L’Essentiel : Monsieur [T] [Y], licencié pour inaptitude, conteste son licenciement devant le Conseil des prud’hommes. Il demande la requalification de son licenciement en licenciement nul, invoquant une surcharge de travail et un harcèlement moral. La société Kiloutou, quant à elle, défend la légitimité de son licenciement, arguant que Monsieur [Y] avait une autonomie dans son travail et que les preuves de préjudice sont insuffisantes. La cour, après examen des arguments, infirme le jugement initial et requalifie le licenciement de Monsieur [Y] en licenciement nul, condamnant Kiloutou à verser des indemnités significatives.
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Exposé du litigeMonsieur [T] [Y], né le 18 septembre 1979, a été embauché par la société Kiloutou le 2 juin 2009 en tant que responsable de gestion opérationnelle avec une rémunération mensuelle brute de 5 052,80 euros. Il a été licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement. En réponse, il a saisi le Conseil des prud’hommes de Créteil le 19 avril 2019 pour contester ce licenciement et demander des indemnités. Le jugement du 17 juin 2021 a débouté Monsieur [Y] de toutes ses demandes, ce qui l’a conduit à interjeter appel le 16 juillet 2021. Demandes de Monsieur [Y]Dans ses conclusions signifiées le 12 octobre 2023, Monsieur [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement précédent et de requalifier son licenciement en licenciement nul, avec des demandes de dommages et intérêts s’élevant à 110 751,71 euros pour licenciement nul et 44 300,70 euros pour préjudice moral. À titre subsidiaire, il demande une requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec des indemnités variant selon la prise en compte des heures supplémentaires. Il réclame également diverses sommes pour des indemnités compensatrices, des rappels de salaire, et des frais de justice. Réponse de la société KiloutouLa société Kiloutou, par conclusions signifiées le 18 mars 2024, demande à la cour de confirmer le jugement initial, sauf en ce qui concerne ses propres demandes de condamnation. Elle conteste les demandes de Monsieur [Y] et propose de limiter les dommages et intérêts à 15 158,49 euros, arguant que le salarié n’a pas démontré de préjudice spécifique lié à la rupture de son contrat de travail. Arguments de Monsieur [Y]Monsieur [Y] soutient avoir subi une surcharge de travail chronique, travaillant jusqu’à 50 heures par semaine, ce qui aurait été constaté par le médecin du travail. Il évoque également une stagnation professionnelle injustifiée et des critiques de la part de sa hiérarchie, ainsi qu’un management défaillant. Il affirme que ces conditions de travail ont dégradé sa santé, entraînant des arrêts de travail et un avis d’inaptitude. Il considère que ces éléments constituent un harcèlement moral, rendant son licenciement nul. Arguments de la société KiloutouLa société Kiloutou rétorque que Monsieur [Y] avait une grande autonomie dans l’organisation de son travail et que les éléments fournis ne suffisent pas à prouver une surcharge de travail. Elle souligne que les entretiens annuels montrent un soutien de la hiérarchie et que les documents médicaux ne démontrent pas de lien entre la dégradation de la santé de Monsieur [Y] et ses conditions de travail. Elle conteste également les accusations de harcèlement moral. Décision de la courLa cour, après avoir examiné les éléments présentés, infirme le jugement des premiers juges et requalifie le licenciement de Monsieur [Y] en licenciement nul. Elle condamne la société Kiloutou à verser à Monsieur [Y] des sommes significatives pour dommages et intérêts, indemnités compensatrices, rappels de salaire, et préjudice moral. La cour ordonne également le remboursement des indemnités de chômage versées à Monsieur [Y] et accorde des frais de justice à son bénéfice. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelles sont les obligations du bailleur en matière de jouissance paisible selon le Code civil ?Selon l’article 1719, alinéa 3, du Code civil, le bailleur est tenu de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. Cet article stipule : « Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu’il soit besoin d’aucune stipulation particulière, de faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail. » Cette obligation implique que le bailleur doit s’assurer que le preneur puisse utiliser les lieux loués sans troubles, ce qui inclut la nécessité de garantir la sécurité des lieux, notamment dans le cas d’un parking. En cas de manquement à cette obligation, le preneur peut demander réparation pour les préjudices subis, à