Imputabilité des arrêts de travail : entre présomption et antécédents médicaux.

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Imputabilité des arrêts de travail : entre présomption et antécédents médicaux.

L’Essentiel : M. [S] [Y], salarié de la société [10], a subi un accident du travail le 24 février 2016, entraînant une entorse du genou droit. Bien que la caisse primaire d’assurance maladie ait reconnu l’accident, la société a contesté l’imputabilité des arrêts de travail, arguant d’un état pathologique antérieur. Le tribunal a rappelé que la présomption d’imputabilité s’applique tant que l’employeur ne prouve pas le contraire. Il a ordonné une expertise médicale pour évaluer les liens entre les lésions et l’accident, ainsi que pour distinguer les arrêts de travail liés à l’accident de ceux dus à l’état antérieur.

Exposé du litige

M. [S] [Y], salarié de la société [10], a déclaré avoir subi un accident du travail le 24 février 2016, se tordant le genou droit en se déplaçant dans l’atelier. Un certificat médical initial a été émis, indiquant une entorse du ligament latéral interne et prescrivant un arrêt de travail jusqu’au 9 mars 2016. La caisse primaire d’assurance maladie a reconnu l’accident comme un accident du travail et a fixé la date de consolidation au 30 août 2016, avec un taux d’incapacité permanente partielle de 4%.

Contestation de l’imputabilité

La société a contesté l’imputabilité des arrêts de travail à cet accident, saisissant la commission médicale de recours amiable, qui a rejeté le recours. Par la suite, la société a porté l’affaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre, demandant une expertise médicale pour distinguer les arrêts de travail liés à l’accident de ceux liés à un état antérieur. La caisse primaire a demandé le rejet de cette demande et a sollicité le paiement de 1500€.

Motifs de la décision

Le tribunal a rappelé que la présomption d’imputabilité couvre toute la durée d’incapacité de travail, sauf preuve du contraire par l’employeur. La société a soutenu que M. [Y] avait un état pathologique antérieur complexe, avec plusieurs interventions chirurgicales. Le médecin conseil de la société a affirmé que l’accident avait activé cet état antérieur, tandis que la caisse a maintenu que la prise en charge était justifiée. Le tribunal a noté que les antécédents médicaux de M. [Y] étaient avérés et a décidé d’ordonner une expertise médicale pour clarifier l’imputabilité des soins et arrêts de travail.

Ordonnance d’expertise

Le tribunal a ordonné une consultation médicale, désignant le Dr [L] [N] pour examiner le dossier et déterminer les liens entre les lésions et l’accident. Il a précisé les missions de l’expert, notamment l’évaluation des lésions, la durée des arrêts de travail, et la distinction entre l’accident et l’état pathologique antérieur. Le tribunal a également ordonné l’envoi de documents médicaux nécessaires à l’expert et a fixé un délai pour le rapport d’expertise. Un sursis à statuer a été prononcé en attendant les conclusions de l’expert.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la présomption d’imputabilité des lésions au travail selon le Code de la sécurité sociale ?

La présomption d’imputabilité des lésions au travail est régie par les articles L.411-1, L.433-1 et L.443-1 du Code de la sécurité sociale.

L’article L.411-1 stipule que :

« Les accidents du travail sont ceux survenus à un salarié dans le cadre de son travail, et les maladies professionnelles sont celles qui résultent d’une exposition à des risques professionnels. »

L’article L.433-1 précise que :

« La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant la guérison complète ou la consolidation de l’état de la victime. »

Enfin, l’article L.443-1 indique que :

« Il incombe à l’employeur de prouver que les arrêts de travail et les soins prescrits résultent d’une cause totalement étrangère au travail. »

Ainsi, la présomption d’imputabilité est forte et protège le salarié, sauf preuve du contraire par l’employeur.

Quelles sont les obligations de l’employeur en matière de preuve concernant les arrêts de travail ?

L’employeur a l’obligation de prouver que les arrêts de travail et les soins prescrits ne sont pas liés à l’accident du travail.

