L’Essentiel : En novembre 2017, l’immeuble des consorts [V] a été illégalement occupé par neuf personnes. Malgré une ordonnance d’expulsion du 21 décembre 2017, la demande de concours de la force publique, faite par la SCP [11], a été ignorée jusqu’à septembre 2018. Les occupants ont finalement été expulsés le 12 octobre 2018. Les consorts [V] ont alors demandé une indemnisation pour le préjudice subi, mais leur recours gracieux et leur action en justice ont été rejetés. Le Conseil d’État a confirmé que la demande de concours n’avait pas été régulièrement introduite, entraînant la responsabilité de la SCP [11] pour retard dans l’expulsion.
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Contexte de l’affaireMessieurs [F] et [L] [V] étaient propriétaires d’un immeuble à [Adresse 3], composé de plusieurs appartements en location jusqu’à fin octobre 2017. Un appartement au rez-de-chaussée était occupé par Monsieur [F] [V] jusqu’à cette date. En novembre 2017, neuf personnes ont illégalement occupé l’immeuble. Ordonnance d’expulsionLe 21 décembre 2017, le Président du Tribunal d’instance de Marseille a ordonné l’expulsion des occupants sans titre. Les consorts [V] ont alors mandaté la SCP [11] pour exécuter cette ordonnance. Un commandement de quitter les lieux a été délivré le 8 janvier 2018, et la dénonciation a été signifiée à la Préfecture le 10 janvier 2018. Demande de concours de la force publiqueLe 29 janvier 2018, la SCP [11] a demandé le concours de la force publique à la Préfecture, mais cette demande est restée sans réponse. Une relance a été faite le 2 août 2018, et le concours a finalement été accordé le 13 septembre 2018. Les occupants ont été expulsés le 12 octobre 2018. Recours gracieux et contentieuxLes consorts [V] ont saisi le Préfet d’un recours gracieux pour obtenir une indemnisation pour le préjudice subi en raison du refus d’octroi du concours de la force publique, mais leur requête a été rejetée le 17 octobre 2018. Ils ont ensuite saisi le tribunal administratif, qui a également rejeté leur demande, entraînant un recours devant le Conseil d’État. Décision du Conseil d’ÉtatLe 29 novembre 2022, le Conseil d’État a confirmé le rejet de la demande des consorts [V], précisant que la demande de concours de la force publique devait être faite par voie électronique, conformément à la législation en vigueur. La demande faite par la SCP [11] le 29 janvier 2018 n’ayant pas été régulièrement introduite, le refus de concours n’était pas illégal. Actions des consorts [V]Le 29 mars 2023, les consorts [V] ont tenté une résolution amiable du litige par l’intermédiaire de leur conseil, mais cela a échoué. Le 3 août 2023, ils ont assigné la SCP [11] devant le tribunal, demandant des indemnités pour préjudice subi, notamment pour la perte d’occupation et la dégradation du bien. Arguments des partiesLes consorts [V] soutiennent que la SCP [11] a commis une faute en ne respectant pas la procédure de demande de concours de la force publique, ce qui a entraîné un retard dans l’expulsion. Ils demandent des indemnités pour la période d’occupation illégale et les dégradations subies. De son côté, la SCP [11] conteste toute faute et argue que le système EXPLOC n’était pas opérationnel à la date de la demande. Jugement du tribunalLe tribunal a jugé que la SCP [11] avait engagé sa responsabilité civile professionnelle en raison d’un retard dans l’exécution de la mission. Il a condamné la SCP à verser 6 000 € aux consorts [V] pour perte de chance, tout en rejetant le surplus de leurs demandes. La SCP a également été condamnée à payer 2 000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la responsabilité du commissaire de justice dans l’exécution de son mandat ?La responsabilité du commissaire de justice est régie par l’article L.122-2 du Code des procédures civiles d’exécution, qui stipule que le commissaire de justice chargé de l’exécution a la responsabilité de la conduite des opérations d’exécution. En vertu des articles 1991 et suivants du Code civil, le commissaire de justice est responsable des fautes qu’il commet dans l’exécution de son mandat. Cela signifie qu’il doit agir avec diligence et compétence pour mener à bien les opérations qui lui sont confiées. Dans le cas présent, la SCP [11] a été jugée responsable d’un retard dans l’exécution de la demande de concours de la force publique, ce qui a entraîné un préjudice pour les consorts [V]. Il est important de noter que la bonne exécution du mandat nécessite que le commissaire de justice