Prolongation de rétention : enjeux de l’ordre public et des droits des étrangers

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Prolongation de rétention : enjeux de l’ordre public et des droits des étrangers

L’Essentiel : Le 9 janvier 2023, le Tribunal correctionnel de Marseille a imposé une interdiction de territoire à Monsieur [L] [Y] pour 5 ans. Le 14 octobre 2024, le Préfet des Bouches-du-Rhône a décidé de le placer en rétention, confirmée par le Tribunal judiciaire. En appel, Monsieur [L] [Y] a soutenu être en France depuis 2020, avoir la nationalité française et ne représenter aucune menace pour l’ordre public. L’absence de la préfecture à l’audience a soulevé des doutes sur la légitimité de la prolongation de sa rétention. Finalement, la cour a ordonné la mainlevée de la mesure, tout en maintenant l’interdiction de territoire.

Contexte Juridique

Les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) encadrent les procédures relatives à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Dans ce cadre, un jugement correctionnel a été rendu par le Tribunal correctionnel de Marseille le 9 janvier 2023, imposant une interdiction du territoire français à Monsieur [L] [Y] pour une durée de 5 ans.

Placement en Rétention

Le 14 octobre 2024, Monsieur LE PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE a décidé de placer Monsieur [L] [Y] en rétention, une décision notifiée le même jour. Par la suite, plusieurs ordonnances ont été rendues par le magistrat du siège du Tribunal judiciaire de Marseille, confirmant le maintien de Monsieur [L] [Y] en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire.

Appel de la Décision

Monsieur [L] [Y] a interjeté appel le 28 décembre 2024. Lors de l’audience, il a été assisté d’un interprète en langue arabe et a expliqué sa situation, affirmant être en France depuis 2020, avoir la nationalité française, travailler dans le bâtiment et être marié religieusement en France.

Arguments de la Défense

L’avocat de Monsieur [L] [Y] a soulevé plusieurs points, notamment l’absence de perspective de délivrance d’un laisser-passer et de réalisation de l’éloignement dans les 15 jours. Il a également mentionné le manque de diligence de la préfecture et l’absence de menace pour l’ordre public, arguant que Monsieur [L] [Y] n’avait jamais fait obstruction à la mesure d’éloignement.

Position de la Préfecture

Le représentant de la préfecture a été convoqué à l’audience mais n’a pas comparu. Cela a soulevé des questions sur la validité des arguments avancés par la préfecture concernant la nécessité de prolonger la rétention de Monsieur [L] [Y].

Conditions de Prolongation de la Rétention

Selon l’article L742-5 du CESEDA, le magistrat peut prolonger la rétention au-delà de la durée maximale si certaines conditions sont remplies. Cependant, il a été établi qu’aucune situation ne justifiait une telle prolongation dans les quinze derniers jours, notamment en ce qui concerne la délivrance des documents de voyage.

Évaluation de la Menace pour l’Ordre Public

Concernant la menace pour l’ordre public, le dossier ne contenait pas d’éléments suffisants pour justifier la prolongation de la rétention. La seule condamnation de Monsieur [L] [Y] pour des faits liés à du trafic de stupéfiants en janvier 2023 n’était pas suffisante pour établir une menace actuelle et sérieuse.

Décision Finale

En conséquence, l’ordonnance du magistrat a été infirmée. La cour a ordonné la mainlevée de la mesure de rétention administrative tout en rappelant à Monsieur [L] [Y] qu’il était soumis à une interdiction du territoire national. Les parties ont été informées de leur droit de se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de deux mois.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de prolongation de la rétention administrative selon le CESEDA ?

La prolongation de la rétention administrative est régie par l’article L742-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Cet article stipule que, à titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut être saisi pour prolonger le maintien en rétention au-delà de la durée maximale prévue à l’article L742-4, lorsque certaines conditions sont remplies dans les quinze derniers jours.

Ces conditions incluent :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé, et il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Quelles sont les implications de l’interdiction du territoire français ?

L’interdiction du territoire français est une mesure prononcée par le Tribunal correctionnel, comme le stipule l’article L740-1 du CESEDA. Cet article précise que l’interdiction du territoire peut être prononcée à titre de peine complémentaire pour des infractions graves, notamment celles liées à la sécurité publique.

Dans le cas présent, Monsieur [L] [Y] a été condamné à une interdiction du territoire français pour une durée de 5 ans par le jugement correctionnel rendu le 9 janvier 2023. Cette interdiction signifie qu’il ne peut pas entrer sur le territoire français pendant la durée de la peine, sauf autorisation exceptionnelle.

L’article L740-1 précise également que cette interdiction peut être assortie de conditions, et qu’elle est notifiée à l’intéressé. En cas de non-respect de cette interdiction, des sanctions supplémentaires peuvent être appliquées, y compris des poursuites pénales.

