Licenciement et discrimination : enjeux de preuve et de justification dans le cadre de la santé au travail.

·

·

Licenciement et discrimination : enjeux de preuve et de justification dans le cadre de la santé au travail.

L’Essentiel : Monsieur [M] [B] a été embauché par la SAS Gunnezo, devenue la SAS Fichet Bauche, en tant qu’acheteur technique le 1er août 2018. En arrêt-maladie depuis le 4 juin 2021, il a été licencié pour faute grave le 28 juillet 2021. Contestant ce licenciement, il a saisi le conseil de prud’hommes, qui a confirmé la légitimité de la décision. Cependant, le 7 décembre 2023, Monsieur [M] [B] a fait appel, arguant d’une discrimination liée à son état de santé. La cour a finalement déclaré son licenciement discriminatoire, condamnant la SAS Fichet Bauche à verser plusieurs indemnités.

Embauche de Monsieur [M] [B]

La SAS Gunnezo, devenue la SAS Fichet Bauche, a embauché Monsieur [M] [B] en tant qu’acheteur technique et responsable approvisionnement le 1er août 2018, avec une ancienneté reconnue à partir du 1er mars 2017.

Arrêt-maladie et licenciement

Monsieur [M] [B] a été en arrêt-maladie à partir du 4 juin 2021, avec des renouvellements jusqu’au 31 août 2021. Le 28 juin 2021, il a reçu une convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire, suivie le 28 juillet 2021 de son licenciement pour faute grave.

Contestation du licenciement

Monsieur [M] [B] a contesté son licenciement en saisissant le conseil de prud’hommes de Reims le 29 juillet 2022, demandant la nullité de son licenciement et des indemnités. Le jugement du 18 octobre 2023 a confirmé la légitimité de son licenciement pour faute grave et a débouté Monsieur [M] [B] de toutes ses demandes.

Appel de Monsieur [M] [B]

Le 7 décembre 2023, Monsieur [M] [B] a formé une déclaration d’appel, demandant l’infirmation du jugement et la reconnaissance de son licenciement comme discriminatoire, ainsi que diverses indemnités.

Réponse de la SAS Fichet Bauche

La SAS Fichet Bauche a demandé à la cour de confirmer le jugement initial, arguant que le licenciement était justifié par des faits antérieurs à l’arrêt-maladie de Monsieur [M] [B] et qu’il n’y avait pas de discrimination.

Arguments de Monsieur [M] [B]

Monsieur [M] [B] a soutenu que son licenciement était discriminatoire en raison de son état de santé et que la SAS Fichet Bauche n’avait pas prouvé que sa décision était fondée sur des éléments objectifs. Il a également contesté les griefs qui lui étaient reprochés, les qualifiant d’insuffisance professionnelle.

Décision de la cour

La cour a infirmé le jugement initial, déclarant le licenciement de Monsieur [M] [B] discriminatoire et nul. Elle a condamné la SAS Fichet Bauche à verser plusieurs indemnités, y compris pour préavis, congés payés, indemnité de licenciement et dommages-intérêts pour licenciement nul et manquement à l’obligation de sécurité.

Conséquences financières

La SAS Fichet Bauche a été condamnée à rembourser les indemnités chômage versées à Monsieur [M] [B] et à payer des frais irrépétibles, ainsi qu’à supporter les dépens des deux instances.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la procédure à suivre pour un désistement d’appel ?

Le désistement d’appel est régi par les articles 394 et suivants du Code de procédure civile.

Selon l’article 394, « l’appelant peut se désister de son appel, même après l’expiration du délai de l’appel, à condition que l’intimé y consente ».

Dans le cas présent, Madame [E] [B] a signifié son désistement le 11 décembre 2024, et Monsieur [X] [N] a accepté ce désistement par message le 19 décembre 2024.

Ainsi, le désistement a été formulé sans réserve, ce qui est conforme aux exigences légales.

L’article 401 précise que « le désistement d’appel doit être notifié à la cour et à l’intimé ».

Dans cette affaire, la cour a été informée du désistement, permettant ainsi de donner acte à Madame [E] [B] de son désistement.

Quelles sont les conséquences d’un désistement d’appel ?

Les conséquences d’un désistement d’appel sont énoncées dans les articles 403 et 405 du Code de procédure civile.

L’article 403 stipule que « le désistement d’appel entraîne l’extinction de l’instance ».

