L’Essentiel : M. [Z] [S], né en 2000, a été placé en détention provisoire le 26 mars 2022 pour des accusations de violences et de dégradations. Relâché le 28 mars, il a été relaxé le 9 mai. Le 31 mai, il a demandé une indemnisation de 4 600 euros pour préjudice matériel et moral, ainsi que des frais d’avocat. La cour a jugé la requête recevable et a accordé 1 000 euros pour le préjudice moral, tout en rejetant la demande de frais d’avocat. Finalement, M. [S] a reçu 1 500 euros pour couvrir ses frais irrépétibles.
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Contexte de la requêteM. [Z] [S], né en 2000, a été placé en détention provisoire le 26 mars 2022 pour des accusations de violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique, de dégradations d’un bien public et de refus de délivrer un code de déchiffrement de son téléphone. Il a été remis en liberté sous contrôle judiciaire le 28 mars 2022, et le 9 mai 2022, il a été relaxé par le tribunal judiciaire de Bobigny. Demande d’indemnisationLe 31 mai 2022, M. [S] a déposé une requête auprès de la cour d’appel de Paris pour obtenir une indemnisation de sa détention provisoire, sollicitant des compensations pour préjudice matériel et moral, ainsi que des frais d’avocat. Il a demandé un total de 4 600 euros, répartis entre 1 200 euros pour les frais d’avocat, 1 000 euros pour le préjudice moral et 2 400 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Conclusions des partiesL’Agent Judiciaire de l’Etat a demandé l’irrecevabilité de la requête, tout en proposant une indemnisation limitée à 1 000 euros pour le préjudice moral et le rejet des autres demandes. Le procureur général a également conclu à l’irrecevabilité, mais a reconnu la recevabilité de la requête pour une détention de 3 jours, tout en soutenant une indemnisation pour le préjudice moral et le rejet du préjudice matériel. Recevabilité de la requêteLa cour a jugé la requête recevable, notant que M. [S] avait respecté le délai de six mois pour demander réparation après sa relaxe. La décision de relaxe était devenue définitive, et la requête contenait toutes les informations requises par le Code de procédure pénale. Indemnisation du préjudice moralM. [S] a fait valoir que sa détention avait été particulièrement difficile, étant donné son jeune âge et le fait qu’il s’agissait de sa première incarcération. La cour a décidé d’allouer 1 000 euros pour le préjudice moral, prenant en compte son âge et la durée de la détention. Indemnisation du préjudice matérielConcernant les frais d’avocat, M. [S] a demandé 1 200 euros, mais la cour a rejeté cette demande, estimant que les frais n’étaient pas justifiés comme étant exclusivement liés à la détention. En revanche, la cour a accordé 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour couvrir les frais irrépétibles engagés par M. [S]. Décision finaleLa cour a statué en faveur de M. [S], lui accordant 1 000 euros pour le préjudice moral et 1 500 euros pour les frais irrépétibles, tout en rejetant le surplus de ses demandes. Les dépens de la procédure ont été laissés à la charge de l’Etat. La décision a été rendue le 6 janvier 2025. |
Q/R juridiques soulevées :
Sur la recevabilité de la demande d’indemnisationLa recevabilité de la requête de M. [Z] [S] est régie par les articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du Code de Procédure Pénale. Selon l’article 149, « la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention. » Il est précisé que « le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3. » En l’espèce, M. [S] a présenté sa requête le 31 mai 2022, soit dans le délai de six mois suivant la décision de relaxe du 09 mai 2022, devenue définitive le 30 mai 2022. La requête a été signée par son avocat et contenait l’exposé des faits ainsi que le montant de la réparation demandée, conformément aux exigences de l’article R.26. Ainsi, la requête de M. [S] est déclarée recevable pour une détention provisoire indemnisable de 3 jours. Sur l’indemnisation du préjudice moralL’indemnisation du préjudice moral est également encadrée par les articles précités. M. [S] sollicite 1 000 euros en réparation de son préjudice moral, arguant que sa détention a eu un impact significatif sur lui, étant donné qu’il s’agissait de sa première incarcération à un âge relativement jeune. Le Code de Procédure Pénale ne définit pas précisément le préjudice moral, mais il est généralement admis qu’il doit être évalué en tenant compte de l’âge, de la durée de la détention, des conditions de détention, et de l’état de santé du requérant. L’Agent Judiciaire de l’Etat a proposé une indemnisation de 1 000 euros, considérant que la détention n’a duré que 3 jours et que M. [S] avait 22 ans au moment des faits. Le Ministère Public a également souligné que le préjudice moral doit être apprécié en fonction de l’absence de condamnations antérieures et du choc que représente une première incarcération. En tenant compte de ces éléments, il a été décidé d’allouer à M. [S] la somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral. Sur l’indemnisation du préjudice matérielConcernant le préjudice matériel, M. [S] a demandé 1 200 euros pour les frais d’avocat liés à sa détention. Cependant, l’Agent Judiciaire de l’Etat a contesté cette demande, arguant que les frais d’avocat ne peuvent être remboursés que s’ils sont en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire. La facture d’honoraires présentée par M. [S] s’élevait à 2 400 euros, mais il n’a pas pu prouver que les audiences pour lesquelles il a été facturé étaient exclusivement liées à la détention. L’article 149-2 stipule que « la réparation du préjudice matériel est limitée aux frais engagés en raison de la détention. » En l’absence de preuve suffisante pour justifier que les frais d’avocat étaient exclusivement liés à la détention, la demande de M. [S] a été rejetée. Sur les frais irrépétiblesEnfin, en ce qui concerne les frais irrépétibles, l’article 700 du Code de Procédure Civile prévoit que « la partie qui perd le procès peut être condamnée à payer à l’autre partie une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. » Il a été jugé qu’il serait inéquitable de laisser M. [S] supporter les frais engagés dans le cadre de la présente procédure. Ainsi, il a été décidé de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, en reconnaissance des frais qu’il a dû engager pour faire valoir ses droits. |
