Interprétation des clauses contractuelles et effets des transactions sur les droits locatifs

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Interprétation des clauses contractuelles et effets des transactions sur les droits locatifs

L’Essentiel : Monsieur [O] [W] a donné à bail un local commercial à la SAS NEUFTEX en 1988. En novembre 2022, la SARL MORAN a acquis ce bien et a assigné la SAS NEUFTEX pour résiliation du bail en raison de loyers impayés. Le 24 mai 2024, une transaction a été homologuée par le juge. Le 31 mai, la résiliation a été signifiée, suivie d’un commandement de quitter les lieux le 5 juillet. La SAS NEUFTEX a contesté cette résiliation, arguant de la régularité de ses paiements. Cependant, le juge a confirmé la déchéance du terme, accordant un délai de six mois pour quitter les lieux.

Contexte du litige

Monsieur [O] [W] a donné à bail un local commercial à la SAS NEUFTEX le 28 septembre 1988. En novembre 2022, la SARL MORAN a acquis ce bien. Suite à des loyers impayés, la SARL MORAN a assigné la SAS NEUFTEX pour constater la résiliation du bail. Le 24 mai 2024, le juge des référés a homologué une transaction entre les parties, lui conférant force exécutoire.

Notification de résiliation

Le 31 mai 2024, la décision a été signifiée à la SAS NEUFTEX. Le 18 juin 2024, la SARL MORAN a informé la SAS NEUFTEX de la résiliation du bail en raison de l’impayé du loyer de juin et d’une échéance pour apurer les arriérés. Le 5 juillet 2024, un commandement de quitter les lieux a été délivré à la SAS NEUFTEX.

Contestation de l’expulsion

Le 8 août 2024, la SAS NEUFTEX a contesté l’acquisition de la déchéance du terme et a demandé un délai de grâce. L’affaire a été plaidée le 7 novembre 2024, où la SAS NEUFTEX a soutenu que la SARL MORAN ne pouvait pas se prévaloir de la déchéance du terme, arguant que l’ordonnance ne précisait pas les modalités d’application.

Arguments de la SAS NEUFTEX

La SAS NEUFTEX a affirmé que la déchéance du terme était irrégulière, précisant qu’elle avait respecté ses obligations de paiement, à l’exception d’un léger retard dû à des jours non ouvrés. Elle a également souligné la mauvaise foi de la SARL MORAN, qui a délivré un commandement sans mise en demeure préalable.

Réponse de la SARL MORAN

En réponse, la SARL MORAN a soutenu qu’elle avait un titre exécutoire pour l’expulsion et que la SAS NEUFTEX n’avait pas respecté l’échéancier de paiement convenu. Elle a également contesté la nature de la cession de fonds de commerce, affirmant qu’il s’agissait d’une cession du droit au bail.

Décision du juge de l’exécution

Le juge de l’exécution a statué sur la régularité de la procédure d’expulsion, confirmant que la SARL MORAN pouvait se prévaloir de la déchéance du terme en raison des retards de paiement. Il a également accordé à la SAS NEUFTEX un délai de six mois pour quitter les lieux, tenant compte de ses efforts pour respecter ses obligations et de son occupation prolongée des lieux.

Conclusion de la décision

Le juge a débouté la SAS NEUFTEX de sa demande de renvoi devant le juge des référés et a validé le commandement de quitter les lieux. La SAS NEUFTEX a été condamnée aux dépens de l’instance, sans indemnité pour la SARL MORAN.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la régularité de la procédure d’expulsion engagée par la SARL MORAN ?

La régularité de la procédure d’expulsion engagée par la SARL MORAN repose sur plusieurs articles du Code des procédures civiles d’exécution et du Code de l’organisation judiciaire.

Selon l’article L. 213-6 alinéa 1er du Code de l’organisation judiciaire, le juge de l’exécution est compétent pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée.

Cet article précise que le juge de l’exécution peut examiner les contestations même si elles portent sur le fond du droit, sauf si elles échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

De plus, l’article R. 121-1 du Code des procédures civiles d’exécution stipule que le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’exécution.

Cependant, il a la compétence pour accorder un délai de grâce après signification du commandement ou de l’acte de saisie.

Dans cette affaire, l’ordonnance du 24 mai 2024 a homologué une transaction entre les parties, lui conférant force exécutoire.

