L’Essentiel : Mme [O] [K] [Y] [H] [Y] a demandé un certificat de nationalité française, refusé en raison de l’article 30-3 du code civil. Née en Égypte, elle prétendait être française par filiation paternelle, son père ayant été reconnu français en 2015. La cour d’appel a statué qu’elle avait perdu sa nationalité en 2008, car ses ascendants avaient perdu la nationalité française depuis plus de cinquante ans. Dans son pourvoi, elle a soumis deux questions prioritaires de constitutionnalité, dont la première a été jugée d’un intérêt particulier, entraînant un renvoi au Conseil constitutionnel.
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Contexte de la demande de nationalitéMme [O] [K] [Y] [H] [Y] a sollicité un certificat de nationalité française, qu’elle a vu refusé. Elle a alors engagé une action déclaratoire de nationalité, affirmant qu’elle était française par filiation paternelle. Née le 14 avril 1995 en Égypte, elle est la fille de M. [K] [Y] [H] [Y], reconnu français par un jugement en 2015. Décision de la cour d’appelL’arrêt de la cour d’appel a statué que, selon l’article 30-3 du code civil, Mme [O] [K] [Y] [H] [Y] ne pouvait prouver sa nationalité française par filiation. Il a été décidé qu’elle était réputée avoir perdu cette nationalité le 24 novembre 2008. Interprétation de l’article 30-3 du code civilL’article 30-3 stipule qu’un individu résidant à l’étranger, dont les ascendants ont perdu la nationalité française depuis plus de cinquante ans, ne peut prouver sa nationalité française par filiation, à moins que lui-même ou ses parents n’aient eu la possession d’état de Français. Évolution jurisprudentielleLa Cour de cassation a précisé que la possession d’état de Français des parents doit être appréciée au moment où le juge statue. En 2019, elle a confirmé que la perte de nationalité pour désuétude doit être constatée par le tribunal, et que l’article 30-3 constitue une règle de preuve. Questions prioritaires de constitutionnalitéDans le cadre de son pourvoi, Mme [O] [K] [Y] [H] [Y] a soumis deux questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, remettant en question la conformité de l’article 30-3 avec des principes fondamentaux, notamment concernant la perte de nationalité par désuétude. Examen des questions par la CourLa première question a été jugée nouvelle et d’un intérêt particulier, en raison des conséquences graves qu’elle pourrait avoir sur la nationalité des Français de naissance. La seconde question, quant à elle, n’a pas été considérée comme nouvelle ni sérieuse, car elle se basait sur une interprétation déjà établie par la jurisprudence. Décision finale de la Cour de cassationLa Cour a décidé de renvoyer la première question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, tout en rejetant la seconde question. Cette décision a été prononcée lors de l’audience publique du 8 janvier 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article 9 du Code civil en matière de respect de la vie privée ?L’article 9 du Code civil stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Ce droit est fondamental et protège les individus contre les intrusions non autorisées dans leur sphère personnelle. Ce droit s’applique à toutes les personnes, indépendamment de leur notoriété. Ainsi, même une personne publique peut revendiquer le respect de sa vie privée. Il est important de noter que ce droit peut être limité par d’autres droits, notamment la liberté d’expression, mais uniquement dans des cas où l’intérêt public justifie une telle intrusion. Dans le cas présent, la demanderesse, [C] [N], soutient que la publication d’éléments relatifs à sa sortie de maternité constitue une atteinte à son droit au respect de sa vie privée, car cela concerne un moment d’intimité qu’elle ne souhaitait pas partager. Comment l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme s’articule-t-il avec le droit au respect de la vie privée ?L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme garantit la liberté d’expression, en précisant que « tout le monde a droit à la liberté d’expression ». Cependant, cette liberté n’est pas absolue et peut être soumise à des restrictions. Ces restrictions doivent être prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique, notamment pour protéger la réputation ou les droits d’autrui. Dans le contexte de la jurisprudence, le droit à l’information du public peut parfois prévaloir sur le droit au respect de la vie privée, surtout lorsque les informations concernent des personnes publiques et des événements d’intérêt général. Dans cette affaire, la société PUBLIC PUBLISHING argue que la publication était justifiée par l’intérêt public, étant donné que [Z] [D] avait lui-même annoncé la naissance de leur enfant. Toutefois, la question demeure de savoir si les détails relatifs à la sortie de maternité de [C] [N] relèvent de l’intérêt général. Quelles sont les implications de l’article 835 du Code de procédure civile dans le cadre