Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Bordeaux
Thématique : Résolution d’un contrat de bail commercial : enjeux de preuve et de bonne foi des parties.
→ RésuméContexte du bail commercialLe 28 juin 2019, la société MERKATUA, représentée par la SAS BILTOKI, a conclu un contrat de bail commercial avec la SAS TANGER MED pour la sous-location d’un stand de 12 m² dans les halles de [Localité 4]. Le loyer était fixé à 8% du chiffre d’affaires hors taxes, avec un minimum garanti de 17.400 euros par an. Commandement de payer et assignationLe 29 juillet 2021, la SAS BILTOKI a délivré un commandement de payer à la SAS TANGER MED pour un montant de 23.143,76 euros, invoquant la clause résolutoire. Par la suite, le 26 octobre 2021, la SAS BILTOKI a assigné la SAS TANGER MED devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour faire constater l’acquisition de la clause résolutoire et obtenir le paiement de l’arriéré locatif. Demandes de la SAS BILTOKIDans ses conclusions du 28 novembre 2023, la SAS BILTOKI a demandé au tribunal de constater l’acquisition de la clause résolutoire, de prononcer la résiliation judiciaire du bail, et d’ordonner l’expulsion de la SAS TANGER MED. Elle a également sollicité le séquestre des biens présents dans les locaux et le paiement d’une indemnité d’occupation. Arguments de la SAS BILTOKILa SAS BILTOKI a soutenu que les arriérés de loyer étaient impayés depuis un mois après le commandement de payer, mettant en péril l’équilibre économique de la halle. Elle a également contesté les justifications de la SAS TANGER MED concernant la crise sanitaire et les problèmes de climatisation. Demandes de la SAS TANGER MEDEn réponse, la SAS TANGER MED a demandé au tribunal de débouter la SAS BILTOKI de ses demandes et a sollicité un état actualisé de la créance. Elle a également demandé la suspension des effets de la clause résolutoire, arguant qu’elle était à jour de ses paiements depuis décembre 2020 et qu’elle faisait face à des difficultés économiques. Motivations du tribunalLe tribunal a constaté que la SAS BILTOKI n’avait pas prouvé que les sommes réclamées étaient dues. Il a noté que la SAS TANGER MED avait effectué des paiements supérieurs au montant du loyer dû et que les charges n’avaient pas été justifiées. De plus, le tribunal a estimé que le manquement à la déclaration du chiffre d’affaires ne justifiait pas la résiliation du bail. Décisions du tribunalLe tribunal a débouté la SAS BILTOKI de toutes ses demandes, y compris celles relatives à l’acquisition de la clause résolutoire, à la résiliation judiciaire du bail, et au paiement des arriérés de loyers. Il a également débouté la SAS TANGER MED de ses demandes de remboursement de charges et a condamné la SAS BILTOKI aux dépens et à verser 1.500 euros à la SAS TANGER MED au titre des frais irrépétibles. |
N° RG : N° RG 21/08574 – N° Portalis DBX6-W-B7F-V5TH
5EME CHAMBRE CIVILE
SUR LE FOND
30Z
N° RG : N° RG 21/08574 – N° Portalis DBX6-W-B7F-V5TH
Minute n° 2024/00617
AFFAIRE :
S.A.S. BILTOKI
C/
S.A.S. TANGER MED
Grosses délivrées
le
à
Avocats :
la SELARL KPDB INTER-BARREAUX
la SELARL REINHART MARVILLE TORRE
la SELARL SELARL DUPHIL-PRUVOST AVOCATS
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE BORDEAUX
5EME CHAMBRE CIVILE
JUGEMENT DU 21 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
Lors du délibéré
Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente
Jean-Noël SCHMIDT, Vice-Président
Madame Myriam SAUNIER, Vice-Présidente
Pascale BUSATO Greffier, lors des débats
Isabelle SANCHEZ Greffier, lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 19 Septembre 2024,
Sur rapport conformément aux dispositions de l’article 785 du code de procédure civile
JUGEMENT:
Contradictoire
Premier ressort
Prononcé publiquement ar mise à disposition du jugement au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile
DEMANDERESSE :
S.A.S. BILTOKI prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Maître Bertrand THOUNY de la SELARL REINHART MARVILLE TORRE, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, Maître Pierre FONROUGE de la SELARL KPDB INTER-BARREAUX, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
N° RG : N° RG 21/08574 – N° Portalis DBX6-W-B7F-V5TH
DEFENDERESSE :
S.A.S. TANGER MED prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Renaud PRUVOST de la SELARL SELARL DUPHIL-PRUVOST AVOCATS, avocats au barreau de BORDEAUX, avocats plaidant
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EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par contrat de bail commercial du 28 juin 2019, la société MERKATUA, aux droits de laquelle vient la SAS BILTOKI, locataire principal, a donné en sous-location à la SAS TANGER MED un local situé au sein des halles de [Localité 4] constitué d’un stand d’une surface d’environ 12m2, pour l’exploitation d’un commerce de traiteur oriental, moyennant versement d’un loyer variable égal à 8% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé par le sous-locataire avec un loyer minimum garanti annuel de 17.400 euros hors taxes et hors charges.
