L’Essentiel : Un bail commercial a été conclu entre monsieur [V] [M] et monsieur [X] [F] pour un local à Villenave d’Ornon, débutant le 11 juin 2008. En septembre 2022, le local a été vendu à la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, qui a délivré un congé avec refus de renouvellement. Monsieur [X] [F] a alors assigné la SCCV en paiement d’une indemnité d’éviction. Le tribunal a révoqué l’ordonnance de clôture, rappelant que le bailleur doit proposer un local de remplacement disponible. Faute de preuve de disponibilité, la SCCV est condamnée à verser une indemnité d’éviction à monsieur [X] [F].
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Exposé du litigeUn bail commercial a été conclu entre monsieur [V] [M] et monsieur [X] [F] pour un local à Villenave d’Ornon, débutant le 11 juin 2008 pour une durée de neuf ans. Ce bail a été tacitement prolongé après son expiration en 2017. En septembre 2022, le local a été vendu à la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, qui a ensuite délivré un congé avec refus de renouvellement pour le 30 juin 2023, invoquant son droit de reprise pour reconstruire l’immeuble et proposer un relogement au preneur. En février 2023, monsieur [X] [F] a assigné la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY en paiement d’une indemnité d’éviction. Prétentions et moyens des partiesMonsieur [X] [F] demande la révocation de l’ordonnance de clôture et le paiement d’une indemnité d’éviction, chiffrée à 340.497 euros, ainsi que d’autres indemnités pour remploi et trouble commercial. Il soutient que le local de remplacement n’existait pas au moment du congé et que le bailleur ne peut se soustraire à son obligation de paiement. La SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, quant à elle, demande le déboutement de monsieur [X] [F] et la condamnation de ce dernier à lui verser des dommages et intérêts, arguant que le preneur n’a pas l’intention de s’installer dans le nouveau local proposé. MotivationLe tribunal a décidé de révoquer l’ordonnance de clôture pour permettre à monsieur [X] [F] de répondre aux conclusions de la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY. Concernant l’indemnité d’éviction, le tribunal a rappelé que le bailleur doit proposer un local de remplacement immédiatement disponible pour éviter de payer cette indemnité. En l’espèce, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY n’a pas prouvé qu’un tel local était disponible, ce qui l’oblige à verser une indemnité d’éviction à monsieur [X] [F]. Demande reconventionnelleLa SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY a également demandé des dommages et intérêts pour le maintien abusif de monsieur [X] [F] dans les lieux. Cependant, le tribunal a jugé que ce maintien était justifié, car le bailleur n’avait pas respecté ses obligations légales en matière de congé. Par conséquent, la demande reconventionnelle a été rejetée. Frais du procès et exécution provisoireLe tribunal a réservé la décision sur les dépens et les frais irrépétibles, tout en rappelant que l’exécution provisoire du jugement est de droit. Une expertise judiciaire a été ordonnée pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction et d’occupation, avec des modalités précises pour la réalisation de cette expertise. Le tribunal a également fixé une provision à verser par la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY pour couvrir les frais de l’expertise. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article L145-18 du Code de commerce concernant le droit de reprise du bailleur ?L’article L145-18 du Code de commerce stipule que le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l’immeuble existant, à condition de payer au locataire évincé l’indemnité d’éviction prévue à l’article L145-14. Cet article précise également que le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent. Il est important de noter que l’offre d’un local de remplacement doit être immédiatement et définitivement disponible. L’offre d’un local provisoire, suivie d’une proposition d’un local dans l’immeuble reconstruit, n’est pas suffisante pour échapper à l’indemnité d’éviction. Dans le cas présent, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY n’a pas démontré qu’elle avait proposé un local de remplacement qui soit immédiatement et définitivement disponible, ce qui l’oblige à payer l’indemnité d’éviction. Quelles sont les conditions pour qu’un bailleur puisse échapper au paiement d’une indemnité d’éviction ?Pour qu’un bailleur puisse échapper au paiement d’une indemnité d’éviction, il doit respecter certaines conditions énoncées dans l’article L145-18 du Code de commerce. Tout d’abord, le bailleur doit offrir un local de remplacement qui soit immédiatement et définitivement disponible. L’article précise que le bailleur peut se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction en proposant un local correspondant aux besoins du locataire, situé à un emplacement équivalent. De plus, le bailleur doit mentionner dans l’acte de refus de renouvellement ou dans le congé les nouvelles conditions de location et doit permettre au locataire d’exercer son activité sans interruption. Dans l’affaire en question, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY n’a pas respecté ces conditions, car elle n’a pas fourni de preuve d’un local de remplacement disponible, ce qui entraîne son obligation de verser une indemnité d’éviction. Comment est déterminée l’indemnité d’éviction selon l’article L145-14 du Code de commerce ?L’article L145-14 du Code de commerce précise que l’indemnité d’éviction est égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail. Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée selon les usages de la profession, ainsi que les frais normaux de déménagement et de réinstallation. L’article indique également que le bailleur peut prouver que le préjudice est moindre, ce qui pourrait réduire le montant de l’indemnité due. Dans le cas présent, le montant de l’indemnité d’éviction doit être évalué en tenant compte de la valeur du fonds de commerce de monsieur [F], ainsi que des frais accessoires liés à son déménagement et à la perte d’exploitation pendant la période de reconstruction. Quelles sont les conséquences du maintien abusif dans les lieux selon l’article 1231-1 du Code civil ?L’article 1231-1 du Code civil stipule que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure. Dans le contexte d’un bail commercial, si un locataire se maintient abusivement dans les lieux après la fin du bail, le bailleur peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. Cependant, dans l’affaire en question, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY n’a pas réussi à prouver que le maintien de monsieur [F] dans les lieux était abusif, car elle n’a pas respecté ses obligations légales lors de la délivrance du congé. Ainsi, le locataire a le droit de rester dans les lieux jusqu’à ce que l’indemnité d’éviction soit versée, ce qui empêche le bailleur de réclamer des dommages et intérêts pour maintien abusif. |
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
30F
N° RG : N° RG 23/01714 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XSK7
Minute n° 2025/00
AFFAIRE :
[X] [U] [F]
C/
Société BELVEDERE CHAMBERY
Grosses délivrées
le
à
Avocats :
la SELARL BALLADE-LARROUY
la SELARL KPDB INTER-BARREAUX
Me Michel MARLINGE
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 09 JANVIER 2025
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré
Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente
Pascale BUSATO, greffier lors des débats
Isabelle SANCHEZ, greffier lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 07 Novembre 2024,
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile.
DEMANDEUR :
Monsieur [X] [U] [F]
né le 25 Mars 1977 à CENON (33150)
de nationalité Française
46, route de Pessac
Résidence Lousalot – Entrée | 1 – Appart. 159
33170 GRADIGNAN
représenté par Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant, Me Michel MARLINGE, avocat au barreau de BORDEAUX, avocat plaidant
N° RG : N° RG 23/01714 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XSK7
DEFENDERESSE :
Société BELVEDERE CHAMBERY, immatriculée au RCS de BORDEAUX sous le n°478 042 674
2, allée Saint-Joseph
33140 VILLENAVE-D’ORNON
représentée par Maître Pierre-olivier BALLADE de la SELARL BALLADE-LARROUY, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
EXPOSE DU LITIGE
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par contrat conclu les 05 et 11 juin 2008 monsieur [V] [M] a donné à bail commercial à monsieur [X] [F], à compter du 11 juin 2008 pour une durée de neuf ans, un local situé 70 route de Léognan à VILLENAVE D’ORNON (33140) pour l’exploitation d’un commerce de vente au détail de fruits et légumes. Le bail s’est poursuivi par tacite prolongation à son expiration le 10 juin 2017.
Par acte du 05 septembre 2022 monsieur [M] a vendu le local à la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY.