des référés ?L’article 835 du Code de procédure civile précise que « le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent ». Cet article permet au juge d’agir rapidement pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans le cas présent, le juge des référés a été saisi pour statuer sur une atteinte présumée à la vie privée et au droit à l’image de [C] [N]. La décision du juge repose sur l’évaluation de la gravité des atteintes alléguées et sur la nécessité de protéger les droits de la demanderesse, même en l’absence d’une décision définitive sur le fond de l’affaire. Comment évaluer le préjudice moral en cas d’atteinte à la vie privée et au droit à l’image ?L’évaluation du préjudice moral résultant d’une atteinte à la vie privée et au droit à l’image est complexe et doit tenir compte de plusieurs facteurs. Il est établi que la simple constatation d’une atteinte ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes. Le juge doit apprécier le préjudice de manière concrète, en tenant compte de la nature des atteintes, de l’ampleur de la divulgation et de l’importance du lectorat du média concerné. Dans cette affaire, le préjudice de [C] [N] est aggravé par le fait que les informations publiées concernent des moments intimes de sa vie, captés à son insu, et diffusés dans un magazine à forte audience. Le juge a donc décidé d’accorder une provision de 7.000 euros à [C] [N] pour le préjudice moral subi, en tenant compte de l’ensemble des éléments présentés. |
COUR DE CASSATION
MY1
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 8 janvier 2025
RENVOI PARTIEL DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL
Mme CHAMPALAUNE, président
Arrêt n° 92 FS-D
Pourvoi n° E 24-13.923
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 JANVIER 2025
Par mémoire spécial présenté le 10 octobre 2024, Mme [O] [K] [Y] [H] [Y], domiciliée [Adresse 2] (Égypte), a formulé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion du pourvoi n° E 24-13.923 qu’elle a formé contre l’arrêt rendu le 12 décembre 2023 par la cour d’appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans une instance l’opposant au procureur général près la cour d’appel de Paris, domicilié en son parquet général, [Adresse 1].
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Corneloup, conseiller, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de Mme [O] [K] [Y] [H] [Y], et l’avis de M. Salomon, avocat général, après débats en l’audience publique du 17 décembre 2024 où étaient présents Mme Champalaune, président, Mme Corneloup, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, MM. Bruyère, Ancel, Mmes Peyregne-Wable, Tréard, conseillers, Mme Robin-Raschel, conseiller référendaire, M. Salomon, avocat général, et Mme Vignes, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
1. Mme [O] [K] [Y] [H] [Y], à qui un certificat de nationalité française a été refusé, a engagé une action déclaratoire de nationalité en soutenant être française par filiation paternelle, pour être née le 14 avril 1995 à [Localité 5], [Localité 4] (Egypte) de M. [K] [Y] [H] [Y], né le 23 novembre 1958 à [Localité 3], [Localité 6] (Egypte), lequel a été reconnu français par un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 19 février 2015.
2. L’arrêt attaqué a jugé qu’en application de l’article 30-3 du code civil, Mme [O] [K] [Y] [H] [Y] n’était pas admise à faire la preuve qu’elle avait, par filiation, la nationalité française, et a dit qu’elle était réputée avoir perdu cette nationalité le 24 novembre 2008.
3. L’article 30-3 du code civil dispose :
« Lorsqu’un individu réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, cet individu ne sera pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. »
4. Par un arrêt du 28 février 2018 (1re Civ., 28 février 2018, pourvoi n° 17-14.239, Bull. 2018, I, n° 38), la Cour de cassation a jugé que la possession d’état de Français du père ou de la mère du demandeur à l’action déclaratoire de nationalité s’apprécie au jour où le juge statue sur l’action de l’intéressé.
5. Par un arrêt du 13 juin 2019 (1re Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16.838), la Cour de cassation est revenue sur cette jurisprudence en jugeant que, selon l’article 30-3 du code civil, celui qui réside ou a résidé habituellement à l’étranger, où les ascendants dont il tient par filiation la nationalité sont demeurés fixés pendant plus d’un demi-siècle, n’est pas admis à faire la preuve qu’il a, par filiation, la nationalité française si lui-même et celui de ses père et mère qui a été susceptible de la lui transmettre n’ont pas eu la possession d’état de Français. Le tribunal doit, dans ce cas, constater la perte de la nationalité française dans les termes de l’article 23-6. Le texte édicte une règle de preuve et non une fin de non-recevoir au sens de l’article 122 du code de procédure civile, de sorte qu’aucune régularisation sur le fondement de l’article 126 du même code ne peut intervenir.