La SAS BILTOKI a fait délivrer le 29 juillet 2021 à la SAS TANGER MED un commandement de payer, visant la clause résolutoire, portant sur la somme de 23.143,76 euros.
Par acte délivré le 26 octobre 2021, la SAS BILTOKI a fait assigner la SAS TANGER MED devant le tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, et prononcer sa condamnation au paiement de l’arriéré locatif.
La clôture est intervenue le 03 juillet 2024 par ordonnance du juge de la mise en état du même jour.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 novembre 2023, la SAS BILTOKI sollicite du tribunal de :
à titre principal, constater, à compter du 30 août 2021, l’acquisition de la clause résolutoire du contrat de bail commercial conclu le 18 juin 2019, et la résolution du bail,à titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du bail,en tout état de cause :ordonner l’expulsion immédiate de la société TANGER MED et de tous occupants de son chef, ainsi que l’évacuation des meubles présents dans les lieux sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, au besoin avec le concours de la force publique,ordonner le séquestre de tous matériels, marchandises et objets se trouvant dans les locaux à l’endroit qu’il plaira à la société BILTOKI, aux frais avancés de la société TANGER MED,fixer le montant de l’indemnité d’occupation due par la société TANGER MED à compter du 30 août 2020 à la somme journalière de 93,55 euros hors taxes outre les intérêts, droits et charges y afférentscondamner à titre provisionnel la société TANGER MED à lui payer la somme de 56.496,91 euros TTC au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés au 28 novembre 2023, à parfaire au jour de l’audience, avec intérêts de droit à compter de l’assignation, somme incluant le dépôt de garantie,condamner la société TANGER MED à lui payer la somme de 6.779,63 euros à titre d’intérêts contractuels de retard, débouter la société TANGER MED de l’intégralité de ses demandes,condamner la société TANGER MED au paiement des dépens, en ce compris les frais des commandements à hauteur de 131,70 euros,condamner la société TANGER MED à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de sa demande principale tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire, la SAS BILTOKI fait valoir, sur le fondement de l’article L145-41 du code de commerce et de l’article 20 du bail, que les causes du commandement de payer délivré le 29 juillet 2021 sont restées impayées un mois après sa délivrance.
Pour s’opposer à la demande de la SAS TANGER MED tendant à la suspension des effets de la clause résolutoire, la SAS BILTOKI expose l’accumulation des arriérés depuis l’arrivée dans les lieux, que la locataire ne semble pas susceptible d’apurer. Elle ajoute que ces manquements mettent en péril l’équilibre économique de la halle, la société BILTOKI se trouvant progressivement dans l’impossibilité de payer son propre loyer, l’ensemble des commerçants risquant de perdre leurs stands en cas de résiliation du bail principal. Elle soutient que la SAS TANGER MED ne peut se prévaloir de la crise sanitaire, la demande n’étant pas fondée juridiquement, et les arriérés ayant été accumulés à une période distincte de celle au cours de laquelle des restrictions ont existé. Enfin, selon elle, les problèmes de climatisation, dont le preneur se prévaut, datent de l’été 2019, période de rodage des matériels de la halle ouverte au mois de décembre 2018.
