Suspension indue d’une allocation en raison d’une condition non requise

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Suspension indue d’une allocation en raison d’une condition non requise

L’Essentiel : M. [U] [P] a bénéficié de l’AAH de la CAF jusqu’en mai 2015, date à laquelle le versement a été suspendu. En réponse, il a saisi la commission de recours amiable en décembre 2020, contestée par la CAF. Le tribunal de Pontoise a débouté M. [P] en novembre 2023. En appel, M. [P] a demandé l’infirmation de ce jugement, tandis que la CAF a plaidé pour l’irrecevabilité de l’appel. La cour a finalement jugé l’appel recevable et a infirmé la décision précédente, ordonnant à la CAF de verser l’AAH à M. [P] avec intérêts.

Contexte de l’affaire

M. [U] [P] a bénéficié de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) de la caisse d’allocations familiales (CAF) entre avril 2007 et mai 2015. À partir du 1er juin 2015, il a été reconnu avec un taux d’incapacité supérieur à 80 % jusqu’au 31 mai 2020, puis à compter du 1er juin 2020.

Suspension de l’AAH

La CAF a interrompu le versement de l’AAH en mai 2015, demandant à M. [P] de fournir des justificatifs concernant l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI). En réponse, M. [P] a saisi la commission de recours amiable le 14 décembre 2020.

Procédure judiciaire

Le 24 juin 2021, M. [P] a contesté devant le tribunal judiciaire de Pontoise la décision de la commission médicale de recours amiable qui avait refusé de valoriser son droit à l’AAH. Le 10 novembre 2023, le tribunal a débouté M. [P] de ses demandes et l’a condamné aux dépens.

Appel de M. [P]

Le 14 décembre 2023, M. [P] a interjeté appel de ce jugement. Dans ses conclusions du 22 octobre 2024, il a demandé à la cour de se déclarer incompétente et de débouter la CAF de sa fin de non-recevoir, tout en demandant l’infirmation du jugement du 10 novembre 2023.

Arguments de la CAF

La CAF a demandé à la cour de déclarer l’appel de M. [P] irrecevable et, à titre subsidiaire, de confirmer le jugement du tribunal de Pontoise. Elle a également demandé la condamnation de M. [P] à payer des frais au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Recevabilité de l’appel

La cour a jugé que l’appel de M. [P] était recevable, car il avait été interjeté dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement. La CAF a soutenu que l’appel était irrecevable, mais la cour a constaté que la déclaration d’appel avait été envoyée dans les délais.

Droit à l’AAH

M. [P] a revendiqué son droit à l’AAH sans avoir à justifier d’une demande d’ASI. La CAF a suspendu l’AAH en raison du défaut de production de pièces justificatives. Cependant, la cour a rappelé que la décision d’attribution de l’AAH revenait à la MDPH, et non à la CAF.

Décision de la cour

La cour a infirmé le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise, ordonnant à la CAF de verser à M. [P] l’AAH à compter du 1er juin 2015, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts. La CAF a également été condamnée à verser une somme à M. [P] en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Q/R juridiques soulevées :

Sur la recevabilité de l’appel

L’appel interjeté par M. [P] est jugé recevable, malgré les objections de la CAF. Selon l’article 538 du code de procédure civile, le délai de recours ordinaire est d’un mois en matière contentieuse.

Il est établi que le jugement a été notifié à M. [P] le 13 novembre 2023. M. [P] a produit un avis de réception de sa déclaration d’appel, indiquant qu’elle a été reçue par le greffe le 13 décembre 2023.

Ainsi, même si la date d’envoi n’est pas lisible, la date de réception par le greffe permet de conclure que la déclaration d’appel a été envoyée dans le délai imparti.

En conséquence, l’appel est jugé recevable, car il a été interjeté dans le mois suivant la notification du jugement.

Sur le droit à l’allocation aux adultes handicapés

M. [P] conteste la suspension de son droit à l’AAH par la CAF, arguant qu’il n’est pas tenu de faire une demande préalable d’attribution d’allocation supplémentaire d’invalidité.

L’article L.821-1 du code de la sécurité sociale stipule que le droit à l’AAH est ouvert lorsque la personne ne peut prétendre à un avantage de vieillesse ou d’invalidité, ou à une rente d’accident du travail.

Cet article précise également que si le montant de l’allocation de solidarité aux personnes âgées est inférieur à celui de l’AAH, cette dernière s’ajoute à la prestation, sans que le total dépasse le montant de l’AAH.

M. [P] a été reconnu avec un taux d’incapacité supérieur à 80 % et a bénéficié de l’AAH pour la période du 1er juin 2015 au 31 mai 2020.

La MDPH a renouvelé cette décision à compter du 1er juin 2020. La CAF, en demandant des pièces justificatives pour le renouvellement des droits, a agi à tort, car la décision d’allouer ou de renouveler l’AAH revient uniquement à la MDPH.