Les termes de cette transaction, bien que non reproduits intégralement dans le dispositif, ont été précisés dans les conclusions des avocats, ce qui permet de comprendre les obligations de la SAS NEUFTEX.

Ainsi, la SARL MORAN a pu se prévaloir de la déchéance du terme et de la résiliation du bail, car la SAS NEUFTEX n’a pas respecté les délais de paiement convenus.

Quelles sont les conditions de mise en œuvre de la clause de déchéance du terme ?

La mise en œuvre de la clause de déchéance du terme est régie par les dispositions contractuelles convenues entre les parties, ainsi que par les articles du Code civil et du Code de commerce.

L’article L. 145-41 du Code de commerce précise que le bailleur peut résilier le bail en cas de non-paiement des loyers.

En l’espèce, les parties avaient convenu que la suspension des effets de la clause résolutoire était subordonnée au paiement d’une mensualité de 3.310,74 € exigible le 15 de chaque mois, ainsi qu’au règlement du loyer courant au plus tard le 1er de chaque mois.

Il est établi que le loyer du mois de juin 2024, exigible le 1er, ainsi que la mensualité pour apurer la dette, n’ont été réglés que le 18 juin 2024.

De plus, les loyers des mois suivants ont également été réglés avec retard, ce qui constitue une violation des termes de l’accord.

Ainsi, la SARL MORAN a pu valablement se prévaloir de la déchéance du terme et de la résiliation du bail, conformément aux stipulations contractuelles.

La SAS NEUFTEX peut-elle obtenir un délai de grâce pour quitter les lieux ?

La possibilité d’accorder un délai de grâce est prévue par les articles L. 412-3 et L. 412-4 du Code des procédures civiles d’exécution.

L’article L. 412-3 stipule que le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, lorsque le relogement ne peut avoir lieu dans des conditions normales.

L’article L. 412-4 précise que la durée des délais ne peut être inférieure à un mois ni supérieure à un an, tenant compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations.

Dans le cas présent, la SAS NEUFTEX a démontré des efforts pour s’acquitter de ses obligations, malgré des difficultés économiques.

Elle a occupé les lieux pendant 36 ans et a tenté de trouver un repreneur pour préserver l’emploi de ses salariés.

Ces éléments témoignent de sa bonne volonté et justifient l’octroi d’un délai de grâce.

Cependant, le juge a limité ce délai à six mois pour respecter le droit de propriété de la SARL MORAN.

Quelles sont les conséquences de la décision du juge de l’exécution ?

La décision du juge de l’exécution a plusieurs conséquences importantes pour les parties impliquées.

Tout d’abord, la SAS NEUFTEX a été déboutée de sa demande de renvoi devant le juge des référés et de sa demande subsidiaire de sursis à statuer.

Cela signifie que le juge a considéré que la procédure d’expulsion était régulière et que les contestations soulevées par la SAS NEUFTEX n’étaient pas fondées.

Ensuite, le commandement de quitter les lieux délivré à la SAS NEUFTEX a été validé, ce qui permet à la SARL MORAN de poursuivre l’expulsion.

Enfin, le juge a accordé à la SAS NEUFTEX un délai de six mois pour quitter les lieux, ce qui lui permet de s’organiser pour son relogement tout en respectant les droits de la SARL MORAN.

En ce qui concerne les dépens, la SAS NEUFTEX a été condamnée à les payer, tandis que la SARL MORAN a été déboutée de sa demande au titre des frais non répétibles.

Cette décision souligne l’importance de respecter les obligations contractuelles et les procédures légales en matière de baux commerciaux.

Cour d’appel de Rennes
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RENNES
[Adresse 3] – tél : [XXXXXXXX01]
JUGE DE L’EXÉCUTION

Audience du 09 Janvier 2025
Affaire N° RG 24/05685 – N° Portalis DBYC-W-B7I-LEEP

RENDU LE : NEUF JANVIER DEUX MIL VINGT CINQ

Par Mélanie FRENEL, Juge chargé de l’exécution, statuant à Juge Unique.

Assistée de Annie PRETESEILLE, Greffier, lors des débats et lors du prononcé, qui a signé la présente décision.

