de savoir si, à la date du 31 mai 2018, il existait une RSDAE permettant à Mme [E] de se voir attribuer l’AAH.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que le handicap dont souffre Mme [E] est durable, le débat porte donc exclusivement sur la question de savoir si ce handicap est cause d’une restriction substantielle à l’accès à l’emploi.

Pour plus de clarté dans la discussion et à toutes fins utiles, la cour précise que la paralysie du plexus brachial dont souffre Mme [E] est une pathologie à type de lésion nerveuse, résultant d’une souffrance à la naissance, ayant pour conséquence, en l’occurrence, d’affecter tout le côté droit de l’assurée, spécialement son épaule, son bras, son avant-bras et son poignet, avec la particularité que le poignet ne se trouve pas en position normale mais tourné et rétracté.

Mme [E] a dû subir plusieurs opérations, notamment :

– le 1er mars 2008, une ostéotomie de dérotation de l’avant-bras « devant une attitude en supination très mal supportée par la patiente à l’époque » ;

– le 28 mars 2017, une arthrodèse du poignet droit, avec ténosynovectomie des extenseurs, transfert du fléchisseur radial du carpe sur les extenseurs communs et le long extenseur du pouce ;

– le 28 mars 2018, pour ablation du matériel d’ostéosynthèse.

Le 7 novembre 2018, à la suite du refus de la CDAPH de retenir un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80%, le médecin généraliste a proposé une réévaluation de la situation de l’assurée, qui semblait « nécessaire du fait du retentissement notamment sur la recherche d’emploi et la station debout difficile à cause de l’impossibilité de rester debout dans les transports car elle ne peut pas se tenir à un poteau si elle porte déjà son enfant ou un sac ».

La cour note ainsi que, même si les termes employés ne sont pas identiques, il existe une atteinte esthétique en même temps qu’une gêne physique qui conduit Mme [E] à considérer que la station debout lui est pénible.

La cour doit cependant observer qu’en elle-même, la pathologie dont est atteinte Mme [E] n’affecte pas la station debout et que rien ne vient justifier que son périmètre de marche serait limité à un kilomètre, avec besoin de pauses, comme elle l’a mentionné dans sa demande de prestation.

Par ailleurs, il résulte des pièces versées que si Mme [E] a pu chercher du travail et occuper des emplois, dans tous les cas, cela a été à temps partiel et que rien dans les pièces qu’elle soumet ne permet de considérer que cette limitation résulte de son handicap.

Au moment de sa demande, elle indiquait être inscrite comme demandeur d’emploi depuis le 20 mars 2016 et être mère au foyer.

La cour note également que, si elle indique avoir le niveau ‘bac’, Mme [E] n’est titulaire d’aucun diplôme, alors même qu’il résulte des pièces qu’elle a versées qu’elle avait pu bénéficier d’une aide « purement technique » pour passer des examens scolaires.

Dans son rapport d’expertise, le docteur [Z] mentionne que Mme [E] est une jeune femme dynamique, conclut de l’examen clinique pratiqué, que le membre supérieur de Mme [E] n’a qu’une fonction d’appui ; que sur le plan fonctionnel, toutes les activités qui demandent l’usage des deux mains sont difficiles ; que Mme [E] a besoin d’aide pour se laver sur la partie gauche du corps; qu’elle a adapté ses vêtements car elle ne peut attacher de boutons ou faire les lacets, que la préparation des repas est difficile.

Le docteur [Z] indique que Mme [E] sait se servir d’un téléphone et d’un ordinateur avec sa seule main gauche et souhaite pouvoir trouver un travail de bureau.

Le docteur [Z] conclut que les « interventions, la rééducation, les douleurs – tous éléments liés à son handicap – sont cause d’une restriction substantielle et durable à l’emploi » (en gras comme dans le rapport).

La cour observe, cependant, que pour se déterminer, le docteur [Z] se fonde sur des éléments qui sont postérieurs au dépôt de la demande.

La cour relève, aussi, qu’à l’époque de la demande en cause ici, il n’était plus question que Mme [E] doive subir une nouvelle opération (et aucune pièce dans le dossier qu’elle soumet à la cour n’indique que cela aurait été le cas), que si les douleurs sont indéniables, la rééducation se fait au rythme de trois fois par semaine et n’est donc pas incompatible avec un emploi ; que, juste avant sa demande, Mme [E] avait travaillé, à temps partiel, en tant qu’aide ménagère dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée mais que c’est elle qui a mis un terme à la période d’essai, sans s’expliquer sur cette circonstance.

De plus, Mme [E] occupait un autre emploi à temps partiel, pour la même société et dans la même qualité, du 30 mars 2018 au 20 novembre 2018, qui a pris fin à raison d’un licenciement pour faute grave.

Les autres pièces soumises par Mme [E] concernent des événements postérieurs à la date de la demande.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède, que c’est à tort que le premier juge, qui ne pouvait au demeurant pas annuler la décision de la CDAPH, a décidé que Mme [E] avait droit à l’AAH pour la période du 1er juin 2018 au 31 mai 2023.

Le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Mme [E] bénéficiant de l’aide juridictionnelle, les dépens seront laissés à la charge du trésor public.

Mme [E] sera déboutée de sa demande d’indemnité sur le fondement de

l’article 700-2 du code de procédure civile.

 


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