Évaluation du taux d’incapacité permanente : enjeux et incertitudes liées à l’état antérieur.

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Évaluation du taux d’incapacité permanente : enjeux et incertitudes liées à l’état antérieur.

L’Essentiel : Monsieur [D] [Z], embauché en 2001, a déclaré un accident du travail en mai 2016, entraînant une atteinte à l’épaule gauche. La Caisse primaire d’assurance maladie a reconnu l’accident, fixant un taux d’incapacité permanente à 15%. Contestée par l’employeur, la CMRA a réduit ce taux à 10%. En mars 2021, le tribunal a ordonné une expertise, dont les conclusions, reçues en novembre 2023, ont proposé un taux de 8%. Le tribunal a finalement statué en faveur de ce taux, condamnant la CPAM des Yvelines aux dépens et précisant que les frais d’expertise incombaient à la Caisse nationale d’assurance maladie.

Embauche et Accident de Travail

Monsieur [D] [Z], né le 1er janvier 1968, a été embauché en tant qu’auditeur contrôleur au sein de la société [6] devenue [7] à partir du 9 avril 2001. Le 26 mai 2016, il a déclaré un accident du travail survenu alors qu’il posait un volet A51 sur la table, ressentant une douleur. Cette déclaration a été accompagnée d’un certificat médical indiquant une atteinte à la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche.

Prise en Charge et Taux d’Incapacité

La Caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle. La date de consolidation a été fixée au 18 septembre 2020, et un taux d’incapacité permanente (IPP) de 15% a été notifié à l’employeur le 6 octobre 2020. La société a contesté cette décision par l’intermédiaire de son conseil en saisissant la commission médicale de recours amiable (CMRA).

Contestation et Expertise

Lors de sa séance du 10 mars 2020, la CMRA a réduit le taux d’IPP à 10%. Par la suite, le 24 mars 2021, la société a saisi le pôle social du Tribunal Judiciaire de Versailles pour contester cette évaluation. Le tribunal a ordonné une expertise confiée au docteur [X], qui devait évaluer le taux d’incapacité de Monsieur [D] [Z] à la date de consolidation.

Rapport d’Expertise et Audiences

Le rapport du docteur [X] a été reçu le 17 novembre 2023 et a été notifié aux parties. L’affaire a été fixée pour plaidoirie au 5 novembre 2024. La société a demandé au tribunal d’entériner les conclusions de l’expert, fixant le taux d’IPP à 8%, tout en mettant à la charge de la CPAM les frais d’expertise.

Arguments des Parties

La CPAM des Yvelines a soutenu les conclusions de la CMRA, demandant le maintien du taux d’IPP à 10%. Elle a contesté les conclusions de l’expert, arguant que l’état antérieur n’était pas certain et que l’accident n’avait eu aucune incidence professionnelle. Les frais d’expertise ont également été discutés, la CPAM affirmant qu’ils devaient être à sa charge.

Décision du Tribunal

Le tribunal a fixé le taux d’incapacité permanente partielle à 8% pour Monsieur [D] [Z]. Il a également condamné la CPAM des Yvelines aux dépens, rappelant que les frais d’expertise sont à la charge de la Caisse nationale d’assurance maladie. La décision a été rendue publique et doit être notifiée aux parties, avec un délai d’appel d’un mois.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la méthode de détermination du taux d’incapacité permanente selon le Code de la sécurité sociale ?

Le taux d’incapacité permanente est déterminé selon l’article L. 434-2 alinéa 1 du Code de la sécurité sociale, qui stipule que :

« Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. »

Cette disposition souligne l’importance de plusieurs facteurs dans l’évaluation de l’incapacité, notamment l’état de santé général de la victime et ses capacités professionnelles.

De plus, l’article R. 434-32 alinéas 1 et 2 précise que :

« Au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l’existence d’une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit. »

Il est donc essentiel que l’évaluation prenne en compte l’ensemble des éléments médicaux et professionnels pour établir un taux juste et équitable.

Comment le tribunal évalue-t-il l’état antérieur de la victime dans le cadre d’un accident du travail ?