6. Cet arrêt renoue avec une jurisprudence plus ancienne (1re Civ., 23 février 1977, n° 75-12.799, Bull. civ. I, n° 106), selon laquelle :
« [La cour d’appel] aurait dû rechercher, pour en tirer les conséquences que l’article 144 [devenu l’article 30-3] y attachait, si, comme il était soutenu, [B] [N] et son père n’avaient pas, pendant plus de cinquante ans, été privés de la possession d’état de Français dans le pays étranger où ils résidaient, sans qu’une immatriculation au consulat français, attestée en 1950, eut pu anéantir les effets d’une perte déjà acquise de nationalité. »
7. Cette jurisprudence est appliquée de façon constante depuis 2019 (1re Civ., 10 février 2021, pourvoi n° 19-50.050, 1re Civ., 12 juillet 2023, pourvoi n° 22-16.946, publié, 1re Civ., 20 décembre 2023, pourvoi n° 21-25.474). La Cour de cassation a précisé que si l’article 30-3 du code civil n’était pas opposé à l’ascendant direct, dont la nationalité française était établie, il ne pouvait l’être à ses enfants mineurs au jour de l’introduction de l’action déclaratoire de nationalité, lesquels suivaient la condition du parent dont ils tenaient leur nationalité (1re Civ., 29 juin 2022, pourvoi n° 21-50.032, publié ; 1re Civ., 27 novembre 2024, pourvoi n° 23-19.405, publié).
8. A l’occasion du pourvoi qu’elle a formé contre l’arrêt rendu le 12 décembre 2023 par la cour d’appel de Paris, Mme [O] [K] [Y] [H] [Y] a, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1°/ L’article 30-3 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, est-il contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel la perte de la qualité de Français par désuétude ne peut être constatée que par un jugement, en ce qu’il instaure une présomption irréfragable de perte de la nationalité française à l’expiration du délai cinquantenaire d’expatriation de l’ascendant, en l’absence de possession d’état de l’intéressé et de son ascendant durant ce délai ?
2°/ L’article 30-3 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, méconnaît-il la garantie des droits, au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ensemble le droit à exercer un recours juridictionnel effectif, garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 et l’intérêt supérieur de l’enfant, protégé par les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, en ce que la présomption irréfragable de perte de la nationalité française qu’il instaure s’applique immédiatement, y compris lorsque l’intéressé dispose d’éléments de possession d’état qui, en l’état du droit applicable à la date à laquelle ils ont été obtenus, étaient de nature à écarter toute désuétude et lorsque, en l’état du droit applicable à la date d’expiration du délai cinquantenaire, l’intéressé, alors mineur, et son parent français, ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que la nationalité française soit réputée perdue en l’absence de démarches et pouvaient légitimement penser que, tant que cette perte n’était pas judiciairement constatée, la fin de non-recevoir édictée par l’article 30-3 du Code civil pouvait être régularisée ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
9. La disposition contestée est applicable au litige, qui concerne les conditions de perte de la nationalité française pour désuétude.
10. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
Première question prioritaire de constitutionnalité
11. La question posée, qui porte sur l’interprétation d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République dont le Conseil constitutionnel n’a pas encore eu l’occasion de faire application, est nouvelle.
12. La question peut également être regardée comme nouvelle, au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine, en ce qu’elle présente un intérêt particulier.
13. En effet, elle concerne une disposition qui suscite un contentieux important et qui emporte des conséquences graves, s’agissant pour les Français de naissance d’un cas de perte non-volontaire de la nationalité française pouvant emporter une situation d’apatridie.
14. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
Seconde question prioritaire de constitutionnalité
15. D’une part, la question posée, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle.
16. D’autre part, la question posée ne présente pas un caractère sérieux, en ce que l’interprétation jurisprudentielle de l’article 30-3 du code civil, sur laquelle le pourvoi se fonde (1re Civ., 28 février 2018, n° 17-14.239, Bull. 2018, I, n° 38) et qui a été abandonnée par la suite (1re Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16.838, publié), a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt postérieur tant à l’expiration du délai cinquantenaire, qui est survenue le 24 novembre 2008, qu’à l’obtention de certains éléments de possession d’état, qui datent de 2015 et 2016, de sorte qu’elle n’a pas pu fonder des attentes légitimes de la part de l’intéressée, qui était majeure à la date à laquelle l’article 30-3 lui a été opposé.
17. En conséquence, il n’y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
« L’article 30-3 du Code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, est-il contraire au principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel la perte de la qualité de Français par désuétude ne peut être constatée que par un jugement, en ce qu’il instaure une présomption irréfragable de perte de la nationalité française à l’expiration du délai cinquantenaire d’expatriation de l’ascendant, en l’absence de possession d’état de l’intéressé et de son ascendant durant ce délai ? »
DIT N’Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel la seconde question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit janvier deux mille vingt-cinq.
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