Ainsi, la CAF ne peut pas exiger une demande d’allocation supplémentaire d’invalidité pour le versement de l’AAH. La suspension de l’AAH par la CAF est donc injustifiée, et M. [P] a le droit de réclamer le versement de cette allocation.

Il sera ordonné à la CAF de verser à M. [P] l’AAH à compter du 1er juin 2015, avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts.

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 88I

Chambre sociale 4-6

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 JANVIER 2025

N° RG 23/03561 – N° Portalis DBV3-V-B7H-WIAQ

AFFAIRE :

[U] [P]

C/

Caisse D’ALLOCATIONS FAMILIALES DU [Localité 6]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Novembre 2023 par le Pole social du TJ de PONTOISE

N° RG : 21/00451

Copies exécutoires délivrées à :

Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES

Caisse D’ ALLOCATIONS FAMILIALES DU [Localité 6]

Copies certifiées conformes délivrées à :

[U] [P]

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT CINQ,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [U] [P]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représenté par Me Michèle DE KERCKHOVE de la SELARL BVK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.26 substituée par Me Margaux THIRION, avocat au barreau de VERSAILLES

APPELANT

****************

Caisse D’ ALLOCATIONS FAMILIALES DU [Localité 6]

[Adresse 5]

[Localité 2]

représentée par Mme [F] [I] (Représentant légal) en vertu d’un pouvoir général

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue le 22 Octobre 2024, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Nathalie COURTOIS, Présidente,

Madame Véronique PITE, Conseillère,

Madame Odile CRIQ, Conseillère,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Isabelle FIORE

FAITS ET PROCEDURE

M. [U] [P] a perçu l’allocation aux adultes handicapés – AAH- d’avril 2007 à mai 2015 versée par la caisse d’allocations familiales -CAF-.

La [Adresse 4] lui a reconnu un taux d’incapacité supérieur à 80 % du 1er juin 2015 au 31 mai 2020, puis à compter du 1er juin 2020.

La CAF a cessé de verser l’AAH à compter de mai 2015 en demandant à M. [P] de justifier de l’avis d’attribution ou de refus d’attribution de l’allocation supplémentaire d’invalidité – ASI-.

M. [P] a saisi la commission de recours amiable le 14 décembre 2020.

Par requête en date du 24 juin 2021, M. [P] a contesté devant le tribunal judiciaire de Pontoise la décision de la commission médicale de recours amiable lui refusant la valorisation de son droit à l’AAH, faute pour M. [P] de faire valoir son droit à l’allocation supplémentaire d’invalidité.

Par jugement rendu la 10 novembre 2023 et notifié le 14 novembre 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise a statué comme suit :

Déboute M. [P] de ses demandes,

Condamne M. [P] aux dépens de la présente instance.

Le 14 décembre 2023 M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

‘ Selon ses conclusions écrites du 22 octobre 2024 et soutenues oralement à l’audience, M. [P] demande à la cour de :

Se déclarer incompétente et débouter la CAF de sa fin de non-recevoir,

Infirmer le jugement rendu par le pôle social du Tribunal Judiciaire de Pontoise le 10 novembre 2023 l’ayant débouté de ses demandes

Statuant à nouveau :

– Ordonner à la CAF de verser à M. [P] l’allocation adulte handicapé à compter du 1er Juin 2015 avec intérêts de droit à compter de cette date et capitalisation.

– Condamner la CAF du [Localité 6] à verser à M.[P] la somme de 1 800 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

‘ Selon ses conclusions écrites du 22 octobre 2024 et soutenues oralement à l’audience, la CAF demande à la cour de :

A titre principal,

-Déclarer l’appel de M. [P] irrecevable,

À titre subsidiaire,

-Confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise du 10 novembre 2023 en ce qu’il a débouté M. [P] de l’ensemble de ses demandes,

-Condamner M. [P] au paiement de la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

-Condamner M. [P] aux dépens de première instance et d’appel,

-Délivrer à la Caisse copie exécutoire de la décision.

Pour plus ample exposé des moyens des parties, il est expressément renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, aux conclusions susvisées, aux développements infra ainsi qu’à la note d’audience.

MOTIFS

Sur la recevabilité de l’appel :

La CAF soutient que l’appel interjeté par M. [P] est irrecevable pour avoir été formé le 14 décembre 2023 alors que le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Pontoise lui a été délivré le 10 novembre 2023.

M. [P] soulève l’incompétence de la cour pour connaître de la fin de non-recevoir.

La procédure étant orale, il convient d’observer que la fin de non-recevoir est recevable devant la cour.

Selon l’article 538 du code de procédure civile, le délai de recours ordinaire est d’un mois en matière contentieuse.

Il est établi selon l’accusé de réception communiqué que le jugement entrepris a été notifié par le tribunal judiciaire de Pontoise à M. [P] le 13 novembre 2023.

Or, ce dernier produit au débats l’avis de réception de la déclaration d’appel reçue par le greffe le 13 décembre 2023.

