Interprétation des limites de la prise en charge des frais médicaux à l’étranger

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Interprétation des limites de la prise en charge des frais médicaux à l’étranger

L’Essentiel : Mme [R], atteinte du syndrome de Chiari, a vu sa demande de prise en charge d’une intervention chirurgicale en Espagne rejetée par la caisse primaire d’assurance maladie. Après avoir subi l’opération, elle a introduit un recours, et le tribunal a ordonné la couverture des frais comme si les soins avaient eu lieu en France. Cependant, la caisse a contesté l’interprétation du jugement, arguant que le tribunal avait excédé ses pouvoirs. La Cour a rappelé que les juges ne peuvent modifier les droits des parties sous prétexte d’interprétation, ce qui a conduit à une réévaluation des obligations de la caisse.

Demande de prise en charge

Mme [R], atteinte du syndrome de Chiari, a demandé à la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde l’autorisation de prendre en charge une intervention chirurgicale dans une clinique privée en Espagne. Cette demande a été rejetée par la caisse le 14 octobre 2014.

Intervention et recours

Après avoir subi l’intervention en janvier 2015, l’assurée a introduit un recours devant une juridiction de sécurité sociale. Le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde a rendu un jugement irrévocable le 23 septembre 2016, ordonnant à la caisse de couvrir les frais de l’intervention chirurgicale en Espagne comme si les soins avaient été réalisés en France.

Requête d’interprétation

Suite à ce jugement, l’assurée a déposé une requête pour interpréter la décision rendue. La caisse a contesté cette interprétation, arguant que le tribunal avait excédé ses pouvoirs en tranchant une question nouvelle concernant le montant de la prise en charge.

Position de la Cour

La Cour a rappelé que les juges ne peuvent pas modifier les droits et obligations des parties sous prétexte d’interprétation d’une décision antérieure. En ordonnant la prise en charge de l’intégralité des frais à hauteur de 15 522 euros, la cour d’appel a interprété le jugement de manière à modifier les droits des parties, ce qui constitue une violation de l’article 461 du code de procédure civile.

Conclusion de la Cour

La cour d’appel a constaté que, selon l’expert, les soins de l’assurée étaient codifiés et que le montant de la prise en charge aurait dû être de 4 854,08 euros. En statuant ainsi, la cour a modifié les obligations de la caisse, ce qui n’était pas conforme à la décision initiale.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 461 du code de procédure civile dans le cadre d’une interprétation de jugement ?

L’article 461 du code de procédure civile stipule que :

« Les juges saisis d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision ne peuvent, sous le prétexte d’en déterminer le sens, modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision. »

Cet article établit une limite claire aux pouvoirs des juges lorsqu’ils sont appelés à interpréter une décision antérieure. En effet, leur rôle se limite à clarifier le sens de la décision sans altérer les droits ou obligations qui en découlent.

Dans le cas présent, la caisse a contesté la décision des juges du fond, arguant qu’ils avaient excédé leurs pouvoirs en tranchant une question nouvelle relative au quantum de la prise en charge des frais engagés par l’assurée.

Il est donc essentiel de comprendre que l’interprétation d’un jugement ne doit pas conduire à une modification des droits établis par ce jugement, ce qui est précisément ce que la caisse a soutenu dans son recours.

Comment la cour d’appel a-t-elle interprété le jugement du 23 septembre 2016 ?

La cour d’appel a interprété le jugement du 23 septembre 2016 comme ordonnant la prise en charge de l’intégralité des frais engagés par l’assurée, à hauteur de 15 522 euros.

Elle a rappelé que la caisse ne contestait pas le droit au remboursement octroyé à l’assurée par le jugement.

L’arrêt a également constaté que, selon l’expert, les soins de l’assurée étaient codifiés AEPA001 par la classification commune des actes médicaux, et que le montant selon la tarification T2A était égal à 4 854,08 euros au 15 janvier 2015.

De plus, il a été noté que, compte tenu de la gravité de la maladie, l’assurée aurait bénéficié d’une prise en charge à hauteur de 100 % en France.

Cependant, cette interprétation a été contestée, car le remboursement par assimilation d’actes non inscrits à la classification ne peut pas dépasser le montant du remboursement de l’acte auquel il est assimilé.

Ainsi, la cour d’appel a, en réalité, modifié les droits et obligations des parties, ce qui constitue une violation de l’article 461 du code de procédure civile.

Quelles sont les conséquences de la violation de l’article 461 du code de procédure civile dans cette affaire ?

La violation de l’article 461 du code de procédure civile a conduit à une modification des droits et obligations des parties, ce qui a des conséquences significatives sur la décision rendue par la cour d’appel.

