Le litige entre les sociétés de Raffinage pétrochimie et Total Energie a émergé autour des primes d’ancienneté et de quart des salariés en grève. En réponse à une note interne du 16 septembre 2021, qui réduisait ces primes pour les non-représentants du personnel, la société a, en octobre 2023, décidé de revenir sur l’abattement des primes d’ancienneté de manière rétroactive. Cependant, les primes de quart demeurent affectées. Le 19 janvier 2024, la fédération Fédéchimie FO a assigné les sociétés en justice, mais le tribunal a déclaré irrecevable l’action, soulignant la nécessité d’un préjudice personnel pour agir.. Consulter la source documentaire.
|
Sur l’intérêt à agir de M [J]Il résulte des dispositions de l’article L. 2132-3 du code du travail que seuls « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice » pour défendre « l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent » et, notamment, demander l’application des droits que les salariés tirent de la loi, du règlement ou d’une convention collective. Ainsi, la seule qualité de délégué syndical de M [J] ne saurait lui permettre de porter des demandes au nom de l’intérêt collectif de la profession. Il est par ailleurs constant qu’il n’a, à titre personnel, subi aucun abattement de ses primes en raison de sa participation à des mouvements de grève. Son action doit dès lors être déclarée irrecevable. Sur la recevabilité de la demande d’annulationEn vertu de l’article L. 2132-3 du code du travail, « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ». En l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les défenderesses, il ressort des termes de la note du 16 septembre 2021 qu’elle ne se borne pas à appliquer les arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 2 avril 2021 mais qu’elle en tire des conséquences générales quant aux règles devant prévaloir, pour l’avenir et au sein de l’ensemble des sociétés du groupe Total Energies, s’agissant de l’abattement des primes d’ancienneté et de quart des salariés participant à des mouvements de grève. Cette note fixe ainsi des normes génériques et impersonnelles applicables à l’ensemble des travailleurs du groupe. Dès lors qu’elles considèrent que ces normes leur portent préjudice, les organisations syndicales ont par conséquence qualité, au nom de l’intérêt collectif de la profession, pour en solliciter l’annulation. La fin de non-recevoir soulevée à ce titre doit dès lors être rejetée. Sur la qualité à défendre de la société Total Energie SEEn vertu de l’article 31 du code de procédure civile, « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». L’article 32 du même code précise qu’est « irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ». En l’espèce, dès lors qu’elle est l’autrice de la note dont il est demandé l’annulation, la société Total Energies SE a bien qualité à défendre à la présente instance. En outre, contrairement à ce qu’elle soutient, il ressort des termes de l’assignation que sa responsabilité civile n’est pas recherchée au titre des agissements de ses filiales mais à titre direct, à raison de l’émission de la note litigieuse. Il s’ensuit que la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre doit être rejetée. Sur la recevabilité des demandes d’injonctionEn vertu de l’article L. 2132-3 du code du travail, « les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ». Il résulte de ces dispositions qu’une organisation syndicale a qualité pour demander en justice la reconnaissance, au bénéfice des salariés dont elle représente l’intérêt commun, d’un droit ou d’un avantage résultant de la loi, du règlement ou d’une convention collective. Elle n’est en revanche pas recevable à solliciter le paiement de sommes déterminées à des salariés nommément désignés ni à formuler une demande qui implique de déterminer, pour chaque salarié, le contenu et les modalités des avantages particuliers qui lui sont dus. Sur la conformité de la loi française à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentalesL’article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales énonce que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle ». L’article 6.4 de la charte sociale européenne proclame quant à lui « le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur ». Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, ces stipulations ne s’opposent nullement, directement ou indirectement, à des dispositions d’ordre interne ne permettant pas aux organisations syndicales de solliciter des mesures de régularisation de la situation individuelle des salariés. Sur l’applicabilité du principe d’effectivité du droit de l’Union européenneL’article 4.3 du Traité sur l’Union européenne énonce qu’en « vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités. Les États membres prennent toute mesure générale ou particulière propre à assurer l’exécution des obligations découlant des traités ou résultant des actes des institutions de l’Union ». Il résulte de ce principe de coopération, tel qu’interprété de façon constante par la Cour de justice de l’Union européenne, que les ordres nationaux doivent garantir la protection juridique découlant pour les justiciables de l’effet direct des dispositions du droit communautaire. S’il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours exercés par les justiciables, c’est à la condition que ces dispositions ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique européen. Toutefois, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, l’exercice du droit de grève n’est pas directement encadré par des dispositions du droit de l’Union européenne. Si ce dernier, au même titre que le droit interne, proclame le principe de l’égalité de traitement des salariés et prohibe la pratique des discriminations, les normes fixées par la directive européenne n°2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ne visent pas à obliger les Etats membres à instituer un principe de non-discrimination mais à harmoniser les définitions qu’ils retiennent à ce titre et à établir des règles communes s’agissant des exceptions qui peuvent y être admises. Ainsi, la simple invocation d’une inégalité de traitement ne saurait être regardée comme mettant directement en œuvre le droit de l’Union européenne. En outre, si la transposition de la directive européenne n°2000/78 du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail a conduit à modifier les dispositions du code du travail relatives à la discrimination, elle n’a pas affecté l’article L. 1132-2 dudit code, prévoyant plus spécifiquement qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire « en raison de l’exercice normal du droit de grève ». L’action des demandeurs, qui se fonde exclusivement sur la discrimination que subiraient certains salariés grévistes, ne peut dès lors être regardée comme mettant en œuvre le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne. Sur l’existence d’un intérêt collectif de la professionIl ressort des termes de l’assignation que la fédération Fédéchimie FO sollicite qu’il soit ordonné aux sociétés défenderesses de verser aux salariés non représentants du personnel ayant fait grève au cours des années 2022 et 2023 les sommes qui leur seraient dues au titre des primes de quart et d’ancienneté. Cette demande implique nécessairement de faire le compte, pour chaque salarié, du nombre effectif de jours de grève et, ainsi, de procéder à un examen individuel de chaque situation. Elle ne relève donc pas de l’intérêt collectif de la profession et doit dès lors être déclarée irrecevable. En revanche, la demande tendant à ce que, pour l’avenir, l’ensemble des salariés grévistes se voient attribuer le bénéfice des primes de quart et d’ancienneté tend à la reconnaissance d’un avantage générique et impersonnel. Elle relève ainsi de l’intérêt collectif de la profession, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée doit être rejetée sur ce point. Sur les dépens et les frais de l’instanceAucune partie ne pouvant être regardée comme perdante au sein de la présente instance, les demandes présentées sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile doivent être rejetées. Il convient enfin, en application de l’article 696 du code de procédure civile, de réserver les dépens. |
Laisser un commentaire