Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Thématique : Évaluation de l’indemnité d’éviction et impact sur l’activité commerciale en cas de refus de renouvellement de bail.
→ RésuméFAITS ET PROCEDURELa SCI BOAT PARK a conclu un bail précaire avec la société ATLANTIC CONCEPT pour un terrain et un bâtiment à LEGE CAP FERRET, initialement pour deux ans, suivi d’un bail de neuf ans à partir de 2016. En avril 2018, la SCI a donné congé à ATLANTIC CONCEPT, proposant un renouvellement à un loyer de 60 000 euros, contesté par le preneur. Le juge a fixé le loyer à 22 620 euros. En mars 2021, la SCI a refusé le renouvellement et a proposé une indemnité d’éviction. Une expertise a été ordonnée pour évaluer cette indemnité, et en juin 2023, la SCI a demandé au tribunal de fixer l’indemnité à 68 422,72 euros. PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIESLa SCI BOAT PARK a demandé au tribunal de fixer l’indemnité d’éviction à 68 422,72 euros, d’ordonner la libération des locaux, et de condamner ATLANTIC CONCEPT à verser une indemnité d’occupation. Elle a contesté les évaluations de l’expert, arguant que la perte d’activité ne concernait qu’une partie de son chiffre d’affaires. ATLANTIC CONCEPT, de son côté, a réclamé une indemnité d’éviction de 783 460 euros, en soutenant que la perte des locaux compromettrait l’ensemble de son activité. MOTIFS DE LA DECISIONLe tribunal a statué que l’indemnité d’éviction doit être calculée en tenant compte de l’ensemble de l’activité de la société ATLANTIC CONCEPT. L’expert a retenu une perte de 65% du chiffre d’affaires pour déterminer l’indemnité principale, fixée à 161 449 euros. Le tribunal a également accordé une indemnité de remploi de 10% de l’indemnité principale, ainsi qu’une indemnité pour trouble commercial. Les demandes d’indemnités pour déménagement et dépollution ont été partiellement rejetées, tandis que l’indemnité d’occupation a été fixée à 22 620 euros par an. CONCLUSIONS DU TRIBUNALLe tribunal a condamné la SCI BOAT PARK à verser à ATLANTIC CONCEPT des indemnités pour éviction, remploi et trouble commercial, tout en rejetant la demande de dépollution. L’indemnité d’occupation a été fixée à 22 620 euros par an, indexée chaque année. Le tribunal a également ordonné l’expulsion d’ATLANTIC CONCEPT après un délai de trois mois suivant le versement de l’indemnité d’éviction. La SCI BOAT PARK a été condamnée aux dépens et à verser 1 500 euros à ATLANTIC CONCEPT au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
30Z
N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH
Minute n° 2025/00
AFFAIRE :
S.C.I. BOAT PARK
C/
S.A.R.L. ATLANTIC CONCEPT
Grosses délivrées
le
à
Avocats :
la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES
la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 09 JANVIER 2025
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré
Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente
Pascale BUSATO, greffier lors des débats
Isabelle SANCHEZ, greffier lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Novembre 2024,
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.
DEMANDERESSE :
S.C.I. BOAT PARK
GROUPE ATLAS – 14 RUE EMILE FOURCAND
33000 BORDEAUX
représentée par Maître Clémence LEROY-MAUBARET de la SCP D’AVOCATS INTER-BARREAUX MAUBARET, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
DEFENDERESSE :
S.A.R.L. ATLANTIC CONCEPT
12-14 rue de Suffren
33950 LEGE CAP FERRET
représentée par Maître Olivier MAILLOT de la SELARL CABINET CAPORALE – MAILLOT – BLATT ASSOCIES, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG : N° RG 23/05775 – N° Portalis DBX6-W-B7H-X7KH
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FAITS ET PROCEDURE
Selon acte sous seing privé du 1er mars 2004, intitulé « bail précaire », la SCI BOAT PARK a loué à la société ATLANTIC CONCEPT un terrain clôturé d’environ 3200 m² sur lequel est édifié un bâtiment à usage de dépôt de 300 m², sis 12-14 rue de Suffren à LEGE CAP FERRET. La convention a été conclue pour deux ans à compter du 1er avril 2004. A l’expiration de cette convention, le preneur étant laissé en possession des lieux, un nouveau bail soumis au statut a pris effet le 1er avril 2016 pour une durée de 9 ans. Le bail s’est ensuite poursuivi par tacite prolongation.
La société ATLANTIC CONCEPT exploite également son activité sur un terrain et un local sis 7 rue Agosta à LEGE-CAP-FERRET, à quelques centaines de mètres de distance.
Le 12 avril 2018, la SCI BOAT PARK a donné congé à la société ATLANTIC CONCEPT pour le 31 décembre 2018, avec offre de renouvellement pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2019, aux clauses et conditions antérieures à l’exception du montant du loyer, sollicité à la somme de 60 000 euros HT/HC.
Les parties s’opposant sur ce montant, le juge des loyers commerciaux a, par jugement du 10 mars 2021, fixé le montant du loyer du bail renouvelé à la somme annuelle de 22 620 euros HT/HC.