En effet, en ordonnant la prise en charge de l’intégralité des frais engagés par l’assurée, la cour a outrepassé son rôle d’interprétation.

Cela a pour effet de créer une incertitude quant aux montants remboursables, en dérogeant aux règles de tarification établies pour les actes médicaux.

La caisse, en tant qu’organisme de sécurité sociale, est tenue de respecter les montants de remboursement fixés par la réglementation en vigueur.

Ainsi, la décision de la cour d’appel pourrait être annulée, et la caisse pourrait être amenée à réévaluer le montant à rembourser en fonction des règles applicables, ce qui pourrait réduire le montant initialement accordé à l’assurée.

En somme, la violation de l’article 461 a non seulement des implications juridiques, mais elle affecte également la relation entre l’assurée et la caisse, en remettant en question les modalités de prise en charge des soins.

CIV. 2

FD

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 9 janvier 2025

Cassation partielle

Mme MARTINEL, président

Arrêt n° 17 F-D

Pourvoi n° C 22-23.918

Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [R].
Admission du bureau d’aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 14 février 2023.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JANVIER 2025

La caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 22-23.918 contre l’arrêt rendu le 6 octobre 2022 par la cour d’appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l’opposant à Mme [Z] [R], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dudit, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [R], et l’avis de Mme Pieri-Gauthier, avocat général, après débats en l’audience publique du 20 novembre 2024 où étaient présentes Mme Martinel, président, Mme Dudit, conseiller référendaire rapporteur, Mme Renault-Malignac, conseiller doyen, et Mme Gratian, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 6 octobre 2022), Mme [R] (l’assurée), atteinte d’une maladie orpheline nommée syndrome de Chiari, a sollicité de la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde (la caisse) l’autorisation préalable de prise en charge d’une intervention chirurgicale devant être réalisée dans une clinique privée spécialisée en Espagne. La caisse a rejeté la demande par décision du 14 octobre 2014.

2. L’assurée, qui a subi l’intervention en janvier 2015, a saisi d’un recours une juridiction de sécurité sociale.

3. Par jugement irrévocable du 23 septembre 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale de la Gironde a dit que la caisse doit prendre en charge les frais de soins engagés par l’assurée afférents à l’intervention chirurgicale subie en janvier 2015 en Espagne « dans les mêmes conditions que si les soins avaient été reçus en France » et renvoyé l’assurée devant la caisse pour la liquidation de ses droits.

4. L’assurée a saisi le tribunal d’une requête aux fins d’interprétation de sa décision.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La caisse fait grief à l’arrêt d’ordonner une prise en charge de l’ensemble des frais engagés par l’assurée, alors « qu’excède ses pouvoirs le juge qui, sous couvert d’interprétation, tranche une question nouvelle que suscite l’exécution de sa précédente décision ; que saisis d’une requête en interprétation du jugement du 23 septembre 2016 n’ayant tranché que le principe de la prise en charge des frais et soins engagés par l’assurée en Espagne en janvier 2015, les juges du fond ne pouvaient trancher la question nouvelle, relative au quantum de la prise en charge desdits frais et
soins, qu’a suscité l’exécution du jugement du 23 septembre 2016 ; que l’ayant fait, pour ordonner la prise en charge de l’intégralité des frais engagés par l’assurée en Espagne à hauteur de 15.522 euros, les juges du fond ont excédé leurs pouvoirs, en violation de l’article 461 du code de procédure civile »

Réponse de la Cour

Vu l’article 461 du code de procédure civile :

6. Il résulte de ce texte que les juges saisis d’une contestation relative à l’interprétation d’une précédente décision ne peuvent, sous le prétexte d’en déterminer le sens, modifier les droits et obligations reconnus aux parties par cette décision.

7. Pour ordonner à la caisse la prise en charge de l’ensemble des frais engagés à hauteur de 15 522 euros, ayant rappelé que la caisse ne conteste pas le droit au remboursement octroyé à l’assurée par le jugement, l’arrêt constate que selon l’expert, les soins de l’assurée sont codifiés AEPA001 par la classification commune des actes médicaux ressortant du GHS 30 dont le montant selon la tarification T2A était égal au 15 janvier 2015 à la somme de 4 854,08 euros, et que l’assurée, compte tenu de la gravité de la maladie dont elle était porteuse, aurait bénéficié en France d’une prise en charge à hauteur de 100 %.

8. En statuant ainsi, alors que le remboursement par assimilation d’actes non inscrits à la classification commune des actes médicaux ne peut pas être supérieur au montant du remboursement de l’acte auquel il est assimilé, la cour d’appel, qui a interprété le jugement comme ordonnant la prise en charge de l’intégralité des frais engagés par l’assurée, a modifié les droits et obligations des parties et a violé le texte susvisé.


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