Cela signifie que la cour ne peut plus examiner l’affaire, et toutes les procédures en cours sont annulées.

De plus, l’article 405 précise que « le désistement d’appel est sans préjudice des droits de l’appelant ».

Cela signifie que Madame [E] [B] conserve ses droits, même si l’appel est abandonné.

Dans le cas présent, la cour a constaté l’extinction de l’instance et le dessaisissement de la cour, conformément à ces dispositions.

Qui supporte les dépens en cas de désistement d’appel ?

La question des dépens est abordée dans l’article 696 du Code de procédure civile.

Cet article indique que « les dépens sont à la charge de la partie qui succombe ».

Cependant, en cas de désistement, la partie qui se désiste peut être condamnée à payer les dépens.

Dans cette affaire, la cour a décidé que les dépens resteraient à la charge de Madame [E] [B], ce qui est conforme à la pratique habituelle en matière de désistement d’appel.

Ainsi, même si elle a abandonné son appel, elle doit supporter les frais engagés dans le cadre de la procédure.

Arrêt n°

du 8/01/2025

N° RG 23/01920

MLB/FJ

Formule exécutoire le :

à :

COUR D’APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 8 janvier 2025

APPELANT :

d’un jugement rendu le 18 octobre 2023 par le Conseil de Prud’hommes de REIMS, section Encadrement (n° F 22/00302)

Monsieur [M] [B]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Christine SAUER-BOURGUET, avocat au barreau de REIMS

INTIMÉE :

SAS FICHET BAUCHE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS et par Me Frédéric ZUNZ, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS :

En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 novembre 2024, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller, chargé du rapport, qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 8 janvier 2025.

COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :

Monsieur François MÉLIN, président

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller

Monsieur Olivier JULIEN, conseiller

GREFFIER lors des débats :

Monsieur Francis JOLLY, greffier

ARRÊT :

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur François MÉLIN, président, et Monsieur Francis JOLLY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

* * * * *

Suivant contrat de travail à durée indéterminée en date du 1er août 2018, la SAS Gunnezo [P], devenue la SAS Fichet Bauche, a embauché Monsieur [M] [B] en qualité d’acheteur technique et responsable approvisionnement, au statut cadre autonome, avec une reprise d’ancienneté au 1er mars 2017.

Monsieur [M] [B] a été en arrêt-maladie à compter du 4 juin 2021, régulièrement renouvelé jusqu’au 31 août 2021.

Le 28 juin 2021, un courrier de convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire a été adressé à Monsieur [M] [B], signé par [O] [V], responsable RH, sur du papier à en-tête Fichet.

Le 28 juillet 2021, la même personne a notifié à Monsieur [M] [B] son licenciement pour faute grave.

Contestant notamment le bien-fondé de son licenciement, le 29 juillet 2022, Monsieur [M] [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Reims d’une demande tendant à voir déclarer nul ou sans cause réelle et sérieuse son licenciement et de demandes en paiement à caractère indemnitaire et salarial.

Par jugement en date du 18 octobre 2023, le conseil de prud’hommes a :

– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [M] [B] n’est pas entaché de nullité,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de juger son licenciement nul,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire au titre de licenciement nul,

– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [M] [B] est bien justifié par une faute grave,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire au titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande d’indemnité de préavis et congés afférents,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande d’indemnité de licenciement,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation du salarié,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et protection de la santé du salarié,

– condamné Monsieur [M] [B] à payer à la SAS Fichet Bauche la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné Monsieur [M] [B] aux entiers dépens de l’instance sur le fondement des articles 695 et 696 du code de procédure civile.

Le 7 décembre 2023, Monsieur [M] [B] a formé une déclaration d’appel.