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Chambre 1-5DP
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 06 Janvier 2025
(n° , 5 pages)
N°de répertoire général : N° RG 22/09734 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CF3AC
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Jean-Paul BESSON, Premier Président de chambre, à la cour d’appel, agissant par délégation du premier président, assisté de Victoria RENARD, Greffière, lors des débats et de [D] [M], Greffière stagiaire lors de la mise à disposition avons rendu la décision suivante :
non comparant
Représenté par Me Frédéric BEAUFILS, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l’Agent Judiciaire de l’Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l’audience fixée au 04 Novembre 2024 ;
Entendu Me Frédéric BEAUFILS représentant M. [Z] [S],
Entendu Me Anne-laure ARCHAMBAULT, avocat au barreau de PARIS, avocat représentant l’Agent Judiciaire de l’Etat,
Entendue Madame Marie-Daphnée PERRIN, avocate générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [Z] [S], né le [Date naissance 1] 2000, de nationalité française, a été traduit devant le procureur de la République près le tribunal judicaire de Bobigny selon la procédure de comparution différée le 26 mars 2022 des chefs de violences volontaires sur personne dépositaire de l’autorité publique n’ayant entraîné aucune ITT, de dégradations d’un bien public et de refus de délivrer le code de convention secrète de déchiffrement de son téléphone portable, puis placé en détention provisoire à la maison d’arrêt de [Localité 5] le même jour par ordonnance du juge des libertés et de la détention de la même juridiction.
Par ordonnance du 28 mars 2022, le requérant a été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire.
Par jugement du 09 mai 2022, la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny a relaxé M. [S] des fins de la poursuite et cette décision est définitive comme en atteste le certificat de non-appel du .30 mai 2022.
Le 31 mai 2022, M. [S] a adressé une requête au premier président de la cour d’appel de Paris en vue d’être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l’article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci :
– Déclarer recevable la présente requête ;
– Lui allouer les sommes suivantes :
‘ Au titre du préjudice matériel 1 200 euros au titre des fais d’avocat liés à la question de la détention
‘ Au titre du préjudice moral 1 000 euros
‘ Au titre de l’article 700 du code de procédure civile 2 400 euros.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par RPVA et déposées le 14 août 2024, développées oralement, l’agent judiciaire de l’Etat demande au premier président de :
A titre principal
– Déclarer irrecevable la requête
A titre subsidiaire
– Limiter à de plus justes proportions qui ne sauraient pas excéder la somme de 1 000 euros l’indemnité qui sera allouée à M. [Z] [S] en réparation de son préjudice moral
– Rejeter la demande de M. [S] en réparation de son préjudice matériel
– Rejeter le surplus des demandes
– Réduire à de plus justes proportions le montant de l’indemnité octroyée en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général a, dans ses dernières conclusions notifiées le 21 août 2024 et soutenues oralement à l’audience de plaidoiries du 04 novembre 2024, conclu :
A titre principal
– A l’irrecevabilité de la requête
A titre subsidiaire
– A la recevabilité de la requête pour une détention de 3 jours ;
– A la réparation du préjudice moral dans les conditions indiquées ;
– Au rejet de la demande de réparation du préjudice matériel.
Le requérant a eu la parole en dernier.
Sur la recevabilité de la demande
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire au cours d’une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel qui lui a causé cette détention.
Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d’un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d’appel. Cette requête doit contenir l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l’article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1, 149-2 et 149-3 du code précité.
En l’espèce, M. [S] a présenté sa requête aux fins d’indemnisation le 31 mai 2022. La décision de relaxe a été rendue le 09 mai 2022 par la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny ; Cette décision est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel du 30 mai 2022. M. [S] a donc bien présenté sa requête dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive en application des dispositions de l’article 149 du code de procédure pénale. Cette requête contenant l’exposé des faits, le montant de la réparation demandée, est signée par son avocat et la décision de relaxe n’est pas fondée sur un des cas d’exclusions visé à l’article 149 du code de procédure civile.
Par ailleurs, le requérant a bien produit lors de l’audience de plaidoiries le jugement de relaxe de la 17e chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Bobigny.
