Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris
Thématique : Préemption urbaine et responsabilité : enjeux de la rétrocession d’un bien immobilier
→ RésuméContexte de la promesse de venteLe 30 novembre 2010, la société Groupe de Conseil en Investissement et Financement (SCIFIM) a signé une promesse unilatérale de vente avec Madame [H] [G] pour un ensemble immobilier situé à [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9], pour un montant de 2 305 000 euros hors commissions. Le 27 décembre 2010, une déclaration d’intention d’aliéner a été envoyée à la Ville de [Localité 8]. Exercice du droit de préemptionLe 18 février 2011, la Ville de [Localité 8] a exercé son droit de préemption sur le bien pour un prix de 2 000 000 euros, plus 230 000 euros de commissions, dans le but de créer des logements sociaux. Le 3 août 2011, le bien a été vendu à la Ville. Litiges et décisions judiciairesLe 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de préemption, constatant que la Ville n’avait pas respecté les délais de transmission de sa décision. SCIFIM a alors demandé à la Ville de respecter ses obligations de rétrocession, mais en l’absence de réponse, a saisi le tribunal administratif. Le 29 juin 2018, ce tribunal a annulé la décision implicite de rejet de la Ville, mais a rejeté la demande de rétrocession. Appels et décisions ultérieuresLa cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement du 29 juin 2018 le 24 octobre 2019, enjoignant à la Ville de proposer l’acquisition du bien à SCIFIM. Cependant, le Conseil d’Etat a annulé cette décision le 28 septembre 2020, estimant que la revente à SCIFIM porterait atteinte à l’intérêt général en raison des travaux de réhabilitation et de construction de logements sociaux. Demande d’indemnisation par SCIFIMLe 8 avril 2021, SCIFIM a assigné la Ville de Paris pour obtenir 5 809 366,59 euros en dommages-intérêts, en raison de la préemption et du refus de rétrocession. Le juge de la mise en état a déclaré le tribunal judiciaire compétent pour certaines demandes de SCIFIM, notamment pour les pertes de loyers postérieures au 8 avril 2016. Arguments de la Ville de [Localité 8]La Ville a contesté la demande de SCIFIM, arguant qu’elle n’avait pas commis de faute et que les préjudices allégués n’étaient pas certains. Elle a également souligné que le bail emphytéotique conclu en 2011 rendait impossible la rétrocession du bien à SCIFIM. Décision du tribunalLe tribunal a rejeté la demande de SCIFIM, considérant que la seule faute de la Ville était son refus de proposer le bien après l’annulation de la préemption. Cependant, il a estimé que les préjudices invoqués par SCIFIM n’étaient pas prouvés comme étant certains et directs. SCIFIM a été condamnée aux dépens et à verser 4 000 euros à la Ville pour ses frais. |
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :
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2ème chambre
N° RG 21/05707
N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
N° MINUTE :
Assignation du :
08 Avril 2021
JUGEMENT
rendu le 21 Novembre 2024
DEMANDERESSE
La société GROUPE DE CONSEIL EN INVESTISSEMENT ET FINANCEMENT
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Maître Benoît JORION, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1758
DÉFENDERESSE
La VILLE DE [Localité 8], représentée par son maire en exercice
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Maître Stéphane DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0131
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
* * *
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Mme Claire BERGER, 1ere Vice-présidente adjointe
Monsieur Robin VIRGILE, Juge
Madame Sarah KLINOWSKI, Juge
assistés de Madame Sylvie CAVALIE, Greffière lors de l’audience et de Madame Adélie LERESTIF, Greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience collégiale du 26 Septembre 2024, présidée par Claire BERGER et tenue publiquement, rapport a été fait par Sarah KLINOWSKI, en application de l’article 804 du code de procédure civile.
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Le 30 novembre 2010, la société Groupe de Conseil en Investissement et Financement, ci-après la société SCIFIM, a conclu en qualité de bénéficiaire une promesse unilatérale de vente avec Madame [H] [G] portant sur un ensemble immobilier sis à [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9], constitué de deux corps de bâtiments, édifiés sur un terrain d’assiette de 205 m², cadastré AS [Cadastre 1] moyennant le prix de 2 305 000 euros hors commissions.
Le 27 décembre 2010, une déclaration d’intention d’aliéner a été adressée par le notaire en charge de la vente à la Ville de [Localité 8].
Par décision du 18 février 2011, la Ville de [Localité 8] a exercé son droit de préemption urbain sur l’ensemble immobilier précité au prix de 2 000 000 euros, outre 230 000 euros de commissions, en vue de la réalisation de logements sociaux.
Par acte authentique du 3 août 2011, Mademoiselle [H] [G] a vendu son bien à la Ville de [Localité 8].
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
Le 11 octobre 2011, un bail emphytéotique d’une durée de 55 ans portant sur l’ensemble immobilier a été conclu entre la Ville de [Localité 8] et une société de gérance d’immeubles municipaux, moyennant un loyer capitalisé de 310 000 euros, société à laquelle un permis de construire en vue de la réhabilitation du premier bâtiment et de la démolition-construction du second dans la perspective de création de onze logements sociaux et très sociaux a été délivré le 16 décembre 2015.
Par jugement du 8 avril 2016, saisi par requête du 16 avril 2015 de tiers à la vente en leur qualité de contribuables locaux, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de préemption, la ville de Paris n’étant pas en mesure d’établir la transmission de sa décision de préemption au représentant de l’Etat dans le département dans le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner.