Dans ses écritures en date 31 juillet 2024, il demande à la cour :

– d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

– de juger que la SAS Fichet Bauche est mal fondée en son appel et débouter la SAS Fichet Bauche de toutes ses demandes,

– de débouter la SAS Fichet Bauche de sa demande en paiement d’article 700 du code de procédure civile et des dépens,

statuant à nouveau, de le déclarer bien-fondé en toutes ses demandes et y faisant droit :

– de juger que son licenciement est discriminatoire,

– de prononcer la nullité de son licenciement et de l’annuler,

– de condamner la SAS Fichet Bauche au paiement d’une somme de 55000 euros à titre de dommages- intérêts pour licenciement nul,

subsidiairement,

– de déclarer que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

– de condamner la SAS Fichet Bauche à lui payer la somme de 23765 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en toute hypothèse,

– de condamner la SAS Fichet Bauche au paiement des sommes suivantes :

. 28519,14 euros à titre d’indemnité de préavis,

. 2851,91 euros à titre de congés payés sur préavis,

. 5743,44 euros à titre d’indemnité de licenciement,

. 8000 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et préjudice financier,

. 15000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et protection de la santé du salarié,

– de condamner la SAS Fichet Bauche au remboursement éventuel des indemnités qui seraient réclamées par Pôle Emploi,

– de condamner la SAS Fichet Bauche aux intérêts au taux légal à compter du jour de la saisine et capitalisation des intérêts sur l’ensemble des sommes accordées,

– de condamner la SAS Fichet Bauche au paiement d’une indemnité de 5000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

– de condamner la SAS Fichet Bauche aux dépens dont distraction est requise au profit de Maître Sauer Bourguet.

Dans ses écritures en date du 9 octobre 2024, la SAS Fichet Bauche demande à la cour de déclarer Monsieur [M] [B] mal fondé en son appel et l’en débouter et de confirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [M] [B] n’est pas entaché de nullité,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de juger son licenciement nul,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire au titre du licenciement nul,

– dit et jugé que le licenciement de Monsieur [M] [B] est bien justifié par une faute grave,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande d’indemnité de préavis et congés afférents,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande d’indemnité de licenciement,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation du salarié,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et protection de la santé du salarié,

– condamné Monsieur [M] [B] à lui payer la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Monsieur [M] [B] de sa demande indemnitaire au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau, de condamner Monsieur [M] [B] à 2000 euros d’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Motifs :

– Sur la nullité du licenciement :

Monsieur [M] [B] soutient qu’il présente les éléments de fait permettant de retenir une discrimination à l’origine du licenciement et que l’employeur n’apporte pas d’éléments objectifs. Il fait valoir que son licenciement serait nul au motif que la SAS Fichet Bauche l’aurait licencié du fait de la prolongation de ses arrêts-maladie et qu’elle avait décidé de le licencier dès qu’elle a été informée de son arrêt initial pour cause de maladie le 4 juin 2021. Il ajoute que la SAS Fichet Bauche était informée de la dégradation de son état de santé, du manque de personnel et de la surcharge de travail qui l’impactaient, qu’elle n’a pas toléré qu’il soit en arrêt-maladie qu’elle considère de complaisance alors que sa manager lui avait refusé une nouvelle journée de télétravail et qu’elle l’a dès lors licencié pour ce motif, qu’enfin les griefs invoqués par la SAS Fichet Bauche à son encontre sont totalement injustifiés. Il demande donc que la nullité de son licenciement, qui est discriminatoire, soit prononcée.

La SAS Fichet Bauche réplique que jusqu’au 2 juin 2021, Monsieur [M] [B] n’a jamais évoqué la moindre difficulté concernant sa charge de travail et de prétendues répercussions sur son état de santé, que les pièces qu’il produit n’établissent nullement qu’il aurait été victime d’un burn out ni que cela serait dû aux agissements de la société, que le licenciement ne résulte pas du fait que Monsieur [M] [B] se soit mis en arrêt-maladie mais de ses agissements qui lui sont antérieurs qui constituent une faute grave et qu’elle a dû engager cette procédure alors que le salarié était arrêté, afin de respecter le délai de deux mois de la connaissance des faits à l’origine du licenciement. Le licenciement étant sans lien avec l’état de santé de Monsieur [M] [B], elle conclut au rejet de la demande de nullité du licenciement.

Aux termes de l’article L.1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé.

En application de l’article L.1134-1 du même code, le salarié qui invoque la discrimination doit présenter des éléments de fait laissant supposer son existence directe ou indirecte telle que définie à l’article premier de la loi numéro 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné en cas de besoin, toutes mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Dans le cadre d’une discussion par mails entre Monsieur [M] [B] et la directrice BU Secured Storage, Madame [W] [E], les 2 et 3 juin 2021, celle-ci revenait sur l’organisation de son travail en présentiel, en home office ou en AP et lui reprochait son absence en présentiel le 2 juin 2021, alors qu’il travaillait en home office. Le 3 juin 2021, elle s’exprimait en ces termes : ‘Je considère le fait que les 2 personnes, avec lesquelles tu dois avoir un échange et une bonne coordination, étaient en présentiel hier nécessitait également ta présence tout au long de la journée pour le bon déroulement de ton activité. Une nouvelle absence ce jour sera inacceptable dans le futur d’autant plus que ces deux personnes ne sont en présentiel qu’une journée par semaine’.