prenne toutes les mesures nécessaires pour respecter les délais et les procédures en vigueur. Ainsi, la responsabilité du commissaire de justice peut être engagée si une faute dans l’exécution de son mandat entraîne un préjudice pour son client, comme cela a été le cas ici. Quelles sont les conséquences de la non-utilisation du système EXPLOC pour la demande de concours de la force publique ?L’article L.431-2 du Code des procédures civiles d’exécution précise que, depuis le 31 décembre 2017, la demande de concours de la force publique en matière d’expulsion doit être adressée par voie électronique via le système d’information prévu. Le Conseil d’État a confirmé que toute demande présentée après cette date doit respecter cette procédure, sous peine d’irrégularité. Dans cette affaire, la SCP [11] a soumis sa demande de concours de la force publique le 29 janvier 2018 sous forme papier, ce qui a été jugé irrégulier. Le tribunal a estimé que cette irrégularité a conduit à un refus de concours de la force publique, car la demande n’a pas été correctement introduite. Il en résulte que la SCP [11] a engagé sa responsabilité en ne respectant pas les exigences légales, ce qui a causé un préjudice aux consorts [V] en retardant l’expulsion des occupants sans droit ni titre. Comment évaluer la perte de chance en matière de préjudice ?La perte de chance est un concept juridique qui permet d’évaluer le préjudice subi par une partie en raison d’une faute d’une autre partie. Dans cette affaire, le tribunal a précisé que la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. Ainsi, le préjudice des consorts [V] a été évalué à 50% de la valeur locative, soit 6 000 €, correspondant à la perte d’une perspective d’obtenir des loyers pendant la période de retard dans l’expulsion. Cette évaluation prend en compte l’aléa inhérent à la date à laquelle les biens auraient pu être reloués et au prix de la location après travaux. Il est donc essentiel de démontrer que la faute a entraîné une perte de chance concrète, ce qui a été établi dans ce cas par le tribunal. Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans ce litige ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à payer à l’autre partie une somme d’argent au titre des frais exposés pour la défense de ses droits. Dans cette affaire, la SCP [11] a été condamnée à verser 2 000 € aux consorts [V] en application de cet article. Cette somme est destinée à couvrir les frais de justice engagés par les consorts [V] dans le cadre de leur action en justice contre la SCP [11]. Il est important de noter que cette disposition vise à garantir l’accès à la justice en permettant aux parties de récupérer une partie de leurs frais, même si elles n’obtiennent pas l’intégralité des sommes demandées. Ainsi, l’article 700 joue un rôle déterminant dans l’équilibre des charges financières entre les parties dans un litige. |
DE MARSEILLE
PREMIERE CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT N°25/11 du 09 Janvier 2025
Enrôlement : N° RG 23/09024 – N° Portalis DBW3-W-B7H-3U2D
AFFAIRE : M. [F] [V]( Me Sebastien COSTE)
C/ S.C.P. [11] , COMMISSAIRES DE JUSTICE ASSOCIES (Me Jean-mathieu LASALARIE)
DÉBATS : A l’audience Publique du 07 Novembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Président : SPATERI Thomas, Vice-Président
BERGER-GENTIL Blandine, Vice-Présidente, juge rapporteur
BERTHELOT Stéphanie, Vice-Présidente
Greffier lors des débats : ALLIONE Bernadette
Vu le rapport fait à l’audience
A l’issue de laquelle, les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le : 09 Janvier 2025
Jugement signé par SPATERI Thomas, Vice-Président et par BESANÇON Bénédicte, Greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
NATURE DU JUGEMENT
contradictoire et en premier ressort
NOM DES PARTIES
DEMANDEURS
Monsieur [F] [V]
né le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 6]
Monsieur [L] [V]
né le [Date naissance 1] 1945 à [Localité 10]
de nationalité Française, demeurant [Adresse 5]
représentés tous deux par Me Sebastien COSTE, avocat au barreau de MARSEILLE
CONTRE
DEFENDERESSE
S.C.P. [11] , COMMISSAIRES DE JUSTICE ASSOCIES, dont le siège social est sis [Adresse 4]
représentée par Me Jean-mathieu LASALARIE, avocat au barreau de MARSEILLE
Messieurs [F] et [L] [V], étaient propriétaires d’un immeuble situé [Adresse 3] composé de plusieurs appartements donnés en location jusqu’à la fin du mois d’octobre 2017. Un appartement situé au rez de chaussée de l’immeuble était occupé jusqu’à cette date par Monsieur [F] [V].
