Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Lyon
Thématique : Conflit de voisinage et troubles anormaux : enjeux d’expertise et de preuve
→ RésuméContexte de l’affaireMme [W] [C] est propriétaire d’une maison à [Localité 6], voisine d’une parcelle acquise par M. [U] et Mme [V]. Ces derniers ont obtenu un permis de construire le 11 février 2020 pour édifier leur maison, ce qui a suscité l’opposition de Mme [C], qui craint une perte de tranquillité et d’intimité en raison de sa condition d’hyperacousie. Échecs de conciliation et décisions judiciairesAprès un constat d’échec de conciliation en juillet 2021, le tribunal administratif a rejeté la demande d’annulation du permis de construire de Mme [C] en novembre 2021. Les travaux de construction ont été achevés, et les consorts [U]-[V] ont emménagé en janvier 2023. Suite à des tentatives de conciliation infructueuses, Mme [C] a assigné ses voisins en référé-expertise en juin 2023. Décision du Tribunal JudiciaireLe 7 novembre 2023, le président du Tribunal Judiciaire de Lyon a débouté Mme [C] de sa demande d’expertise, considérant que les ouvertures de la maison des défendeurs respectaient les distances minimales et qu’aucun rehaussement de terrain n’avait été effectué. Il a également noté qu’un accord avait été trouvé pour remédier à un empiétement sur la propriété de Mme [C] et qu’aucune aggravation de servitude d’écoulement d’eau n’avait été constatée. Appel de Mme [C]Mme [C] a interjeté appel de cette décision le 31 janvier 2024, demandant l’infirmation de l’ordonnance et la désignation d’un expert pour évaluer les troubles anormaux de voisinage, les nuisances sonores, et les désordres sur sa propriété. Elle a fondé ses demandes sur l’article 145 du Code de procédure civile, arguant que le respect des distances ne préjuge pas de l’absence de troubles anormaux. Arguments de Mme [C]Dans ses écritures, Mme [C] a souligné la perte d’intimité et les nuisances sonores causées par ses voisins. Elle a contesté l’accord non signé concernant l’empiétement et a remis en question les travaux de raccordement des eaux, affirmant que les preuves de ces travaux n’avaient pas été fournies. Elle a également demandé une expertise pour évaluer les préjudices subis et les solutions pour remédier aux troubles. Réponse des défendeursM. [U] et Mme [V] n’ont pas conclu à l’appel, laissant la cour statuer sur les éléments fournis par Mme [C]. La cour a rappelé que les pièces produites en première instance ne sont pas acquises aux débats et que la partie qui ne conclut pas s’approprie les motifs du jugement. Analyse de la courLa cour a examiné la demande d’expertise à la lumière des articles 145 et 146 du Code de procédure civile. Elle a conclu que les faits étaient suffisamment connus et que Mme [C] pouvait produire les éléments de preuve nécessaires sans recourir à une expertise. Les nuisances sonores et les désordres allégués ne nécessitaient pas d’investigations techniques, et la cour a confirmé que Mme [C] ne justifiait pas d’un motif légitime pour ordonner une expertise. Conclusion de la courLa cour a confirmé l’ordonnance du 7 novembre 2023, déboutant Mme [C] de sa demande d’expertise et la condamnant aux dépens de l’instance d’appel. |
N° RG 24/00865 – N° Portalis DBVX-V-B7I-POFF
Décision du Tribunal de Grande Instance de Lyon au fond du 07 novembre 2023
RG : 23/00993
[C]
C/
[U]
[V]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE LYON
8ème chambre
ARRÊT DU 08 Janvier 2025
APPELANTE :
Mme [W], [G], [E] [Y] née [C]
née le [Date naissance 2] 1974 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Anne-charlotte GOURSAUD-TREBOZ, avocat au barreau de LYON, toque : 1074
INTIMÉS :
M. [O] [U]
né le [Date naissance 1] 1993 à [Localité 12]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Mme [D] [V]
née le [Date naissance 5] 1990 à [Localité 11]
[Adresse 7]
[Localité 6]
Représentés par Me Emmanuelle DELAY de la SELARL ISEE, avocat au barreau de LYON, toque : 228
* * * * * *
Date de clôture de l’instruction : 20 Novembre 2024
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 20 Novembre 2024
Date de mise à disposition : 08 Janvier 2025
Composition de la Cour lors des débats et du délibéré :
– Bénédicte BOISSELET, président
– Véronique DRAHI, conseiller
– Nathalie LAURENT, conseiller
assistés pendant les débats de William BOUKADIA, greffier
A l’audience, un membre de la cour a fait le rapport,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
Signé par Bénédicte BOISSELET, président, et par William BOUKADIA, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
* * * *
EXPOSÉ DU LITIGE
Mme [W] [C] est propriétaire d’une maison située [Adresse 4] à [Localité 6], contiguë à la parcelle figurant au cadastre section BO numéro [Cadastre 3] acquise par M. [U] et Mme [V].