Monsieur [M] [B] était placé en arrêt-maladie le 4 juin 2021. Il était convoqué à un entretien préalable à licenciement le 28 juin 2021 et licencié le 28 juillet 2021, alors qu’il se trouvait toujours en arrêt-maladie.

Il ressort tant des écritures de première instance de la SAS Fichet Bauche produites par le salarié que celles qu’elle a établies à hauteur d’appel, que la SAS Fichet Bauche considère l’arrêt-maladie comme un arrêt de complaisance.

Ainsi écrit-elle en première instance ‘qu’il appert en réalité que Monsieur [B] s’est arrêté pour maladie au moment où la société lui reprochait un certain nombre de manquements dont ses absences répétées sur site’.

A hauteur d’appel, elle écrit que ‘Preuve en est qu’à l’issue de leurs échanges mails du 2 juin où Madame [E] lui indiquait que cette situation n’était plus possible, Monsieur [B] parfaitement conscient de ses manquements, faisait le choix de s’arrêter pour maladie’.

Il ressort donc de ces éléments qu’alors que la supérieure hiérarchique de Monsieur [M] [B] lui indiquait que ses absences n’étaient plus supportables, celui-ci était sanctionné par un licenciement pour faute grave, alors qu’il était absent, et qu’il avait choisi selon elle de s’arrêter pour maladie.

De tels élements de fait laissent supposer une discrimination à raison de l’état de santé de Monsieur [M] [B].

Il appartient dès lors à la SAS Fichet Bauche d’établir que la décision de licencier Monsieur [M] [B] est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Monsieur [M] [B] a été licencié pour faute grave qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve d’une telle faute pèse sur l’employeur.

La SAS Fichet Bauche prétend que les griefs formulés à l’endroit de Monsieur [M] [B] sont établis au vu des pièces qu’elle produit, que ce dernier ne cachait pas sa démotivation depuis des mois et que les faits en cause ne relèvent dès lors pas de l’insuffisance professionnelle mais d’un comportement fautif résultant de son choix de désengagement. Monsieur [M] [B] réplique que les faits qui lui sont reprochés sont relatifs à une insuffisance professionnelle et en toute hypothèse non établis.

Il est en premier lieu reproché à Monsieur [M] [B] aux termes de la lettre de licenciement, d’avoir placé son collaborateur approvisionneur dans une situation de surcharge de travail, en raison d’une absence totale de soutien opérationnel et de gestion des approvisionnements. La SAS Fichet Bauche produit un mail de l’approvisionneur, Monsieur [L] [K], en date du 9 juillet 2021 qui fait notamment état d’un manque de management au quotidien, d’absence de soutien opérationnel face à une charge croissante et oppressante de la fonction. Il précise aussi que la charge est devenue très importante depuis décembre 2019, après la réorganisation des postes due au PSE, étant précisé que dans un mail antérieur du 21 mai 2021, il déplorait un manque d’effectif tant au service achat qu’au service approvisionnement. C’est donc à tort que la SAS Fichet Bauche écrit que la charge de travail dont Monsieur [L] [K] allègue est directement liée au fait qu’il devait suppléer Monsieur [M] [B] en sus de son propre travail.

En toute hypothèse, le comportement imputé à Monsieur [M] [B] n’est pas fautif. La SAS Fichet Bauche ne caractérise pas en effet un désengagement volontaire de Monsieur [M] [B] au motif qu’il a livré ses ‘états d’âme’ à un collègue sur sa lassitude, son besoin de terminer sa carrière en douceur ou encore par du travail en home office qui a toujours été validé par Madame [E], directrice BU Secured Storage, jusqu’au début du mois de juin 2021.

