Conflit d’interprétation des accords collectifs en matière de réorganisation des services communs.

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Conflit d’interprétation des accords collectifs en matière de réorganisation des services communs.

L’Essentiel : Enedis et GRDF, à travers un service commun, gèrent les réseaux de distribution électrique et gaz en France. En 2010, des accords ont été signés pour encadrer les droits des salariés lors de réorganisations. En 2020, un projet de transformation a été lancé, suscitant des contestations syndicales. La FNME-CGT a dénoncé l’exclusion de nombreux agents des entretiens individuels prévus. En janvier 2022, des syndicats ont assigné les sociétés en justice, arguant d’une violation des droits des salariés. La Cour d’appel a statué en faveur des syndicats, affirmant que les accords de 2010 devaient être respectés pour tous les salariés concernés.

Contexte des sociétés Enedis et GRDF

Le personnel des sociétés Enedis et GRDF, à l’exception des fonctions centrales de direction, fait partie d’un service commun établi par l’article L. 111-71 du code de l’énergie. Ce service couvre l’ensemble du territoire national et est composé de plusieurs directions régionales et unités opérationnelles nationales, ayant pour mission la gestion des réseaux de distribution électrique et gaz. Les employés de ce service commun ont donc deux employeurs, Enedis et GRDF.

Accords de 2010

Le 23 juillet 2010, Enedis (anciennement ERDF) et GRDF ont signé des accords identiques avec plusieurs organisations syndicales, établissant un processus de concertation et des mesures d’accompagnement pour les réorganisations au sein de leurs structures respectives. Ces accords visent à encadrer les droits des salariés en cas de modifications de leurs conditions de travail.

Projet de transformation des activités communes

À partir de 2014, Enedis et GRDF ont initié des projets pour séparer leurs activités opérationnelles communes. En octobre 2020, un projet nommé « Transformation des activités communes » (TAC) a été présenté, touchant principalement les unités opérationnelles nationales. Un document a été communiqué aux représentants du personnel, précisant les modalités d’affectation des salariés, en distinguant ceux dont les équipes seraient maintenues de ceux qui ne le seraient pas.

Litige et assignation en justice

La FNME-CGT a contesté le projet, arguant qu’il excluait un grand nombre d’agents du bénéfice des entretiens individuels et des propositions d’affectation prévus par les accords de 2010. En janvier 2022, plusieurs fédérations syndicales ont assigné Enedis et GRDF devant le tribunal judiciaire, soutenant que les droits des salariés n’étaient pas respectés.

Arguments des sociétés Enedis et GRDF

Les sociétés ont fait valoir que les accords de 2010, bien que signés séparément, ne permettaient pas une application cumulative des avantages pour les salariés du service commun. Elles ont soutenu que chaque accord prévoyait des mesures d’accompagnement identiques, mais que les salariés ne pouvaient revendiquer des droits supplémentaires en raison de la nature des accords.

Décision de la Cour d’appel

La Cour d’appel a statué que les dispositions des accords de 2010 s’appliquaient à tous les salariés concernés par le projet de transformation, qu’ils fassent ou non partie d’équipes constituées. Elle a condamné Enedis et GRDF à verser des dommages-intérêts aux syndicats, affirmant que les sociétés avaient l’obligation de respecter les engagements pris dans les accords, même si ceux-ci étaient identiques.

Violation des principes conventionnels

La Cour a constaté que les avantages conventionnels ayant le même objet ne pouvaient se cumuler, et que les accords signés par Enedis et GRDF étaient identiques. En statuant ainsi, la Cour d’appel a violé le principe selon lequel les dispositions des accords collectifs ne peuvent se cumuler, entraînant une décision qui ne respectait pas les stipulations des accords de 2010.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de l’article 567-1-1 du code de procédure pénale ?

L’article 567-1-1 du code de procédure pénale stipule que la Cour de cassation doit examiner la recevabilité du recours ainsi que les pièces de procédure avant de se prononcer sur le pourvoi.

Cet article précise que si aucun moyen n’est de nature à permettre l’admission du pourvoi, la Cour doit le déclarer non admis.