Le 11 février 2020, ces derniers ont obtenu un permis de construire pour y édifier leur maison et par lettre recommandée du 1er mars 2020, Mme [C] a exposé à ses voisins sa ferme opposition à leur projet de construction aux motifs qu’il était de nature à faire perdre à sa maison sa tranquillité et l’absence de vis-à-vis, qualités les plus importantes pour elle dans la mesure notamment où elle souffre d’hyperacousie.
Le 8 juillet 2021, le conciliateur de justice, saisi par M. [U], a établi un constat d’échec et le 12 novembre 2021, le tribunal administratif, saisi par Mme [C] a rendu un jugement rejetant la demande d’annulation du permis de construire accordé par le maire de Lentilly.
Les consorts [U]-[V] ont mené la construction jusqu’à son terme et ils ont emménagé dans la maison édifiée en janvier 2023.
Après l’échec de nouvelles tentatives de conciliation par l’entremise des avocats des parties, Mme [C] a, par exploit du 6 juin 2023, fait assigner ses voisins en référé-expertise et, par ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023, le président du Tribunal Judiciaire de Lyon a débouté Mme [W] [C] de sa demande d’expertise, dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du Code de procédure civile et condamné Mme [W] [C] aux dépens.
Le premier a retenu en substance’:
Que la maison des défendeurs comprend des ouvertures positionnées à 10 mètres de la limite séparative des deux propriétés, conforme dès lors à la distance minimale prévue par l’article 678 du Code civil’; qu’étant rappelé que la jurisprudence assimile aux ouvertures les exhaussements de terrain, ce qui n’est pas le cas lorsque la possibilité de voir résulte de la pente naturelle du sol, il n’est pas soutenu que les défendeurs aient procédé à un rehaussement de terrain pour leur construction’; que dès lors, Mme [C] ne justifie pas d’un motif légitime à voir ordonner une expertise pour vérifier l’existence de vues sur son fonds’;
Que le débord sur le terrain de la demanderesse a été rebouché avec du béton, des cailloux et remblai au lieu et place de la terre végétale’; que toutefois, les défendeurs justifient d’un accord intervenu le 12 août 2023 pour enlever le gravier et remettre la terre végétale’; que même non signé, l’engagement des défendeurs rend l’expertise inutile’;
Que l’huissier n’a pas constaté de déversement d’eau susceptible de caractériser une aggravation de servitude d’écoulement d’eau et les défendeurs justifient de travaux intervenus pendant l’été de raccordement des eaux au réseau sous le [Adresse 8] au moyen d’une cuve de rétention et d’une pompe de relevage, ainsi qu’un certificat de conformité de cette installation’; que dès lors, Mme [C] ne justifie pas d’un motif légitime actuel à voir ordonner une expertise sur ce point’;
Que la demanderesse ne produit aucun élément rendant vraisemblable les nuisances sonores liées à la maison désormais achevée.
Par déclaration en date du 31 janvier 2024, Mme [W] [C] a relevé appel de cette décision en tous ses chefs et, par avis de fixation du 23 janvier 2023 pris en vertu de l’article 905 et suivants du Code de procédure civile, l’affaire a été fixée à bref délai.