L’évaluation de l’état antérieur de la victime est cruciale dans le cadre de la détermination du taux d’incapacité permanente. Selon le jugement, l’expert a relevé un état antérieur avec une très légère atrophie graisseuse du supra-épineux, objectivée par une IRM postérieure à l’accident.

Le tribunal a noté que :

« L’incidence de cet état antérieur sur les séquelles n’est pas certain, l’expert relevant uniquement une « possibilité » d’exaspération. »

Cela signifie que, même si un état antérieur est reconnu, il doit être prouvé que cet état a eu un impact significatif sur les séquelles de l’accident.

Le tribunal a donc décidé d’écarter l’état antérieur, car il n’était pas démontré que cet état avait aggravé les conséquences de l’accident. Cette approche est conforme à la jurisprudence qui exige une évaluation rigoureuse des antécédents médicaux de la victime.

Quelles sont les conséquences financières pour la partie perdante dans un litige relatif à un accident du travail ?

Les conséquences financières pour la partie perdante sont régies par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que :

« La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. »

Dans le cas présent, la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines, ayant succombé dans ses demandes, a été condamnée aux entiers dépens.

De plus, l’article L. 142-11 du Code de la sécurité sociale précise que :

« Les frais de l’expertise sont à la charge de la caisse nationale d’assurance maladie. »

Cela signifie que, dans les litiges relatifs aux accidents du travail, la caisse est responsable des frais d’expertise, ce qui peut avoir un impact significatif sur les finances de la caisse et sur la gestion des litiges.

Pôle social – N° RG 21/00306 – N° Portalis DB22-W-B7F-P5EQ

Copies certifiées conformes  délivrées,
le :
à :
– Société [6] devenue [7]
– CPAM DU VAL D’OISE
– Me Guillaume BREDON
N° de minute :

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
POLE SOCIAL

CONTENTIEUX MEDICAL DE LA SECURITE SOCIALE

JUGEMENT RENDU LE MERCREDI 08 JANVIER 2025

N° RG 21/00306 – N° Portalis
Code NAC : 89E

DEMANDEUR :

Société [6]
devenue [7]
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Guillaume BREDON, avocat au barreau de PARIS,
substitué par Me Clara CIUBA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DÉFENDEUR :

CPAM DU VAL D’OISE
[Adresse 5]”
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Mme [T] [V], munie d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

Madame Marie-Sophie CARRIERE, Vice-présidente
Monsieur [O] [R], Représentant des employeurs et travailleurs indépendants
Monsieur [M] [E], Représentant des salariés

Madame Marie-Bernadette MELOT, Greffière

DEBATS : A l’audience publique tenue le 05 Novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 08 Janvier 2025.

FAITS ET PROCÉDURE

Monsieur [D] [Z], né le 1er janvier 1968 a été embauché, à compter du 09 avril 2001, en qualité d’auditeur contrôleur au sein de la société [6] devenue [7].

Le 26 mai 2016, la société [6] devenue [7] a établi une déclaration d’accident du travail survenu le jour même dans les circonstances suivantes: “ déclare avoir ressenti une douleur en posant un volet A51 sur la table pour le contrôler”. Cette déclaration d’accident du travail était accompagnée d’un certificat médical initial en date du 26 mai 2016 faisant état d’une “atteinte coiffe des rotateurs épaule gauche”.

La Caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise (Ci-après la caisse) a pris en charge cet accident au titre de la législation professionnelle.

La date de consolidation a été fixée au 18 septembre 2020 et un taux d’incapacité permanente (IPP) de 15% a été notifié à l’employeur par une décision de la caisse en date du 06 octobre 2020.

Par courrier daté du 27 octobre 2020, la société [6] devenue [7], par l’intermédiaire de son conseil, a saisi la commission médicale de recours amiable (CMRA) de la caisse pour contester cette décision.

Lors de sa séance du 10 mars 2020, la CMRA a ramené à 10% le taux d’IPP reconnu à monsieur [D] [Z].

Par lettre recommandée expédiée le 24 mars 2021, la société [6] devenue [7], par l’intermédiaire de son conseil, a saisi le pôle social du Tribunal Judiciaire de Versailles aux fins de contester l’évaluation du taux d’incapacité de monsieur [D] [Z].