Selon l’article 1315 du Code civil, il est stipulé que :

« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. »

Dans le contexte des accidents du travail, cela signifie que l’employeur doit démontrer que les arrêts de travail et les soins sont la conséquence d’un état pathologique antérieur, évoluant pour son propre compte et sans lien avec le travail.

La jurisprudence a établi que la simple disproportion entre la durée des soins et la lésion initialement décrite ne suffit pas à renverser la présomption d’imputabilité.

Il est donc crucial pour l’employeur de fournir des preuves médicales solides pour contester l’imputabilité des arrêts de travail.

Comment la jurisprudence interprète-t-elle l’état pathologique antérieur du salarié ?

La jurisprudence considère que l’état pathologique antérieur doit être clairement établi pour que l’employeur puisse contester l’imputabilité des arrêts de travail.

Dans le cas présent, le tribunal a noté que le salarié avait des antécédents médicaux documentés, ce qui a été reconnu par la caisse primaire d’assurance maladie.

Le Dr [F] a indiqué que l’accident du 24 février 2016 a activé un état antérieur complexe du genou droit, connu depuis 1990, nécessitant plusieurs interventions chirurgicales.

La jurisprudence exige que l’employeur prouve que les soins et arrêts de travail sont exclusivement liés à cet état antérieur, sans lien avec l’accident.

Ainsi, la démonstration d’un état pathologique antérieur doit être précise et étayée par des preuves médicales pour être recevable.

Quel est le rôle de l’expertise médicale dans ce type de litige ?

L’expertise médicale joue un rôle crucial dans l’évaluation de l’imputabilité des arrêts de travail et des soins.

Le tribunal a ordonné une expertise pour déterminer les lésions en lien avec l’accident déclaré et pour fixer la durée des arrêts de travail.

L’expert doit examiner les pièces du dossier, procéder à un examen sur pièces et évaluer si l’accident a révélé ou aggravé un état pathologique antérieur.

L’expertise permettra également de déterminer à partir de quelle date la prise en charge des lésions n’est plus justifiée au regard de l’évolution de l’état de santé du salarié.

Cette démarche est essentielle pour éclairer le tribunal et garantir une décision fondée sur des éléments médicaux objectifs.

L’expert doit rendre un rapport écrit dans un délai de trois mois, ce qui est une procédure standard dans ce type de litige.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE SOCIAL

Affaires de sécurité sociale et aide sociale

JUGEMENT RENDU LE
07 Janvier 2025

N° RG 21/00906 – N° Portalis DB3R-W-B7F-WVZL

N° Minute : 24/01780

AFFAIRE

Société [10]

C/

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’YONNE

Copies délivrées le :

DEMANDERESSE

Société [10]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Représentée par Maître Morgane COURTOIS D’ARCOLLIERES de la SELARL Ledoux & Associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0503

Substituée par Me Amélie FROGET, avocat au barreau de PARIS,

DEFENDERESSE

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’YONNE
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentée par Mme [Z] [E], muni d’un pouvoir régulier,

***

L’affaire a été débattue le 18 Novembre 2024 en audience publique devant le tribunal composé de :

Matthieu DANGLA, Vice-Président
Jean-Marie JOYEUX, Assesseur, représentant les travailleurs salariés
Hanene ARBAOUI, Assesseur, représentant les travailleurs non-salariés

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats et du prononcé : Gaëlle PUTHIER, Greffière.

JUGEMENT

Prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

Selon la déclaration du 26 février 2016, M. [S] [Y], salarié de la société [10], a indiqué à son employeur avoir été victime d’un accident du travail le 24 février 2016 dans les circonstances suivantes : « Déplacement dans l’atelier – Selon les informations de l’entreprise utilisatrice, la victime se serait tordue le genou droit en marchant aux alentours de son poste de travail où il y a un léger dénivelé ».

Il a joint un certificat médical initial du 24 février 2016 mentionnant « Genou droit : entorse du ligament latéral interne » et prescrivant un premier arrêt de travail jusqu’au 9 mars 2016.