La SAS Fichet Bauche reproche encore vainement à Monsieur [M] [B] son incurie au motif que Monsieur [F] [Z], responsable production et maintenance de l’entreprise, s’est occupé à sa place de l’approvisionnement d’un fournisseur de peinture liquide alternatif au fournisseur Derivery, alors en toute hypothèse que plusieurs salariés -Messieurs [L] [K] et [F] [Z] ainsi que le directeur achats- soulignaient l’insuffisance des effectifs au sein des services achats et approvisionnement de la SAS Fichet Bauche.

La SAS Fichet Bauche reproche encore à Monsieur [M] [B] de se concentrer depuis le mois de juin 2021 sur l’organisation de son home office, en totale contradiction avec les directives de Madame [W] [E]. Or, Monsieur [M] [B] a été en arrêt de travail à compter du 4 juin 2021 et il n’est pas établi que Monsieur [M] [B] a enfreint de consigne entre le 1er et le 4 juin 2021 au vu des échanges entre Madame [W] [E] et le salarié les 31 mai, 3 et 4 juin 2021. En effet, il ne ressort pas de ceux-ci que le home office était interdit, ni avant le mail du 2 juin 2021 à 17 h 58, que celui-ci était exclu lorsque des personnes du service de Monsieur [M] [B] ou en connexion avec son service étaient en présentiel, de sorte que le travail en home office le 2 juin après-midi n’est pas fautif. Madame [W] [E] écrivait d’ailleurs dans ce mail qu’ils devaient convenir d’un modus vivendi, et ajoutait le 3 juin 2021 qu’ils évoqueraient le lundi suivant l’organisation en présentiel, en home office, voire en AP.

La SAS Fichet Bauche reproche enfin à Monsieur [M] [B] de n’avoir assuré aucune interaction avec les autres services du groupe, et plus particulièrement les achats, alors qu’il ne gérait qu’un portefeuille minimum, et n’avoir assuré aucun suivi des fournisseurs, ne produisant aucun tableau de bord de pilotage et ne développant aucune politique de rationalisation-négociation et qu’il n’exerçait dès lors pas ses fonctions d’acheteur.

Or, la SAS Fichet Bauche n’établit pas la réalité de telles fautes alors qu’elle produit aux débats un document intitulé ‘rapport situation approvisionnement usine BZ’ dactylographié suivi de la mention [W] [E] Directrice BU Secured Storage, lequel, comme le souligne le salarié n’est pas signé, ce qui lui ôte toute force probante et qu’elle ne produit par ailleurs aucune pièce de nature à établir la réalité de faits fautifs précis parce que le salarié aurait enfreint des consignes ou qu’il n’aurait pas volontairement effectué des tâches inhérentes à ses fonctions d’acheteur, et ce d’autant que les conditions de travail ont été rappelées ci-dessus.

Dès lors que la SAS Fichet Bauche échoue à rapporter la preuve qui lui incombe, le licenciement de Monsieur [M] [B] est discriminatoire et doit par voie de conséquence être annulé.

Le jugement doit être infirmé en ce sens.

– Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul :

En application de l’article 27 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie du 13 mars 1972, Monsieur [M] [B] est bien-fondé en sa demande d’indemnité de préavis à hauteur de 27120 euros, sur la base du salaire qu’il aurait continué à percevoir s’il avait travaillé et représentant 6 mois de salaire, outre les congés payés y afférents.

Sur la base d’une ancienneté de 4 ans et 10 mois, l’indemnité de licenciement de Monsieur [M] [B] s’élève à la somme de 5461,66 euros en application des articles L.1234- 9 et R.1234-2 du code du travail.

S’agissant des dommages-intérêts pour licenciement nul, ils ne peuvent être inférieurs aux salaires des 6 derniers mois, soit la somme de 27120 euros, en application de l’article L.1235-3-1 du code du travail.

Monsieur [M] [B] était âgé de 59 ans lors de son licenciement. Il établit au vu des pièces qu’il produit qu’il a été indemnisé par Pôle Emploi à compter du mois de mars 2023 jusqu’au mois de mars 2024.

Au vu de ces éléments, la SAS Fichet Bauche sera condamnée à payer à Monsieur [M] [B] la somme de 30000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.

Le jugement doit être infirmé en ce sens.

– Sur les dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et préjudice financier :

Monsieur [M] [B] demande à la cour de faire droit à sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et préjudice financier dont il a été débouté en première instance, tandis que la SAS Fichet Bauche conclut à la confirmation du jugement de ce chef, en l’absence de manquement de sa part à l’obligation de formation

Monsieur [M] [B] fait tout d’abord valoir qu’il a subi un préjudice financier à la suite de la perte de son emploi. Or, celui-ci a déjà été indemnisé au titre des dommages-intérêts pour licenciement nul.