Par acte du 30 novembre 2022, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY a fait délivrer un congé pour le 30 juin 2023 avec refus de renouvellement au motif qu’elle souhaite exercer son droit de reprise au vu des dispositions de l’article L145-18 du code de commerce avec intention de reconstruire l’immeuble et d’offrir le relogement au preneur à la même adresse dans un local neuf sans changement de loyer et en prenant en charge les éventuels frais de déménagement.
Par acte délivré le 27 février 2023, monsieur [X] [F] a fait assigner la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY devant le tribunal judiciaire de Bordeaux en paiement d’une indemnité d’éviction.
La clôture est intervenue le 02 octobre 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 04 novembre 2024, monsieur [X] [F] sollicite du tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire de droit, de :
révoquer l’ordonnance de clôture du 02 octobre 2024 afin de déclarer recevable ses dernières conclusions, et à défaut déclarer irrecevable les conclusions et pièces de la SCCV BELVEDERE CHAMBERY déposées la veille de la clôture,à titre principal, condamner la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY à lui payer une indemnité d’éviction à hauteur de :340.497 euros au titre de l’indemnité principale,34.050 euros au titre de l’indemnité de remploi,19.933 euros au titre de l’indemnité de trouble commercial,une somme à fixer au titre des indemnités accessoires complémentaires (frais de déménagement et réinstallation, frais de licenciement de personnel),à titre subsidiaire condamner la SCCV BELVEDERE CHAMBERY à lui payer des dommages et intérêts à hauteur de :107.371 euros pour la privation d’activité pendant la période de reconstruction des locaux commerciaux,95.000 euros au titre du trouble commercial,une somme à fixer pour les frais de déménagement, la perte sur stocks, et les frais de licenciement du personnel,débouter la SCCV BELVEDERE CHAMBERY de ses demandes,en tout état de cause, condamner la SCCV BELVEDERE CHAMBERY au paiement des dépens avec droit de recouvrement direct au profit de maître Philippe LECONTE, et à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de sa demande en paiement d’une indemnité d’éviction, monsieur [F] fait valoir, sur le fondement de l’article L145-18 du code de commerce, que la SCCV BELVEDERE CHAMBERY ne peut se soustraire à son obligation de paiement d’une indemnité d’éviction dès lors que le local de remplacement prévu par ce texte doit réellement exister à la date du refus de renouvellement. Or, il expose qu’à la date de délivrance du congé avec refus de renouvellement le 30 novembre 2022, le local de remplacement n’existait pas, et que le bailleur n’était pas en mesure d’en mettre un à sa disposition. Il ajoute que le fait que le bail était en période de tacite prolongation, suite à son arrivée à terme le 10 juin 2017, sans délivrance de congé par le bailleur ni demande de renouvellement par le preneur ne fait pas obstacle au droit au versement de l’indemnité d’éviction. Il expose par ailleurs que la date du 30 juin 2023 pour laquelle le congé a été délivré n’est pas une date de fin de période triennale. Monsieur [F] fait valoir que le bailleur ne peut lui opposer son souhait de vendre son fonds de commerce en 2017, ce qui est sans lien avec la rupture du bail qu’elle a initié. Il soutient également que la proposition, formulée en cours de procédure, d’un local de remplacement dans des bungalows démontre l’absence de proposition d’un local de remplacement, d’autant plus qu’elle ne dit pas où ils seraient installés.
Monsieur [F] expose que les dispositions de l’article L145-28 du code de commerce autorisent son maintien dans les lieux pour y exercer son activité jusqu’au versement de l’indemnité d’occupation.
Sur le montant de l’indemnité d’éviction, au visa de l’article L145-14 du code de commerce, il prétend être fondé à obtenir une indemnité de remplacement en l’absence de transfert possible du fonds. Il chiffre le montant de l’indemnité principale en procédant à une moyenne entre l’évaluation des trois derniers chiffres d’affaires annuels (315.378 euros) et celle de la rentabilité de l’excédent brut d’exploitation auquel il applique un coefficient de 6 (365.616 euros). Il évalue de manière forfaitaire l’indemnité de remploi, l’indemnité pour trouble commercial, et expose ne pas être en mesure d’évaluer les autres postes qui nécessitent d’être étayés par des devis ou pièces comptables qui ne peuvent être produits.
