L’Essentiel : La présente affaire oppose la SCI VOILE D’OR à la SARL ESPRIT SAINT MARTIN, suite à des contrats de bail commercial. Le 16 septembre 2024, la SARL a demandé des réparations pour la devanture de son restaurant, endommagée par un accident. En réponse, la SCI a contesté la responsabilité des dommages et a demandé des dommages et intérêts pour abus de droit. Le tribunal a jugé que la SARL n’avait pas prouvé l’urgence de sa demande et a condamné cette dernière à verser 3 000€ à la SCI pour abus de droit, avec exécution provisoire.
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Contexte de l’affaireLa présente affaire concerne un litige entre la SCI VOILE D’OR et la SARL ESPRIT SAINT MARTIN, qui a débuté avec la signature de deux contrats de bail commercial. Le premier contrat, signé le 25 juillet 2006, portait sur des locaux commerciaux de 42 m², suivi d’un second contrat le 24 avril 2017 pour des locaux de 19 m², tous deux situés au rez-de-chaussée d’un immeuble. Demande de la SARL ESPRIT SAINT MARTINLe 16 septembre 2024, la SARL ESPRIT SAINT MARTIN a cité la SCI VOILE D’OR en référé, demandant la réalisation de travaux de réparation sur la devanture de son restaurant, suite à des dommages causés par un accident de la circulation survenu le 14 novembre 2023. Elle a également demandé une astreinte de 500€ par jour en cas de non-exécution des travaux, ainsi que le droit de changer le store de la façade. Réponse de la SCI VOILE D’OREn réponse, la SCI VOILE D’OR a demandé le rejet des demandes de la SARL ESPRIT SAINT MARTIN, tout en réclamant des dommages et intérêts pour abus de droit et préjudice moral. Elle a contesté la responsabilité des dommages, arguant que la dégradation de la devanture était antérieure à l’accident. Analyse des demandes principalesLe tribunal a examiné les demandes de la SARL ESPRIT SAINT MARTIN en se basant sur les articles 834 et 835 du code de procédure civile. Il a conclu que la requérante n’avait pas démontré une situation d’urgence justifiant une intervention en référé, ni prouvé que les dommages étaient directement liés à l’accident. De plus, la requérante n’avait pas sollicité de manière appropriée l’intervention du bailleur pour les réparations. Demande reconventionnelle de la SCI VOILE D’ORLa SCI VOILE D’OR a également formulé une demande reconventionnelle pour abus de droit, soutenant que la SARL ESPRIT SAINT MARTIN avait initié des actions judiciaires de manière répétée et sans fondement. Le tribunal a reconnu que cette action était manifestement vouée à l’échec, justifiant ainsi la condamnation de la SARL ESPRIT SAINT MARTIN à verser des dommages pour abus de droit. Décision du tribunalLe tribunal a statué qu’il n’y avait pas lieu à référé sur les demandes principales de la SARL ESPRIT SAINT MARTIN. Il a également condamné cette dernière à verser 3 000€ à la SCI VOILE D’OR pour abus de droit et a ordonné le paiement des dépens. La décision a été rendue avec exécution provisoire, permettant à la SCI VOILE D’OR de récupérer les sommes dues rapidement. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les conditions d’urgence pour une demande en référé selon l’article 834 du code de procédure civile ?L’article 834 du code de procédure civile stipule que : « Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. » Pour qu’une demande en référé soit recevable, il appartient à la requérante de démontrer qu’elle se trouve dans une situation d’urgence. Cette urgence est caractérisée lorsque le retard, même minime, peut devenir préjudiciable à l’une des parties, et ce de façon presque irréparable. Dans l’affaire en question, la requérante n’a pas réussi à prouver qu’elle se trouvait dans une situation d’urgence particulière. Elle a simplement invoqué l’urgence sans fournir d’éléments concrets, ce qui n’est pas suffisant pour justifier une intervention en référé. Ainsi, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas lieu à référé sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile. Quelles sont les implications de l’article 835 du code de procédure civile concernant les mesures conservatoires ?L’article 835, alinéa 1, du code de procédure civile dispose que : « Le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. » Cet article permet au juge d’ordonner des mesures même en cas de contestation sérieuse, ce qui est une exception par rapport à l’article 834. Cependant, il appartient au requérant de démontrer l’existence d’une illicéité du trouble et son caractère manifeste. Dans cette affaire, la requérante a fait état d’un accident de la circulation ayant causé des dommages, mais la dégradation de la devanture était antérieure à cet accident. De plus, elle n’a pas prouvé que le bailleur avait une obligation d’intervenir sans avoir préalablement sollicité une assemblée générale de copropriété. Ainsi, le tribunal a estimé que le trouble manifestement illicite n’était pas établi, ce qui a conduit à un rejet de la demande fondée sur l’article 835. Quelles sont les conséquences d’un abus de droit d’ester en justice selon le code de procédure civile ?Le droit d’agir en justice est encadré par le principe selon lequel il ne doit pas dégénérer en abus. Si une partie invoque un abus, elle doit prouver que l’action a été initiée avec une intention malveillante, de mauvaise foi, ou qu’elle repose sur une erreur grossière. Dans cette affaire, la défenderesse a démontré que la requérante avait initié plusieurs procédures judiciaires à son encontre, ce qui a été interprété comme une légèreté blâmable. Le tribunal a ainsi condamné la SARL ESPRIT SAINT MARTIN à verser une somme de 3 000 euros pour abus de droit d’ester en justice. Cette décision s’appuie sur le fait que l’action de la requérante était manifestement vouée à l’échec, compte tenu de l’absence de preuves solides pour étayer ses allégations. Quelles sont les limitations du juge des référés en matière de préjudice moral selon l’article 484 du code de procédure civile ?L’article 484 du code de procédure civile précise que : « L’ordonnance de référé est une décision provisoire émanant d’un juge qui, n’étant pas saisi du principal, ne peut trancher le fond. » Cela signifie que le juge des référés ne peut pas se prononcer sur des demandes qui nécessitent une appréciation du fond, comme les demandes de dommages et intérêts pour préjudice moral. Dans cette affaire, la requérante a demandé des dommages et intérêts pour préjudice moral, mais le juge a refusé d’accéder à cette demande. Il a souligné que, sauf demande de provision, le juge des référés ne peut prendre que des mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou des mesures conservatoires. Ainsi, la demande de condamnation au paiement d’une somme d’argent pour préjudice moral a été jugée irrecevable, car elle excédait les pouvoirs du juge des référés. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/56481
N° Portalis 352J-W-B7I-C5XSW
N° : 14
Assignation du :
16 septembre 2024
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[1] 2 copies exécutoires
délivrées le :
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 08 janvier 2025
par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Arnaud FUZAT, Greffier.
DEMANDERESSE
La S.A.R.L. ESPRIT SAINT MARTIN
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Olivier JESSEL, avocat au barreau de PARIS – #B0811
DEFENDERESSE
La S.C.I. VOILE D’OR
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Sandrine LEBAR, avocat au barreau de PARIS – #E0058
DÉBATS
A l’audience du 26 novembre 2024, tenue publiquement, présidée par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président, assistée de Arnaud FUZAT, Greffier,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Aux termes d’un acte sous seing privé signé le 25 juillet 2006, la SCI VOILE D’OR a consenti à la société l’Etoile du Maroc, aux droits de laquelle vient la SARL ESPRIT SAINT MARTIN, un contrat de bail portant sur des locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de l’immeuble du [Adresse 2], d’une surface de 42 m².
Le 24 avril 2017, la SCI VOILE D’OR a consenti à la société ESPRIT SAINT MARTIN un contrat de bail commercial portant sur des locaux dans le même immeuble, au rez-de-chaussée, d’une surface de 19m².