condition de prouver que le trouble provient d’une négligence du bailleur. Quelles sont les conséquences de la prescription des actions en matière de bail ?L’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 précise que toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit. Cet article énonce : « Toutes actions dérivant d’un contrat de bail sont prescrites par trois ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer ce droit. » Dans le cas présent, Madame [W] [J] a fait délivrer son assignation le 31 octobre 2023. Par conséquent, les demandes d’indemnisation pour des troubles nés antérieurement au 31 octobre 2020 sont considérées comme prescrites. Cela signifie que les préjudices subis avant cette date ne peuvent plus donner lieu à une action en justice. Quelles sont les conditions pour que le bailleur soit exonéré de sa responsabilité en cas de troubles causés par des tiers ?L’article 1725 du Code civil stipule que le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur des troubles que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance. Cet article précise : « Le bailleur n’est pas tenu de garantir le preneur du trouble que des tiers apportent par voies de fait à sa jouissance, sans prétendre d’ailleurs aucun droit sur la chose louée ; sauf au preneur à les poursuivre en son nom personnel. » Pour que le bailleur puisse bénéficier de cette exonération, il doit prouver que le trouble résulte d’un acte de tiers. Dans le cas de Madame [W] [J], bien que les dégradations de son véhicule aient été causées par des tiers, il est nécessaire d’examiner si ces troubles sont liés à une faute du bailleur, notamment en ce qui concerne la sécurisation des lieux. Comment la responsabilité du bailleur peut-elle être engagée en cas de défaut de sécurisation des lieux ?La responsabilité du bailleur peut être engagée si le trouble de jouissance est directement lié à une faute de sa part, comme le non-respect de son obligation de sécurisation des lieux. En effet, si le bailleur a manqué à son obligation de garantir la sécurité, il peut être tenu responsable des préjudices subis par le preneur. Dans cette affaire, il a été établi que le bailleur avait engagé des travaux pour sécuriser le parking, mais il n’a pas été prouvé que la porte du parking était constamment ouverte et non sécurisée au moment des dégradations. Les témoignages fournis n’ont pas permis de déterminer avec précision la période durant laquelle la porte était ouverte, ce qui a conduit à la conclusion que le bailleur n’avait pas manqué à son obligation de délivrance paisible des lieux. Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de procédure civile dans ce litige ?L’article 700 du Code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme pour couvrir les frais exposés et non compris dans les dépens. Cet article stipule : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. » Dans le cas présent, Madame [W] [J] ayant succombé dans ses demandes, le juge a décidé de la condamner à verser à l’établissement Paris Habitat OPH la somme de 300 euros au titre de l’article 700, tenant compte de l’équité et de la situation économique de la partie condamnée. |
délivrées le :
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 3
ARRET DU 08 JANVIER 2025
(n° , 8 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/06554 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEC3D
Décision déférée à la Cour : Jugement du 17 Juin 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CRÉTEIL – RG n° F 19/00524
APPELANT
Monsieur [T] [Y]
Né le 18 septembre 1979
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représenté par Me Alina PARAGYIOS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0374
INTIMEE
S.A.S.U. KILOUTOU, pris en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Alexandra LORBER LANCE, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020, avocat postulant et par Me Anne-emmanuelle THIEFFRY, avocat au barreau de LILLE, toque : 0053, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 Novembre 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique MARMORAT, Présidente, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Véronique MARMORAT, présidente
Christophe BACONNIER, président
Marie-Lisette SAUTRON, présidente
Greffier, lors des débats : Madame Laetitia PRADIGNAC
ARRET :
– Contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, initialement prévu le 11 décembre 2011 et prorogé au 8 janvier 2025, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Véronique MARMORAT, Présidente et par Laetitia PRADIGNAC, Greffière, présent lors de la mise à disposition.