Au mois de novembre 2017, neuf personnes ont pénétré dans l’immeuble inhabité et l’ont occupé sans droit ni titre.
Par ordonnance de référé en date du 21 décembre 2017, Monsieur le Président du Tribunal d’instance de Marseille a ordonné l’expulsion des occupants sans titre de l’immeuble.
C’est dans ces circonstances que les consorts [V] ont mandaté la SCP [11], commissaires de justice associés, pour faire exécuter l’ordonnance du 21 décembre 2017.
Le 8 janvier 2018, l’étude délivrait un commandement de quitter les lieux ; la dénonciation du commandement de quitter les lieux était signifiée à la Préfecture le 10 janvier 2018.
Le 29 janvier 2018, la SCP [11] adressait par courrier une demande de concours de la force publique aux services de la Préfecture des [Localité 7].
Cette demande étant restée sans suite, l’étude réitérait cette demande par voie électronique le 2 août 2018.
Le concours de la force publique était accordé par le Préfet des [Localité 7] le 13 septembre 2018, et les occupants étaient expulsés le 12 octobre 2018.
Les consorts [V] saisissaient alors le Préfet des [Localité 7] d’un recours gracieux en indemnisation pour obtenir réparation du préjudice subi en raison du refus d’octroi du concours de la force publique.
Par courrier du 17/10/2018, leur requête était rejetée.
Ils saisissaient le tribunal administratif d’un recours contentieux qui était rejeté, et saisissaient le Conseil d’État.
Par arrêt en date du 29 novembre 2022, le Conseil d’État a confirmé la décision rendue par le tribunal administratif dans les termes suivants :
« Aux termes de l’article L.431-2 du même code : « en matière d’expulsion, lorsqu’il requiert le concours de la force publique, l’huissier de justice chargé de l’exécution procède par voie électronique par l’intermédiaire du système d’information prévu au dernier aliéna de l’article 7-2 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement » aux termes du III de l’article152 de la loi du 27/01/2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, les dispositions de l’article L.431-2 précité « entrent en vigueur à la date de mise œuvre opérationnelle des modules concernés du système d’information prévu au dernier alinéa de l’article 7-2 de la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement qui est fixée par arrêté du ministre de l’intérieur, et au plus tard le 31 décembre 2017. »
Il résulte de ces dispositions que, pour toute demande présentée après le 31 décembre 2017 par un huissier de justice en vue de l’exécution d’une décision de justice, en matière d’expulsion, la requête de concours de la force publique, doit, à peine d’irrégularité, être adressée par celui-ci au représentant de l’état dans le département en faisant usage du système d’information prévu par les dispositions précitées de l’article L.431-2 du code des procédures civiles d’exécution, Par suite, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que la demande de concours
de la force publique remise par l’huissier chargé de l’exécution le 29 janvier 2018 aux services du préfet des [Localité 7] sans faire usage du système d’information mentionné ci-dessus n’ayant pas été régulièrement introduite, n’avait pu faire naître de refus de concours de la force publique. Le Tribunal administratif n’a pas davantage entaché son appréciation de dénaturation ni inversé la charge de la preuve en estimant que le système d’information mentionné à l’article L.431-2 du code des procédures civiles d’exécution était opérationnel le 29 janvier 2018 et que les requérants ne le contestaient pas. »
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 mars 2023, et par l’intermédiaire de leur conseil, les consorts [V] ont saisi la chambre régionale des commissaires de justice afin de tenter une résolution amiable du litige, qui est demeurée vaine.
