L’Essentiel : X, ressortissant gabonais, a été condamné le 11 janvier 2023 à trois ans d’emprisonnement pour des infractions liées aux stupéfiants. Placé en rétention administrative le 19 octobre 2024, il a vu sa détention prolongée à plusieurs reprises. Le 3 janvier 2025, le tribunal a rejeté une quatrième prolongation, ordonnant sa mise en liberté. Cependant, le procureur a interjeté appel, arguant que X représentait une menace pour l’ordre public. Le tribunal a finalement infirmé la décision initiale, prolongeant la rétention de X de quinze jours, considérant sa condamnation antérieure comme un élément suffisant pour justifier cette mesure.
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Contexte de l’affaireX, se présentant comme [R] [C], est un ressortissant gabonais condamné le 11 janvier 2023 par la cour d’appel de Paris à trois ans d’emprisonnement et à une interdiction du territoire français de dix ans pour des infractions liées à la législation sur les stupéfiants. Rétention administrativeUn arrêté fixant le pays de renvoi a été notifié à X le 10 octobre 2024. Il a été placé en rétention administrative le 19 octobre 2024, suite à la levée de son écrou. Plusieurs prolongations de sa rétention ont été autorisées par le tribunal judiciaire de Rouen, avec des décisions prises les 23 octobre, 18 novembre et 18 décembre 2024. Rejet de la quatrième prolongationLe 3 janvier 2025, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a rejeté la demande du préfet de l’Eure et Loir pour une quatrième prolongation de la rétention administrative, ordonnant la mise en liberté de X. Le procureur de la République a alors interjeté appel de cette décision, arguant que X ne justifiait pas de garanties de représentation suffisantes et constituait une menace pour l’ordre public. Recevabilité de l’appelL’appel du procureur a été jugé recevable par le tribunal, qui a examiné les conditions de prolongation de la rétention administrative selon l’article L742-5 du CESEDA, en vigueur depuis le 1er septembre 2024. Analyse de la menace pour l’ordre publicLe tribunal a noté que la menace pour l’ordre public pouvait être fondée sur des actes antérieurs, sans nécessiter la preuve d’un trouble nouveau. La condamnation de X pour trafic de stupéfiants a été considérée comme un élément suffisant pour établir une menace pour l’ordre public, justifiant ainsi la prolongation de sa rétention. Décision finaleLe tribunal a infirmé l’ordonnance du 3 janvier 2025, prolongeant la rétention administrative de X pour une durée de quinze jours. La demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile a été rejetée. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la recevabilité de l’appel formé par le procureur de la République ?L’appel formé par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen est déclaré recevable. Cette recevabilité est fondée sur le principe général du droit d’appel, qui permet à toute partie ayant un intérêt à agir de contester une décision judiciaire. En l’espèce, le procureur a contesté l’ordonnance du 3 janvier 2025, qui a ordonné la mise en liberté de X se disant [R] [C]. Il est important de noter que l’article 500 du Code de procédure civile stipule que « toute décision rendue en premier ressort peut faire l’objet d’un appel, sauf disposition contraire ». Ainsi, l’appel est recevable, car il n’existe aucune disposition qui l’interdise dans ce cas précis. Quels sont les critères de prolongation de la rétention administrative selon le CESEDA ?L’article L742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) précise les conditions de prolongation de la rétention administrative. Il dispose que : « À titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparaît dans les quinze derniers jours : 1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement; 2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement : a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3; b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3; 3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai. Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public. » Il est à noter que ces critères ne sont pas cumulatifs, ce qui signifie que l’administration n’a besoin d’établir qu’un seul de ces critères pour justifier la prolongation de la rétention. Comment le juge apprécie-t-il la menace pour l’ordre public ?La notion de menace pour l’ordre public est précisée dans l’article L742-5 du CESEDA. Il est établi que le juge peut apprécier l’existence d’une menace pour l’ordre public en se fondant sur des faits antérieurs, notamment des condamnations, sans qu’il soit nécessaire de prouver un acte troublant l’ordre public nouveau. Cela signifie que le juge peut se baser sur le passé criminel de l’individu pour évaluer le risque qu’il représente. En effet, le texte indique que « le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public ». Ainsi, la menace peut être fondée sur des actes antérieurs, permettant au juge de prendre en compte le comportement passé de l’individu pour évaluer le risque futur. Quelles sont les conséquences de la décision de prolongation de la rétention administrative ?La décision de prolongation de la rétention administrative a