Le 29 février 2016, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle puis a fixé la date de consolidation au 30 août 2016 et le taux d’incapacité permanente partielle à 4%, en raison d’un « Traumatisme du genou droit survenu sur un état antérieur, consolidation avec limitation de la flexion du genou droit, amyotrophie de la cuisse. Le taux d’IPP tient compte de l’état antérieur ».

Contestant l’imputabilité des arrêts de travail délivrés à son salarié à cet accident, la société a saisi la commission médicale de recours amiable de la caisse le 27 novembre 2020, laquelle a rejeté implicitement le recours.

Par requête envoyée le 21 mai 2021, la société a alors saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre.

L’affaire a été appelée à l’audience du 18 novembre 2024 à laquelle les parties, présentes ou représentées, ont été entendues en leurs observations.

La société [10] demande au tribunal d’ordonner avant dire droit une expertise médicale judiciaire afin de distinguer les arrêts de travail en lien avec l’accident de ceux exclusivement imputables à l’état antérieur présenté par le salarié. Elle verse aux débats un avis médical sur pièces rédigé par son médecin conseil le Dr [F].

En réplique, la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne conclut au rejet de la demande d’expertise et sollicite le paiement de la somme de 1500€ sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d’autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions.

A l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 7 janvier 2025 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail

Des dispositions des articles L.411-1, L.433-1 et L.443-1 du code de la sécurité sociale et 1315 du code civil, il résulte que la présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant la guérison complète ou la consolidation de l’état de la victime.

Il incombe ainsi à l’employeur, qui ne remet pas en cause les conditions de prise en charge de l’accident du travail, de faire la preuve que les arrêts de travail et les soins prescrits en conséquence de celui-ci résultent d’une cause totalement étrangère au travail. Cette cause étrangère est caractérisée par la démonstration que les arrêts et soins sont la conséquence d’un état pathologique antérieur évoluant pour son propre compte et sans lien aucun avec le travail.
Dès lors, la disproportion entre la longueur des soins et arrêts, et la lésion initialement décrite ou l’arrêt initialement prescrit, ne peut suffire à combattre la présomption d’imputabilité.

La société soutient que M. [Y] présente un important état pathologique antérieur.

Le Dr [F] expose ainsi que :
« Du fait de l’accident du travail dont il fut victime le 24 février 2016, Monsieur [S] [Y] a présenté une activation traumatique temporaire d’un état antérieur très complexe du genou droit connu depuis 1990 à la suite d’un accident survenu lorsque la victime effectuait son service militaire.
Cet état antérieur, à type de chondromatose synoviale résultant d’accidents successifs depuis 1990, a rendu nécessaire 9 gestes chirurgicaux avant la survenue de l’accident du 24 février 2016.
Le 17 juin 2016, Monsieur [S] [Y] bénéficiait d’un nouveau geste chirurgical au niveau du genou droit pour une bi-méniscectomie, une arthrolyse extra-patellaire et une ablation de corps étrangers.
Un mois plus tard, une nouvelle arthroscopie de nettoyage devait être réalisée (juillet 2016).
Selon le certificat médical final délivré le 29 août 2016 par le Dr [M], les gestes précités et réalisés en 2016 étaient en relation avec l’évolution d’une chondromatose synoviale en tout état de cause sans rapport avec les conséquences de l’accident du travail du 24 février 2016.
En conséquence, la date de consolidation médico-légale des lésions accidentelles du 24 février 2016 sera fixée au 16 juin 2016, veille de la date de réalisation du geste chirurgical du 17 juin 2016 dont l’imputabilité à l’accident du travail du 24 février 2016 sera écartée eu égard :
à la nature du geste réalisé et au certificat du Dr [M] du 29 août 2016,aux circonstances décrites de survenue de l’accident,au délai écoulé entre la survenue de cet accident et la réalisation du geste chirurgical du 17 juin 2016.Les prolongations de l’arrêt de travail et les soins délivrés au-delà du 17 juin 2016 sont en rapport exclusif avec les conséquences de l’évolution pour son propre compte de l’état antérieur du genou droit de la victime en toute indépendance des conséquences de l’accident du travail du 24 février 2016 ».