Monsieur [F] S’oppose à la demande d’expertise qu’il estime prématurée, l’expert ne pouvant se prononcer sur la nature de l’indemnité, cette désignation ne pouvant intervenir que pour valoriser les indemnités qui auront été précisées par la juridiction. Il ajoute que les frais d’une éventuelle expertise ne pourront être mis à sa charge.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 02 octobre 2024, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, représentée par sa gérante la SAS CAPA PROMOTION demande au tribunal :
à titre principal, de débouter monsieur [X] [F] de l’intégralité de ses demandes, à titre subsidiaire, d’ordonner une expertise judiciaire, aux frais avancés du demandeur, afin de déterminer la juste indemnité due à monsieur [X] [F],à titre reconventionnel, de condamner monsieur [X] [F] à lui payer la somme de 193.595,88 euros de dommages et intérêts,en tout état de cause, de condamner monsieur [X] [F] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de sa demande principale, la société BELVEDERE CHAMBERY fait valoir, au visa des articles L145-9 et L145-18 du code de commerce, que le bailleur qui évince et propose un local de remplacement dans un futur immeuble construit ne peut pas proposer un local qui existe déjà. Elle ajoute que monsieur [F] n’a en réalité aucune intention de s’installer dans le nouveau local, en ce qu’il projette de céder son activité et qu’il n’avait pas sollicité le renouvellement du bail, alors que ce nouveau local est équivalent en surface, et mieux en esthétique, exposition et chalandise. Elle fait également valoir que le preneur ne l’a pas questionnée sur la localisation des bungalows envisagés pour la poursuite de son activité pendant les travaux.
S’agissant de l’indemnité d’éviction, la société BELVEDERE CHAMBERY soutient que seule une indemnité de déplacement aurait pu être envisagée mais qu’en l’espèce, il n’y aura aucune perte de clientèle, le fonds restant au même emplacement, ni aucune perte d’exploitation durant les travaux dès lors qu’elle a proposé une solution temporaire de relogement dans des bungalows. Elle expose par ailleurs qu’aucune indemnité accessoire n’est due, notamment aucune indemnité de remploi, seuls les frais de déménagement étant à sa charge et seront à chiffrer.
A l’appui de sa demande reconventionnelle, la société BELVEDERE CHAMBERY prétend, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, que locataire se maintient abusivement dans les lieux depuis l’expiration du bail le 30 juin 2023, malgré une proposition de relogement durant la réalisation des travaux, puis d’un local de remplacement dans le nouvel immeuble. Elle prétend que ce maintien abusif lui occasionne des difficultés, des désistements, des retards, et un risque d’abandon, dans le cadre de son projet de reconstruction. Elle soutient que le préjudice en résultant est caractérisé par le surcoût lié à un emprunt souscrit au mois d’août 2022 et à des frais de commissions d‘engagements ce qui a entraîné pour les associés une obligation d’avancer des sommes à hauteur de 712.000 euros sur le compte courant d’associés pour régler ces coûts en l’absence de trésorerie.
Sur la révocation de l’ordonnance de clôture
En vertu de l’article 803 du code de procédure civile, l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue ; la constitution d’avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation. / […] / L’ordonnance de clôture peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats, par décision du tribunal.
En l’espèce, les parties s’accordent sur la nécessité de révoquer l’ordonnance de clôture afin de permettre au demandeur de répondre aux conclusions notifiées le jour de cette ordonnance par le défendeur.
Par conséquent, il convient d’ordonner la révocation de l’ordonnance de clôture et de fixer la clôture au 07 novembre 2024.
Sur la demande d’indemnité d’éviction
Sur le droit à indemnité
En vertu de l’article L145-14 du code de commerce, le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.