***
Aux termes de ses écritures remises au greffe par voie électronique le 6 mars 2024 (conclusions), Mme [W] [C] demande à la cour’:
D’infirmer l’ordonnance l’ayant débouté de sa demande d’expertise,
D’ordonner une mesure d’expertise judiciaire,
De désigner tel expert qu’il plaira au Juge des référés avec pour mission :
Convoquer les parties
Recueillir leurs explications et doléances
Prendre connaissance des documents de la cause
Se rendre au [Adresse 4]
Fournir tous les renseignements d’ordre technique ou de fait permettant d’apprécier les responsabilités encourues et de se prononcer quant à la réalité des troubles anormaux du voisinage dont se plaint Mme [C] et relatés dans le constat d’huissier dressé par Me [F] le 27 janvier 2023,
Donner son avis sur l’empiétement réalisé sur la propriété de Mme [C] et préconiser les travaux de nature à remettre les lieux en état
Constater l’existence des désordres visés dans l’assignation et constat,
Donner son avis sur les préjudices allégués par Mme [C] et notamment chiffrer le montant de l’indemnité au titre du préjudice de jouissance et des troubles engendrés dans ses conditions d’existence
Préconiser les travaux de nature à faire cesser les troubles
Chiffrer le montant de l’éventuelle dépréciation subie par le bien immobilier de Mme [C] en raison de la construction érigée sur le terrain contigu par M. [U] et Mme [V],
De statuer ce que de droit sur les dépens.
Elle fonde ses demandes sur l’article 145 du Code de procédure civile et sur la théorie des troubles anormaux de voisinage et elle rappelle d’abord que le respect des distances prescrites par le Code civil concernant les vues n’exclut pas la preuve d’un trouble anormal de voisinage comme rappelé par la cour de cassation, notamment lorsqu’un immeuble en surplombe un autre. Elle ajoute qu’il est encore jugé que les distances prescrites par l’article 678 ne s’appliquent pas qu’aux ouvertures types fenêtres et balcons mais également aux terrasses et exhaussements de terrains. Elle fait valoir que la butte de terre installée par ses voisins depuis désormais trois ans aggrave les nuisances qu’elle subit.
Elle déplore subir une perte d’intimité ainsi que des gênes occasionnées quand ses voisins occupent bruyamment leurs espaces extérieurs, ce qui est fréquent.
Concernant les bordures béton, elle relève que l’empiétement qu’elle dénonce n’est pas contesté et elle considère que la circonstance que M. [U] se soit engagé à remettre en état le terrain aux termes d’un accord non signé ne pouvait pas la priver de son droit à expertise, d’autant moins que cet engagement n’est toujours pas respecté.
Concernant les canalisations, elle relève que le juge des référés s’est fondé sur de prétendus travaux de raccordement réalisés par ses voisins qui n’avaient pourtant produit aucune facture pour en attester. Elle affirme qu’en réalité, le compte-rendu de la société Suez-Environnement ne portait que sur le branchement des eaux usées et des eaux pluviales et non sur les canalisations et leurs débordements sur son fonds. En outre, elle estime que le juge des référés a outrepassé ses pouvoirs en appréciant la question de fond de la réalité de l’aggravation de la servitude.
Concernant l’objet de l’expertise à ordonner, elle souhaite voir constater les désordres qu’elle dénonce mais elle sollicite en outre que l’expert se prononce sur les solutions de réparations pour mettre fin au trouble. Elle rappelle que ses voisins ont créé 6 vues directes plongeantes sur son fonds et elle déplore une perte substantielle de la jouissance de sa maison traversante et de son jardin. Elle déplore l’absence de toute végétalisation sur les 37 mètres de longueur du terrain de ses voisins et elle fait état d’une perte de valeur de 30’000 € de son bien en l’absence de haie, ramenée à 21’000 € si une haie était implantée. Elle affirme qu’une canalisation d’eau avec un exécutoire a été installée se déversant sur sa parcelle sans son autorisation, ni information, ni autorisation administrative. Elle avance que les eaux sont canalisées pour éviter leur retraitement en violation du permis de construire et des règles civiles. Elle affirme que l’empiétement, qualifié de mineur par ses voisins, est encore présent.
***
M. [O] [U] et Mme [D] [V], qui ont constitué avocat et auxquels la déclaration d’appel a été notifiée 20 février 2024, n’ont pas conclu.
***
Il est renvoyé aux écritures de la partie appelante pour plus ample exposé des moyens venant à l’appui de ses prétentions.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme l’ordonnance de référé rendue le 7 novembre 2023 par le président du Tribunal Judiciaire de Lyon en toutes ses dispositions.
Y ajoutant,
Condamne Mme [W] [C] aux dépens de l’instance d’appel.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Laisser un commentaire