Par acte de commissaire de justice du 03 août 2023, Monsieur [F] [V] et Monsieur [L] [V] ont assigné la SCP [11], commissaires de justice devant le tribunal de céans aux fins de :
-Dire et juger que la SCP [11], huissiers de justice associés, a commis une faute dans l’exécution de sa mission.
En conséquence,
-Leur allouer une indemnité de 32 000 € correspondant au montant total de l’indemnité d’occupation sur une période de 8 mois ;
-Leur allouer une indemnité de 10 000 € correspondant au préjudice dû à la dégradation du bien ;
-leur allouer la somme de 2 000€ en application des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
-Ordonner l’exécution provisoire de la décision à venir ;
-Statuer ce que de droit sur les dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 18 juin 2024, les consorts [V] maintiennent leurs demandes.
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir que la SCP [11] a sollicité le concours de la force publique le 29 janvier 2018 sous forme papier alors que la loi prévoit que la réquisition du concours de la force publique en matière d’expulsion des locaux à usage d’habitation par le commissaire de justice doit, à compter du 31 décembre 2017, s’effectuer par voie électronique, cette transmission dématérialisée devant s’effectuer par le biais d’une plateforme électronique unique « EXPLOC » ; que l’étude de commissaires de justice a reconnu par courrier du 24 avril 2019 avoir signifié le 29 janvier 2018, à la Préfecture, entre les mains de Mme [S] [P], le procès-verbal de réquisition de la force publique ; que dans la mesure où la signification du procès-verbal de réquisition de la force publique n’a pas été régulièrement introduite, la SCP [11], engage incontestablement sa responsabilité civile professionnelle ; qu’elle se contente, pour s’exonérer de sa responsabilité, de produire un mail d’information sans même justifier des démarches qu’elle aurait pu, dès le mois de janvier 2018, effectuer directement auprès des services préfectoraux, pour les interroger sur l’utilisation de ce nouveau système d’information ; qu’elle se contente de produire aux débats, deux courriers de relance adressés au Préfet le 20 avril et le 22 mai 2018, envoyés en courrier simple.
Ils indiquent que M. [X], gestionnaire des squats à la Préfecture, a précisé dans un
mail du 4 juin 2018: «Je viens de recevoir un courrier du service contentieux qui m’informe qu’une procédure des personnes mentionnées a été intenté par les propriétaires [V], par le biais d’une réquisition datée du 29/01/2018. Après des recherches dans la base de données départementales (PREVEX), il s’avère que nos services n’ont pas reçu et/ou enregistrés cette réquisition. Il vous appartient donc de nous fournir le « parlant » du dépôt de cette procédure et au vu de ce document reçu, la procédure pourra être enregistrée à la date du dépôt (sur notre logiciel PREVEX exploité jusqu’au 16/04/2018 pour les nouvelles procédures). Dans le cas contraire et depuis le 16/04/2018, il vous appartient, de nous transmettre la procédure complète par le biais du nouveau logiciel national (EXPLOC) » ;
Ils soutiennent que les pièces réclamées à nouveau aux commissaires de justice au mois de juillet 2018 n’ont pas été transmises aux services concernés ; que le PV de réquisition de la force publique en date du 29/01/2018 ne contient ni le sceau de la Préfecture, ni le nom et la signature de l’agent assermenté, auprès duquel cet acte aurait été déposé ; que c’est l’acte de dénonciation du commandement de quitter les lieux qui a été signifié au Préfet le 10 janvier 2019 ; que la fiche de tournée communiquée par la défenderesse aux fins de justifier la signification à la Préfecture du PV de réquisition de la force publique n’a pas valeur certaine ; qu’en tout état de cause, la défenderesse a été négligente dans l’accomplissement de sa mission puisque le procès-verbal de réquisition de la force publique en date du 29/01/2018 n’a jamais été remis à la Préfecture, que ce soit sous forme papier ou par voie électronique ; qu’elle ne justifie pas d’une impossibilité de transmission des actes par le nouveau système d’information « EXPLOC » pour une cause extérieure ; qu’elle est seule responsable par sa négligence du retard dans l’intervention de la force publique en ne respectant pas la procédure, en omettant de signifier le PV de réquisition de la force publique à la Préfecture dès le 29 janvier 2018, comme elle prétend l’avoir effectué, et en ne faisant pas application du nouveau système de transmission EXPLOC qui était opérationnel dès le 16 avril 2018.
