Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Paris
Thématique : Interprétation des clauses d’exclusion en matière d’assurance face aux fermetures administratives liées à une crise sanitaire.
→ RésuméContexte de l’affaireLa SARL OMAJ exploite un fonds de commerce de restauration sous l’enseigne « LE CARROUSSEL » et est assurée par la SA ALLIANZ IARD via une police multirisque professionnelle. Le contrat, signé le 13 février 2019, inclut des dispositions particulières et une annexe Garantie « Compléments plus » qui couvre les pertes d’exploitation dues à une fermeture administrative, sauf en cas de contexte épidémique ou de violation délibérée des réglementations. Fermetures administratives liées à la Covid-19En réponse à la pandémie de Covid-19, le gouvernement français a imposé des mesures réglementaires interdisant aux restaurants d’accueillir du public à partir du 15 mars 2020, avec des prolongations jusqu’au 19 mai 2021. La société OMAJ a déclaré des sinistres à la SA ALLIANZ IARD pour les pertes d’exploitation subies durant ces périodes de fermeture. Refus de l’assureurLa SA ALLIANZ IARD a refusé de couvrir les pertes d’exploitation, arguant que les conditions de la garantie n’étaient pas remplies, notamment en raison de l’exclusion liée au contexte pandémique. En conséquence, la société OMAJ a assigné l’assureur en justice pour obtenir réparation. Jugement du tribunal de commerceLe tribunal de commerce de Paris a rendu un jugement le 20 décembre 2021, déclarant la garantie mobilisable et condamnant la SA ALLIANZ IARD à verser 265 977,39 euros à la SARL OMAJ, ainsi qu’une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’assureur a été débouté de ses autres demandes. Appel de la SA ALLIANZ IARDLa SA ALLIANZ IARD a interjeté appel le 10 janvier 2022, demandant l’infirmation du jugement et le déboutement de la société OMAJ de toutes ses demandes. L’assureur a soutenu que la fermeture administrative n’était pas avérée et que la clause d’exclusion était valide. Arguments de la SARL OMAJEn réponse, la SARL OMAJ a demandé la confirmation du jugement initial, affirmant que la garantie était acquise en raison des fermetures administratives imposées par les arrêtés gouvernementaux. Elle a également contesté la validité de la clause d’exclusion invoquée par l’assureur. Décision de la cour d’appelLa cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal de commerce, déclarant que la clause d’exclusion était valide et opposable à la SARL OMAJ. Elle a débouté la société de toutes ses demandes et a condamné la SARL OMAJ aux dépens, ainsi qu’à verser 5 000 euros à la SA ALLIANZ IARD au titre de l’article 700 du code de procédure civile. |
RÉPUBLIQUE FRAN’AISE
AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 8
ARRÊT DU 08 JANVIER 2025
(n° 2025/ 5 , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/01113 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFBB7
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 décembre 2021 – Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2021042228
APPELANTE
S.A. ALLIANZ IARD, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 542 110 291
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L34, ayant pour avocat plaidant Me Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P133
INTIMÉE
S.A.R.L. OMAJ, prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 817 397 490
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Jimmy SERAPIONIAN de la SELEURL CHR-AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : B768
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 octobre 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre
Madame FAIVRE, Présidente de Chambre
Monsieur SENEL, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame CHAMPEAU-RENAULT dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier lors des débats : Madame CHANUT
ARRÊT :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Madame CHANUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
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EXPOSÉ DU LITIGE
La SARL OMAJ exploite à [Localité 5] un fonds de commerce sous l’enseigne
« LE CARROUSSEL » dédié à l’activité de restauration/bar/brasserie.
Elle est assurée pour cette activité auprès de la SA ALLIANZ IARD selon une police multirisque professionnelle distribuée par la compagnie elle-même par l’intermédiaire d’agents ALLIANZ spécialisés dans le milieu H.C.R. (hôtel, café et restaurant).
Le contrat signé le 13 février 2019 est constitué des dispositions particulières n° 56287443, des dispositions générales COM16326 et de l’annexe Garantie « Compléments plus » Ref. COM 15150. Il est mentionné dans les dispositions particulières que le contrat est renouvelé par tacite reconduction, sauf dénonciation par l’une des parties moyennant un préavis de deux mois au moins avant la date d’échéance principale.
L’annexe Garantie « Compléments plus » comprend une extension de garantie « Pertes d’exploitation » qui stipule :
« Nous garantissons, également, la perte de marge brute que vous pouvez subir du fait de l’interruption ou de la réduction de votre activité consécutive […] à une fermeture administrative pour les professions alimentaires hors contexte épidémique ou pandémique et hors cas de violation délibérée de votre part du code de travail et de la réglementation régissant les conditions d’exercice de votre profession, y compris sur l’hygiène et la sécurité des personnes (…) ».