Si la date d’envoi n’est pas lisible, pour autant la date de réception par le greffe au 13 décembre permet d’en déduire que la déclaration d’appel a été envoyée antérieurement.

En l’état de ces éléments, l’appel ayant été interjeté dans le délai d’un mois de la notification du jugement, le recours de M. [P] est jugé recevable.

Sur le droit à l’allocation aux adultes handicapés :

M. [P] revendique le droit à l’AAH sans que lui soit opposée une demande préalable d’attribution d’allocation supplémentaire d’invalidité. Il fait valoir que c’est à tort que la CAF a suspendu le bénéfice de cette allocation.

En rappelant que M. [P] s’est vu reconnaître un taux d’incapacité supérieur à 80 % depuis l’année 2007 lui permettant de bénéficier de l’allocation adulte handicapé et que parallèlement il est bénéficiaire d’une pension d’invalidité depuis l’année 2007, la CAF expose avoir réclamé à ce dernier des pièces justificatives en vue d’étudier le renouvellement des droits de M. [P] à l’AAH à compter de 2015, notamment la notification d’attribution ou de refus de l’allocation supplémentaire d’invalidité.

La CAF fait valoir sur le fondement de l’article L.821-1 du code de la sécurité sociale que l’allocation supplémentaire d’invalidité vient compléter les revenus du bénéficiaire pour lui faire atteindre un montant total minimal et que l’allocation aux adultes handicapés est une allocation qui se voit appliquer un principe de subsidiarité qui ne vient donc qu’à défaut ou en complément d’autres allocations et que l’allocataire ne peut refuser une aide à laquelle il a droit pour pouvoir bénéficier de ladite allocation.

La caisse conclut que le défaut de production de pièces justificatives par M. [P] justifiait la suspension du versement de l’allocation aux adultes handicapés.

Selon l’article L. 821-1 du code de la sécurité sociale « (..) Le droit à l’allocation aux adultes handicapés est ouvert lorsque la personne ne peut prétendre, au titre d’un régime de sécurité sociale, d’un régime de pension de retraite ou d’une législation particulière, à un avantage de vieillesse, (..) ou d’invalidité,( ..) ou à une rente d’accident du travail, (..).

Lorsque cet avantage ou le montant mensuel perçu au titre de l’allocation de solidarité aux personnes âgées mentionnée à l’article L. 815-1 est d’un montant inférieur à celui de l’allocation aux adultes handicapés, celle-ci s’ajoute à la prestation sans que le total des deux avantages puisse excéder le montant de l’allocation aux adultes handicapés. ».

M. [P] justifie de la reconnaissance le 17 juin 2015 à son profit par la MDPH d’un taux d’incapacité supérieur à 80 % et de la décision de cette dernière de lui attribuer corrélativement une allocation adulte handicapé pour la période du 1er juin 2015 au 31 mai 2020.

La MDPH renouvelait cette décision le 2 septembre 2020 au bénéfice de M. [P] à compter du 1er juin 2020 pour une durée permanente.

Alors que la décision d’allouer ou de renouveler ou non l’AAH revient à la seule MDPH, c’est à tort que la CAF affirme avoir été en charge de l’étude du renouvellement des droits de l’allocataire à compter de l’année 2015 et explique pour ce faire avoir réclamé des pièces justificatives notamment l’attribution ou le refus de l’allocation supplémentaire d’incapacité.

Au vu de la décision de la MDPH de l’allocation de l’AAH puis de son renouvellement au bénéfice de M. [P], ce dernier est bien fondé à en réclamer le versement par la CAF sans que lui soit opposée une demande préalable d’attribution d’allocation supplémentaire d’invalidité condition qui n’est pas exigée par l’article L.821-1 du code de la sécurité sociale contrairement à ce qui est soutenu par l’intimée. (Soc. c. cass. 31 janvier 2002 n° 00-18.365).

C’est donc à tort que la CAF a suspendu le bénéfice de l’AAH.

Il sera ordonné à la CAF de verser à M. [P] l’allocation aux adultes handicapés à compter du 1er juin 2015 avec intérêts au taux légal à compter de cette date, la capitalisation des intérêts étant ordonnée.

En conséquence, le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

Juge recevable l’appel de M. [U] [P],

Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Pontoise du 10 novembre 2023 en toutes ses dispositions,

Ordonne à la Caisse d’allocations familiales du [Localité 7] de verser à M. [U] [P] l’allocation aux adultes handicapés à compter du 1er juin 2015 avec intérêts au taux légal à compter de cette date.

Ordonne la capitalisation des intérêts.

Condamne la Caisse d’allocations familiales du [Localité 7] à verser à M. [U] [P] la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la Caisse d’allocations familiales du [Localité 7] aux entiers dépens.

Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Nathalie COURTOIS, Présidente, et par Madame Isabelle FIORE, Greffière, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

La Greffière La Présidente


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