Suivant un jugement en date du 12 mai 2023, le tribunal a ordonné une mesure d’expertise confiée au docteur [X] avec pour mission, en se plaçant à la date de consolidation à savoir le 18 septembre 2020 de prendre connaissance du dossier médical de monsieur [D] [Z], de recueillir les observations de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise et de la société [6] devenue [7] et le cas échéant leurs avocats ou défenseurs, de proposer, à la date de la consolidation du 18 septembre 2020, le taux d’incapacité permanente partielle de monsieur [D] [Z] imputable à l’accident de travail du 26 mai 2016, selon le barème indicatif d’invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles, annexé au livre IV du code de la sécurité sociale, et en fonction de la méthode d’appréciation qui lui paraît la plus fiable, de dire si monsieur [D] [Z] souffrait d’une infirmité antérieure, et le cas échéant, de dire si l’accident a été sans influence sur l’état antérieur, si les conséquences de l’accident sont plus graves du fait de l’état antérieur ou si l’accident a aggravé l’état antérieur, le rapport devant être déposé dans les trois mois de la saisine de l’expert, l’affaire étant renvoyée à l’audience du 19 septembre 2023.

Le rapport du docteur [X] a été reçu au greffe du contrôle des expertises le 17 novembre 2023 puis notifié aux parties, le dossier étant fixé pour être plaidé à l’audience du 5 novembre 2024.

A cette date, la société [6] devenue [7], représentée par son conseil, demande au tribunal d’une part d’entériner les conclusions de l’expert et donc de fixer à 8% le taux d’IPP de monsieur [Z] et d’autre part de mettre à la charge de la CPAM les frais d’expertise.
Elle rappelle que son médecin conseil a relevé l’existence d’un état antérieur ce qui a été confirmé par l’expert qui par ailleurs observe une limitation moyenne de 2 mouvements sur 6, une limitation très légère de 2 autres mouvements, les deux derniers étant normaux. Elle précise que le salarié a repris son activité un an après la date de consolidation, au même poste sans aucun aménagement, excluant de fait toute incidence professionnelle.

La CPAM des Yvelines, représentée par son mandataire, soutient oralement les conclusions visées à l’audience et sollicite que le tribunal écarte les conclusions expertales et confirme la décision de la CMRA qui a retenu un taux d’IPP de 10%.

Elle expose que l’expert n’explique pas le taux qu’elle retient, l’état antérieur n’étant que probable et non certain et résulterait par ailleurs d’une IRM postérieure à la date de l’accident de travail. Elle confirme que l’accident n’a eu aucune incidence professionnelle. Elle ajoute que les frais d’expertise sont effectivement à la charge de la Caisse.

À l’issue des débats, les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile que le délibéré sera rendu par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2025.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le taux d’incapacité permanente partielle de Monsieur [D] [Z]:

Aux termes de l’article L. 434-2 alinéa 1 du code de la sécurité sociale, le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité.

Aux termes de l’article R. 434-32 alinéas 1 et 2 du même code, au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse primaire se prononce sur l’existence d’une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit. Les barèmes indicatifs d’invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d’incapacité permanente d’une part en matière d’accidents du travail et d’autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV de la partie réglementaire du code de la sécurité sociale (annexes 1 et 2 du code).

Le taux d’incapacité permanente partielle doit être fixé en fonction de l’état séquellaire au jour de la consolidation de l’état de la victime sans que puissent être pris en considération des éléments postérieurs à ladite consolidation et relève de l’appréciation souveraine et motivée des juges du fond.

Le paragraphe 1.1.2 du barème des accidents du travail est ainsi rédigé :

“1.1.2 ATTEINTE DES FONCTIONS ARTICULAIRES.

Blocage et limitation des mouvements des articulations du membre supérieur, quelle qu’en soit la cause.

Epaule :
La mobilité de l’ensemble scapulo-huméro thoracique s’estime, le malade étant debout ou assis, en empaumant le bras d’une main, l’autre main palpant l’omoplate pour en apprécier la mobilité:
Pôle social – N° RG 21/00306 – N° Portalis DB22-W-B7F-P5EQ

– Normalement, élévation latérale : 170° ;
– Abduction : 20° ;
– Antépulsion : 180° ;
– Rétropulsion : 40° ;
– Rotation interne : 80° ;
– Rotation externe : 60°.

La main doit se porter avec aisance au sommet de la tête et derrière les lombes, et la circumduction doit s’effectuer sans aucune gêne.

Les mouvements du côté blessé seront toujours estimés par comparaison avec ceux du côté sain. On notera d’éventuels ressauts au cours du relâchement brusque de la position d’adduction du membre supérieur, pouvant indiquer une lésion du sus-épineux, l’amyotrophie deltoïdienne (par mensuration des périmètres auxilaires vertical et horizontal), les craquements articulaires. Enfin, il sera tenu compte des examens radiologiques.

DOMINANT
NON DOMINANT
Blocage de l’épaule, omoplate bloquée

55

45
Blocage de l’épaule, avec omoplate mobile

40

30
Limitation moyenne de tous les mouvements
20
15
Limitation légère de tous les mouvements
10 à 15
8 à10

En l’espèce, l’expert dans son rapport relève que lors de l’examen du médecin conseil, il a été constaté:
– une limitation moyenne de 2 mouvements (antépulsion et abduction),
– une limitation très légère de 2 mouvements (rétropulsion et rotation externe),
– 2 mouvements normaux et symétriques (adduction et rotation interne),
– aucune diminution des mouvements complexes,
– et une force de serrage diminuée à gauche.

Le docteur [X] retient également un état antérieur avec la présence d’une très légère atrophie graisseuse du supra épineux stade 1 objectivé par une IRM du 16 août 2016, qui a très probablement exacerbé la lésion initiale et les séquelles qui en découlent.

Il relève enfin que la reprise du travail à temps complet, sans aménagement de poste, témoigne d’une bonne cicatrisation ou adaptation de l’épaule gauche.

Au regard de ces éléments, il convient d’écarter l’état antérieur, non parce qu’il est objectivé par une IRM postérieur à l’accident de travail, ce qui ne démontre pas que ce qui y est constaté ne serait pas antérieur à l’accident, mais parce que l’incidence de cet état antérieur sur les séquelles n’est pas certain, l’expert relevant uniquement une “possibilité” d’exaspération.

Le barème d’invalidité propose :
– un taux de 15 % pour une limitation moyenne de l’ensemble des 6 mouvements pour le membre non dominant, soit en l’espèce pour 2 mouvements un taux de 5% (15%/6×2),
– et un taux de 8 à 10 % pour une limitation légère de l’ensemble des 6 mouvements, soit en l’espèce en retenant la fourchette basse, l’expert relevant une limitation très légère de 2 mouvements sur 6 , un taux de 2,6 % (8%/6×2),
soit un taux de 7,6%.

Ainsi au regard de la diminution de la force de serrage à gauche néanmoins non quantifiée pour un droitier qui a repris le même poste de travail sans aucun aménagement et pour lequel l’expert relève une bonne “cicatrisation ou adaptation”, les conclusions expertales seront entérinées il sera retenu un taux d’IPP de 8 %.

Sur les dépens :

Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

La CPAM des Yvelines, succombant, sera tenue aux entiers dépens, étant rappelé que les frais de l’expertise sont à la charge de la caisse nationale d’assurance maladie par application de l’article L.142-11 du code de la sécurité sociale.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe le 8 janvier 2025 ;

Fixe dans les rapports caisse-employeur, à 8% le taux d’incapacité permanente partielle octroyé à Monsieur [D] [Z] suite à l’accident de travail du 26 mai 2016;

Invite la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines à en tirer toutes conséquences ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Rappelle que les frais d’expertise sont supportés par la Caisse nationale de l’assurance maladie;

Condamne la Caisse primaire d’assurance maladie des Yvelines aux entiers dépens.

Dit que tout appel de la présente décision doit, à peine de forclusion, être interjeté dans le mois de la réception de la notification de la présente décision

La Greffière La Présidente

Madame Marie-Bernadette MELOT Madame Marie-Sophie CARRIERE


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