Ils soutiennent que le juge des référés a fixé une indemnité mensuelle d’occupation de 4 000€ jusqu’à parfaite libération des lieux ; que la demande de concours de la force publique n’a été correctement introduite par voie électronique qu’à partir du 2 août 2018 et les occupants ont été expulsés avec le concours des forces de police le 12 octobre 2018 ; qu’il convient en conséquence de les indemniser sur la période allant du mois de mars 2018 au mois d’octobre 2018, soit sur 8 mois, ce qui représente la somme de 32 000 € ; qu’ils ont en outre été victimes de nombreux désordres et ont dû faire face à des frais auxquels ils n’auraient pas été confrontés si le concours de la force publique avait été obtenu dès le mois de février 2018 et l’expulsion réalisée plus tôt.
Par conclusions signifiées le 07 février 2024, la SCP [11] demande au tribunal :
A titre principal,
-Juger qu’elle n’a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité ;
-Débouter les consorts [V] de toutes leurs demandes ;
A titre subsidiaire,
– Juger que le préjudice allégué par les consorts [V] n’est pas démontré et justifié;
– Débouter les consorts [V] de toutes leurs demandes dirigées à leur encontre ;
En tout état de cause,
– Condamner solidairement les consorts [V] à lui payer la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu’après plusieurs échanges et à la demande de la Préfecture, elle a enregistré la réquisition de la force publique sur EXPLOC le 12 juillet 2018 ; que la Préfecture a exigé des pièces complémentaires, adressées le 26 juillet 2018 ; qu’à sa demande elle lui a adressé divers actes le 2 août 2018 par EXPLOC.
Elle soutient que si le système EXPLOC qui permet la transmission par voie dématérialisée des notifications prévues par la loi au Préfet en matière de résiliation de baux d’habitation et d’expulsion des locaux à usage d’habitation est théoriquement obligatoire depuis le 31 décembre 2017, toutefois, il existait une incertitude concernant la réelle utilisation de ce système au moment de la réquisition le 29 janvier 2018.
Elle indique qu’en effet, le 10 janvier 2018, la Présidente de la [9] a informé les Huissiers de la mise en place théorique du système EXPLOC à la date 1er janvier 2018, alors que la mise en place sur le plan pratique a été toute autre ; que dans ce même courrier, elle indique, après des échanges avec les services préfectoraux, que lesdits services ne travaillent pas encore avec EXPLOC et qu’il fallait donc continuer à adresser les dossiers en LRAR ou par dépôt au service logement social « sans risque de rejet » ; que M. [X], gestionnaire des squatts à la Préfecture a confirmé par courrier du 04 juin 2018 que le système EXPLOC n’était utilisé que depuis le 16 avril 2018, de sorte qu’il était impossible de procéder par EXPLOC à la date du 29 janvier 2018 ; qu’à la demande de la Préfecture, la copie de l’acte a été transmise aux fins d’enregistrement sur le logiciel « PREVEX » le 20 juin 2018 ; que l’étude a enregistré la demande de réquisition de la force publique sur EXPLOC le 12 juillet 2018 ; qu’il ne peut donc pas être reproché à l’étude d’avoir déposé sa requête en version papier le 29 janvier 2018, et non par le biais d’EXPLOC, dans la mesure où il est démontré que ce service n’était pas opérationnel sur [Localité 10] à cette date.
