Responsabilité et conséquences d’une dissimulation dans le cadre professionnel

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Responsabilité et conséquences d’une dissimulation dans le cadre professionnel

L’Essentiel : [I] [L] a été engagé le 25 janvier 1999 par la société LE FOURNIL BITERROIS en tant que chef d’atelier, avec un salaire brut de 2 550,17€ et des primes. Cependant, le 28 janvier 2020, il a reçu un avertissement pour ne pas avoir signalé la disparition d’un raccord essentiel. Suite à un incident de contamination de la production, il a été licencié pour faute grave le 18 juin 2020. Après son décès en décembre 2022, ses héritiers ont contesté le jugement des prud’hommes, demandant diverses indemnités, tandis que l’employeur a soutenu la légitimité du licenciement.

Engagement et fonctions de [I] [L]

[I] [L] a été engagé le 25 janvier 1999 par la société LE FOURNIL BITERROIS, qui a ensuite été remplacée par la SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE. Il occupait le poste de chef d’atelier avec un salaire mensuel brut de 2 550,17€, auquel s’ajoutaient diverses primes.

Avertissement et mise à pied

Le 28 janvier 2020, [I] [L] a reçu un avertissement pour ne pas avoir signalé la disparition d’un raccord du système de graissage, ce qui aurait pu affecter la production. Le 3 juin 2020, il a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un licenciement, et a été mis à pied à titre conservatoire.

Licenciement pour faute grave

Le 18 juin 2020, [I] [L] a été licencié pour faute grave. Les motifs invoqués incluaient sa responsabilité dans un incident où une plaque de plastique a contaminé la production. Il a été reproché de ne pas avoir signalé cet incident et d’avoir dissimulé des informations cruciales, mettant ainsi en danger la sécurité des produits.

Procédure judiciaire

Le 30 juin 2021, [I] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Béziers, qui a rejeté ses demandes par un jugement du 15 juillet 2022. [I] [L] a interjeté appel le 11 août 2022, mais est décédé le 14 décembre 2022. Ses héritiers ont poursuivi la procédure en demandant l’infirmation du jugement.

Demandes des héritiers

Les héritiers de [I] [L] ont demandé des sommes pour diverses indemnités, y compris un salaire correspondant à la période de mise à pied, une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés, une indemnité de licenciement, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu’une aide juridique.

Réponse de l’employeur

La SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE a demandé la confirmation du jugement initial, soutenant que la faute grave de [I] [L] était bien établie par des attestations précises et concordantes. L’employeur a souligné que [I] [L] avait omis de signaler un incident grave et avait menti à ses supérieurs.

Décision de la cour

La cour a confirmé le jugement des prud’hommes, considérant que la faute grave était caractérisée par la dissimulation des faits par [I] [L], la gravité des conséquences potentielles sur la santé des consommateurs, et la réitération des comportements fautifs. Les héritiers ont été condamnés aux dépens.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de la faute grave justifiant un licenciement ?

La faute grave est définie par le Code du travail, notamment à l’article L1234-1, qui stipule que « le licenciement pour faute grave est celui qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ».

Pour qu’une faute soit qualifiée de grave, elle doit être d’une telle importance qu’elle empêche la poursuite de la relation de travail.

Dans le cas présent, il a été établi que le salarié, [I] [L], a omis de signaler un incident grave sur la ligne de production, ce qui aurait pu avoir des conséquences néfastes pour la santé des consommateurs.

Il a également reconnu avoir dissimulé cet incident et menti à sa hiérarchie, ce qui constitue une violation des obligations de loyauté et de diligence qui incombent à tout salarié.

Ces éléments, combinés à un avertissement antérieur pour des faits similaires, justifient la qualification de faute grave.

Quel est le rôle de l’employeur dans la preuve de la faute grave ?

Selon la jurisprudence, c’est à l’employeur d’apporter la preuve de la faute grave qu’il invoque pour justifier un licenciement.

L’article L1232-1 du Code du travail précise que « le licenciement d’un salarié ne peut être prononcé que pour une cause réelle et sérieuse ».

Dans cette affaire, la SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE a produit des attestations précises et circonstanciées qui démontrent que le salarié a agi de manière irresponsable en ne signalant pas un incident grave.

Ces attestations, corroborées par les déclarations du salarié lors de l’entretien préalable, constituent des éléments de preuve suffisants pour établir la faute grave.

Ainsi, l’employeur a respecté son obligation de preuve, ce qui a permis de justifier le licenciement.

Quelles sont les conséquences d’un licenciement pour faute grave ?

Les conséquences d’un licenciement pour faute grave sont régies par le Code du travail, notamment par les articles L1234-1 et L1234-5.

En cas de licenciement pour faute grave, le salarié ne peut prétendre à aucune indemnité de licenciement, ni à un préavis.