C’est ainsi que la requête de M. [S] est recevable au titre d’une détention provisoire indemnisable de 3 jours.
Sur l’indemnisation
Sur l’indemnisation du préjudice moral
M. [S] soutient qu’il a été incarcéré sous une qualification l’exposant à une peine privative de liberté, qu’il a été très affecté par cette privation de liberté alors qu’il s’est retrouvé incarcéré pour la première fois à un âge relativement jeune. Ces accusations injustes et l’absence d’écoute de l’institution judiciaire durant ces quelques jours ont généré une inquiétude particulière chez ce dernier qui s’estimait totalement innocent des faits de l’espèce. C’est pourquoi il sollicite l’allocation d’une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.
L’agent judiciaire de l’Etat indique que la détention provisoire du requérant ne s’est pas prolongée puisqu’il n’a été incarcéré que 3 jours. Il a été incarcéré pour la première fois à l’âge de 22 ans, ce qui ne constitue pas un facteur d’aggravation de son préjudice moral, mais un facteur de base de ce préjudice. Compte tenu de ces différents éléments, l’AJT propose l’allocation d’une somme de 1 000 euros en réparation du préjudice moral du requérant.
Le Ministère Public rappelle que le préjudice moral ne doit être apprécié qu’au regard de l’âge du requérant, de la durée et des conditions de la détention, de son état de santé, de sa situation familiale et d’éventuelles condamnations antérieures, soulignant l’absence de précédente incarcération, ce qui fait que le choc carcéral est plein et entier. Il indique qu’il convient de prendre en compte le jeune âge du requérant qui n’avait que 21 ans au jour de son placement en détention provisoire.
En l’espèce, M. [S] était âgé de 21 ans au moment de son incarcération, célibataire et sans enfant.
Il s’agissait par ailleurs d’une première incarcération pour le requérant car le bulletin numéro 1 de son casier judiciaire ne porte trace d’aucune condamnation à une peine d’emprisonnement ferme. C’est ainsi que le choc carcéral peut être considéré comme important.
Le sentiment d’injustice évoqué est lié à la procédure pénale et non pas à son placement en détention provisoire et ne sera donc pas retenu au titre d’un facteur d’aggravation du préjudice moral. Par ailleurs, il ne démontre pas en quoi ces qualifications pénales ont eu une incidence sur ses conditions de détention.
S’agissant des conditions matérielles de détention, aucun facteur d’aggravation n’est évoqué par le requérant.
C’est ainsi, qu’au vu de ces différents éléments, il sera alloué à M. [S] une somme de 1 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Sur l’indemnisation du préjudice matériel
Sur le préjudice lié aux frais de défense :
M. [S] sollicite une somme de 1 200 euros en remboursement des frais d’avocat qu’il a dû payer en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire, c’est-à-dire ‘assistance devant le juge délégué le samedi 26 mars 2022 et l’assistance devant le tribunal correctionnel de Bobigny le 28 mars 2022.
L’AJE estime que les seules diligences en lien direct et exclusif avec le contentieux de la détention provisoire peuvent être retenues au titre de la réparation du préjudice matériel du requérant. Or, il est produit une facture d’honoraires d’un montant de 2 400 euros HT qui précise les diligences relatives à la détention : assistance aux audiences des 26 et 28 mars 2022. Il n’est pas justifié que ces deux audiences soient exclusivement en lien avec le contentieux de la détention provisoire. La demande en ce sens doit donc être rejetée.
Le Ministère Public considère que cette demande n’est pas justifiée car rien ne justifie que les diligences accomplies étaient en lien exclusif avec le contentieux e la détention provisoire et ce d’autant plus que le montant requis pour chacune d’elle n’est pas détaillé.
En l’espèce, M. [S] produit une note récapitulative d’honoraires établi par son conseil le 09 mai 2022 pour un montant total de 2 400 euros TTC. Il est précisé « audience de comparution immédiate pour 2 000 euros HT et TVA de 400 euros ». Sur ce même montant, il est précisé que les diligences en lien avec la détention sont de 1 200 euros TTC et comprennent l’audience devant le juge délégué le 26 mars 2022 et l’audience devant le tribunal correctionnel du 28 mars suivant. Si la première audience paraît être en lien avec la détention, il n’est pas démontré que la deuxième le soit également. Faute d’avoir individualisé le montant correspondant à chacune des deux audiences, et comme il n’entre pas dans les pouvoirs du premier président de procéder à cette individualisation, la demande en ce sens sera rejetée.
Sur les frais irrépétibles :
Il serait inéquitable de laisser à la charge du requérant les sommes qu’il a dû engager dans le cadre de la présente procédure. Il convient donc de lui allouer la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant par ordonnance contradictoire,
Déclarons recevable la requête de M. [Z] [S] pour une détention d’une durée de 3 jours ;
Allouons à M. [Z] [S] les sommes suivantes :
– 1 000 euros en réparation de son préjudice moral ;
– 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboutons M. [Z] [S] du surplus de ses demandes ;
Laissons les dépens de la présente procédure à la charge de l’Etat ;
Décision rendue le 06 Janvier 2025 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ
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