Tribunal judiciaire de Nanterre, 21 novembre 2024, RG n° 24/02107
Tribunal judiciaire de Nanterre, 21 novembre 2024, RG n° 24/02107

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nanterre

Thématique : Qualité à agir et portée normative des documents internes en droit du travail

Résumé

Contexte de l’affaire

Les sociétés de l’unité économique et sociale Raffinage pétrochimie, membres du groupe Total Energie, ont été au cœur d’un litige concernant le paiement des primes d’ancienneté et de quart des salariés en grève. Le 16 septembre 2021, la direction a émis une note interne stipulant une réduction proportionnelle de ces primes pour les salariés non représentants du personnel en cas d’absence due à des grèves.

Évolution des mesures

Le 30 octobre 2023, la société Total Energie SE a décidé de revenir sur l’abattement des primes d’ancienneté de manière rétroactive, tout en maintenant l’abattement des primes de quart. Cette décision a été mise en œuvre en 2022 et 2023, suscitant des réactions de la part des syndicats.

Actions en justice

Le 19 janvier 2024, la fédération Fédéchimie FO et M [Y] [J], délégué syndical central, ont assigné les sociétés concernées devant le tribunal judiciaire de Nanterre, demandant l’annulation de la note interne, une injonction à régularisation et une indemnisation. Les défenderesses ont contesté la recevabilité des demandes.

Arguments des défenderesses

Les sociétés de l’unité économique et sociale Raffinage pétrochimie et Total Energie SE ont soutenu que M [J] n’avait pas qualité à agir, n’ayant pas subi de préjudice personnel. Elles ont également affirmé que la note du 16 septembre 2021 n’avait pas de portée normative et que les demandes de régularisation ne relevaient pas de l’intérêt collectif.

Réponse des demandeurs

En réponse, la fédération Fédéchimie FO et M [Y] [J] ont rejeté les fins de non-recevoir, arguant que leurs demandes d’injonction étaient dans l’intérêt collectif et que leur action ne violait pas le droit à un procès équitable. Ils ont également soutenu que la note avait une portée normative et que M [J] avait un intérêt à agir en tant que délégué syndical.

Décision du tribunal

Le tribunal a déclaré irrecevable l’action de M [Y] [J] et la demande de la fédération Fédéchimie FO concernant les primes dues aux salariés grévistes. Il a également débouté les sociétés défenderesses de leurs demandes supplémentaires et a réservé les dépens, renvoyant l’instruction à une audience ultérieure.

Conclusion

La décision a mis en lumière les limites de l’action individuelle des délégués syndicaux et la nécessité de prouver un préjudice personnel pour agir en justice. Les demandes d’injonction ont été jugées non recevables, soulignant la distinction entre l’intérêt collectif et les situations individuelles des salariés.

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE
Contentieux Collectif du Travail

ORDONNANCE DE MISE EN ETAT
Rendue le 21 Novembre 2024

N° RG 24/02107 – N° Portalis DB3R-W-B7I-ZFFR

N° Minute : 24/00108

AFFAIRE

Fédéchimie CGT FORCE OUVRIERE, [Y] [J]

C/

Société TOTAL ENERGIES SE, S.A.S. TOTALENERGIES RAFFINAGE CHIMIE, S.A. TOTALENERGIES PETROCHEMICALS FRANCE, S.A.S. TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE, S.A.S. TOTAL ENERGIES FLUIDS

CCC délivrées le :

Me Delphine BORGEL
Me Joël GRANGÉ
Me Philippe ROZEC
A l’audience du 17 Octobre 2024,

Nous, Vincent SIZAIRE, Juge de la mise en état assisté de Pascale GALY, Greffier ;

DEMANDERESSES à l’incident

Société TOTAL ENERGIES SE
[Adresse 1]

représentée par Maître Joël GRANGÉ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0461

S.A.S. TOTALENERGIES RAFFINAGE CHIMIE
SIRET 692 004 807 000 57
[Adresse 1]
[Localité 4]

S.A. TOTALENERGIES PETROCHEMICALS FRANCE
SIRET 428 891 113 000 14
[Adresse 1]

S.A.S. TOTALENERGIES RAFFINAGE FRANCE
SIRET 529 221 749 000 11
[Adresse 1]

S.A.S. TOTAL ENERGIES FLUIDS
SIRET 342 241 908 000 66
[Adresse 1]

représentées par Maître Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R045

DEFENDEURS à l’incident

Fédéchimie CGT FORCE OUVRIERE
[Adresse 2]

Monsieur [Y] [J]
[Adresse 3]

représentés par Maître Delphine BORGEL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2081

***

ORDONNANCE

Par décision publique, rendue en premier ressort, contradictoire susceptible d’appel dans les conditions de l’article 795 du code de procédure civile, et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

Les avocats des parties ont été entendus en leurs explications, l’affaire a été ensuite mise en délibéré et renvoyée ce jour pour mise à disposition.

Avons rendu la décision suivante :

EXPOSE DU LITIGE

Les sociétés de l’unité économique et sociale Raffinage pétrochimie sont membres du groupe Total Energie, dont la maison-mère est la société Total Energie SE.