Par courrier du 16 juin 2016 par la voix de son conseil, la société SCIFIM a invité Madame la Maire de la ville de [Localité 8] à respecter les dispositions de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme en proposant cet immeuble à la venderesse puis à l’acquéreur évincé.
En l’absence de réponse, elle a déféré la décision implicite de rejet devant le tribunal administratif de Paris, qui par jugement du 29 juin 2018, l’a annulée tout en rejetant la demande de la société SCIFIM d’enjoindre à la ville de Paris de lui proposer le bien préempté au regard de l’atteinte manifeste à l’intérêt général que représenterait la rétrocession du bien litigieux, invitant la société SCIFIM, si elle s’y croyait fondée, à saisir le tribunal judiciaire d’une action en réparation dirigée contre le titulaire du droit de préemption, conformément aux dispositions de l’article L.213-12 du code de l’urbanisme. La société SCIFIM a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 24 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement et a enjoint la ville de [Localité 8] de proposer l’acquisition de l’ensemble immobilier préempté à la venderesse puis à l’acquéreur évincé, ne relevant aucun motif impérieux d’intérêt général s’opposant à ce que soit engagée la procédure de rétrocession.
La ville de [Localité 8] s’est pourvue en cassation.
Par arrêt du 28 septembre 2020, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 24 octobre 2019 de la cour administrative d’appel de Paris et rejeté la demande d’injonction de la société SCIFIM, estimant que la revente du bien à cette dernière porterait une atteinte excessive à l’intérêt général au regard des importants travaux comportant la démolition et la reconstruction de l’un des deux bâtiments et la réhabilitation du second, réceptionnés en avril 2018, ayant permis la créations de onze logements sociaux et très sociaux.
Souhaitant exercer une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption, la société SCIFIM, par acte du 8 avril 2021, a assigné la Ville de Paris devant le tribunal de céans aux fins essentielles de la condamner à lui verser une indemnité de 5 809 366,59 euros pour son préjudice consécutif à la décision de préemption puis à son refus de lui rétrocéder le bien à la suite de l’annulation de cette décision.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
Par ordonnance du 13 juillet 2022, le juge de la mise en état a essentiellement :
Déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de loyers pour la période antérieure au 8 avril 2016 Déclaré le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de loyers pour la période postérieure au 8 avril 2016,Déclaré le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de plus-value en ce qu’il est éventuellement la conséquence d’un défaut de proposition à la société par la Ville de Paris d’acquérir le bien préempté,Déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de plus-value en ce qu’il est éventuellement la conséquence d’un autre fait générateur de responsabilité.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société SCIFIM demande au tribunal, au visa des articles L.213-11-1 et L.213-12 du code de l’urbanisme, de :
A titre principal,
DIRE et JUGER fautive la décision de préemption du 18 février 2011 de la ville de [Localité 8] sur le bien sis [Adresse 5] et [Adresse 3], que la société SCFIM devait acquérir,DIRE ET JUGER fautive le refus de la ville de [Localité 8] de proposer le bien sis [Adresse 5] et [Adresse 3] à la société SCIFIM,EVALUER le préjudice de la société SCIFIM, pour la période postérieure au 8 avril 2016, à la somme de 5.467.189,08 euros, somme à parfaire ; En conséquence,
CONDAMNER la ville de [Localité 8] à verser à la société SCIFIM la somme de 5.467.189,08 euros, à parfaire, augmentée des intérêts légaux,A titre subsidiaire et avant dire droit,
ORDONNER une mesure d’expertise judiciaire,NOMMER tel expert qu’il lui plaira aux fins qu’il recueille tous éléments et faire toutes constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des préjudices subis par la société SCIFIM à compter du 18 février 2011 en raison de la décision illégale de préemption de la Ville de Paris en date du 18 février 2011,DIRE que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Code de procédure civile. En particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s’adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts établies près ce Tribunal,DIRE qu’en cas de difficulté, l’expert s’en réfèrera au juge qui aura ordonné l’expertise,FIXER la provision à consigner au Greffe, à titre d’avance sur les honoraires de l’expert, dans le délai qui sera imparti par la décision à intervenir,Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
En tout état de cause,
CONDAMNER la Ville de [Localité 8] à la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,PRONONCER l’exécution provisoire,CONDAMNER la ville de [Localité 8] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 6 juin 2023, Madame le Maire de la Ville de Paris demande au tribunal de :
DEBOUTER la société SCIFIM de l’ensemble de ses demandes,ECARTER l’exécution provisoire de droit,CONDAMNER la société SCIFIM à verser à la Ville de [Localité 8] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,CONDAMNER la société SCIFIM aux dépens.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé plus ample des moyens de fait et de droit développés au soutien de ces prétentions, lesquels sont présentés succinctement dans les motifs.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 26 septembre 2024.
A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE la société SCIFIM de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’absence de rétrocession par la Ville de [Localité 8] de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9] le 8 avril 2016,
DÉBOUTE la société SCIFIM de sa demande d’expertise avant dire droit,
CONDAMNE la société SCIFIM aux dépens,
CONDAMNE la société SCIFIM à payer à la Ville de [Localité 8] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 21 Novembre 2024
La Greffière La Présidente
Adélie LERESTIF Claire BERGER
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