Monsieur [T] [Y], né le 18 septembre 1979, embauché par la société Kiloutou, ayant pour activité principale la location de matériels, engins de chantier et d’outillages, le 2 juin 2009 en qualité de responsable de gestion opérationnelle ayant une rémunération mensuelle moyenne brute égale à la somme de 5 052,80 euros, a été licencié pour inaptitude d’origine non professionnelle et impossibilité de reclassement.
Le 19 avril 2019, monsieur [Y] a saisi en nullité ou en contestation de ce licenciement et en diverses demandes indemnitaires ou salariales le Conseil des prud’hommes de Créteil lequel par jugement du 17 juin 2021 l’a débouté de toutes ses demandes.
Monsieur [Y] a interjeté appel de cette décision le 16 juillet 2021.
Par conclusions signifiées par voie électronique le 12 octobre 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [Y] demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et statuant de nouveau de :
A titre principal
Requalifier le licenciement en licenciement nul
Condamner la société Kiloutou à lui verser les sommes suivantes
110 751,71 euros (76 200 euros si les heures supplémentaires ne sont pas retenues) à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul
44 300,70 euros (30 480 euros si les heures supplémentaires ne sont pas retenues) à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral
A titre subsidiaire
Requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse
Condamner la société Kiloutou à lui verser la somme de 66 451 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse si les heures supplémentaires sont retenues ou celle de 45 720 euros sans heures supplémentaires
En tout état de cause
Condamner la société Kiloutou à lui verser les sommes suivantes si les heures supplémentaires sont retenues
Titre
Somme en euros
Indemnité compensatrice de préavis
Congés payés
22 150,30
2 215,00
Rappel de salaire sur les heures supplémentaires
Congés payés s
40 452,42
4 045,40
Dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires pour les années 2016 et 2017
10 644,10
Rappel de prime sur l’année 2018
6 186,45
Indemnité forfaitaire de travail dissimulé
44 300,70
Rappel d’indemnité de licenciement
6 045,20
Article 700 du code de procédure civile
6 000
ou
Condamner la société Kiloutou à lui verser les sommes suivantes si les heures supplémentaires ne sont pas retenues
Titre
Somme en euros
Indemnité compensatrice de préavis
Congés payés
15 240
1 524
Article 700 du code de procédure civile
6 000
Condamner la société Kiloutou aux dépens
Ordonner le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à monsieur [Y], dans la limite de six mois d’indemnités de chômage soit à hauteur de 17.768,58 euros
Par conclusions signifiées par voie électronique le 18 mars 2024, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Kiloutou demande à la cour de
A titre principal
Confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a rejeté ses demandes de condamnation
Condamner monsieur [Y] aux dépens et à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
A titre subsidiaire
Limiter le montant total des dommages et intérêts à la somme de 15 158,49 euros en l’absence de démonstration d’un préjudice spécifique né de la rupture du contrat de travail.
La cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
Sur la nullité du licenciement
Monsieur [Y] fait valoir qu’il aurait subi une surcharge de travail chronique du fait qu’il aurait fait du 50 heures par semaine alors que son contrat prévoirait que 39 heures, ce qui serait constatée par le médecin du travail, dans les dires rapportés dans les entretiens annuels et dans plusieurs courriels entre salariés qui constateraient les heures travaillées supplémentaires afin de soutenir l’équipe et pallier, selon lui, à une politique managériale inefficiente.
Il souligne qu’il aurait subi une stagnation professionnelle injustifiée du fait qu’il aurait eu des annotations et promesses de la hiérarchie dans ses entretiens annuels d’évaluation de 2012 à 2018 qui l’auraient laissé espérer en vain une promotion et met également en cause la société Kiloutou dans le manque de formation en 2020 qui lui aurait porté préjudice dans sa recherche d’emploi.