Le 16 septembre 2021, la direction de cette société a publié une note interne « relative au paiement du temps de trajet des représentants du personnel en exécution des fonctions représentatives et abattement des primes de quart et d’ancienneté en cas de grève » et prévoyant, notamment, une réduction proportionnelle aux jours d’absence des primes d’ancienneté et de quart des salariés non représentants du personnel.

Le 30 octobre 2023, après avoir mis en œuvre ces mesures en 2022 et 2023, la direction de la société Total Energie SE a accepté de revenir rétroactivement sur l’abattement des primes d’ancienneté mais a maintenu sa position s’agissant des primes de quart.

Le 19 janvier 2024, la fédération Fédéchimie FO et M [Y] [J], délégué syndical central FO au sein de l’unité économique et sociale Raffinage pétrochimie ont assigné les sociétés de l’unité économique et sociale et la société Total Energie SE devant le tribunal judiciaire de Nanterre en annulation de la note interne, injonction à régularisation et indemnisation.

Par conclusions distinctes et séparées, les défenderesses ont soulevé l’irrecevabilité des demandes.

Le 19 septembre 2024, l’examen de ces incidents a été renvoyé à l’audience du 17 octobre 2024.

Dans le dernier état de ses écritures, la société Total Energies SE demande :
De déclarer irrecevable l’action dirigée à son encontre ;De déclarer irrecevable l’action de M [J] ;De déclarer irrecevable la demande d’annulation ;De déclarer irrecevables les demandes d’injonction ;De condamner les demandeurs à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de ses prétentions, elle soutient qu’elle n’a pas qualité à défendre dès lors que seule la société Total Energies Raffinage France a mis en œuvre les abattements contestés. Elle soutient que M [J] n’a pas qualité à agir en l’absence de préjudice propre. Elle soutient que la note du 16 septembre 2021 constitue un document interne sans portée normative. Elle fait enfin valoir que les demandes de régularisation de la situation individuelle des salariés grévistes ne relèvent pas de l’intérêt collectif de la profession et que cette irrecevabilité ne porte atteinte ni au droit au procès équitable tel que garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ni à aucune autre norme européenne.

Dans le dernier état de leurs écritures, les sociétés de l’unité économique et sociale Raffinage pétrochimie demandent :
De déclarer irrecevable l’action de M [J] ;De déclarer irrecevable la demande d’annulation ;De déclarer irrecevables les demandes d’injonction ;De condamner les demandeurs à leur verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’appui de leurs prétentions, elles soutiennent que M [J] n’a pas qualité à agir en l’absence de préjudice propre. Elles soutiennent que la note du 16 septembre 2021 constitue un document interne sans portée normative. Elles font enfin valoir que les demandes de régularisation de la situation individuelle des salariés grévistes ne relèvent pas de l’intérêt collectif de la profession et que cette irrecevabilité ne porte pas atteinte au droit au procès équitable tel que garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et n’est contraire à aucune norme de l’Union européenne.

Dans leurs dernières écritures, la fédération Fédéchimie FO et M [Y] [J] concluent au rejet des fins de non-recevoir soulevées par la défense et sollicitent la condamnation des défenderesses à leur payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Ils soutiennent que les demandes d’injonction relèvent bien de l’intérêt collectif de la profession dès lors qu’elles tendent à protéger le droit de grève et la liberté syndicale. Ils soutiennent également que leur action ne peut être déclarée irrecevable sans méconnaître le droit à un procès équitable, la charte sociale européenne et le principe d’effectivité du droit de l’Union européenne, qui régit notamment la sanction des discriminations. Ils soutiennent par ailleurs que la note du 16 septembre 2021 a une portée normative et que la responsabilité extracontractuelle de la société Total Energie SE est engagée à ce titre. Ils soutiennent enfin que M [J] à intérêt à agir dès lors qu’il a fait grève et qu’il est délégué syndical central.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant par ordonnance contradictoire, publiquement et en premier ressort :

DÉCLARE irrecevable l’action de M [Y] [J].

DÉCLARE irrecevable la demande de la fédération Fédéchimie FO tendant à « ordonner à la direction de verser à la collectivité des salariés postés les sommes dues au titre des primes de quart et d’ancienneté les jours de grève en 2022 et 2023 ».

DÉBOUTE les sociétés Total Energies SE, TotalEnergies Raffinage Chimie, TotalEnergies Petrochemicals France, TotalEnergies Raffinage France et TotalEnergies Fluids du surplus de leurs demandes.

DÉBOUTE la fédération Fédéchimie FO et M [Y] [J] de leur demande présentée en application de l’article 700 du code de procédure civile.

RÉSERVE les dépens.

RENVOIE l’instruction du dossier à l’audience de mise en état du 19 décembre 2024 pour présentation des conclusions en défense au fond.

signée par Vincent SIZAIRE, Vice-président, chargé de la mise en état, et par Pascale GALY, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER
Pascale GALY
LE JUGE DE LA MISE EN ETAT
Vincent SIZAIRE

 


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