L’article L145-18 du code de commerce dispose que le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l’immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l’indemnité d’éviction prévue à l’article L. 145-14. / […] / Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent. /Le cas échéant, le locataire perçoit une indemnité compensatrice de sa privation temporaire de jouissance et de la moins-value de son fonds. Il est en outre remboursé de ses frais normaux de déménagement et d’emménagement. / Lorsque le bailleur invoque le bénéfice du présent article, il doit, dans l’acte de refus de renouvellement ou dans le congé, viser les dispositions de l’alinéa 3 et préciser les nouvelles conditions de location. Le locataire doit, dans un délai de trois mois, soit faire connaître par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception son acceptation, soit saisir la juridiction compétente dans les conditions prévues à l’article L. 145-58. / […]
En application de ces dispositions, pour que le bailleur qui souhaite détruire et reconstruire son immeuble puisse se soustraire au paiement de l’indemnité d’éviction, il doit offrir un local de remplacement qui doit être immédiatement et définitivement disponible, l’offre d’un local provisoire, complétée par l’offre d’un local dans l’immeuble reconstruit n’étant pas suffisante.
En l’espèce, le congé délivré par le bailleur le 30 novembre 2022 mentionne qu’il « ne souhaite pas proposer d’indemnités d’éviction puisque [le preneur pourra] exercer [son] activité durant toute la durée du chantier en prenant soin de construire les deux immeubles alternativement », et qu’il offre un local dans la nouvelle construction.
Le bailleur évoque donc dans ce congé un local provisoire, mais sans expliciter lequel, avant la nouvelle location d’un local dans l’immeuble reconstruit.
Par ailleurs, s’il évoque, au cours de la procédure, la possibilité d’installer des Algecos, il convient de constater qu’il ne rapporte pas la preuve de la mise en œuvre effective de cette solution, étant relevé, qu’en tout état de cause compte tenu de son caractère provisoire, elle ne serait pas suffisante pour priver le preneur de son droit à indemnité. Enfin, la production en cours de procédure d’une photographie extérieure d’un bâtiment sur laquelle il est mentionné « entrée du commerce à louer » ne permet pas de démontrer qu’une proposition valide de déplacement du fonds de commerce dans un local immédiatement et définitivement disponible a été formulée.
Au regard de ces éléments, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY ne justifie donc pas remplir les conditions du texte susvisé, ni lors de la délivrance du congé, ni au cours de la procédure, dès lors qu’elle n’a pas mis le preneur en mesure d’exercer l’option prévue en lui exposant quel était le local de remplacement immédiatement et définitivement disponible, effectivement mis en place, et sans lui imposer des changements de locaux successifs.
Le fait que monsieur [F] ait pu avoir ou aurait un projet de cession de fonds de commerce est inopérant. En effet, cette éventualité ne fait pas disparaître l’obligation du bailleur qui souhaite reconstruire l’immeuble d’avoir à lui payer une indemnité d’éviction, ou pour y échapper de lui proposer un local immédiatement et définitivement disponible, pour la poursuite de l’exploitation de son fonds de commerce existant au jour de la délivrance du congé.
Le congé ayant été donné pour la fin du bail, la société SCCV BELVEDERE CHAMBERY est donc tenue au paiement d’une indemnité d’éviction.
Sur le montant de l’indemnité d’éviction
Par application de l’article L145-14 alinéa 2 du code de commerce, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.
En l’espèce, si le bailleur, qui ne démontre pas l’effectivité de son projet en produisant uniquement des plans sans aucune autorisation administrative, est présumé avoir l’intention de démolir et reconstruire, il résulte cependant des éléments produits au soutien de sa demande reconventionnelle que le projet serait en danger et largement retardé, celui-ci ne contestant pas que les travaux n’ont pas démarré comme le démontre le preneur par le constat d’huissier de justice.
En outre et en tout état de cause, en l’absence de justification d’une solution pérenne de local provisoire, le bailleur ne démontre pas la possibilité d’un transfert immédiat de celui-ci dans un local provisoire, conduisant ainsi à la perte du fonds si aucune activité ne pouvait être exercée durant la réalisation des potentiels travaux.
Enfin, la société BELVEDERE DE CHAMBERY ne rapporte pas la preuve que d’autres locaux, extérieurs à son propre projet, seraient disponibles à proximité permettant un déménagement du commerce exercé dans son local sans perte significative de clientèle.
Dans ces conditions, la délivrance du congé par la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY le 30 novembre 2022 conduit à la perte du fonds de commerce de monsieur [F] qui peut ainsi prétendre au bénéfice d’une indemnité de remplacement, outre les indemnités accessoires.
S’agissant du montant de ces indemnités, le rapport d’expertise non judiciaire produit par monsieur [F], et non corroboré par d’autres éléments de preuve n’est pas suffisant à établir la valeur des indemnités dues, et nécessite qu’un débat contradictoire soit instauré entre les parties sur ce point.
Par conséquent, il convient, avant dire droit sur la détermination du montant de l’indemnité d’éviction, mais également de l’indemnité d’occupation due par le preneur depuis la fin du bail, d’ordonner une expertise judiciaire, selon les modalités précisées au dispositif du présent jugement, aux frais avancés de la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, celle-ci étant débitrice de l’indemnité d’éviction suite à la délivrance d’un congé.
Sur la demande reconventionnelle
En vertu de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
En l’espèce, la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY ne démontre pas que le maintien du preneur dans les lieux suite à la délivrance du congé serait abusif, dès lors qu’il a été jugé précédemment qu’elle n’a pas respecté ses obligations légales lors de la délivrance d’un congé le 30 novembre 2022 pour ne pas avoir proposé soit de local de remplacement soit le versement d’une indemnité d’éviction. Le défaut de respect des conditions d’application du texte invoqué par le bailleur, autorise donc le preneur à se prévaloir du droit au maintien dans les lieux jusqu’au versement de l’indemnité d’éviction, tel que prévu par les dispositions de l’article L145-48 du code de commerce.
En outre, faute pour elle de démontrer la délivrance effective d’une autorisation administrative de réalisation des travaux, elle n’établit pas non plus que le retard pris et les frais supplémentaires occasionnés seraient la conséquence du maintien dans les lieux par monsieur [F].
Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient de débouter la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY de sa demande indemnitaire.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Dépens
En vertu de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.[…]
En l’espèce, la procédure poursuivant son cours compte tenu de la mesure d’expertise ordonnée, il convient de réserver la décision relative aux dépens.
Frais irrépétibles
En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer : 1° A l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; / […] / Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations. / Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu’elles demandent. / […]
En l’espèce, les dépens étant réservés, il convient de réserver l’examen des demandes au titre des frais irrépétibles.
Exécution provisoire
Conformément à l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
L’article 514-1 du code de procédure civile dispose que le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. / Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.
En l’espèce, il convient donc de rappeler que l’exécution provisoire du jugement est de droit.
Le tribunal,
Ordonne la révocation de l’ordonnance de clôture du 02 octobre 2024 et fixe la clôture au 07 novembre 2024 ;
Dit que la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, représentée par son gérant la SAS CAPA PROMOTION, est débitrice à l’égard de monsieur [X] [Z] [P] d’une indemnité d’éviction, suite à la délivrance d’un congé portant sur le local situé 70 route de Léognan à VILLENAVE D’ORNON (33140), dont l’indemnité principale sera une indemnité de remplacement ;
Déboute la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY, représentée par son gérant la SAS CAPA PROMOTION, de sa prétention indemnitaire ;
Avant dire droit sur la fixation du montant de l’indemnité d’éviction due par la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY à monsieur [X] [Z] [P], ordonne une mesure d’expertise, confiée à monsieur [S] [E], domicilié au 15 rue Albert Laurenson à Pessac (33600), avec pour mission de :
– de convoquer les parties, les entendre, recueillir leurs observations et y répondre,
– se faire communiquer dans les délais qu’il fixe tous documents utiles au bon accomplissement de sa mission,
– se déplacer dans les locaux commerciaux loués, situés 70 route de Léognan à VILLENAVE D’ORNON (33140), les décrire et donner tous éléments utiles quant à leur situation, se rendre sur les lieux et les décrire, entendre toutes parties et sachant dont la technicité s’avérerait utile à la solution du litige, se faire remettre tous documents nécessaires par les parties ou par des tiers conformément à l’article 243 du code de procédure civile, recueillir des informations écrites ou orales de toutes personnes selon les modalités de l’article 242 du code de procédure civile,
– donner tous éléments factuels de nature à déterminer et évaluer l’indemnité d’éviction due par la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY (indemnité de remplacement et indemnités accessoires) et l’indemnité d’occupation due par la monsieur [X] [F] à compter du 30 juin 2023,
– donner tous éléments utiles à l’accomplissement de sa mission ;
Fixe à la somme de 3.000 euros la provision que la SCCV BELVEDERE DE CHAMBERY devra consigner par virement sur le compte de la Régie du tribunal judiciaire de Bordeaux (Cf code BIC joint) mentionnant le numéro PORTALIS (figurant en haut à gauche sur la première page du present jugement) dans le délai de 2 mois, faute de quoi l’expertise pourra être déclarée caduque sauf pour l’autre partie à s’acquitter du paiement de cette somme, et ce à moins que cette partie ne soit dispensée du versement d’une consignation par application de la loi sur l’aide juridictionnelle, auquel cas les frais seront avancés par le Trésor, ou que le juge chargé du contrôle, à la demande d’une des parties se prévalant d’un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité ;
Dit que l’expert pourra commencer ses opérations sur justification du récépissé du versement de la provision délivré par le régisseur à la partie consignataire, à moins que le magistrat chargé du contrôle lui demande par écrit de les commencer immédiatement en cas d’urgence,
Dit que l’expert qui souhaite refuser sa mission en informera le service des expertises dans les 15 jours suivant la notification de la décision, SANS AUTRE AVIS DU GREFFE,
N° RG : N° RG 23/01714 – N° Portalis DBX6-W-B7H-XSK7
Dit que l’expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile,
Dit que l’expert devra établir un pré-rapport dans le délai de QUATRE MOIS suivant l’avis de consignation,
DIT que l’expert devra déposer son rapport en deux exemplaires au greffe du tribunal judiciaire, dans les SIX MOIS suivant l’avis de consignation, sauf prorogation accordée par le magistrat chargé du contrôle sur demande présentée avant l’expiration du délai fixé,
Dit qu’il appartiendra à l’expert d’adresser un exemplaire de son rapport à la demande du greffier de la juridiction du fond (par la voie électronique ou à défaut sur support papier),
Désigne madame le Juge de la Mise en Etat de la 5ème chambre civile, pour suivre le déroulement de la présente mesure d’instruction,
Dit que l’expert devra remplir personnellement la mission qui lui est confiée et répondre point par point et de façon claire, concise mais argumenter à chacune des questions qui lui sont posées,
Dit que l’expert devra préciser dans son rapport qu’il a donné un exemplaire de son rapport aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception,
Dit que l’expert devra prendre en considération les observations et déclarations des parties en précisant la suite qui leur aura été donnée,
Précise à cet égard que les dires des parties et les réponses faites par l’expert à ces dernières devront figurer en annexe du rapport d’expertise,
Rappelle à cet égard aux parties que les dires doivent concerner uniquement les appréciations techniques et que l’expert ne peut être saisi de questions de nature purement juridique,
Réserve les dépens ;
Réserve l’examen des demandes formées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présent jugement assorti de l’exécution provisoire de droit ;
Ordonne le renvoi du dossier à la mise en état continue du 05 NOVEMBRE 2025 aux fins de conclusion du demandeur après dépôt du rapport d’expertise ;
Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
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