La SARL ESPRIT SAINT MARTIN a, par exploit délivré le 16 septembre 2024, fait citer la SCI VOILE D’OR devant le président de ce tribunal, statuant en référé, aux fins de :
– la condamner à réaliser des travaux de réparation et de fermeture des orifices présents sur la marquise, sur l’imposte et sur le store situés au-dessus de la devanture du restaurant, conformes au devis du 29 juillet 2024 et de manière à ce que le clos et le couvert puissent être assurés dans les locaux loués,
– la condamner à réparer le store situé sur la devanture du restaurant, à changer, à fournir et à installer un store neuf sur la devanture du restaurant,
– assortir chacune de ces trois obligations d’une astreinte provisoire d’un montant journalier de 500€ qui sera décompté à compter du 30ème jour suivant la signification de l’ordonnance,
– autoriser la société ESPRIT SAINT MARTIN à changer, à effet immédiat, le store situé sur la façade du restaurant et ce, dans le but de permettre à titre provisoire, une exploitation pérenne de l’activité commerciale,
– débouter la défenderesse de ses demandes,
– la condamner au paiement de la somme de 3000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, la requérante expose qu’à la suite d’un accident de la circulation survenu le 14 novembre 2023, une partie de la devanture du local a été détruite et le store, situé sur la façade, arraché ; que la façade étant une partie commune, le bailleur doit effectuer des démarches auprès de la copropriété pour permettre les travaux, ce dont il s’abstient. Elle sollicite donc sur le fondement des articles 834 et 835 du code de procédure civile la réalisation par le bailleur des travaux nécessaires à la remise en état de la devanture et du store.
En réponse, la SCI VOILE D’OR sollicite le rejet des prétentions adverses et l’octroi de la somme de 8 000€ pour abus du droit d’ester en justice, outre la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, ainsi que la somme de 5 000€ au titre des frais irrépétibles.
A l’appui, la défenderesse rappelle les différentes procédures judiciaires initiées par la requérante à son encontre et indique découvrir l’accident de la circulation dont fait état la requérante, ajoutant qu’il n’est pas démontré, d’une part, que les dégâts seraient liés à cet accident et d’autre part, qu’elle serait tenue d’une quelconque obligation à ce titre.
Conformément aux dispositions de l’article 446-1 du code de procédure civile, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance et aux écritures déposées et développées oralement à l’audience pour un plus ample exposé des moyens et des prétentions des parties.
Sur les demandes principales
La requérante fonde ses prétentions sur les dispositions des articles 834 et 835, alinéa 1, du code de procédure civile.
Aux termes de l’article 834 du code de procédure civile, dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend.
Il appartient à la requérante de démontrer qu’elle se trouve dans une situation d’urgence, laquelle est caractérisée lorsqu’un retard même minime peut devenir préjudiciable à l’une des parties, et ce de façon presque irréparable.
En l’espèce, la requérante ne démontre pas qu’elle serait dans une situation d’urgence particulière, le fait de l’invoquer n’étant pas suffisant. Pas plus ne démontre-t-elle que l’état de la devanture, qui apparaît comme étant une problématique ancienne, empêcherait l’exploitation des lieux.
Dès lors, il n’y a pas lieu à référé sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile.
L’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
L’existence d’une contestation sérieuse est indifférente à l’application de ces dispositions.
Le trouble manifestement illicite s’entend de toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il appartient au requérant de démontrer l’existence d’une illicéité du trouble et son caractère manifeste. Le juge apprécie la réalité du trouble avec les éléments dont il dispose le jour où il statue.
En l’espèce, le preneur, faisant état d’un accident de la circulation ayant endommagé le store et la devanture du local commercial, reproche au bailleur de n’avoir entrepris aucune démarche auprès de la copropriété pour requérir son autorisation aux fins de travaux.
Toutefois, il résulte de la comparaison entre les photographies annexées au constat d’huissier établi le 25 janvier 2019 et celles annexées au constat établi le 28 août 2024 que la dégradation de la devanture préexistait à l’accident de la circulation évoqué, lequel semble uniquement être à l’origine d’une détérioration du store latéral droit.