Comment se déroule la procédure d’appel contre une ordonnance de rétention ?

La procédure d’appel contre une ordonnance de rétention est régie par les dispositions du Code de procédure civile et du CESEDA. Selon l’article L742-5, la recevabilité de l’appel n’est pas contestée, et les éléments du dossier ne font pas apparaître d’irrégularité.

L’appel doit être formé dans un délai de 2 mois à compter de la notification de l’ordonnance. Le pourvoi doit être effectué par déclaration au greffe de la Cour de cassation, et il doit être signé par un avocat au Conseil d’État ou de la Cour de cassation.

Il est important de noter que l’appel est suspensif, ce qui signifie que la décision de rétention ne peut pas être exécutée tant que l’appel n’a pas été tranché. Cela permet à l’intéressé de contester la légalité de la mesure de rétention et de faire valoir ses droits devant une juridiction supérieure.

Quels sont les critères pour établir une menace pour l’ordre public ?

L’établissement d’une menace pour l’ordre public est un critère essentiel pour justifier la prolongation de la rétention administrative. Selon la jurisprudence, cette menace doit être certaine, sérieuse et actuelle.

Dans le cas de Monsieur [L] [Y], le dossier ne présente pas d’éléments suffisants pour caractériser une menace pour l’ordre public. La seule condamnation prononcée en janvier 2023 pour des faits liés à du trafic de stupéfiants ne suffit pas à établir une menace actuelle.

L’article L742-5 du CESEDA précise que la menace pour l’ordre public doit être confirmée par le comportement de l’intéressé durant les quinze jours précédents la demande de prolongation. Dans cette affaire, il n’a pas été démontré que Monsieur [L] [Y] ait eu un comportement compromettant durant cette période, ce qui a conduit à l’infirmation de l’ordonnance de prolongation de sa rétention.

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

CHAMBRE 1-11, Rétention Administrative

ORDONNANCE

DU 30 DÉCEMBRE 2024

N° RG 24/02146 – N° Portalis DBVB-V-B7I-BOFFE

Copie conforme

délivrée le 30 Décembre 2024 par courriel à :

-l’avocat

-le préfet

-le CRA

-le JLD/TJ

-le retenu

-le MP

Décision déférée à la Cour :

Ordonnance rendue par le magistrat du siège désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention du Tribunal judiciaire de Marseille en date du 28 Décembre 2024 à 12h13.

APPELANT

Monsieur [L] [Y]

né le 29 Août 1989 à [Localité 6] (ALGÉRIE)

de nationalité Algérienne

 

Comparant en visioconférence depuis le centre de rétention administrative de [Localité 5] en application des dispositions de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024;

Assisté de Maître Benoît CANDON, avocat au barreau de MARSEILLE, choisi; et de Madame [U] [Z], interprète en arabe, inscrite sur la liste des experts de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.

INTIMÉ

LE PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE,

Avisé, non représenté

MINISTÈRE PUBLIC

Avisé, non représenté

******

DÉBATS

L’affaire a été débattue en audience publique le 30 Décembre 2024 devant Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère à la cour d’appel déléguée par le premier président par ordonnance, assistée de Mme Carla D’AGOSTINO, Greffier,

ORDONNANCE

Réputé contradictoire,

Prononcée par mise à disposition au greffe le 30 Décembre 2024 à 16H40,

Signée par Madame Gaëlle MARTIN, Conseillère et Mme Carla D’AGOSTINO, Greffier,

PROCÉDURE ET MOYENS

Vu les articles L 740-1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) ;

Vu le jugement correctionnel rendu par le Tribunal correctionnel de Marseille en date du 9 janvier 2023 prononçant à titre de peine complémentaire une interdiction du territoire français pour une durée de 5 ans;

Vu la décision de placement en rétention prise le 14 octobre 2024 par Monsieur LE PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHÔNE notifiée le même jour à 12 heures 45;

Vu les ordonnances des 18 octobre, 13 novembre, 13 et 28 décembre 2024 rendues par le magistrat du siège désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention du Tribunal judiciaire de Marseille décidant le maintien de Monsieur [L] [Y] dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire ,

Vu l’appel interjeté le 28 Décembre 2024 à 17h15 par Monsieur [L] [Y] ;

Monsieur [L] [Y] a comparu et a été entendu en ses explications en présence de Madame [U] [Z], interprète en langue arabe, inscrite sur la liste des experts de la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; il déclare être en France depuis 2020 et avoir la nationalité française, travailler dans le bâtiment, s’être marié religieusement en France.

Son avocat a été régulièrement entendu ; il évoque :

-l’absence de perspective de délivrance du laisser-passer et de réalisation de l’éloignement dans les 15 jours,

-il existe une absence de diligence de la préfecture,

– il n’existe pas en l’espèce une menace pour l’ordre public, laquelle doit être certaine, sérieuse et actuelle, avec pour la 4e prolongation la confirmation de cette menace par le comportement de l’intéressé durant les 15 jours qui précèdent, soit pendant la 3e prolongation,

-M.[Y] n’a jamais fait obstruction à la mesure d’éloignement, ni a fortiori dans les quinze derniers jours.

-M.[Y] n’a pas déposé de demande d’asile, ni a fortiori dans les quinze derniers jours.

Le représentant de la préfecture a été convoqué à l’audience et n’a pas comparu.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l’article L742-5 du CESEDA :A titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien en rétention au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-4, lorsqu’une des situations suivantes apparait dans les quinze derniers jours :

1° L’étranger a fait obstruction à l’exécution d’office de la décision d’éloignement ;

2° L’étranger a présenté, dans le seul but de faire échec à la décision d’éloignement :

a) une demande de protection contre l’éloignement au titre du 5° de l’article L. 631-3 ;

b) ou une demande d’asile dans les conditions prévues aux articles L. 754-1 et L. 754-3 ;

3° La décision d’éloignement n’a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l’intéressé et qu’il est établi par l’autorité administrative compétente que cette délivrance doit intervenir à bref délai.

Le juge peut également être saisi en cas d’urgence absolue ou de menace pour l’ordre public.

L’étranger est maintenu en rétention jusqu’à ce que le juge ait statué.

Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court à compter de l’expiration de la dernière période de rétention pour une nouvelle période d’une durée maximale de quinze jours.

Si l’une des circonstances mentionnées aux 1°, 2° ou 3° ou au septième alinéa du présent article survient au cours de la prolongation exceptionnelle ordonnée en application de l’avant-dernier alinéa, elle peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours.

Sur la recevabilité de l’appel :

La recevabilité de l’appel contre l’ordonnance du magistrat désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention n’est pas contestée et les éléments du dossier ne font pas apparaître d’irrégularité.

Sur la réunion des conditions autorisant la quatrième prolongation du placement en centre de rétention administrative

Conformément à ce que soutient l’étranger, il n’est pas apparu, dans les quinze derniers jours, une situation établissant que la délivrance des documents de voyage doit intervenir à bref délai.En effet, suite à une demande d’identification avec relance le 12 novembre 2014, le retenu a été auditionné par les autorités algériennes le 28 novembre suivant, tandis qu’une relance leur était adressée le 12 décembre 2024 et que la procédure d’identification est toujours en cours, sans que l’on sache ce jour où elle est en exactement. .

S’agissant de la menace pour l’ordre public, aucun élément du dossier ne vient suffisamment la caractériser, seule une condamnation prononcée en janvier 2023, pour des faits liés à du trafic de stupéfiants, étant établie. Les éléments du dossier ne démontrent pas suffisamment, sans nul doute possible que Monsieur [L] [Y] aurait été impliqué dans d’autres procédures.

Aussi, l’ordonnance querellée sera infirmée

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par décision Réputé contradictoire en dernier ressort, après débats en audience publique,

Infirmons l’ordonnance du magistrat désigné pour le contrôle des mesures d’éloignement et de rétention en date du 28 Décembre 2024.

Et statuant à nouveau,

Ordonnons la mainlevée de la mesure de rétention administrative.

Rapellons à Monsieur [L] [Y] qu’il est soumis à une interdiction du territoire national prononcée par le Tribunal correctionnel de Marseille en date du 9 janvier 2023;

Les parties sont avisées qu’elles peuvent se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation, signé par un avocat au conseil d’Etat ou de la Cour de cassation.

Le greffier Le président

Reçu et pris connaissance le :

Monsieur [L] [Y]

Assisté d’un interprète

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-11, Rétentions Administratives

[Adresse 7]

Téléphone : [XXXXXXXX02] – [XXXXXXXX03] – [XXXXXXXX01]

Courriel : [Courriel 4]

Aix-en-Provence, le 30 Décembre 2024

À

– Monsieur LE PRÉFET DES BOUCHES-DU-RHONE

– Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de [Localité 5]

– Monsieur le procureur général

– Monsieur le greffier du Juge des libertés et de la détention de MARSEILLE

– Maître Benoît CANDON

NOTIFICATION D’UNE ORDONNANCE

J’ai l’honneur de vous notifier l’ordonnance ci-jointe rendue le 30 Décembre 2024, suite à l’appel interjeté par :

Monsieur [L] [Y]

né le 29 Août 1989 à [Localité 6] (ALGÉRIE) (99)

de nationalité Algérienne

Je vous remercie de m’accuser réception du présent envoi.

Le greffier,

VOIE DE RECOURS

Nous prions Monsieur le directeur du centre de rétention administrative de bien vouloir indiquer au retenu qu’il peut se pourvoir en cassation contre cette ordonnance dans un délai de 2 mois à compter de cette notification, le pourvoi devant être formé par déclaration au greffe de la Cour de cassation.


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