Elle soutient que la décision du Conseil d’Etat a manifestement été rendue en méconnaissance totale de la réalité de la mise en place du système dans les services de la Préfecture de [Localité 10].
Par ailleurs, elle fait valoir qu’il est totalement arbitraire et infondé d’affirmer que l’expulsion «aurait pu être effective dès le mois de mars 2018» ; que la trêve hivernale se termine le 31 mars, période où la Préfecture reçoit énormément de demandes d’expulsion avec des délais souvent très longs ; que l’éventuelle responsabilité d’un Commissaire de Justice n’est pas une assurance contre les loyers impayés ; qu’en outre, la responsabilité d’une étude s’analyse classiquement en une perte de chance de récupérer le bien plus tôt, de percevoir les indemnités d’occupation, voire de le relouer et de percevoir des loyers ; qu’elle a tenté d’exécuter la décision et de récupérer les indemnités d’occupation, en vain ; qu’en effet un commandement aux fins de saisie-vente a été délivré pour la somme totale de 8 565,50€ ; qu’elle s’est rendue sur place le 17 janvier 2018 pour procéder à la saisie vente des biens appartenant aux occupants sans droit ni titre ; qu’un procès-verbal de carence a dû être dressé compte tenu de la précarité des squatteurs ; que de plus, les consorts [V] ne justifient pas qu’ils auraient pu relouer rapidement leur bien ; que bien au contraire, l’état de l’appartement après six mois de squat (novembre 2017 – mars 2018) aurait forcément nécessité d’importants travaux de remise en état ; qu’il est donc évident que même s’ils avaient récupéré le bien en mars 2018, les consorts [V] n’en auraient tiré aucun revenu ; qu’elle n’a pas à prendre en charge une indemnité d’occupation fictive, ni prendre en charge les frais tels que l’eau et l’électricité, ni même le coût des désordres commis par les squatteurs entre novembre 2017 et mars 2018 ; que de plus les consorts [V] ne produisent aucune facture de quelconques travaux de remise en état des dégradations, ce qui ne permet pas d’apprécier un éventuel préjudice et qui démontre qu’actuellement le bien est toujours en l’état ; qu’ils ne précisent pas si le bien a été reloué et à quelle date ; qu’en tout état de cause, ils échouent à rapporter la preuve d’un préjudice.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures susvisées.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 octobre 2014 et l’affaire renvoyée en audience collégiale fixée au 07 novembre 2024.
Sur les demandes principales :
La responsabilité contractuelle du commissaire de justice peut également être engagée en cas de fautes commises dans l’exécution du mandat le liant à son client.
Le commissaire de justice chargé de l’exécution a la responsabilité de la conduite des opérations d’exécution en application de l’article L.122-2 du code des procédures civiles d’exécution. Ces opérations d’exécution sont subordonnées au mandatement du commissaire de justice par le créancier.
En application des articles 1991 et suivants du code civil, le commissaire de justice est responsable des fautes qu’il commet dans l’exécution de ce mandat et de façon plus générale, pour tous les actes dressés à la demande de son client.
La bonne exécution du mandat nécessite pour le commissaire de justice d’agir avec diligence.
En matière d’expulsion, la responsabilité d’une étude de commissaires de justice s’analyse classiquement en une perte de chance pour le créancier de récupérer le bien plus tôt, de percevoir les indemnités d’occupation, voire de le relouer et de percevoir des loyers.
