Cour d’appel de Paris, 6 janvier 2025, RG n° 24/02058
Cour d’appel de Paris, 6 janvier 2025, RG n° 24/02058

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Paris

Thématique : Indemnisation pour détention provisoire injustifiée : enjeux et conditions d’accès aux réparations.

Résumé

Contexte de la requête

M. [J] [Z], de nationalité tunisienne, a déposé une requête le 19 décembre 2023, par l’intermédiaire de son avocat, Me Jérémie BOCCARA, pour demander réparation de sa détention provisoire. Cette détention a eu lieu du 3 novembre 2017 au 14 avril 2021, période durant laquelle il a été mis en examen pour participation à une association de malfaiteurs terroriste.

Historique judiciaire

Le 14 avril 2021, un magistrat a rendu une ordonnance de non-lieu à l’encontre de M. [Z] pour absence de charges suffisantes, ordonnant sa remise en liberté. Cette décision a été confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris le 3 novembre 2021. Un pourvoi en cassation a été déclaré non admis le 8 mars 2022, rendant la décision définitive.

Demande d’indemnisation

Dans sa requête, M. [Z] sollicite la réparation de son préjudice moral à hauteur de 125 600 euros, ainsi que 1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il argue que sa détention prolongée a eu des conséquences psychologiques graves, exacerbées par l’angoisse liée à la nature des accusations portées contre lui.

Observations des parties

L’agent judiciaire de l’État a demandé une réduction de l’indemnité à 100 000 euros, tout en contestant la gravité des conditions de détention évoquées par M. [Z]. Le Ministère Public a également conclu à l’irrecevabilité de la requête, mais a reconnu le préjudice moral causé par la détention.

Recevabilité de la requête

La cour a jugé la requête recevable, notant que M. [Z] n’avait pas été informé de son droit à réparation, ce qui a suspendu le délai de six mois pour déposer sa demande. La détention de 1 256 jours a été reconnue comme un facteur justifiant la demande d’indemnisation.

Évaluation du préjudice moral

La cour a pris en compte la durée de la détention, l’angoisse liée à la peine encourue, ainsi que l’état de santé de M. [Z]. Bien que les conditions de détention n’aient pas été jugées comme un facteur aggravant, l’angoisse et les répercussions psychologiques ont été reconnues comme des éléments significatifs du préjudice moral.

Décision finale

La cour a décidé d’allouer à M. [Z] la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice moral, ainsi que 1 200 euros pour couvrir ses frais juridiques. Les autres demandes ont été rejetées, et les dépens ont été laissés à la charge de l’État. La décision a été rendue le 6 janvier 2025.

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Chambre 1-5DP

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 06 Janvier 2025

(n° , 2 pages)

N°de répertoire général : N° RG 24/02058 – N° Portalis 35L7-V-B7I-CI2OW

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de [F] [L], greffière stagiaire, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 19 Décembre 2023 par M. [J] [Z] né le [Date naissance 3] 1992 à [Localité 4] (TUNISIE) [Localité 1], élisant domicile Me [V] [Y] – [Adresse 2] ;

non comparant

Représenté par Me Jérémie BOCCARA, avocat au barreau de PARIS

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 04 Novembre 2024 ;

Entendu Me Jérémie BOCCARA représentant M. [J] [Z],

Entendu Me Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,

Entendue Madame Marie-Daphnée PERRIN, avocate générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [J] [Z], né le [Date naissance 3] 1992, de nationalité tunisienne, a été mis en examen le 03 novembre 2017 par le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris du chef de participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un crime d’atteinte aux personnes. Par ordonnance de mise en détention provisoire du même jour, le juge des libertés et de la détention l’a placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de [Localité 5]. Il a été transféré le 18 juillet 2018 à la maison d’arrêts d'[Localité 8]. Il a été ensuite transféré le 14 novembre 2018 à la maison d’arrêt de [7]. Il a enfin été transféré le 08 octobre 2020 à la maison d’arrêt de [6].

Le 14 avril 2021, le magistrat instructeur du tribunal judiciaire de Paris a rendu une ordonnance de non-lieu à l’encontre du requérant pour absence de charges suffisantes et a ordonné sa remise en liberté.

Par arrêt du 03 novembre 2021, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a confirmé entreprise.

Par ordonnance du 08 mars 2022, le président de la chambre criminelle de la Cour de cassation a prononcé la déchéance du pourvoi en cassation faute de production d’un mémoire de la part des auteurs du pourvoi. Cette décision est donc définitive à son égard.

Par requête du 19 décembre2023, adressée au premier président de la cour d’appel de Paris, M. [Z] sollicite par l’intermédiaire de son avocat la réparation de la détention provisoire effectuée du 10 février 2020 au 09 juin 2023, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.

Le requérant sollicite dans celle-ci :

Déclarer sa requête recevable,

Lui allouer les sommes suivantes :

125 600 euros au titre du préjudice moral ;

1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses observations en réponse aux conclusions du Ministère Public déposées le 19 septembre 2024, M. [Z] a demandé au premier président de :

Déclarer la requête déposée par M. [Z] recevable et bien fondée,

Constater l’existence du préjudice moral de M. [Z] à raison de la détention provisoire injustifiée qu’il a subie,

Ordonner qu’il lui soit alloué la somme de 126 800 euros correspondant à :

125 600 euros au titre du préjudice moral,

1 200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Ordonner l’exécution provisoire de la décision à venir,

A titre subsidiaire,

Surseoir à statuer sur la requête déposée par M. [Z],

Ordonner en application de l’article R 34 du code de procédure pénale au Ministère Public ou à toute autre autorité compétente de communiquer la liste des personnes et conseils s’étant vu notifier l’ordonnance de 08 mars 2022 rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation,

Renvoyer l’examen de l’affaire à une date d’audience ultérieure en l’attente de ces éléments.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA, déposées le 02 août 2024 et développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de la cour d’appel de Paris de :

Réduire à de plus justes proportions qui ne sauraient excéder la somme de 100 000 euros l’indemnité qui sera allouée à M. [Z] en réparation de son préjudice moral,

Réduire à de plus justes proportions la demande formulée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Ministère Public, dans ses dernières conclusions notifiées le 16 août 2024, reprises oralement à l’audience, conclut :

A titre principal,

A l’irrecevabilité de la requête,

A titre subsidiaire,

A la recevabilité de la requête pour une détention de 1256 jours,

A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées.

PAR CES MOTIFS :

Déclarons la requête de M. [J] [Z] recevable ;

Allouons à M. [J] [Z] les sommes suivantes :

100 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

1 200 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, 

Rejetons le surplus des demandes de M. [J] [Z] ;

Laissons les dépens à la charge de l’Etat.

Décision rendue le 06 Janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ

 


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