ENTRE :

– La société NEUFTEX, société par actions simplifiée , ayant son siège social au [Adresse 2], représentée par son président, Monsieur [B] [K]

Ayant pour avocat constitué, maître Eric SURZUR , avocat au Barreau de RENNES au sein de la Selarl ALIENCE AVOCATS et pour avocat plaidant Maître Deborah COHEN TAIEB -GIOLLY AVOCAT – Avocate au Barreau de PARIS

Partie(s) demanderesse(s)

ET :

– S.A.R.L. MORAN, dont le siège social est sis [Adresse 4]
Ayant pour avocat Maître Marie-Caroline CLAEYS, SELARL MC2 AVOCAT, Avocat au Barreau de RENNES,

Partie(s) défenderesse(s)

DEBATS :

L’affaire a été plaidée le 07 novembre 2024, et mise en délibéré pour être rendue le 19 décembre 2024. A cette date le délibéré a été prorogé au 09 janvier 2025.

JUGEMENT :

En audience publique, par jugement Contradictoire
En PREMIER RESSORT, par mise à disposition au Greffe

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte du 28 septembre 1988, monsieur [O] [W] a donné à bail à la SAS NEUFTEX un local commercial situé [Adresse 5] à [Localité 6].

Par acte du 9 novembre 2022, la SARL MORAN a acquis le bien de monsieur [O] [W].

Plusieurs échéances du bail n’ayant pas été honorées, la SARL MORAN a fait assigner la SAS NEUFTEX devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Rennes à l’effet de voir constater la résiliation du bail.

Par ordonnance du 24 mai 2024, le juge des référés a homologué la transaction intervenue en cours d’instance entre les parties et lui a donné force exécutoire.

Cette décision a été signifiée à la SAS NEUFTEX par acte de commissaire de justice du 31 mai 2024.

Par l’intermédiaire de son conseil, la SARL MORAN a, par courrier daté du 18 juin 2024, informé la SAS NEUFTEX qu’elle considérait la résiliation du bail comme acquise du fait du défaut de règlement du loyer du mois de juin ainsi que de l’échéance destinée à apurer les arriérés exigible le 15 juin.

Par acte du 5 juillet 2024, la SARL MORAN a fait délivrer à la SAS NEUFTEX un commandement d’avoir à quitter les lieux pour le 13 juillet 2024.

Le 8 août 2024, la SAS NEUFTEX a fait assigner la SARL MORAN devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Rennes aux fins de contester l’acquisition de la déchéance du terme, le jeu de la clause résolutoire ainsi que le bénéfice de l’expulsion au profit du bailleur et subsidiairement, obtenir un délai de grâce.

Après un renvoi pour échange de pièces et conclusions entre les parties, l’affaire a été plaidée à l’audience du 7 novembre 2024, les conseils des parties reprenant à l’oral leurs écritures.

Par conclusions notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 5 novembre 2024, la SAS NEUFTEX demande au juge de l’exécution de :

“Vu les pièces versées au débat ;
Vu la jurisprudence citée ;
Vu l’article L213-6 du Code des Procédures Civiles d’Exécution ;
Vu l’article R. 121-1 al.2 du code des procédures civiles d’exécution ;
Vu l’Article L145-41 du Code de Commerce ;
Vu l’article 1224 du Code Civil ;
Vu l’article 510 du Code de procédure civile ;
Vu l’article R121-1 du code des procédures civiles d’exécution ;

A titre principal
Vu l’article 455 al.2 du Code de procédure civile ;
Vu la requête en omission de statuer déposée par la société MORAN auprès du juge des référés et attestant des difficultés d’interprétation de l’ordonnance ;

– Renvoyer au besoin les parties à se pourvoir au fond au regard de l’imprécision du dispositif de l’ordonnance homologuant l’accord entre les parties ou renvoyer directement la présente affaire devant le juge du fond;

A titre subsidiaire
– Surseoir à statuer dans l’attente de la décision à intervenir par le juge des référés sur le fondement de la requête en omission de statuer ;

A titre très subsidiaire
– Déclarer recevable la société NEUFTEX en ses demandes ;
– Juger qu’il n’y a pas lieu à déchéance du terme et par voie de conséquence à l’acquisition de la clause résolutoire ;

A titre extrêmement subsidiaire
Vu les articles L.412-3 et L.412-4 du Code des procédures civiles d’exécution ;
Vu le délai extrêmement court entre la date de l’échéance et la date de virement effectué;
Vu les difficultés économiques de la demanderesse confirmées par l’adoption du plan de continuation en cours ;
Vu le respect par la société NEUFTEX de l’accord conclu au titre du règlement mensuel des échéances, des loyers arriérés dès les mois de juin et juillet 2024 et la diminution effective de sa dette locative ;

– Accorder à la société NEUFTEX un délai de grâce de 12 mois ;
– Statuer ce que de droit quant aux dépens de l’instance.”

