Prescription et responsabilité de l’État : enjeux de la temporalité dans les recours en indemnisation.

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Prescription et responsabilité de l’État : enjeux de la temporalité dans les recours en indemnisation.

L’Essentiel : Lors de l’audience du 25 novembre 2024, les avocats ont été informés que l’ordonnance serait rendue le 6 janvier 2025. La caisse régionale d’assurance maladie de l’Ile de France a rejeté, en 2008, la demande de pension d’invalidité de Monsieur [Y] [Z], qui a contesté ce refus. En 2010, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, qui a jugé sa demande recevable mais l’a débouté sur le fond. En appel, la cour a confirmé cette décision, et en 2023, Monsieur [Z] a assigné l’agent judiciaire de l’État pour indemnisation, mais son action a été déclarée irrecevable pour cause de prescription.

DÉBATS

A l’audience du 25 Novembre 2024, les avocats ont été informés que l’ordonnance serait rendue le 06 Janvier 2025.

ORDONNANCE

L’ordonnance a été prononcée par mise à disposition, de manière contradictoire et en premier ressort.

Rejet de la demande de pension d’invalidité

Le 28 février 2008, la caisse régionale d’assurance maladie de l’Ile de France (CRAMIF) a rejeté la demande de Monsieur [Y] [Z] pour une pension d’invalidité de 2ème catégorie. Monsieur [Z] a contesté ce refus, mais la CRAMIF a opposé la forclusion de son action.

Recours devant le tribunal des affaires de sécurité sociale

Le 26 mai 2010, Monsieur [Y] [Z] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val de Marne pour contester la décision de forclusion. Par jugement du 1er juin 2011, le tribunal a jugé que la demande n’était pas frappée de forclusion, mais a débouté Monsieur [Z] sur le fond.

Appel et assignation de l’agent judiciaire de l’Etat

Monsieur [Z] a interjeté appel de ce jugement, et la cour d’appel de Paris a rendu son arrêt le 30 mars 2017. Le 22 décembre 2023, Monsieur [Y] [Z] a assigné l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir une indemnisation pour le préjudice lié au délai déraisonnable de la procédure.

Demandes de l’agent judiciaire de l’Etat

Dans ses conclusions d’incident notifiées le 22 novembre 2024, l’agent judiciaire de l’Etat a demandé au juge de déclarer l’action de Monsieur [Z] irrecevable pour cause de prescription et de le débouter de toutes ses demandes.

Arguments de Monsieur [Z]

Monsieur [Y] [Z] a également notifié des conclusions d’incident, demandant que son action soit déclarée recevable et que l’agent judiciaire de l’Etat soit condamné à lui verser 3.000,00€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Motivation de la décision

La motivation de la décision repose sur l’article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, qui stipule que les créances non payées dans un délai de quatre ans sont prescrites. La jurisprudence indique que la prescription commence à courir à partir du premier jour de l’année suivant le fait générateur du dommage.

Conclusion sur la prescription

Il a été conclu que l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu le 30 mars 2017, constitue le fait générateur du dommage, et que la prescription quadriennale a commencé à courir le 1er janvier 2018, étant acquise le 31 décembre 2021. Par conséquent, l’action de Monsieur [Y] [Z] a été déclarée irrecevable comme prescrite.

Dépens et article 700

Monsieur [Y] [Z], en tant que partie perdante, a été condamné aux dépens, et sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile a été déboutée.

Décision finale

Le juge de la mise en état a déclaré l’action de Monsieur [Y] [Z] irrecevable pour cause de prescription, a condamné Monsieur [Y] [Z] aux dépens, et a débouté les parties de leurs autres demandes.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la nature de la prescription applicable à l’action de Monsieur [Y] [Z] contre l’Etat ?

L’action de Monsieur [Y] [Z] contre l’Etat est soumise à la prescription quadriennale prévue par l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968. Cet article stipule que :

« Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. »

Ainsi, la prescription commence à courir à partir du premier jour de l’année suivant le fait générateur du dommage allégué.

Dans le cas présent, le fait générateur est l’arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 30 mars 2017, qui a été jugé insusceptible de recours suspensif d’exécution. Par conséquent, le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2018, et a été acquis le 31 décembre 2021.

Quelles sont les conséquences de la non-signification de l’arrêt d’appel sur la prescription ?

Monsieur [Y] [Z] soutient que la prescription n’a pas commencé à courir en raison de l’absence de signification de l’arrêt d’appel par la CRAMIF. Cependant, l’article 500 alinéa 1er du code de procédure civile précise que :

« A force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution. »

Cela signifie que l’absence de signification n’affecte pas la force de chose jugée de l’arrêt.

De plus, les articles 579 du code de procédure civile et L. 111-11 du code des procédures civiles d’exécution établissent que, par principe, ni le pourvoi en cassation ni le délai pour l’exercer ne suspendent l’exécution de la décision attaquée.

Ainsi, même sans signification, l’arrêt est passé en force de chose jugée, et le délai de prescription a commencé à courir comme prévu.

Comment la notion de force de chose jugée s’applique-t-elle dans ce contexte ?

La notion de force de chose jugée, selon l’article 500 du code de procédure civile, se réfère à l’exécution d’une décision de justice. Elle se distingue de l’autorité de la chose jugée, qui empêche la remise en cause d’un jugement.

Dans le cas présent, l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu le 30 mars 2017, a été jugé insusceptible de recours suspensif d’exécution. Cela signifie que cet arrêt a produit ses effets immédiatement, et a constitué le fait générateur du dommage allégué par Monsieur [Y] [Z].

La jurisprudence administrative et judiciaire confirme que le fait générateur du dommage correspond à la dernière décision rendue, ce qui, dans ce cas, est l’arrêt de la cour d’appel.

Ainsi, l’action de Monsieur [Y] [Z] est irrecevable en raison de la prescription, car le délai quadriennal a été acquis avant son assignation.

Quelles sont les implications de l’article 700 du code de procédure civile dans cette affaire ?

L’article 700 du code de procédure civile permet au juge de condamner la partie perdante à verser à l’autre partie une somme d’argent au titre des frais exposés.

Dans cette affaire, Monsieur [Y] [Z] a demandé une indemnisation de 3.000,00€ sur le fondement de cet article. Cependant, étant donné que son action a été déclarée irrecevable en raison de la prescription, il sera débouté de sa demande.

L’article 696 du code de procédure civile stipule que :

« La partie qui succombe est condamnée aux dépens. »

Ainsi, Monsieur [Y] [Z], en tant que partie perdante, sera également condamné aux dépens, ce qui signifie qu’il devra supporter les frais de la procédure.

En conclusion, l’irrecevabilité de l’action de Monsieur [Y] [Z] entraîne le rejet de sa demande d’indemnisation et la condamnation aux dépens.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

1/1/1 resp profess du drt

N° RG 23/16566 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3QRG

N° MINUTE :

Assignation du :
22 Décembre 2023

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 06 Janvier 2025

DEMANDEUR AU FOND, DÉFENDEUR À L’INCIDENT

Monsieur [Y] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représenté par Me Jean-philippe CARPENTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0233

DÉFENDEUR AU FOND, DEMANDEUR À L’INCIDENT

AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 2]
[Localité 3]

Représenté par Me Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0141

MINISTÈRE PUBLIC

Monsieur Etienne LAGUARIGUE de SURVILLIERS,
Premier Vice-Procureur

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Monsieur Benoit CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint

assisté de Madame Marion CHARRIER, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 25 Novembre 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 06 Janvier 2025.

ORDONNANCE

Prononcée par mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

Le 28 février 2008, la caisse régionale d’assurance maladie de l’Ile de France (CRAMIF) a rejeté la demande de Monsieur [Y] [Z] visant à se voir attribuer une pension d’invalidité de 2ème catégorie.

Monsieur [Z] a contesté ce refus devant la commission de recours amiable de la CRAMIF, laquelle lui a opposé la forclusion de son action.

Le 26 mai 2010, Monsieur [Y] [Z] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val de Marne, à l’encontre de la CRAMIF aux fins de contester la décision de forclusion précitée.

Par jugement du 1er juin 2011, le tribunal des affaires sociales du Val de Marne a jugé que la demande de Monsieur [Z] n’était pas frappée de forclusion, mais l’a débouté de son recours sur le fond.

Monsieur [Z] a interjeté appel de ce jugement par devant la cour d’appel de Paris, laquelle a rendu son arrêt le 30 mars 2017.

C’est dans ce contexte que, par acte du 22 décembre 2023, Monsieur [Y] [Z] a fait assigner l’agent judiciaire de l’Etat devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir l’indemnisation du préjudice résultant du délai déraisonnable de la procédure à laquelle il a été partie, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val de Marne, puis la cour d’appel de Paris.

Par conclusions d’incident notifiées le 22 novembre 2024, l’agent judiciaire de l’Etat demande au juge de la mise en état de :
– juger que l’action de Monsieur [Z] est irrecevable car prescrite ;
– débouter Monsieur [Z] de l’intégralité de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires ;
– statuer ce que de droit sur les dépens.

Il soutient que conformément à l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 et la jurisprudence de la Cour de cassation, l’action de Monsieur [Z] en responsabilité contre l’Etat était soumise à une prescription quadriennale, commençant à courir à compter du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle la décision finale, fait générateur du dommage, est passée en force de chose jugée ; qu’en l’espèce l’arrêt de la cour d’appel de Paris, n’était susceptible de recours que par la voie du pourvoi en cassation, lequel n’est pas suspensif ; qu’ainsi cette décision est passée en force de chose jugée le jour de son prononcé, soit le 30 mars 2017, et le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2018 pour être acquis le 31 décembre 2021. En réponse aux conclusions adverses, l’agent judiciaire de l’Etat explique qu’aucune disposition du code de procédure civile n’indique qu’un arrêt d’appel est non avenu en cas de défaut de signification ; qu’il convient de ne pas opérer de confusion entre les principes de force de chose jugée et d’autorité de la chose jugée ; et que le défaut de la signification de l’arrêt d’appel par la CRAMIF ne constitue pas un dysfonctionnement du service public de la justice susceptible d’engager la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire.

Par conclusions d’incident notifiées le 22 novembre 2024, Monsieur [Y] [Z] demande au juge de la mise en état de :
– débouter l’agent judiciaire de ses demandes, fins et conclusions ;
– dire que son action est recevable ;
– condamner l’agent judiciaire de l’Etat à lui verser 3.000,00€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens;

Il soutient dans un premier temps que la prescription quadriennale prévue à l’article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 n’a pas commencé à courir dès lors qu’il ne bénéficie pour le moment d’aucune créance contre l’Etat, laquelle ne naîtra qu’à l’issue de la présente procédure si le tribunal vient à faire droit à sa demande en responsabilité contre l’Etat. Il explique dans un second temps, si le tribunal considère qu’un délai de prescription a commencé à courir, que l’arrêt de la cour d’appel de Paris n’ayant pas été notifié par la CRAMIF, il n’a pu former un pourvoi en cassation, et qu’en application des dispositions combinées des articles 500 et 520 8-1 du code de procédure civile cet arrêt n’est passé en force de chose jugée qu’à compter de l’expiration d’un délai de 2 ans, soit au mois de mars 2019, de sorte que la prescription quadriennale n’était pas acquise au jour de son assignation en date du 22 décembre 2023. Enfin, il estime que l’agent judiciaire de l’Etat ne peut invoquer la  » force de chose jugée  » de l’arrêt de la cour d’appel dès lors que, à la différence de la CRAMIF, il n’était pas partie à la procédure.

Il est renvoyé aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens et prétentions, comme le permet l’article 455 du code de procédure civile.

A l’audience d’incident du 25 novembre 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 6 janvier 2025.

MOTIVATION

L’article 1er de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968 dispose que sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis.

La jurisprudence administrative (CE, 20 mars 1953, Adda) et judiciaire (Civ.1, 15 juin 2017, n°16-18.769) juge qu’en application de cette disposition, la prescription court à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle s’est produit le fait générateur du dommage allégué.

En matière d’action en responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article L141-1 du code de l’organisation judiciaire, liée à des procédures judiciaires, la Cour de cassation estime de façon constante que le fait générateur du dommage correspond à la dernière décision rendue.

La cour d’appel de Paris a récemment jugé, dans une affaire prud’homale, que le fait générateur du dommage était la dernière décision passée en force de chose jugée, soit l’arrêt d’appel, écartant la prescription des demandes tendant à faire reconnaître un déni de justice sur la procédure de première instance (Chambre 4-13, 10 janvier 2023, RG n°23/05340).

L’article 500 alinéa 1er du code de procédure civile dispose qu’a force de chose jugée le jugement qui n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution.

D’une part, il convient de rappeler que la notion de force de chose jugée telle que visée à l’article 500 du code de procédure, qui attrait à l’exécution d’une décision de justice, se distingue de la notion d’autorité de la chose jugée, laquelle empêche la remise en cause d’un jugement. Dès lors, les dispositions du code de procédure civile relatives à la notion d’autorité de la chose jugée sont inapplicables en l’espèce.

D’autre part, il résulte de la combinaison de l’article 579 du code de procédure civile et de l’article L. 111-11 du code des procédures civiles d’exécution que, par principe, ni le pourvoi en cassation ni le délai pour l’exercer ne suspendent l’exécution de la décision attaquée.
Sur ce point et à la différence d’un pourvoi exercé contre un arrêt statuant sur la nationalité, une décision déclarative d’absence, ou certaines décisions rendues en matière de divorce, le pourvoi formé contre un arrêt statuant sur l’attribution d’une pension d’invalidité, ne fait pas partie des exceptions légales limitativement énumérées, et n’est pas suspensif d’exécution.

Il résulte de ce qui a été précédemment exposé que l’arrêt de la cour d’appel de Paris rendu le 30 mars 2017, insusceptible de recours suspensif d’exécution et donc passé en force de chose jugée, constitue le fait générateur du dommage invoqué par Monsieur [Z], à savoir un délai déraisonnable de procédure.

Dès lors, la prescription quadriennale de son action a commencé à courir le premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle ses droits ont été acquis, soit le 1er janvier 2018, pour être acquise depuis le 1er janvier 2022 lorsque l’assignation de Monsieur [Z] a été délivrée.

Il convient en conséquence de constater la prescription de son action.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Monsieur [Y] [Z], partie perdante, sera condamné aux dépens, conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

Monsieur [Z] sera également débouté de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Nous, juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire susceptible de recours selon les dispositions de l’article 795 du code de procédure civile, par mise à disposition au greffe,

DÉCLARONS l’action de Monsieur [Y] [Z] irrecevable comme prescrite ;

CONDAMNONS Monsieur [Y] [Z] aux dépens ;

DÉBOUTONS les parties de leurs autres ou plus amples demandes.

Faite et rendue à Paris le 06 Janvier 2025

Le Greffier Le Juge de la mise en état
Marion CHARRIER Benoit CHAMOUARD


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