La caisse considère que la prise en charge des soins et arrêts de travail est justifiée, que la présomption d’imputabilité des lésions au travail couvre l’ensemble des prestations servies jusqu’à la guérison ou la consolidation. Elle argue que la société ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un état pathologique préexistant ou indépendant évoluant pour son propre compte et conclut au rejet de la demande d’expertise.

Toutefois, force est de constater que le salarié présente des antécédents médicaux certains, rappelés non seulement par la société et son médecin conseil, mais également par la caisse elle-même puisque les conclusions médicales motivant l’attribution du taux d’IPP font expressément référence à l’état antérieur du salarié pour préciser que le taux retenu en tient compte.

En outre, la discussion médico-légale claire et circonstanciée du Dr [F] est de nature à mettre en doute l’imputabilité de tous les soins et arrêts de travail à l’accident et, le tribunal n’étant pas suffisamment éclairé, il y a lieu d’ordonner une consultation médicale, ainsi qu’il sera précisé au dispositif de la présente décision.

Il sera sursis à statuer sur les autres demandes dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert.

Les dépens seront également réservés dans cette attente.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant par jugement contradictoire, et mis à disposition au greffe,

AVANT DIRE DROIT, ordonne une consultation et commet pour y procéder :

le Dr [L] [N]
domicilié [Adresse 4]
Tél. [XXXXXXXX01]
Mail : [Courriel 8]

qui pourra se faire assister de tout spécialiste de son choix, avec pour mission de :

– consulter les pièces du dossier qui lui sont destinées et qui lui seront transmises par les parties et leur médecin conseil par l’intermédiaire du tribunal ;
– procéder à l’examen sur pièces du dossier de M. [S] [Y],
– lire les dires et observations des parties
– déterminer les lésions en lien avec l’accident déclaré le 26 février 2016 ;
– fixer la durée des arrêts de travail et des soins en relation directe avec ces lésions ;
– dire si l’accident a seulement révélé ou s’il a temporairement aggravé un état pathologique antérieur ou survenu postérieurement et totalement étranger aux lésions initiales et dans ce dernier cas, dire à partir de quelle date cet état est revenu au statu quo ante ou a recommencé à évoluer pour son propre compte ;
– dire, en tout état de cause, à partir de quelle date la prise en charge des lésions, prestations soins et arrêts au titre de la législation professionnelle n’est plus médicalement justifiée au regard de l’évolution du seul état consécutif à l’accident déclaré ;
– préciser à partir de quelle date cet état pathologique évoluant pour son propre compte est devenu la cause exclusive des arrêts et soins.

ORDONNE au service médical de la caisse d’adresser exclusivement par courriel dans un délai maximum de 15 jours à compter de la notification de la présente, au tribunal ([Courriel 11] en précisant le n° de RG et avec la mention « Dossier pour expert ») et au médecin conseil de la société, le Dr [F] ([Courriel 9]) l’ensemble des éléments médicaux concernant M. [S] [Y] (certificat médical initial, certificats de prolongation, certificat de nouvelle lésion éventuelle, décision de consolidation et de séquelles, rapport d’évaluation, avis rendus…) ;

ORDONNE également au médecin conseil de la société d’adresser au tribunal ([Courriel 11] en précisant « Dossier pour expert ») et au service médical de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Yonne ([Courriel 7]) et dans les mêmes délais toute pièce ou avis qui lui semblerait utile ;

DIT que le consultant devra adresser un rapport écrit au greffe du présent tribunal dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé de sa mission ;

DIT qu’il en adressera directement copie aux parties et au médecin conseil de la société ;

RAPPELLE que la rémunération du médecin consultant est réglementée par l’arrêté du 29 décembre 2020 et prise en charge par la CNAM à hauteur de 80,50 € ;

ORDONNE un sursis à statuer ;

DIT que le dossier sera rappelé à l’audience dès le dépôt des conclusions d’une des parties après rapport de l’expert désigné, sauf aux parties à accepter une procédure sans audience ou à la société requérante à se désister de son action.

RÉSERVE les dépens.

Et le présent jugement est signé par Matthieu DANGLA, Vice-Président et par Gaëlle PUTHIER, Greffière, présents lors du prononcé.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


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