Dans le cas présent, le salarié a été licencié pour faute grave, ce qui signifie qu’il ne pourra pas obtenir les indemnités qu’il réclame, telles que l’indemnité compensatrice de préavis ou l’indemnité de licenciement.

Cependant, il peut toujours contester la légitimité de son licenciement devant le conseil de prud’hommes, comme il l’a fait.

La décision du tribunal de confirmer le licenciement pour faute grave implique que les demandes d’indemnisation du salarié sont rejetées, car elles reposent sur l’idée que le licenciement était injustifié.

Quelles sont les implications d’un avertissement antérieur sur la décision de licenciement ?

L’article L1332-2 du Code du travail stipule que « l’avertissement est une mesure disciplinaire qui doit être notifiée au salarié ».

Dans cette affaire, le salarié avait déjà reçu un avertissement pour des faits similaires, ce qui a été pris en compte lors de l’évaluation de la gravité de ses actions.

L’existence d’un avertissement antérieur renforce la position de l’employeur, car elle démontre que le salarié avait déjà été informé des conséquences de ses actes.

Cela montre également une réitération des comportements inappropriés, ce qui est un facteur aggravant dans l’appréciation de la faute.

Ainsi, l’avertissement antérieur a joué un rôle crucial dans la décision de confirmer le licenciement pour faute grave.

ARRÊT n°

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 08 JANVIER 2025

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/04343 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PQYU

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 15 JUILLET 2022 du Conseil de Prud’hommes de BÉZIERS – N° RG F21/00204

APPELANTES :

Madame [P] [O] veuve [L], venant aux droits de M. [I] [L] né le 08-02-1961 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité française décédé le 14/12/2022 à [Localité 4]

[Adresse 1]

Représentée par Me Anne SEILLIER de la SELARL SEILLIER ANNE, avocat au barreau de BEZIERS, substituée par Me Laurent PORTES, avocat au barreau de Béziers

Madame [Z] [L], venant aux droits de son père M. [I] [L] né le 08-02-1961 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité française décédé le 14/12/2022 à [Localité 4]

[Adresse 2]

Représentée par Me Anne SEILLIER de la SELARL SEILLIER ANNE, avocat au barreau de BEZIERS, substituée par Me Laurent PORTES, avocat au barreau de Béziers

Madame [G] [L], venant aux droits de son père M. [I] [L] né le 08-02-1961 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité française décédé le 14/12/2022 à [Localité 4]

[Adresse 1]

Représentée par Me Anne SEILLIER de la SELARL SEILLIER ANNE, avocat au barreau de BEZIERS,, substituée par Me Laurent PORTES, avocat au barreau de Béziers

Madame [R] [L], venant aux droits de son père M. [I] [L] né le 08-02-1961 à [Localité 7] (ALGERIE) de nationalité française décédé le 14/12/2022 à [Localité 4]

[Adresse 1]

Représentée par Me Anne SEILLIER de la SELARL SEILLIER ANNE, avocat au barreau de BEZIERS , substituée par Me Laurent PORTES, avocat au barreau de Béziers

INTIMEES :

la Société BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANCAISE, immatriculée sous le n° 787 280 155, venant aux droits de la la SAS LE FOURNIL BITERROIS, selon fusion avec effet au 25/02/2024

[Adresse 5]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie camille PEPRATX NEGRE de la SCP ERIC NEGRE, MARIE CAMILLE PEPRATX NEGRE, avocat au barreau de MONTPELLIER (postulante) substituée pa Me NEGRE, avocat au barreau de Montpellier et représentée par Me Jocelyne CLERC, avocate au barreau e Paris (plaidante)

Ordonnance de clôture du 23 Octobre 2024

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Novembre 2024,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre

M. Jean-Jacques FRION, Conseiller

Mme Anne MONNINI-MICHEL, Conseillère

Greffier lors des débats : Mme Marie BRUNEL

ARRET :

– contradictoire ;

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par Monsieur Philippe DE GUARDIA, Président de chambre, et par Mme Marie BRUNEL, Greffière.

*

* *

FAITS ET PROCÉDURE

[I] [L] a été engagé le 25 janvier 1999 par la société LE FOURNIL BITERROIS, aux droits de laquelle vient la SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de chef d’atelier avec un salaire mensuel brut de base de 2 550,17€, augmenté de diverses primes.

Le 28 janvier 2020, il a fait l’objet d’un avertissement pour ne pas avoir signalé la disparition d’un raccord du système de graissage susceptible d’être tombé sur la ligne de cuisson et d’avoir affecté les produits.

Le 3 juin 2020, il était convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé au 12 juin suivant, et mis à pied simultanément à titre conservatoire.

Il a été licencié par lettre du 18 juin 2020 pour les motifs suivants, qualifiés de faute grave : ‘Vos missions comprennent la gestion de la production mais également la sécurisation des lignes et des collaborateurs dans l’exécution de leurs missions.

Le 3 juin 2020, vous assuriez votre poste sur le site de [Localité 6]. Le chef d’atelier prenant son poste après vous a été contraint d’arrêter la production après avoir constaté la présence de matière plastique sur la marchandise au niveau du four. Votre collègue a tenté de comprendre d’où ce plastique pouvait provenir. Il s’agissait d’une plaque peelboard. Cette plaque s’est retrouvée sur la ligne et fortement souillé le four. La plaque a été retrouvé dans la benne. L’intégralité de la marchandise a donc été mise de côté pour contrôle et la production a été arrêtée.

Il s’avère que cet incident s’est produit pendant votre poste. A aucun moment, vous n’avez fait remonter cet incident et n’êtes intervenu afin de stopper la production.

Lors de l’entretien, vous avez reconnu que l’incident s’était produit alors que vous étiez en charge de la gestion de la ligne. Vous avez également reconnu avoir volontairement dissimulé la plaque et avoir caché le problème rencontré.

Cet événement a des conséquences importantes pour le site…

Sans l’intervention de votre collègue, les conséquences auraient été particulièrement graves…

Nous vous rappelons l’avertissement qui vous a été notifié en janvier 2020 concernant des faits similaires sur la disparition d’un raccord que vous aviez constaté mais pas traité…’

Le 30 juin 2021, estimant son licenciement injustifié, le salarié a saisi le conseil de prud’hommes de Béziers qui, par jugement en date du 15 juillet 2022, l’a débouté de ses demandes.

Le 11 août 2022, [I] [L] a interjeté appel. Il est décédé le 14 décembre 2022.

Dans leurs dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 16 octobre 2024, [Z] [L], [G] [L], [R] [L] et [P] [O], veuve [L], venant aux droits de [I] [L], demandent d’infirmer le jugement et de leur allouer :

– la somme de 1 698,35€ à titre de salaire correspondant à la période de mise à pied ;

– la somme de 5 661,18€ à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– la somme de 566,11€ à titre de congés payés sur préavis ;

– la somme de 20 914,91€ à titre d’indemnité de licenciement ;

– la somme de 45 289,44€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– la somme de 2 500€ sur le fondement de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridique.

700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées et enregistrées au greffe le 17 octobre 2024, la SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE, venant aux droits de la société LE FOURNIL BITERROIS, demande de confirmer le jugement.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il y a lieu de se reporter au jugement du conseil de prud’hommes et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Attendu que la faute grave, qui seule peut justifier une mise à pied conservatoire, est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise ;

Que c’est à l’employeur et à lui seul d’apporter la preuve de la faute grave invoquée par lui pour justifier le licenciement ;

Attendu qu’en l’espèce, il résulte des attestations produites par la SA BOULANGERIE VIENNOISERIE FRANÇAISE, à la fois précises, circonstanciées et concordantes, que [I] [L], dont la mission était de rendre compte à sa hiérarchie de tous les dysfonctionnements et aléas concernant la production, a :

– bien qu’étant informé d’une odeur de plastique brûlé et de la présence d’une plaque de plastique fondue sortie du four, répondu au conducteur de ligne qui l’avait alerté : ‘c’est bon, je gère, ne t’inquiète pas’ ;

– omis sciemment de faire arrêter la production, comme il en avait l’obligation, au risque de provoquer l’intoxication des consommateurs des produits ;

– menti à deux reprises au chef d’atelier qui prenait sa suite en lui disant qu’il n’y avait eu aucun incident lors de sa journée et qu’il ‘ne s’était rien passé’ ;

– reconnu lors de l’entretien préalable au licenciement les faits qui lui étaient reprochés, ‘c’est-à-dire la dissimulation de cet incident, la non-communication auprès du service technique et de la Direction et le retrait de la plaque sortie du four pour la jeter ensuite dans la benne à déchets’ ;

– demandé ensuite à un boulanger de mentir en disant que ‘cet incident était arrivé pendant le nettoyage alors que ce n’est pas vrai’ ;

Attendu qu’à aucun moment, l’employeur ne se fonde sur un système de vidéo-surveillance qui aurait permis la découverte de la faute commise ;

Attendu, en outre, que le 28 janvier 2020, [I] [L] avait déjà reçu un avertissement pour des faits similaires, non contesté et dont il n’est pas demandé l’annulation ;

Attendu qu’ainsi, au vu de la dissimulation imputable au salarié, de la gravité des conséquences que celle-ci aurait pu entraîner sur la santé des consommateurs et de la réitération des faits, la faute grave est caractérisée ;

Attendu que jugement sera donc confirmé ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement ;

Condamne [Z] [L], [G] [L], [R] [L] et [P] [O], veuve [L], venant aux droits de [I] [L], aux dépens.

La Greffière Le Président


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