La SAS NEUFTEX affirme en substance que la SARL MORAN ne peut pas se prévaloir de l’acquisition de la déchéance du terme des délais de paiement qui suspendaient les effets de la clause résolutoire du bail dès lors que le dispositif de l’ordonnance sur le fondement de laquelle le commandement de quitter les lieux a été délivré, ne comporte aucune modalité d’application d’une déchéance du terme, le juge des référés ayant simplement homologué la transaction intervenue entre les parties au cours de l’instance, sans en reprendre les termes dans le dispositif.
Elle soutient qu’il n’entre pas dans les pouvoirs du juge de l’exécution de se substituer au juge du fond pour interpréter ou corriger les lacunes du dispositif du titre exécutoire sur le fondement duquel la SARL MORAN a engagé la procédure d’expulsion. Elle en veut pour preuve le fait que la bailleresse ait saisi le juge des référés d’une requête en omission de statuer. Elle estime que pour cette raison, il y a lieu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge des référés.

Subsidiairement, la SAS NEUFTEX soutient que la déchéance du terme a été irrégulièrement prononcée dans la mesure où elle est à jour de ses loyers ; que si un décalage de trois jours dans le paiement du mois de juin qui était exigible le 15 juin a été observé, c’est en raison des samedi et dimanche compris dans ce délai; que l’échéance du mois de juin 2024 qui a été payée le 18 juin 2024 n’accuse en réalité un retard que de 24 heures.

Elle se plaint de la mauvaise foi du bailleur qui, sans mise en demeure préalable, lui a fait délivrer un commandement de quitter les lieux sous huitaine alors qu’elle occupe les lieux depuis 36 ans et respecte depuis huit années un plan de continuation. Elle explique avoir retrouvé un repreneur et déposé une requête aux fins de modification du plan de continuation afin de lever la mesure d’inaliénabilité sur le fonds de commerce.

Elle pointe les conséquences économiques et sociales désastreuses si son expulsion des lieux litigieux avait lieu et conclut à la nécessité impérieuse de l’octroi d’un délai de grâce d’une année.

Par écritures en réplique notifiées par l’intermédiaire du réseau privé virtuel des avocats le 6 novembre 2024, la SARL MORAN demande au juge de l’exécution de :

“Vu les articles 1565 et suivants du Code de Procédure Civile
Vu l’article L. 145-41 du Code de Commerce
Vu l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 octobre 2023, (n°22-16.216),

– Débouter la SAS NEUFTEX de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– A titre subsidiaire, si un délai pour quitter les lieux était accordé, Le LIMITER à 3 mois.
– Condamner la SAS NEUFTEX à payer à la société MORAN la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.”

Pour s’opposer aux demandes de la SAS NEUFTEX, la SARL MORAN affirme qu’elle dispose bien d’un titre exécutoire pour poursuivre l’expulsion, à savoir l’ordonnance du juge des référés ayant homologué la transaction dont le juge de l’exécution peut apprécier la portée. Elle rappelle les dispositions de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire et en déduit qu’il n’est pas nécessaire d’attendre la décision du juge des référés sur la requête en omission de statuer qu’elle n’a du reste introduite qu’afin de préserver ses droits compte tenu de la contestation émise par la demanderesse.
La SARL MORAN soutient par ailleurs que la SAS NEUFTEX n’a pas respecté l’échéancier dont elles étaient convenues pour le règlement de l’arriéré locatif dont la première mensualité était exigible le 15 juin au plus tard, en plus du loyer courant exigible quant à lui au 1er juin ; qu’en effet, ce n’est qu’après réception d’un courrier du 18 juin 2024 l’informant de l’acquisition de la résiliation du bail que la SAS NEUFTEX a émis des ordres de virement.
Elle affirme que les indemnités d’occupation pour les mois de juillet, août et septembre 2024 ont également été réglées avec retard et nie toute mise en oeuvre abusive de la déchéance du terme, soulignant la récurrence des retards dans le paiement du loyer depuis qu’elle est propriétaire de l’immeuble et la patience dont elle a au contraire fait preuve.
A la SAS NEUFTEX qui se prévaut d’une cession de fonds de commerce, elle réplique qu’il s’agit en réalité d’une cession du droit au bail et que compte tenu des conditions posées dans le contrat de location, le preneur n’a pas la liberté de faire ce qu’il veut.
A propos de la demande de délais pour quitter les lieux, la SARL MORAN considère qu’elle n’est pas fondée, le magasin de [Localité 6] étant définitivement fermé.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, le juge de l’exécution se réfère aux conclusions susmentionnées des parties en application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