Monsieur [M] [B] reproche à raison aux premiers juges d’avoir retenu que la SAS Fichet Bauche avait satisfait à son obligation de formation en application de l’article L.6321-1 du code du travail, alors qu’au vu du listing qu’elle produit, elle ne lui a fait dispenser qu’une seule formation en lien avec ses fonctions au cours d’une relation de travail de plus de 4 ans.

Toutefois, il ne caractérise aucun préjudice en lien avec ce manquement, alors même que s’il fait valoir qu’il est toujours sans emploi -à la date du mois de mars 2024 au vu de ce qui vient d’être indiqué- il indique que ses recherches d’emploi sont demeurées vaines en raison de son âge avancé.

Dans ces conditions et par substitution de motifs, le jugement doit être confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et préjudice financier.

– Sur les dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié :

Monsieur [M] [B] demande à la cour d’infirmer le jugement du chef du rejet de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de protection de la santé du salarié, alors qu’il soutient que son employeur a manqué à son obligation à ce titre, qu’il a subi un préjudice moral et que sa santé a été affectée.

La SAS Fichet Bauche répond qu’elle a toujours parfaitement rempli ses obligations à l’égard du salarié.

Les mesures que l’employeur doit prendre en application de l’article L.4121-1 du code du travail pour assurer la sécurité physique et protéger la santé physique et mentale des travailleurs comprennent notamment la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.

Or, la SAS Fichet Bauche n’établit pas avoir satisfait à une telle obligation, dès lors qu’il a été retenu ci-dessus l’état de sous-effectif dans lequel travaillait Monsieur [M] [B].

Si les pièces médicales produites sont insuffisantes à faire le lien entre le manquement de l’employeur et l’arrêt-maladie du salarié, à tout le moins ce dernier justifie t’il d’un préjudice moral en découlant, alors même qu’il établit avoir rencontré une psychologue pour la première fois le 12 mai 2021 dans le cadre de consultations visant à aborder les difficultés rencontrées dans son travail et les conséquences psychologiques difficiles pour lui.

En réparation d’un tel préjudice, la SAS Fichet Bauche sera condamnée à lui payer la somme de 1500 euros à titre de dommages-intérêts.

Le jugement doit être infirmé en ce sens.

– Sur les intérêts :

Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022, date de la réception de la convocation de la SAS Fichet Bauche devant le conseil de prud’hommes et les sommes à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Il y a lieu en outre de faire droit à la demande de Monsieur [M] [B] sur le fondement de l’article du 1343-2 du code civil.

– Sur l’article L.1235-4 du code du travail :

Les conditions s’avèrent réunies pour condamner l’employeur fautif, en application de l’article L.1235-4 du code du travail, à rembourser à l’organisme intéressé les indemnités chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois.

– Sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile :

Partie succombante, la SAS Fichet Bauche doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel, avec faculté de recouvrement direct pour ceux d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances et condamnée en équité à payer à Monsieur [M] [B] la somme de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.

Par ces motifs :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [M] [B] de sa demande de dommages-intérêts pour non-respect de l’obligation de formation et préjudice financier ;

Le confirme de ce chef ;

Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :

Dit que le licenciement de Monsieur [M] [B] est discriminatoire ;

Dit que licenciement de Monsieur [M] [B] est nul ;

Condamne la SAS Fichet Bauche à payer à Monsieur [M] [B] les sommes de :

– 27120 euros au titre de l’indemnité de préavis ;

– 2712 euros au titre des congés payés y afférents ;

– 5461,66 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;

– 30000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

– 1500 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;

Dit que les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter du 3 août 2022 ;

Dit que les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dûs au moins pour une année entière ;

Condamne la SAS Fichet Bauche à rembourser à l’organisme intéressé les indemnités chômage versées au salarié, du jour de son licenciement au jour de la décision judiciaire, dans la limite de six mois ;

Déboute la SAS Fichet Bauche de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances ;

Condamne la SAS Fichet Bauche à payer à Monsieur [M] [B] la somme de 3000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;

Condamne la SAS Fichet Bauche aux dépens de première instance et d’appel, avec faculté de recouvrement direct pour ceux d’appel.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon