Reconnaissance du lien entre maladie professionnelle et responsabilité de l’employeur : enjeux et procédures.

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Reconnaissance du lien entre maladie professionnelle et responsabilité de l’employeur : enjeux et procédures.

L’Essentiel : Mme [J] [P], engagée par l’Association d’Action Educative et Sociale depuis 1992, a déclaré un syndrome dépressif en avril 2022. Après un avis défavorable du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles en octobre 2022, un recours a été déposé. Un second comité a finalement reconnu la maladie comme professionnelle en mars 2024. En octobre 2023, Mme [J] [P] a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de l’Association, entraînant une procédure pour évaluer le lien entre sa pathologie et son activité professionnelle. Le tribunal a désigné un nouveau comité pour examiner ce dossier.

Engagement de Mme [J] [P]

Mme [J] [P] a été engagée par l’Association d’Action Educative et Sociale le 1er juin 1992, d’abord en tant qu’aide médico-psychologique, puis comme éducatrice spécialisée.

Déclaration de maladie professionnelle

Le 21 avril 2022, Mme [J] [P] a déclaré un syndrome dépressif à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie, qui a ensuite saisi un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles en raison de la nature hors tableau de la maladie.

Rejet de la demande initiale

Le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de la région Tourcoing Hauts de France a émis un avis défavorable, entraînant le rejet de la demande par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie le 17 octobre 2022.

Recours et nouvel avis

Suite à un recours de Mme [J] [P], le tribunal a ordonné la désignation d’un second Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, celui de la région Grand-Est, qui a finalement rendu un avis favorable le 7 mars 2024, reconnaissant le caractère professionnel de la maladie.

Demande de reconnaissance de faute inexcusable

Le 31 octobre 2023, Mme [J] [P] a saisi le tribunal pour obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable de l’Association, avec des demandes de réparation financière pour divers préjudices.

Conclusions de l’Association et de la Caisse Primaire

L’Association a demandé la désignation d’un nouveau Comité pour examiner le lien entre la pathologie de Mme [J] [P] et son activité professionnelle, tandis que la Caisse Primaire a sollicité un jugement sur la faute inexcusable et a proposé d’avancer les réparations dues à la victime.

Motifs de la décision

Le tribunal a précisé que la faute inexcusable de l’employeur ne peut être retenue que si la maladie est reconnue comme professionnelle. Il a également souligné que l’employeur a le droit de contester le caractère professionnel de la maladie, et que la preuve de ce caractère incombe au demandeur.

Désignation d’un nouveau Comité

Le tribunal a décidé de désigner le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de la région Île-de-France pour examiner le dossier de Mme [J] [P] et déterminer si son syndrome dépressif est directement lié à son travail.

Procédure à suivre

Le tribunal a ordonné que la Caisse Primaire d’Assurance Maladie transmette son dossier au nouveau Comité, et a précisé que les parties peuvent soumettre des observations dans un délai d’un mois. L’affaire sera rappelée au rôle après réception de l’avis du Comité.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la définition de la faute inexcusable de l’employeur selon le Code de la sécurité sociale ?

La faute inexcusable de l’employeur est définie par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale. Cet article stipule que :

« Lorsque la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle a subi un préjudice du fait d’une faute inexcusable de l’employeur, elle a droit à une réparation intégrale de son préjudice. »

Cette disposition implique que pour qu’une faute inexcusable soit reconnue, il faut prouver que l’employeur a commis une négligence grave dans la protection de la santé et de la sécurité de ses employés.

En outre, l’article L. 452-2 précise que :

« L’employeur est réputé avoir commis une faute inexcusable lorsqu’il avait ou aurait dû avoir connaissance du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. »

Ainsi, la reconnaissance de la faute inexcusable repose sur la démonstration d’un manquement de l’employeur à ses obligations de sécurité.

Comment se déroule la procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle ?

La procédure de reconnaissance d’une maladie professionnelle est régie par plusieurs articles du Code de la sécurité sociale, notamment l’article L. 461-1 et l’article R. 461-1.

L’article L. 461-1 stipule que :

« Les maladies professionnelles sont celles qui figurent sur un tableau établi par décret. Toutefois, les maladies qui ne figurent pas sur ce tableau peuvent également être reconnues comme maladies professionnelles si elles sont causées par le travail. »

En cas de contestation sur le caractère professionnel d’une maladie, l’article R. 142-17-2 précise que :

« Lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie, le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. »

Cela signifie que le tribunal doit obtenir un avis d’un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) avant de se prononcer sur la question.

Dans le cas présent, le tribunal a désigné un CRRMP de la région Île-de-France pour examiner le dossier de Mme [J] [P] et déterminer si son syndrome dépressif est directement lié à son activité professionnelle.

Quelles sont les implications de la décision du CRRMP sur la reconnaissance de la faute inexcusable ?

La décision du CRRMP a des implications significatives sur la reconnaissance de la faute inexcusable. Selon l’article L. 461-1, la reconnaissance d’une maladie professionnelle est un préalable à l’invocation de la faute inexcusable de l’employeur.

En effet, si le CRRMP conclut que la maladie de Mme [J] [P] est d’origine professionnelle, cela renforce la position de Mme [J] [P] dans sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable.

L’article L. 452-1, déjà cité, stipule que la victime a droit à une réparation intégrale de son préjudice en cas de faute inexcusable.

Ainsi, la reconnaissance de la maladie comme professionnelle pourrait entraîner une obligation pour l’employeur de réparer les préjudices subis par la salariée, y compris les préjudices moraux et fonctionnels.

En revanche, si le CRRMP ne reconnaît pas le caractère professionnel de la maladie, cela pourrait affaiblir la demande de Mme [J] [P] et rendre plus difficile la preuve de la faute inexcusable.

Quels sont les droits de la victime en cas de reconnaissance de la faute inexcusable ?

En cas de reconnaissance de la faute inexcusable, la victime bénéficie de plusieurs droits, comme le stipule l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.

Cet article précise que :

« La victime a droit à une réparation intégrale de son préjudice, y compris les frais médicaux, les pertes de revenus, ainsi que les préjudices moraux et fonctionnels. »

Cela signifie que la victime peut demander une indemnisation pour :

– Les frais médicaux engagés en raison de la maladie,
– La perte de revenus due à l’incapacité de travail,
– Le préjudice moral résultant de la souffrance et de la détresse causées par la maladie,
– Le déficit fonctionnel temporaire et permanent.

De plus, l’article 700 du Code de procédure civile permet à la victime de demander le remboursement des frais de justice engagés pour faire valoir ses droits.

Ainsi, la reconnaissance de la faute inexcusable ouvre la voie à une réparation complète et intégrale des préjudices subis par la victime.

1/ Tribunal judiciaire de Lille N° RG 23/02114 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XVKR
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE

PÔLE SOCIAL

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

JUGEMENT DU 30 DECEMBRE 2024

N° RG 23/02114 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XVKR

DEMANDERESSE :

Mme [J] [P] épouse [X]
[Adresse 4]
[Localité 7]

représentée par Me David BROUWER, avocat au barreau de DUNKERQUE

DEFENDERESSE :

Association [8]
[Adresse 5]
[Localité 6]

représentée par Me Ghislaine STREBELLE-BECCAERT, avocat au barreau de LILLE

PARTIE(S) INTERVENANTE(S) :

CPAM DES FLANDRES
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Madame [I] [F], munie d’un pouvoir

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Anne-Marie FARJOT, Vice-Présidente
Assesseur : Catherine DELAVAL, Assesseur pôle social collège employeur
Assesseur : Jean-Jacques DELECROIX, Assesseur du pôle social collège salarié

Greffière

Jessica FRULEUX,

DÉBATS :

A l’audience publique du 16 décembre 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 30 décembre 2024.

FAITS ET PROCEDURE.

Mme [J] [P] a été engagée par l’Association d’Action Educative et Sociale le 1er juin 1992 en qualité d’aide médico psychologique puis d’éducatrice spécialisée.

Le 21 avril 2022, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie a reçu une déclaration de maladie professionnelle établie par Mme [J] [P] au titre d’un syndrome dépressif.

Après enquête, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie a saisi un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles en raison d’une maladie hors tableau.

Le CRRMP de la région Tourcoing Hauts de France ayant émis un avis défavorable, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie a rejeté la demande par décision du 17 octobre 2022.

Suite au recours de Mme [J] [P], le tribunal a ordonné, avant dire droit, la désignation d’un second CRRMP, en l’espèce celui de la région Grand-Est.

Suite à l’avis favorable de ce Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, le tribunal par jugement du 7 mars 2024, a reconnu le caractère professionnel de la maladie déclarée dans sa relation avec la Caisse Primaire d’Assurance Maladie.

Parallèlement, le 31 octobre 2023, Mme [J] [P] avait saisi la présente juridiction en reconnaissance de faute inexcusable.

L’affaire a été plaidée le 16 décembre 2024 et mise en délibéré au 30 décembre 2024.

****

Par conclusions auxquelles il est renvoyé pour le détail des demandes et moyens, le conseil de Mme [J] [P] sollicite de :

-dire et juger que la maladie professionnelle dont est victime Mme [J] [P] est la conséquence de la faute inexcusable de l’Association [8]

Par conséquent
-fixer au maximum la majoration prévue par la loi
-fixer comme suit les préjudices de Mme [J] [P] :
°40 000euros au titre du préjudice moral,
° 5 000euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
°20 000euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
-condamner l’Association [8] à verser à Mme [J] [P] la somme de 3 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
-dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire

A titre subsidiaire
-ordonner une mesure d’expertise pour chiffrer les différents postes de préjudice.

Par conclusions auxquelles il est renvoyé pour le détail des demandes et moyens, le conseil de l’Association [8] sollicite (après abandon à l’audience de sa demande principale en raison du rendu dans le cours de la procédure du jugement du 7 mars 2024) de :

– DESIGNER un nouveau Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles aux fins qu’il se prononce sur le lien direct et essentiel entre la pathologie de Mme [J] [P] et l’exercice de son activité professionnelle.

Par conclusions auxquelles il est renvoyé pour le détail des demandes et moyens, la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Flandres sollicite de :

-juger ce que de droit sur la faute inexcusable et dans l’hypothèse où elle serait retenue,
-donner acte à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de ce qu’elle fera l’avance des réparations dues à la victime pour le compte de l’employeur auteur de la faute inexcusable,
-dire que l’employeur condamné, l’Association [8], sera tenu de garantir les conséquences financières de sa faute inexcusable et que le jugement lui sera opposable.

MOTIFS

Il est constant que la faute inexcusable de l’employeur ne peut être retenue que pour autant que l’affection déclarée revêt le caractère d’une maladie professionnelle.
Par ailleurs, l’existence d’une décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle n’exclut pas le droit pour l’employeur pour défendre à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable, de contester le caractère professionnel de l’accident ou de la maladie.

Ceci signifie que dès lors que l’employeur, dans le cadre d’une action en faute inexcusable, conteste le caractère professionnel de la maladie pour laquelle la faute inexcusable est invoquée, il appartient au demandeur de rapporter la preuve du caractère professionnel de la maladie ; cette preuve ne peut être rapportée par la simple invocation de la reconnaissance par la décision de la caisse sauf à dénier de fait à l’employeur le droit de contester le caractère professionnel de la maladie

En droit, le tribunal ne peut se prononcer sur le caractère professionnel d’une maladie hors tableau, sans disposer d’un avis rendu par un Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles autre que celui ayant déjà statué en application de l’article R.142-17-2 du code de sécurité sociale, qui dispose que  » Lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie dans les conditions prévues aux sixième et septième alinéas de l’article L.461-1, le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du huitième alinéa de l’article L. 461-1.
Le tribunal désigne alors le comité d’une des régions les plus proches.  »

En l’espèce, le CRRMP de la région Grand-Est a rendu un avis autre que celui qui avait déjà été saisi par la caisse.

Pour autant, cet avis ayant été rendu dans le cadre d’une procédure opposant Mme [J] [P] à la Caisse Primaire d’Assurance Maladie et dans laquelle l’Association [8] était absente, il apparaît légitime de recueillir un nouvel avis émis dans le cadre d’une procédure contradictoire à l’égard des deux parties et ce quand bien même le tribunal n’est pas lié par ces avis.

Il convient donc, avant dire droit sur le caractère professionnel de la maladie de Mme [J] [P], de saisir un nouveau Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles suivant les modalités définies ci-dessous.

Dans l’attente il sera sursis à statuer sur l’ensemble des demandes afférentes à la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, en premier ressort, avant dire droit, par mise à disposition au greffe,

DESIGNE le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de la région ILE DE FRANCE [Adresse 2] aux fins de :
– prendre connaissance de l’entier dossier constitué par la Caisse primaire d’Assurance Maladie conformément aux dispositions de l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale,
– procéder comme il est dit à l’article D.461-30 du code de la sécurité sociale,
– dire si la maladie de Mme [J] [P] à savoir un syndrome dépressif est directement et essentiellement causée par le travail habituel de la victime,
– faire toutes observations utiles,

DIT que la Caisse primaire d’Assurance Maladie doit adresser son dossier au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles désigné, constitué des éléments mentionnés à l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale auxquels s’ajoutent l’ensemble des pièces visées à l’article D.461-29 du même code ;

RAPPELLE que Mme [J] [P] et l’Association [8] peuvent adresser au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles désigné des observations qui seront annexées au dossier transmis par la Caisse ;

DIT que Mme [J] [P] et l’Association [8] devront adresser leurs observations éventuelles dans le délai d’un mois soit directement à la CPAM qui transmettra celles-ci au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles, soit directement au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de la région ILE DE FRANCE ;

DIT que le CRRMP désigné adressera son avis au GREFFE DU POLE SOCIAL du Tribunal Judiciaire de LILLE, [Adresse 1] à [Localité 9] ;

DIT qu’une copie de l’avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles dès réception sera adressée aux parties par le Greffe du POLE SOCIAL du Tribunal Judiciaire de LILLE par lettre simple (décret du 2018-928 du 29 octobre 2018) ;

DIT que l’affaire sera rappelée au rôle à la diligence du greffe après dépôt de l’avis ;

SURSOIT à statuer sur l’intégralité des demandes dans l’attente de l’avis du CRRMP

RESERVE les dépens ;

DIT que le présent jugement sera notifié à chacune des parties conformément à l’article R.142-10-7 du Code de la Sécurité Sociale par le greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille.

Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe du Pôle social du Tribunal judiciaire de Lille les jours, mois et an que dessus,

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

Jessica FRULEUX Anne-Marie FARJOT

Expédié aux parties le :

– 1 ccc Mme [J] [P] épouse [X]
– 1 ccc Me BROUWER
– 1 ccc Association [8]
– 1 ccc Me STREBELLE-BECCAERT
– 1 ccc CPAM des FLANDRES
– 1 ccc CCRMP Île de France


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