Ainsi, la Cour de cassation joue un rôle essentiel dans le contrôle de la légalité des décisions rendues par les juridictions inférieures, garantissant ainsi le respect des droits des parties.

Quelles sont les conséquences d’une déclaration de non-admission du pourvoi ?

La déclaration de non-admission du pourvoi a pour effet de rendre définitive la décision contestée.

Cela signifie que les parties ne peuvent plus contester cette décision devant la Cour de cassation, et que la décision de la juridiction inférieure devient exécutoire.

En vertu de l’article 567-1-1, la Cour de cassation ne se prononce pas sur le fond de l’affaire, mais uniquement sur la recevabilité du recours.

Cette procédure vise à éviter un engorgement des instances judiciaires et à assurer une certaine rapidité dans le traitement des affaires.

Comment la Cour de cassation évalue-t-elle la recevabilité d’un pourvoi ?

La Cour de cassation évalue la recevabilité d’un pourvoi en vérifiant si les conditions prévues par le code de procédure pénale sont respectées.

Cela inclut l’examen des délais de recours, la qualité des moyens invoqués, ainsi que la conformité des pièces de procédure.

L’article 567-1-1 impose à la Cour de s’assurer qu’il existe des moyens sérieux et pertinents pour justifier l’admission du pourvoi.

Si ces conditions ne sont pas remplies, la Cour n’hésitera pas à déclarer le pourvoi non admis, comme cela a été le cas dans l’affaire examinée.

SOC.

CH9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 8 janvier 2025

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 27 FS-D

Pourvoi n° J 22-24.798

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 JANVIER 2025

1°/ La société Enedis, société anonyme à directoire et conseil de surveillance, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ la société GRDF, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

ont formé le pourvoi n° J 22-24.798 contre l’arrêt rendu le 27 octobre 2022 par la cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige les opposant :

1°/ à la fédération CFE-CGC énergies, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ à la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l’énergie (CGT), dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la fédération chimie énergie CFDT (FCE CFDT), dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la Fédération nationale de l’énergie et des mines Force ouvrière (FNEM-FO), dont le siège est [Adresse 7],

5°/ à la fédération CFTC chimie, mines, textile, énergie (CFTC-CMTE), dont le siège est [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l’appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rinuy, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Enedis et GRDF, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de la fédération CFE-CGC énergies et de la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l’énergie, et l’avis de Mme Wurtz, premier avocat général, après débats en l’audience publique du 27 novembre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, M. Rinuy, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Wurtz, premier avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l’article R. 431-5 du code de l’organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 27 octobre 2022, RG n° 22/08761), le personnel des sociétés Enedis et GRDF, à l’exception des salariés relevant des fonctions centrales de direction, appartient à un service commun, institué par l’article L. 111-71 du code de l’énergie. Ce service commun, qui couvre tout le territoire national, est constitué de vingt-cinq directions régionales d’Enedis, chargées du réseau de distribution électrique, six directions réseaux et directions clients territoires de GRDF, chargées du réseau de distribution gaz, et de quatre unités opérationnelles nationales (UON) Enedis-GRDF, chargées du domaine logistique et des fonctions transversales du service commun. Les salariés affectés à ce service commun ont ainsi deux employeurs, Enedis et GRDF.

2. Les sociétés ERDF, devenue Enedis, et GRDF ont, le 23 juillet 2010, conclu, chacune, en termes identiques, avec les organisations syndicales CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT et CGT-FO, un accord sur le processus de concertation et les mesures d’accompagnement des réorganisations au sein de chacune des deux structures.

3. A partir de 2014, les directions des deux distributeurs ont engagé des projets tendant à séparer leurs activités opérationnelles communes. Courant octobre 2020, elles ont informé les partenaires sociaux d’un projet « Transformation des activités communes » (TAC) visant les quatre UON, à l’exception des services de médecine conseil, médecine du travail et gestion des CAS, dépendant de l’UON RH et médico-sociale. Le 16 novembre 2021, les sociétés ont communiqué aux représentants du personnel composant la délégation spéciale des comités sociaux et économiques centraux Enedis et GRDF, un document présentant le projet TAC. Le paragraphe 8.1.3 de ce document, relatif aux modalités d’affectation des salariés, distingue les salariés des équipes maintenues dans la nouvelle organisation, c’est-à-dire « les équipes déjà spécialisées ou les équipes poursuivant la même nature d’activité et transférées en bloc (tous les salariés restent dans la même équipe) » sans impact sur leurs activités, missions, conditions et lieu de travail, soit 65 % des effectifs des UON, des salariés pour lesquels leur équipe actuelle n’est pas maintenue qui représentent 10 % des effectifs des UON. Pour ces derniers, le projet prévoit qu’ils bénéficieront, avant toute proposition d’affectation dans un emploi, d’une information sur l’évolution potentielle de l’organisation suivie d’entretiens individuels conduits conformément aux accords du 23 juillet 2010.

4. Soutenant que ce projet excluait 1 621 agents sur les 1 871 concernés du bénéfice de l’entretien individuel et des propositions d’affectation prévus par les accords collectifs du 23 juillet 2010, la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l’énergie CGT (FNME-CGT) a, le 7 janvier 2022, assigné devant le tribunal judiciaire les sociétés Enedis et GRDF, en présence de la fédération CFE-CGC énergies (CFE-CGC), la fédération chimie-énergie CFDT (FCE-CFDT), la Fédération nationale de l’énergie et des mines Force ouvrière (FNEM-FO) et la fédération CFTC chimie-mines-textile-énergie (CFTC-CMTE). Le 11 janvier 2022, la fédération CFE-CGC énergies a assigné devant le tribunal judiciaire aux mêmes fins les sociétés Enedis et GRDF, en présence des quatre autres organisations syndicales et les instances ont été jointes par le tribunal judiciaire.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Enedis et GRDF font grief à l’arrêt de décider que les dispositions des accords du 23 juillet 2010, respectivement signés par la société Enedis et par la société GRDF, sont applicables à tous les salariés des unités opérationnelles nationales concernés par le projet de transformation des activités communes, qu’ils fassent ou non partie d’équipes constituées et de condamner chacune des sociétés Enedis et GRDF à payer à la FNME-CGT et à la FCE-CFDT, chacune, une somme à titre de dommages-intérêts, alors « qu’en cas de concours d’instruments conventionnels collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d’entre eux pouvant seul être accordé ; que les deux accords collectifs sur le processus de concertation et les mesures d’accompagnement des réorganisations respectivement signés par la société Enedis et la société GRDF le 23 juillet 2010 prévoient, dans des termes rigoureusement identiques, les mesures d’accompagnement auxquelles le salarié a droit en cas de réorganisation ayant pour effet de modifier ses conditions de travail ; que l’article 4.3. de ces accords prévoit la tenue d’un entretien individuel tandis que l’article 4.7 prévoit la proposition de trois affectations différentes, étant précisé qu’en cas de refus par le salarié de chacune de ces propositions, l’employeur reste maître de décider de l’affectation finale ; qu’au cas présent, les sociétés Enedis et Grdf soutenaient que les dispositions prévues par  »l’accord-miroir » du 23 juillet 2010 présentaient le même objet, même si elles avaient été déclinées en deux instrumentum pour chacune des deux entreprises, de sorte que les salariés du service commun conjointement employé par Enedis et GRDF n’étaient pas fondés à revendiquer une application cumulative de ces avantages conventionnels et que les sociétés Enedis et Grdf n’étaient pas respectivement tenues de mener chacune des entretiens individuels et de formuler chacune des propositions d’affectation ; que pour considérer néanmoins que chaque salarié conjointement employé par Enedis et Grdf avait droit à une application cumulative des avantages conventionnels prévus par les deux accords du 23 juillet 2010, la cour d’appel a affirmé que  »la circonstance que chacune des Sociétés a signé un accord identique le 23 juillet 2010, l’Accord déjà mentionné, ce qui permet effectivement d’employer l’expression d’accords miroir, n’a aucunement pour corollaire qu’au motif que l’une le mettant en pratique, l’autre en serait dispensée » et que  »tant Enedis que GRDF se sont engagées par l’Accord-miroir qu’elles ont signées. La cour comprend bien que le respect, tant par Enedis que par GRDF de l’accord (au demeurant signé en d’autres temps, dans d’autres circonstances), a pour conséquence qu’il faut envisager de proposer à chacun salariés concernés un entretien (donc deux entretiens en tout), de lui faire trois propositions (donc, six propositions au total), s’il devait les refuser les unes après les autres, ce qui est son droit en vertu de l’accord, et ce, quand bien même la décision finale revient à l’employeur s’il devait toutes les refuser, étant observé que, dans cette hypothèse, il faudrait qu’Enedis et GRDF s’accordent pour l’affectation définitive du salarié » ; qu’en statuant de la sorte, cependant qu’il résultait de ses propres constatations que les dispositions conventionnelles litigieuses étaient identiques et présentaient le même objet, à savoir accompagner le salarié concerné par une réorganisation ayant pour effet de modifier ses conditions de travail, la cour d’appel a violé le principe susvisé, ensemble les articles 4.3 et 4.7 des accords collectifs sur le processus de concertation et les mesures d’accompagnement des réorganisations du 23 juillet 2010 et les articles 1103, 1104 et 1313 du code civil et l’article L. 2221-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 2254-1 du code du travail :

6. En cas de concours de conventions collectives ou d’accords collectifs, les avantages ayant le même objet ou la même cause ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler, le plus favorable d’entre eux pouvant seul être accordé.

7. Pour décider que les dispositions des accords du 23 juillet 2010, respectivement signés par la société Enedis et par la société GRDF, sont applicables à tous les salariés des unités opérationnelles nationales concernés par le projet de transformation des activités communes, qu’ils fassent ou non partie d’équipes constituées, et condamner chacune des sociétés Enedis et GRDF à payer à la CFE-CGC, à la FNME-CGT et à la FCE-CFDT, chacune, une certaine somme à titre de dommages-intérêts, l’arrêt retient que les sociétés Enedis et GRDF se sont engagées, lorsqu’une réorganisation est envisagée et déclarée, comme c’est le cas en l’espèce, à suivre le schéma précisément décrit par chaque accord, que si la lourdeur de cette procédure est patente qui impose un entretien individuel et, le cas échéant, de proposer trois affectations différentes au salarié concerné, observation faite qu’en cas de refus de la dernière proposition, l’employeur reste maître de décider de l’affectation, ce mécanisme s’impose puisque l’employeur s’y est lui-même engagé et que les accords ne prévoient aucune exclusive et ont été signés à une époque où l’existence d’un service commun était connue, l’article 6.1 de chaque accord précisant que celui-ci est applicable à l’ensemble des salariés des établissements ERDF et GRDF, y compris ceux du service commun aux deux filiales ERDF et GRDF, que la circonstance que chacune des sociétés a signé un accord identique le 23 juillet 2010, ce qui permet d’employer l’expression d’ « accords-miroir », n’a pas pour corollaire qu’au motif que l’une le mettant en pratique, l’autre en serait dispensée, que les deux sociétés se sont engagées par l’ « accord-miroir » qu’elles ont signé et qu’en l’absence d’accord ad hoc auquel les parties seraient ou auraient pu parvenir, ce sont les dispositions de chaque accord qui doivent s’appliquer à tous les salariés concernés.

8. En statuant ainsi, alors que les avantages conventionnels ayant le même objet ne peuvent, sauf stipulations contraires, se cumuler et qu’il résultait de ses constatations que l’Unité opérationnelle nationale ressources humaines faisait partie du service commun Enedis-GRDF et que les stipulations des deux accords collectifs étaient identiques, de sorte que les dispositions des articles 4.3 et 4.7 des accords, à l’égard des salariés du service commun Enedis-GRDF, avaient le même objet, la cour d’appel a violé le texte susvisé.


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