Le salarié affirme qu’il aurait fait l’objet de critiques injustifiées par divers mails du directeur de groupe d’agences [Localité 5] sud, ainsi que dans un mail qu’il aurait écrit où il inciterait à un climat plus bienveillant. Monsieur [Y] considère également que le management défaillant du directeur régional empêchait les responsables de gestion d’exercer leur rôle managérial, ce qui serait créateur d’une certaine souffrance et que cette situation a demandé une rupture conventionnelle le 6 juin 2018.
Monsieur [Y] ajoute que ces conditions de travails dégradées ont eu un retentissement sur sa santé tant mentale que somatique. La dégradation de sa santé a entraîné des arrêts de travail et a abouti à l’avis d’inaptitude à son poste rendu le 14 novembre 2018 par le médecin du travail mentionnant qu’il « pourrait occuper un poste similaire dans une autre structure ».
Le salarié soutient que ces éléments sont constitutifs d’un harcèlement moral, que son inaptitude n’est que la conséquence des agissements de son employeur et qu’ainsi, le licenciement doit être déclaré nul.
En droit, selon les dispositions de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Enfin, l’article L. 1154-1 prévoit, qu’en cas de litige, si le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et, au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité de résultat, doit assurer la protection de la santé des travailleurs dans l’entreprise et notamment prévenir les faits de harcèlement moral.
Dès lors que de tels faits sont avérés, la responsabilité de l’employeur est engagée, ce dernier devant répondre des agissements des personnes qui exercent de fait ou de droit une autorité sur les salariés.
Aux termes de l’article L1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
Pour établir les agissements de la société Kiloutou, monsieur [Y] produit
Ses entretiens annuels dans lesquels il est notamment mentionné par son manager dans l’entretien du 4 avril 2013 que « il a l’intelligence de se remettre en question et enfin d’oser prendre des risques. Pour moi, son métier de demain n’est pas encore réellement défini et il a le temps de changer. Néanmoins, il aura fait le tour de RGO Région dans 2 ans », le salarié indique qu’après le départ de deux collègues, il a repris la partie administrative de l’un d’eux en plus de ses autres attributions, qu’il explique qu’il a dû repousser ses limites ( entretien du 22 avril 2014), il note un positionnement humain peu compréhensible, une perte de cohésion et de sens, un déficit de compétence et de maturité de l’équipe administrative, devant être reconstruite et qu’il lui est difficile d’évoluer dans un contexte compliqué avec un manque d’implication et de construction et qu’il doit faire le pompier de service ( entretien du 29 mars 2016), il confirme un manque de cohérence, un déficit du travail en équipes et une usure de celles-ci ( entretien du 21 avril 2017). Ses entretiens décrivent de la part des différents supérieurs hiérarchiques qui se sont succédés une salarié impliqué dans la société, attaché aux performances mais aussi au management des équipes et ayant atteint le qualité sommitale d’expert.
De nombreux courriels échangés soit avec sa hiérarchie comme ceux avec monsieur [C] ne comprenant pas qu’un éclaircissement sur une imputation erronée ne lui soit pas immédiatement donné en pleine période budgétaire soit avec des collègues échangés tardivement le soir, dans lesquels il explique travailler après le diner parfois jusqu’à minuit pour préparer les comités exécutifs ou pour répondre à des courriels restés en attente, il fait part de son épuisement, de son incompréhension face à l’investissement très disparate de la Région et d’autres cadres, des messages de motivation pour ses équipes.