I – Sur la régularité de la procédure d’expulsion engagée

Sur la demande de renvoi devant le juge des référés et la demande subsidiaire de sursis à statuer

Selon l’article L. 213-6 alinéa 1er du Code de l’organisation judiciaire dans sa version applicable à la date des débats, le juge de l’exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

En vertu de l’article R.121-1 du Code des procédures civiles d’exécution, le juge de l’exécution ne peut ni modifier le dispositif de la décision de justice qui sert de fondement aux poursuites, ni en suspendre l’ exécution. Toutefois, après signification du commandement ou de l’acte de saisie, il a compétence pour accorder un délai de grâce.

En l’espèce, par ordonnance du 24 mai 2024, le juge des référés a :
“- constaté la régularisation d’une transaction dont le contenu a été transcrit par leurs avocats au moyen de conclusions concordantes déposée à l’audience et visées par le greffier”.
– constaté l’existence de concessions réciproques ;
– homologué cette transaction et lui a donné force exécutoire.”

Les parties s’opposent sur l’interprétation de ce dispositif, la SAS NEUFTEX soutenant qu’il est incomplet puisqu’il ne reprend pas les termes de l’accord qui comprenait une clause de déchéance du terme aux délais de paiement convenus avec la SARL MORAN, suspensifs du jeu de la clause résolutoire, et qu’il ne permet ainsi pas au juge de l’exécution de trancher le litige sauf à remettre en cause le titre exécutoire.

Mais le dispositif de l’ordonnance du 24 mai 2024, dénué d’équivoque, vise expressément le contenu de l’accord ayant été finalisé par les avocats et repris par des conclusions concordantes déposées à l’audience et visées par le greffier.

Or, selon ces conclusions qui sont communiquées dans le cadre de la présente procédure, les parties étaient convenues:
– d’un délai de paiement de 15 mois au profit de la SAS NEUFTEX pour s’acquitter de l’arriéré locatif représentant la somme de 49.661,12 € ;
– d’un échéancier avec des mensualités de remboursement de la dette locative d’un montant de 3.310,74 € exigibles le 15 de chaque mois ;
– d’une suspension des effets du jeu de la clause résolutoire en cas de respect de l’échéancier de remboursement de la dette locative et de paiement du loyer mensuel exigible au 1er de chaque mois ;
– en cas de défaut de paiement d’une échéance et/ou du loyer à bonne date, une déchéance du terme entraînant l’acquisition de la clause résolutoire et l’exigibilité immédiate de toutes les sommes dues, l’obligation au paiement d’une indemnité d’occupation mensuelle de 8.290,01 € par le preneur ainsi que l’obligation pour celui-ci de quitter les lieux.

La circonstance que le détail de la transaction n’ait pas été repris in extenso dans le dispositif de la décision est inopérant, le renvoi aux conclusions des parties étant suffisant pour connaître les termes de leur accord.

Il résulte de ce qui précède que le juge des référés a homologué l’intégralité de l’accord transactionnel conclu entre les parties, lequel stipulait une clause de déchéance du terme en cas de défaut de paiement.

Il n’y a donc aucunement lieu à surseoir à statuer ou renvoyer devant le juge des référés, la difficulté en lien avec la mesure d’expulsion ayant pu être tranchée dans le principe de l’intangibilité du titre exécutoire.

Sur la régularité de la mise en oeuvre de la clause de déchéance du terme

Les parties ont expressément subordonné la suspension des effets de la clause résolutoire au versement par le locataire d’une mensualité de 3.310,74 € exigible au plus tard le 15 de chaque mois en remboursement de la dette locative, ainsi qu’au règlement du loyer courant mensuellement et d’avance au plus tard le 1er de chaque mois faute de quoi,
– la résiliation était acquise à compter du 14 janvier 2024, l’intégralité de la dette devenait exigible ;
– une indemnité d’occupation de 8.290,01 € par mois était due à compter du 1er mai 2024 jusqu’à la libération complète des locaux loués ;
– le bailleur avait la possibilité de poursuivre l’expulsion de l’occupant des lieux.

Il résulte des pièces produites et il n’est pas discuté que le loyer du mois de juin 2024 qui était exigible le 1er du mois ainsi que la mensualité pour apurer la dette exigible quant à elle le 15 du mois, n’ont été réglées par la SAS NEUFTEX que le 18 juin.

Et si la SAS NEUFTEX a respecté le terme des mensualités de 3.310.74 € pour les mois de juillet, août, septembre et octobre, les loyers de ces mêmes mois ont en revanche été réglés le 05, le 08 ou le 10 du mois alors qu’ils devaient l’être au plus tard le 1er du mois.

Dans ces conditions, la SARL MORAN pouvait se prévaloir de la déchéance du terme et de la résiliation du bail.

Il est donc établi, au regard des éléments qui précèdent, que la procédure d’expulsion a été régulièrement engagée par la SARL MORAN sur la base de l’accord conclu avec la SAS NEUFTEX auquel le juge des référés a conféré force exécutoire par ordonnance du 24 mai 2024 qui constitue un titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du Code des procédures civiles d’exécution et qui a été préalablement signifié à la preneuse conformément à l’article 503 du Code de procédure civile.

II – Sur la demande de délai pour quitter les lieux

Aux termes de l’article L.412-3 du Code des procédures civiles d’exécution, le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l’expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales.
Le juge qui ordonne l’expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions.
Cette disposition n’est pas applicable lorsque le propriétaire exerce son droit de reprise dans les conditions prévues à l’article 19 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d’habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement, lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l’article L. 442-4-1 du Code de la construction et de l’habitation n’a pas été suivie d’effet du fait du locataire ou lorsque ce dernier est de mauvaise foi.
Les deux premiers alinéas du présent article ne s’appliquent pas lorsque les occupants dont l’expulsion a été ordonnée sont entrés dans les locaux à l’aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.

Conformément à l’article L.412-4 du même code dans sa version en vigueur à compter du 29 juillet 2023, la durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’ exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.

En l’espèce, indépendamment des retards de paiement, les efforts faits par la locataire pour s’acquitter chaque mois de l’indemnité d’occupation ainsi que des mensualités de remboursement alors qu’elle est confrontée à d’importantes difficultés économiques, témoignent de sa bonne volonté dans l’exécution de ses obligations.

Il ne peut par ailleurs être fait abstraction d’une occupation des lieux depuis trente-six années et des tentatives de la SAS NEUFTEX de trouver un repreneur afin de préserver l’emploi de ses salariés.

Par conséquent, il y a lieu de faire droit à la demande de délais de la SAS NEUFTEX pour quitter les lieux.

Le délai sera néanmoins limité à six mois afin de ne pas méconnaître trop durablement l’atteinte portée au droit de propriété de la SARL MORAN.

III – Sur les mesures accessoires

La présente décision étant prise dans l’intérêt de la SAS NEUFTEX, cette dernière conservera la charge des dépens.

L’équité ne commande toutefois pas qu’elle soit condamnée au paiement d’une indemnité au titre des frais non répétibles. La SARL MORAN sera en conséquence déboutée de ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS

Le juge de l’exécution, statuant publiquement, par jugement contradictoire mis à disposition au greffe et en premier ressort,

– DÉBOUTE la SAS NEUFTEX de sa demande de renvoi devant le juge des référés ainsi que de sa demande subsidiaire de sursis à statuer ;

– VALIDE le commandement de quitter les lieux en date du 5 juillet 2024 délivré à la SAS NEUFTEX ;

– ACCORDE à la SAS NEUFTEX un délai de six mois à compter de la présente décision pour quitter le local commercial situé [Adresse 5] à [Localité 6] ;

– DÉBOUTE la SARL MORAN de sa demande au titre des frais non répétibles ;

– CONDAMNE la SAS NEUFTEX au paiement des dépens de la présente instance.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe les jour, mois et an que dessus,

Le Greffier, Le Juge de l’Exécution,


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