Le 23 mars 2021, la SCI BOAT PARK a exercé son droit d’option prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce et refusé le renouvellement du bail en offrant à la société évincée une indemnité d’éviction.
Sur saisine de la SCI BOAT PARK, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux a ordonné le 28 juin 2021 une expertise, confiée à madame [V] [L], pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction.
Le rapport d’expertise ayant été déposé, la SCI BOAT PARK a, par acte du 23 juin 2023, saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir fixer l’indemnité d’éviction revenant à la société ATLANTIC CONCEPT à la somme de 68 422,72 euros, indemnités de licenciement en sus sur justificatif.
La société ATLANTIC CONCEPT a constitué avocat le 16 août 2023.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 2 octobre 2024.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses uniques conclusions figurant dans son assignation introductive d’instance du 23 juin 2023, la société BOAT PARK demande au tribunal de :
fixer l’indemnité d’éviction revenant à la société ATLANTIC CONCEPT à la somme de 68 422,72 euros, indemnités de licenciement en sus sur justificatif,ordonner à la société ATLANTIC CONCEPT de libérer les locaux dans un délai de trois mois suivant versement de séquestration ou d’indemnité et ordonner à l’issue de ce délai son expulsion,condamner la société ATLANTIC CONCEPT à lui verser une indemnité d’occupation au 1er janvier 2019 d’un montant annuel de 22 620 euros, charges et taxes en sus, jusqu’à parfaite libération des locaux et remise des clés,ordonner que cette indemnité soit indexée le 1er janvier de chaque année sur la variation de l’indice des loyers commerciauxrappeler l’exécution provisoire de droit,condamner la société ATLANTIC CONCEPT aux dépens qui comprennent l’expertise judiciaire et à lui verser 4000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.Au soutien de ses prétentions, la société BOAT PARK expose que la société ATLANTIC CONCEPT exploite son activité sur deux sites situés à quelques centaines de mètres de distance : l’un sur le terrain litigieux, l’autre au 7 rue Agosta. Elle souligne que la perte de son fonds de commerce du fait de la reprise du terrain et du local litigieux ne sera que partielle pour ne concerner que son activité d’hivernage et de stockage de bateaux. Si l’expert a estimé que cette activité représentait 65% de son chiffre d’affaires global et en a déduit que le montant de l’indemnité principale d’éviction devait être fixé à la somme de 161 449 euros, elle souligne que ce chiffre ne repose pas sur des éléments objectifs puisque les chiffres communiqués à l’expert ne permettent pas de déterminer le chiffre d’affaires propre au site de la rue de Suffren et que le site du 7 rue Agosta abrite des activités plus lucratives, telles que la vente de bateaux, remorques, locations et gestion de location, la construction de bateaux, l’entretien, tandis que le local de la rue de Suffren sert au stockage et à l’hivernage des bateaux. Elle estime, en s’appuyant sur des photographies aériennes, que le local et le terrain loués ont une capacité bord à bord de stockage de 85 bateaux au plus à laquelle s’ajoute la capacité intérieure pour 6 petites unités. Elle s’appuie sur des tarifs transmis par un concurrent (société NAUTI BOY), pour estimer le chiffre d’affaires théorique de cette activité à hauteur de 64 437 euros. En ajoutant les services chiffrables (sortie et mise à l’eau, lavage, anti fooling), elle obtient un chiffre d’affaires maximal de 110 410 euros TTC, qui peut résulter de l’activité exercée dans les locaux litigieux, perdus par l’éviction, ce qui représente 23 % du chiffre d’affaires global, non 65% comme l’a retenu l’expert. Elle en déduit que la perte partielle du fonds de commerce découlant de l’éviction est 23% du montant du chiffre d’affaires global de 248 383 euros, soit 57 128 euros.
Sur les indemnités accessoires, la société BOAT PARK conteste le versement d’une indemnité de remploi évaluée à 10% de l’indemnité d’éviction par l’expert, faute pour la société ATLANTIC CONCEPT de se réinstaller.
Sur les frais de déménagement et de réinstallation, elle s’y oppose au motif que la société ne s’est pas réinstallée, et que les devis produits ne peuvent être pris en considération, dans la mesure où la quasi-totalité des bateaux appartiennent à des tiers, de sorte que ce sont les propriétaires eux-mêmes non la société ATLANTIC CONCEPT qui va supporter les frais de déplacement.
Sur l’indemnité pour trouble commercial, elle doit être ramenée à la somme de 5581,72 euros, en rapport avec le pourcentage de 23% de perte du chiffre d’affaires, non de 65% comme retenu par l’expert.
S’agissant des frais de licenciement, ils doivent être indemnisés sur justificatif.