L’assuré qui exerce une profession alimentaire bénéficie ainsi d’une garantie fermeture administrative qui couvre la perte de marge brute subie du fait de l’interruption ou de la réduction de son activité pendant une période de six mois.
Dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus de la Covid-19, le gouvernement français a pris une série de mesures réglementaires dont l’interdiction, pour les restaurants, de recevoir du public à compter du 15 mars 2020, jusqu’au 15 avril 2020, interdiction prorogée jusqu’au 15 juin 2020 et renouvelée du 29 octobre 2020 jusqu’au 19 mai 2021.
La compagnie ALLIANZ IARD a reçu, par courriers d’avocat, deux déclarations de sinistre accompagnées d’une demande de désignation d’expert et deux demandes d’acomptes accompagnées du calcul de la perte d’exploitation provisionnelle au titre des deux périodes de fermetures administratives.
La compagnie ALLIANZ IARD a opposé un refus considérant que les conditions de la garantie n’étaient pas réunies.
Par acte d’huissier de justice en date du 10 septembre 2021, la société OMAJ, régulièrement autorisée par le président du tribunal de commerce de Paris, a assigné à bref délai la SA ALLIANZ IARD aux fins de la voir condamnée à lui payer les sommes de :
– 157.519 euros au titre dela « fermeture administrative du 15 mars 2020 » ;
– 212.161 euros au titre de la « fermeture administrative du 29 octobre 2020 » ;
– 18.484 euros au titre des honoraires d’expert d’assuré.
Par jugement du 20 décembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
– dit la garantie offerte par l’annexe Garantie « Compléments plus » REF COM 15150 mobilisable ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD à payer à la SARL à associé unique OMAJ la somme de 265 977,39 euros ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD à payer à la SARL à associé unique OMAJ la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.
Par déclaration électronique du 10 janvier 2022, enregistrée au greffe le
24 janvier 2022, la SA ALLIANZ IARD a interjeté appel.
Par conclusions récapitulatives d’appelante notifiées par voie électronique le 13 septembre 2024, la SA ALLIANZ IARD demande à la cour, au visa des articles L.112-4 et L.113-1 du code des assurances, de la jurisprudence, des pièces du dossier, de :
A TITRE PRINCIPAL :
– INFIRMER le jugement du 20 décembre 2021 en toutes ses disposition ;
STATUANT A NOUVEAU :
– débouter la société OMAJ de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– la condamner aux entiers dépens ainsi qu’au paiement d’une somme de 7 000 euros au profit de la société ALLIANZ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A TITRE SUBSIDIAIRE
– juger que toute indemnité doit être fixée conformément aux dispositions contractuelles, sous déduction des aides octroyées et des économies de charges, en tenant compte de la situation et du chiffre d’affaires qui aurait étécelui de la société OMAJ « en l’absence du sinistre » ;
– juger que la garantie est encadrée dans un double plafond de 6 mois maximum et de
195 000 euros et rejeter toute demande excédant ces plafonds ;
– déduire de toute indemnité la franchise contractuelle de trois jours.
Par conclusions récapitulatives d’intimée notifiées par voie électronique le
4 août 2024, la SARL OMAJ demande à la cour, au visa des articles 6, 1103 et 1104, 1119, 1189, 1190, 1231-1 et 1231-6 du code civil, des articles L.112-4 et L.113-1 du Code des assurances, de l4arrêté ministériel du 14 mars 2020, du décret du 23 mars 2020 n° 2020-293 et le décret du 29 octobre 2020 n° 2020-1310, du jugement entrepris, de la jurisprudence versée et mentionnées dans les écritures, de :
– CONFIRMER le jugement en ce qu’il a :
* dit que la garantie offerte par l’annexe Garantie « Complément plus » ref COM 15150 est mobilisable ;
* jugé que la compagnie ALLIANZ IARD devait garantir le société OMAJ de ses pertes d’exploitation du fait de la fermeture administrative de son établissement par l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 puis par le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 correspondent ;
* condamné la société ALLIANZ à indemniser la société OMAJ des pertes d’exploitation résultant de l’interruption totale ou partielle de son activité consécutive à l’évènement garanti « fermeture administrative » en relevant que l’exclusion qui doit être réputée non écrite pour une période maximale de 6 mois débutant le 15 mars 2020 pour le premier sinistre et débutant le 29 octobre 2020 pour le second sinistre jusqu’à retour à une exploitation normale ;
* débouté la compagnie ALLIANZ IARD à verser à la société OMAJ la somme de
1 000 euros au titre de l’article 700 ainsi qu’aux entiers dépens ;
* rejeté toutes les demandes de la compagnie ALLIANZ IARD ;
LE REFORMER POUR LE SURPLUS ET, STATUANT A NOUVEAU :