En l’espèce, la [8] a informé l’ensemble des huissiers du territoire de la mise en service du système EXPLOC à compter du 1er janvier 2018 en application de l’article 152 de la loi N°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté qui a rendu obligatoire la dématérialisation via ce système des signalements et saisines parvenant au Préfet ou à la CCAPEX.
A la date du 10 janvier 2018, les huissiers du département des [Localité 7] avaient été informés qu’à [Localité 10], la Préfecture ne travaillait pas encore sur EXPLOC et que les actes devaient lui être adressés par courrier recommandé ou en les déposant au service du logement social sans risque de rejet.
Il est constant que le procès-verbal de réquisition de la force publique a été signifié à la Préfecture, en la personne de Mme [S] le 29 janvier 2018, la fiche de tournée versée aux débats par la SCP [11] qui justifie de l’effectivité de la remise de l’acte à cette date à 8h45 ne pouvant être remise en cause à défaut de preuve contraire.
Or, si en théorie la réquisition du concours de la force publique en matière d’expulsion des locaux à usage d’habitation par le commissaire de justice devait, à compter du 31 décembre 2017, s’effectuer par voie électronique par le biais de la plateforme électronique unique « EXPLOC », cette transmission dématérialisée n’est devenue effective sur la Préfecture des [Localité 7] qu’en date du 16 avril 2018.
Dès lors, à cette date, l’étude de commissaires de Justice aurait dû procéder à une transmission dématérialisée de la demande de réquisition de la force publique en utilisant la plateforme EXPLOC ; toutefois, la demande de réquisition n’a été enregistrée sur ce nouvel outil qu’à la date du 12 juillet 2018, et a dû être renouvelée à la demande de la Préfecture le 26 juillet 2018 puis le 02 août 2018.
La SCP [11] est seule responsable de ce retard anormal dans les opérations d’exécution, retard qui a généré un préjudice pour les consorts [V] qui doit s’analyser en une perte de chance de récupérer leur bien et de procéder aux travaux de réparations qui s’imposaient sur une période de 3 mois à compter du 16 avril 2018.
La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Ainsi, cette perte de chance ne doit pas se confondre avec le bénéfice que les consorts [V] auraient retiré de la survenance de l’évènement qui leur était le plus favorable, à savoir la mise en location immédiate des appartements au prix mensuel de 4 000€, qui est le montant de l’indemnité d’occupation retenue par le juge des référés dans son ordonnance rendue le 21 décembre 2017.
Le préjudice des consorts [V] consiste seulement en la perte d’une perspective d’obtenir ces loyers. Tenant compte de l’aléa inhérent à la date à laquelle les biens auraient été reloués et au prix de la location après travaux, la perte de chance des consorts [V] sera évaluée à hauteur de 50% de la valeur locative soit : (4 000€ x 3) x 50% = 6 000€.
S’agissant de la demande relative à l’indemnisation de leur préjudice né de la dégradation du bien à l’encontre de l’étude de commissaires de justice, celle-ci sera rejetée, seuls les squatteurs responsables des désordres commis étant susceptibles d’engager leur responsabilité pour faute.
Sur les demandes accessoires :
La SCP [11], qui succombe, sera condamnée aux entiers dépens.
Il n’est pas inéquitable de la condamner à payer aux consorts [V] la somme de 2 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.
LE TRIBUNAL, statuant après débats publics par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
DIT que la SCP [11] a engagé sa responsabilité civile professionnelle à l’égard de Messieurs [F] et [L] [V] ;
CONDAMNE la SCP [11] à payer à Messieurs [F] et [L] [V] la somme de 6 000€ à titre de dommages et intérêts ;
DEBOUTE Messieurs [F] et [L] [V] du surplus de leurs demandes ;
CONDAMNE la SCP [11] à payer à Messieurs [F] et [L] [V] la somme de 2 000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SCP [11] aux entiers dépens.
AINSI JUGE PAR MISE A DISPOSITION AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE CIVILE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MARSEILLE LE 09 Janvier 2025
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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