Ses arrêts de travail, et un compte rendu d’examen complémentaire réalisé par madame [H], psychologue du travail réalisé à la demande du Docteur [F], médecin du travail en charge de monsieur [Y] précisant que le périmètre d’intervention du salarié n’a cessé de s’élargir à la suite de la fusion des régions [Localité 5] Sud et [Localité 5] Nord en 2011, et que ses conditions de travail se sont dégradées à compter de 2013 à la suite des départs successifs de deux personnes provoquant une surcharge de travail et que les personnes recrutées ensuite avaient un profil junior et n’arrivaient pas à s’adapter au poste atypique pour la partie « risque client », que la refonte de la structure budgétaire lui a demandé un fort investissement sans réelle reconnaissance, qu’il avait le sentiment de tenir la région à bout de bras de en raison des départs successifs et des profils de nouveaux arrivants et d’être le pompier de service. Il est noté que malgré l’amélioration des chiffres en 2016 et 2017, l’absence de soutient de son directeur l’a renvoyé à une grande solitude. Le bilan de compétences fait part le service RH en mars 2018 a mis en exergue un sentiment de lassitude, un ressenti de surmenage vécu depuis plusieurs années liés à une surcharge de travail et une grande difficulté à vivre l’absence de retour du côté de la RH et de la DAF concernant sa demande d’évolution de carrière. Sur la plan clinique, le salarié est décrit comme psychiquement très impacté, touché par un grand désarroi, ayant des réveils nocturnes fréquents, des cauchemars sur le travail, se réveillant épuisé, se reconnaissant comme très irritable vis-à-vis de ses enfants et de sa femme et souffrant de raideurs musculaires. Cette appréciation est en cohérence avec les courriers du docteur [D], psychiatre suivant monsieur [Y] et le dossier médico-professionnel fourni par le service de médecine du travail.
Ainsi, ces éléments permettent de présumer l’existence d’un harcèlement.
La société Kiloutou soutient que monsieur [Y] aurait eu une grande autonomie dans l’organisation de son temps de travail avec de grandes responsabilités et que seuls quelques mails sur plusieurs années de relations contractuelles ne suffiraient pas à démontrer la surcharge de travail et que monsieur [Y] ne ferait aucunement mention d’une surcharge de travail chronique. De plus, l’employeur fait valoir qu’elle ne s’est jamais engagée à accorder une promotion à monsieur [Y], que ses souhaits professionnels seraient souvent imprécis et changeant et qu’enfin sa rémunération aurait augmenté et qu’il aurait accompagné monsieur [Y] dans une perspective d’évolution par des accompagnements d’un coach de gestion de carrière entièrement pris en charge par elle. La société Kiloutou ajoute que les e-mails apportés par monsieur [Y] ne démontrent pas les critiques injustifiées ou le management défaillant et qu’au contraire dans les entretiens annuels d’évaluation, il serait montré le soutien et la bienveillance de la société envers monsieur [Y]. Enfin, l’employeur fait valoir que les documents médicaux de monsieur [Y] n’établiraient pas de lien entre la dégradation de son état de santé depuis 2013 et ses conditions de travail, qu’il n’aurait jamais contesté l’origine non professionnelle de ses arrêts maladie et/ou inaptitude et considère que le salarié aurait mal vécu son refus à la rupture conventionnelle et qu’il aurait alors stigmatisé la société de tous ses maux.
Pour étayer ses affirmations, la société Kiloutou ne fait que reprendre les pièces versées aux débats par le salarié sans donner d’élément ni de son dossier au service des ressources humaines, ni sur son bilan de compétences ni sur le coaching sur la gestion de carrière se contentant de fournir les pièces relatives à la procédure de licenciement pour inaptitude pour origine non professionnelle et sur ses démarches de recherche de poste de reclassement en lien avec la médecine du travail.
Ces arguments ne sont pas en mesure d’expliquer par d’autres raisons que celles données par le salarié soit une surcharge de travail, une stagnation professionnelle injustifiée et un management défaillant les atteintes à la santé mentale du salarié ayant eu un fort impact sur sa santé physique et sa vie familiale.
En conséquence, il convient d’infirmer la décision des premiers juges, de juger que monsieur [Y] a subi de la part de son employeur un harcèlement moral.
Sur les autres demandes
Sur les heures supplémentaires
L’article L 3171-4 du code du travail précise qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, de répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
Monsieur [Y] reprend les termes de son contrat à durée indéterminée prévoyant une durée de travail de 29 h par mois soit 169 heures par mois, calcule pour chaque année non prescrite les nombres d’heures supplémentaires réalisées et non payées, produits de nombreux courriels qui établissent qu’il travaillait tard chez lui, prenait rarement de temps de pause méridienne, pouvait travailler les week-end notamment en période budgétaire que la définition de son poste a été augmenté.