La requérante ne démontre pas avoir sollicité du bailleur l’organisation d’une assemblée générale aux fins de réparation de la devanture. Il convient à ce titre de rappeler que sur le fondement de l’article 1104 du code civil, les contrats doivent être exécutés de bonne foi. Dès lors, elle ne peut reprocher son inaction au bailleur sans justifier avoir préalablement sollicité son intervention.
La requérante ne justifie pas plus du fait que la tenue d’une assemblée générale serait nécessaire alors qu’il s’agit uniquement de procéder à la réparation à l’identique de deux éléments préexistants et alors que le règlement de copropriété n’est pas produit.
Enfin, aucun élément ne permet d’établir que le store et le bandeau seraient des travaux qui sont imputables au bailleur dans les conditions de l’article 606 du code civil.
Dès lors, il n’est pas démontré que l’absence de réparation de la devanture et du store serait imputable au bailleur de façon évidente, de sorte que le trouble manifestement illicite n’apparaît pas établi.
Sur la demande reconventionnelle au titre de l’abus d’ester en justice
Si le droit d’agir est susceptible de dégénérer en abus, celui qui l’invoque doit démontrer que l’action a été initiée avec une intention malveillante ou de mauvaise foi, ou qu’elle repose sur une erreur grossière ou a été initiée avec une légèreté blâmable.
En l’espèce, compte tenu de la multiplicité des procédures judiciaires initiées par la locataire à l’encontre de son bailleur depuis plusieurs années, à laquelle s’ajoute la présente instance, manifestement vouée à l’échec compte tenu de l’absence de pièces permettant d’étayer les allégations de la requérante, lesquelles sont en outre contredites par les pièces adverses, la défenderesse établit que cette action a été initiée avec une légèreté blâmable, qui justifie que la requérante soit condamnée à verser à la défenderesse la somme de 3 000€ à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle au titre des dommages et intérêts pour préjudice moral
Si le juge des référés a le pouvoir de statuer au fond pour apprécier l’abus d’ester en justice, il n’en est pas de même pour apprécier l’existence d’un préjudice moral.
En effet, en vertu de l’article 484 du code de procédure civile, l’ordonnance de référé est une décision provisoire émanant d’un juge qui, n’étant pas saisi du principal, ne peut trancher le fond.
Aussi, à l’exception de l’octroi d’une provision ou de l’injonction de faire, le juge des référés ne peut prendre que des mesures : celles qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse dans le cadre de l’article 834 du code de procédure civile, et les mesures conservatoires ou de remise en état, dans le cadre de l’article 835 du même code.
Et il est constant que l’octroi d’une somme d’argent au titre d’un préjudice moral a pour conséquence de trancher le fond. Dès lors, à défaut d’avoir sollicité une provision au titre du préjudice moral et d’avoir visé les articles 834 et 835 du code de procédure civile, la demande de condamnation au paiement de la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts excède les pouvoirs du juge des référés.
Sur les demandes accessoires
En vertu des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la requérante, qui succombe à l’instance, sera condamnée au paiement des dépens ainsi qu’à verser à la défenderesse la somme de 3 000€ au titre des frais irrépétibles.
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire en premier ressort,
Renvoyons les parties à se pourvoir au fond ainsi qu’elles en aviseront, mais dès à présent par provision, tous les moyens des parties étant réservés :
Disons n’y avoir lieu à référé sur l’ensemble des demandes principales ;
Condamnons la SARL ESPRIT SAINT MARTIN à verser à la SCI VOILE D’OR la somme de 3 000 euros au titre de la procédure abusive ;
Disons n’y avoir lieu à référé sur la demande de condamnation au paiement d’une somme d’argent ;
Condamnons la SARL ESPRIT SAINT MARTIN à verser à la SCI VOILE D’OR la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons la la SARL ESPRIT SAINT MARTIN aux dépens ;
Rappelons que la présente ordonnance bénéficie de plein droit de l’exécution provisoire.
Fait à Paris le 08 janvier 2025.
Le Greffier, Le Président,
Arnaud FUZAT Anne-Charlotte MEIGNAN
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