des conséquences directes sur la situation de l’individu concerné. Selon l’article L742-5, si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours. Cela signifie que l’individu peut être maintenu en rétention pour une période supplémentaire, ce qui peut avoir des implications sur ses droits et sa situation personnelle. Il est également important de noter que la durée maximale de la rétention ne doit pas excéder quatre-vingt-dix jours, comme le précise le même article. Ainsi, la prolongation de la rétention administrative peut avoir des conséquences significatives sur la vie de l’individu, notamment en termes de liberté et de droits fondamentaux. Quelle est la position du juge concernant la demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 ?Concernant la demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile, le juge a décidé de la rejeter. L’article 700 stipule que « la partie qui succombe peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ». Cependant, le juge a estimé que l’équité ne commandait pas de voir condamner le préfet à verser une indemnité à X se disant [R] [C]. Cette décision repose sur l’appréciation des circonstances de l’affaire et sur le fait que la demande d’indemnité n’était pas justifiée dans le contexte de la prolongation de la rétention administrative. Ainsi, le juge a exercé son pouvoir discrétionnaire pour rejeter cette demande, considérant que les conditions pour accorder une indemnité n’étaient pas remplies. |
COUR D’APPEL DE ROUEN
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 04 JANVIER 2025
Claire CHALINE-LALAUT, Conseillère à la cour d’appel de Rouen, spécialement désignée par ordonnance de la première présidente de ladite cour pour la suppléer dans les fonctions qui lui sont spécialement attribuées,
Assistée de Mme LAKE, Greffière ;
Vu les articles L 740-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la requête du Préfet d’Eure et Loir tendant à voir prolonger pour une durée supplémentaire de quinze jours la mesure de rétention administrative qu’il a, le 19 octobre 2024, prise à l’égard de M. [R] X SE DISANT [C] né le 08 Février 1998 à [Localité 1] ;
Vu l’ordonnance rendue le 03 Janvier 2025 à 13h55 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen disant n’y avoir lieu à prolongation de la mesure de rétention administrative concernant M. [R] X SE DISANT [C] ;
Vu l’appel interjeté le 03 janvier 2025 par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen, avec demande d’effet suspensif, parvenu au greffe de la cour d’appel de Rouen à 17h23, régulièrement notifié aux parties ;
Vu l’ordonnance du 04 janvier 2025 disant qu’il sera sursis à l’exécution de l’ordonnance rendue le 03 Janvier 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire à l’égard de M. [R] X SE DISANT [C] dans l’attente de la décision sur l’appel interjeté par le ministère public à l’encontre de ladite ordonnance ;
Vu l’avis de la date de l’audience donné par le greffier de la cour d’appel de Rouen :
– aux services du directeur du centre de rétention de [Localité 2],
– à l’intéressé,
– au Préfet d’Eure et Loir,
– à Me Bérengère GRAVELOTTE, avocate au barreau de ROUEN, de permanence,
Vu les dispositions des articles L 743-8 et R 743-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu la décision prise de tenir l’audience grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle et d’entendre la personne retenue par visioconférence depuis les locaux dédiés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;
Vu la demande de comparution présentée par M. [R] X SE DISANT [C] ;
Vu l’avis au ministère public ;
Vu les débats en audience publique, en l’absence du monsieur le prefet d’EURE ET LOIR et du ministère public ;
Vu la comparution de M. [R] X SE DISANT [C] par visioconférence depuis les locaux dédiés situés à proximité du centre de rétention administrative de [Localité 2] ;
Me Bérengère GRAVELOTTE, avocat au barreau de ROUEN étant présent au palais de justice ;
Vu les réquisitions écrites du ministère public ;
Les réquisitions et les conclusions ont été mises à la disposition des parties ;
M. [R] X SE DISANT [C] et son conseil ayant été entendus ;
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Décision prononcée par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS
X se disant [R] [C] déclare être ressortissant gabonais.
Il a été condamné le 11 janvier 2023 par la cour d’appel de Paris à une peine de trois ans d’emprisonnement et à une interdiction du territoire français de dix ans pour des faits constitutifs d’infraction à la législation sur les stupéfiants.
Il a fait l’objet d’un arrêté fixant le pays de renvoi qui lui a été notifié le 10 octobre 2024.
Il a été placé en rétention administrative selon arrêté du 19 octobre 2024, à l’issue de sa levée d’écrou.
Une première prolongation de sa rétention administrative a été autorisée par ordonnance du juge du tribunal judiciaire de Rouen du 23 octobre 2024, décision confirmée par le magistrat désigné par la première présidente de la cour d’appel de Rouen le 25 octobre 2024.
Par ordonnance du 18 novembre 2024, le juge du tribunal judiciaire de Rouen a autorisé une seconde prolongation de la rétention administrative de X se disant [R] [C].