Concernant l’indemnité d’occupation, ainsi que l’expert l’a rappelé, elle résulte de la valeur locative fixée par le juge des loyers commerciaux le 10 mars 2021, à la somme de 22 620 euros HT/HC au 1er janvier 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 5 mars 2024, la société ATLANTIC CONCEPT demande au tribunal :
à titre principal, de condamner la société BOAT PARK à lui verser une somme de 783 460 euros à titre d’indemnité d’éviction (indemnité principale : 369 400 euros ; indemnités accessoires : de remploi : 36 940 euros ; de déménagement : 329 730 euros ; trouble commercial : 26 366 euros ; licenciement : 21 024 euros) à titre subsidiaire :
de la condamner à lui verser une somme de 207 951 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de la perte de valeur du fonds subsistant,
de la condamner à lui verser une somme de 575 509 euros à titre d’indemnité d’éviction (indemnité principale : 161 449 euros ; indemnités accessoires : de remploi : 36 940 euros, de déménagement : 329 730 euros, trouble commercial : 26 366 euros, licenciement : 21 024 euros)
en tout état de cause, de la condamner aux entiers dépens en ce compris les frais d’expertise, et à lui verser 8 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.Au soutien de se demandes, la société ATLANTIC CONCEPT expose que l’application, par l’expert du taux de 65% du chiffre d’affaires pour déterminer le montant de l’indemnité principale est contestable en ce que l’activité exercée rue de Suffren est absolument nécessaire et primordiale pour la survie de l’exploitation située 7 rue Agosta puisque sans la superficie qu’offrent le terrain et le bâtiment loués, les bateaux ne peuvent être stockés en vue de l’entretien ni être réparés. Elle en déduit qu’elle perdra la totalité de son fonds de commerce et doit être indemnisée en conséquence, l’ensemble de son activité ne pouvant être hébergé dans le second local de 1250 m².
A titre subsidiaire, si l’éviction du local était considérée comme accessoire, la société ATLANTIC CONCEPT estime que cette éviction provoquera néanmoins une perte de valeur du fonds subsistant qui doit être indemnisée à titre de dommages intérêts, en sus de l’indemnité principale d’éviction évaluée par l’expert.
Pour évaluer les dommages et intérêts pour la perte de valeur du fonds subsistant à la somme de 207 951 euros, elle se fonde sur la moyenne des chiffres d’affaires annuels de 2020, 2021 et 2022 auxquels elle applique les coefficients de pondération retenus par l’expert, et retranche le montant de l’indemnité principale d’éviction proposée par l’expert.
Sur les indemnités accessoires, deux devis de déménagement des bateaux ont été produits lors des opérations d’expertise. Elle conteste la position de l’expert ayant conduit à les exclure au motif que les bateaux n’ont pas à être transportés au domicile de chaque propriétaire et qu’il n’y a pas besoin de dépolluer les bateaux ; elle souligne que la « logique juridique est que chaque propriétaire récupère son bateau » et que pour les bateaux épave, il est nécessaire de les dépolluer avant de les transporter. Si le bailleur soutient qu’en cas de perte de fonds de commerce, ce poste n’est pas valorisé, elle souligne que cette indemnité est bien due.
Sur les licenciements, elle souligne que seuls 2 licenciements ont été évalués alors qu’il y a 4 salariés ; que dans la mesure où la perte du fonds de commerce rue Suffren entraînera également l’arrêt de l’activité sur le second site, il faut évaluer les licenciements de l’ensemble du personnel : les frais s’élèvent à 21 024,10 euros selon l’expert-comptable. Concernant l’indemnité de remploi, elle propose de la fixer comme l’expert à 10% du montant de l’indemnité, l’indemnité de remploi étant due en cas de perte du fonds de commerce ou de déplacement.
La société ATLANTIC CONCEPT n’a pas conclu sur les demandes formées au titre de l’indemnité d’occupation.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK à payer à la société ATLANTIC CONCEPT les sommes suivantes :
161 449 euros au titre de l’indemnité d’éviction, 16 145 euros au titre de l’indemnité de remploi, 15 774 euros au titre du trouble commercial,
Outre les frais de licenciement sur justificatifs ainsi que les frais de déménagement des bateaux non pris en charge par leurs propriétaires, sur justificatifs,
REJETTE la demande formée au titre des frais de dépollution,
CONDAMNE la société ATLANTIC CONCEPT au paiement d’une indemnité d’occupation annuelle de 22 620 HT/HC à compter du 1er janvier 2019, à charge pour les parties de faire les comptes entre elles, jusqu’à parfaite libération des locaux et remise des clés,
DIT que cette indemnité est indexée chaque 1er janvier à compter du 1er janvier 2020 sur la base de l’indice des loyers commerciaux,
RAPPELLE qu’en application de l’article L. 145-29 du code de commerce, en cas d’éviction, les lieux doivent être remis au bailleur à l’expiration d’un délai de trois mois suivant la date de versement de l’indemnité d’éviction au locataire lui-même ou de la notification à celui-ci du versement de l’indemnité à un séquestre,
ORDONNE, à l’issue de ce délai, l’expulsion du locataire et des occupants de son chef avec, au besoin, le concours de la force publique,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK aux dépens, en ce compris les frais d’expertise judiciaire,
CONDAMNE la SCI BOAT PARK à payer à la société ATLANTIC CONCEPT la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
REJETTE la demande de la SCI BOAT PARK au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l’exécution provisoire de droit.
Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
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