Il fournit des éléments suffisamment précis permettant à l’employeur qui assure le contrôle du temps de travail d’y répondre
L’employeur n’apporte aucun élément de nature à contredire ces calculs se contentant d’énoncer que le salarié n’avait pas formée de demandé à ce titre pendant l’exécution du contrat de travail.
En conséquence, la cour prenant en compte l’ensemble des éléments produit fait droit aux demandes du salarié relatives à la fixation de son salaire, des heures supplémentaires, des congés payés afférents et à celle sollicitée pour le dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires correspondant à la contrepartie en repas pour les années 2016 et 2017.
Sur l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé
En vertu de l’article L 8221-5 du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Les circonstances de l’espèce ne permettent pas de considérer que la société Kiloutou a intentionnellement indiqué sur les bulletins de salaire un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli ou s’est soustrait volontairement à ses obligations de déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales. En effet, aucun élément ne permet de considérer qu’elle avait pleinement conscience de l’accomplissement d’heures au delà de celles qui étaient contractuellement prévues. En conséquence, il convient de confirmer la décision du Conseil des prud’hommes sur ce point.
Sur le préjudice moral distinct.
La cour prenant en compte le fait que dans ses entretiens annuels, le salarié n’a cessé d’attirer l’attention de son employeur sur son fort investissement, sur son sentiment de lassitude face à l’absence de reconnaissance et de soutien de sa hiérarchie a subi un préjudice distinct qui sera compensé par l’allocation d’une somme de 8 000 euros.
Sur les indemnités relatives au licenciement nul
En prenant en compte les heures supplémentaires retenues, la cour fait droit aux demandes de monsieur [Y] aux titre de l’indemnité compensatrice de préavis des congés payés afférents, du rappel d’indemnité de licenciement et fixe à la somme de 90 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.
Sur la prime de l’année 2018
Monsieur [Y] demande la somme de 6 186,45 euros à titre de rappel de prime sur l’année 2018 au prorata de son temps de présence estimant que la prime dit de « directeur » correspondait à un usage professionnel en raison de sa généralité, de sa constance et de sa fixité. Cette prime lui a été régulièrement versée au cours du premier trimestre de chaque année avec des montants très variable compris entre 2 000 à 7000 euros pour celle versée pour l’année 2017 en février 2018. Ainsi, le critère de fixité n’étant pas rapporté, il convient de confirmer la décision du Conseil des prud’hommes qui a rejeté cette demande.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
En application de l’article L 123-4 du code du travail, la cour condamne la société Kiloutou à verser à France Travail la somme de 17 768,58 euros correspondant à 6 mois d’indemnité de chômage.
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,
Infirme le jugement, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes de monsieur [Y] relative à l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé et au rappel de prime 2018 ;
Statuant à nouveau sur les autres points
Requalifie le licenciement de monsieur [Y] par la société Kiloutou en licenciement nul ;
Condamne la société Kiloutou à verser à monsieur [Y] les sommes suivantes :
– 90 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
– 6 045,20 euros à titre rappel de salaire d’indemnité de licenciement,
– 22 150,30 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis outre celle de 2 215 euros pour les congés payés afférents,
– 40 452,42 euros au titre des rappels de salaire sur les heures supplémentaires outre celle de 4 045,40 euros pour les congés payés afférents,
– 10 644,10 euros à titre du dépassement du contingent annuel d’heures supplémentaires pour les années 2016 et 2017,
– 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour son préjudice moral ;
Ordonne le remboursement par la société Kiloutou à Pôle emploi devenu France Travail des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de monsieur [Y] , dans la limite de six mois soit à la somme de 17 768,58 euros et dit qu’une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l’article R. 1235-2 du code du travail ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Kiloutou à verser à monsieur [Y] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société Kiloutou aux dépens.
Le greffier La présidente
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