Une troisième prolongation de la rétention administrative de X se disant [R] [C] a été autorisée par ordonnance du juge du tribunal judiciaire de Rouen du 18 décembre 2024, confirmée par ordonnance du magistrat désigné par la première présidente de la cour d’appel de Rouen pour la suppléer du 20 décembre 2024.
Saisi d’une requête du préfet de l’Eure et Loir, aux fins de voir autoriser une quatrième prolongation de la rétention adminsitrative de X se disant [R] [C] , le juge du tribunal judiciaire de Rouen a, par ordonnance du 3 janvier 2025, rejeté la requête du Préfet, dit n’y avoir lieu de prononcer l’une quelconque des mesures prévues par le le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et ordonné la mise en liberté de X se disant [R] [C].
Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen a formé appel de cette ordonnance avec demande d’effet suspensif.
Aux termes de sa déclaration d’appel, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen fait valoir que X se disant [R] [C] ne justifie pas de garanties de représentation suffisantes et représente une menace pour l’ordre public.
Sur la recevabilité de l’appel
Il résulte des énonciations qui précèdent que l’appel formé par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen, à l’encontre de l’ordonnance du magistrat du siège du tribunal judiciaire de ce tribunal en date du 03 janvier 2025, est recevable.
Sur le fond
L’article L742-5 du CESEDA, dans sa version en vigueur depuis le 1er septembre 2024, dispose que :
« A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :
1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement;
2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement:
a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L.631-3;
b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3;
3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.
Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.
L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.
Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.
Les critères énoncés ci-dessus n’étant pas cumulatifs, il suffit à l’administration d’établir l’un d’eux pour justifier d’une prolongation de la rétention.
Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours ».
Il résulte de la rédaction de ce texte une différence de rédaction entre les critères de troisième et de quatrième prolongation. A la différence de l’obstruction, la ‘ menace’, qui procède d’une logique préventive, est une situation qui peut se fonder sur des actes antérieurs aux fins d’apprécier le risque de dangerosité future.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de rechercher si un trouble à l’ordre public nouveau, causé par un acte distinct des précédents, est intervenu au cours de la dernière période de rétention de 15 jours. En effet, ce n’est pas l’acte troublant l’ordre public qui est recherché, mais bien la réalité de la menace pour l’avenir. Dès lors, il apparaît que le juge peut apprécier l’existence d’une menace pour l’ordre public dans les 15 derniers jours en se fondant sur des faits antérieurs, notamment des condamnations, sans qu’aucune pièce n’accrédite de la volonté d’insertion ou de réhabilitation de la personne.
Dans tous les cas, il appartient à l’administration d’établir que la menace pour l’ordre public est établie dans le temps de la dernière prolongation de 15 jours.
En l’espèce, il résulte de la procédure que X se disant [R] [C] a été condamné par la Chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel de Paris à la peine de trois ans d’emprisonnement avec maintien en déétention, et interdiction du territoire français pendant 10 ans, pour trafic de stupéfiants et usage.
Il apparaît ainsi qu’il a fait l’objet d’une condamnation élevée pour des faits d’une réelle gravité, alors même que son casier judiciaire ne comportait mention d’aucune condamnation.
Partant, il est établi que son comportement permet, en l’absence de toute manifestation de réhabilitation ou de réinsertion, de caractériser une menace pour l’ordre public au sens de l’article L.742-4 précité.
L’administration peut donc se fonder sur cette disposition pour solliciter une quatrième prolongation de rétention, sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres critères, qui sont alternatifs.
En conséquence, l’ordonnance entreprise sera infirmée.
Sur la demande fondée sur l’article 700 et la demande d’aide juridictionnelle provisoire
L’équité ne commande pas de voir condamner le préfet à verser à X se disant [R] [C] une indemnité sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Statuant publiquement, par ordonnance réputée contradictoire et en dernier ressort,
Déclare recevable l’appel interjeté par le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Rouen,
Infirme l’ordonnance rendue le 03 janvier 2025 par le magistrat du siège du tribunal judiciaire de Rouen, et prolongeons la mesure de rétention administrative concernant X SE DISANT [R] [C] pour une durée de quinze jours,
Rejette la demande de X se disant [R] [C] fondée sur l’article 700 du Code de procédure civile.
Fait à Rouen, le 04 Janvier 2025 à 16h30.
LA GREFFIERE, LA CONSEILLERE,
NOTIFICATION
La présente ordonnance est immédiatement notifiée contre récépissé à toutes les parties qui en reçoivent une expédition et sont informées de leur droit de former un pourvoi en cassation dans les deux mois de la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du code de procédure civile.
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