– dire et juger que l’article 1er de l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 ainsi que l’article 40 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 visant directement les restaurants et débits de boissons leur interdisant d’accueillir du public correspondent bien à une décision de fermeture administrative ;
– dire et juger que les conditions les conditions de la garantie pertes d’exploitation du fait de la fermeture administrative sont remplies en ce que l4article 1er de l’arrêté ministériel du 14 mars 2020 visant directement les restaurants et débits de boissons leur interdisant d’accueillir du public ainsi que les Décrets n°2020-293 et n°2020-1310 respectivement des 23 mars et 29 octobre 2020 correspondent bien à des décisions de fermeture administrative et que la demanderesse exerce bien une profession alimentaire ;
– dire et juger que l’exclusion de garantie qui prévoit que cette garantie n’est due qu’ « hors contexte épidémique ou pandémique et hors cas de violation délibérée de votre part (ou de la part de la direction de l’entreprise, personne morale) du code du travail et de la règlementation régissant les conditions d’exercice de votre profession, y sur compris sur l’hygiène et la sécurité des personnes » ne peut valablement être opposée par l’assureur en ce qu’elle :
‘ n’est pas très apparente au sens des dispositions de l’article L. 112-4 du code des assurances ;
‘ doit être interprétée pour déterminer si les deux conditions de la clause d’exclusion, réunies par la conjonction « et » doivent être lues de manière cumulatives ou alternatives ;
‘ n’est pas limitée au sens de l’article L.113-1 du code des assurances dans sa deuxième branche en ce qu’elle fait état de « violation délibérée de votre part (ou de la part de la direction de l’entreprise, personne morale) du Code du travail et de la règlementation régissant les conditions d’exercice de votre profession, y compris sur l’hygiène et la sécurité des personnes », ce qui n’est pas limité ;
DIRE et JUGER que la garantie fermeture de l’établissement sur ordre des autorités s’étend sur une durée maximale de 6 mois pour chacun des deux sinistres ;
– condamner ALLIANZ I.A.R.D à verser à la société OMAJ la somme de 388 164 euros, décomposée comme suit :
* 157 519 euros au titre de la perte d’exploitation subie du fait de la première fermeture administrative du 15 mars 2020 ;
* 212 161 euros au titre de la perte d’exploitation subie du fait de la seconde fermeture administrative du 29 octobre 2020 ;
* 18 484 euros au titre des honoraires de l’expert d’assuré pris en charge par la police ;
– condamner la société ALLIANZ IARD à verser à la société OMAJ des dommages et intérêts consistant dans l’intérêt au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 25 juillet 2021 et ce jusqu’à l’exécution de la décision à intervenir ;
– condamner ALLIANZ I.A.R.D. à verser à la société OMAJ la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance en ce compris les frais de saisine du tribunal de commerce, les frais de signification de l’assignation introductive de la présente instance ainsi que les frais de signification de la décision à intervenir.
Pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter aux conclusions ci-dessus visées conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 16 septembre 2024.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant en dernier ressort, contradictoirement et publiquement par mise à disposition de la décision au greffe,
INFIRME le jugement en ce qu’il a :
– dit la garantie offerte par l’annexe Garantie « Compléments plus » REF COM 15150 mobilisable ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD à payer à la SARL à associé unique OMAJ la somme de 265 977,39 euros ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD à payer à la SARL à associé unique OMAJ la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SA ALLIANZ IARD aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 70,86 euros dont 11,60 euros de TVA.
Statuant sur les chefs infirmés et y ajoutant,
Dit que c’est l’Annexe Garanties ‘Complément Plus’ dans sa version V04/11 qui est applicable ;
Dit que les conditions de mise en oeuvre de l’extension de garantie au profit de la SARL OMAJ sont réunies ;
Dit cependant que la clause d’exclusion de garantie invoquée par la compagnie ALLIANZ IARD est valide et opposable à l’assurée, la SARL OMAJ, en ce qu’elle est très apparente, formelle et limitée ;
Déboute la SARL OMAJ de l’ensemble de ses demandes ;
Rappelle que le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ;
Condamne la SARL OMAJ aux entiers dépens et à payer à la compagnie ALLIANZ IARD, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité de 5 000 euros ;
Déboute la SARL OMAJ de sa propre demande formée de ce chef ;
Déboute les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE
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