A l’appui de sa demande subsidiaire tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du bail, la SAS BILTOKI soutient, au visa des articles 1217, 1227, 1728 et 1729 du code civil, que la société TANGER MED ne satisfait pas à son obligation principale en ne réglant pas les loyers et les charges du local, ni à son obligation déclarative de son chiffre d’affaires. Selon elle, le montant de la dette locative démontre à elle seule la gravité du manquement de la société preneuse, le loyer n’étant pas acquitté depuis l’entrée dans les lieux.
Au soutien des demandes accessoires à la résiliation du bail du fait de l’acquisition de la clause résolutoire ou prononcée par la juridiction, la société BILTOKI expose que la société TANGER MED est occupante sans droit ni titre, ce qui doit conduire à prononcer son expulsion sous astreinte, et à fixer une indemnité d’occupation, calculée en tenant compte du préjudice effectivement subi par le bailleur et correspondant à la valeur locative des locaux, l’article 20 du bail fixant cette indemnité d’occupation journalière à deux fois le montant du loyer journalier hors taxes, TVA en plus, soit la somme journalière de 93,55€.
Au soutien de sa demande en paiement de l’arriéré de loyer, charges et du dépôt de garantie, la SAS BILTOKI fait valoir, sur le fondement des articles 1103, 1728 et 1353 du code civil, qu’elle rapporte la preuve du montant de l’arriéré qui ne donne lieu à aucune contestation, la société TANGER MED ne démontrant pas avoir réalisé le paiement allégué de 1.740 euros.
Elle prétend qu’en violation des dispositions de l’article 9.1 du contrat de bail, le montant du dépôt de garantie, qui s’élève à 1.450 euros, n’a jamais été payé par la société preneuse, et que l’article 20 du bail prévoit par ailleurs que cette somme reste acquise au bailleur à titre de premiers dommages et intérêts, sans qu’elle ne puisse être considérée comme une clause pénale au caractère manifestement excessif compte tenu du montant de l’arriéré.
En réponse à la contestation des charges formée par la société TANGER MED, la société BILTOKI prétend que celle-ci n’apporte aucun fondement chiffré des charges qu’elle s’estimerait en droit de ne pas régler, alors que l’article 8.4 du bail lui impose le remboursement des charges communes et privatives. Elle soutient que la société TANGER MED dispose du détail des charges poste par poste des régularisations réalisées trimestriellement.
Concernant les frais d’installation contestés par le preneur pour un montant de 9.915,67 euros, la société BILTOKI fait valoir qu’ils sont sans rapport avec le montant du loyer, s’agissant de frais refacturés qui ont constitué une aide lors de l’installation de la société TANGER MED pour l’aménagement du stand afin de permettre une installation plus rapide, l’article 10.2.1 du contrat de sous location prévoyant que ces travaux d’aménagement du stand seraient à la charge du preneur.
Au soutien de sa demande en paiement de la somme de 6.779,63 euros, la société BILTOKI fait valoir que l’article 8.6 du bail prévoit une majoration de 12% en cas de recouvrement poursuivi par un huissier de justice.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 19 septembre 2023, la SAS TANGER MED demande au tribunal :
à titre principal, de débouter la société BILTOKI de l’ensemble de ses demandes,à titre subsidiaire de :condamner la société BILTOKI à produire, le cas échéant, un état actualisé de sa créance expurgée des charges non justifiées et des frais de travaux d’installation indus,suspendre les effets de la clause résolutoire en lui accordant un délai de grâce de deux ans de report des sommes dues,modérer la clause pénale manifestement excessive stipulée à l’article 8.6 du bail et la fixer à 1 euro,en toute hypothèse de :condamner la société BILTOKI à lui rembourser l’ensemble des charges locatives non régulièrement justifiées,condamner la société BILTOKI au paiement des dépens et à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,écarter l’exécution provisoire du jugement en cas de condamnation. Pour contester la demande de constat d’acquisition de la clause résolutoire et celle de paiement au titre des loyers et charges formée par le bailleur, la SAS TANGER MED expose, au visa des articles 9 du code de procédure civil et 1353 du code civil, que la société BILTOKI est défaillante à rapporter la preuve des sommes réclamées. Ainsi, pour les loyers, elle expose que les différents paiements effectués n’ont pas été imputés sur le décompte. De même, concernant les charges, elle prétend que la société BILTOKI est défaillante à produire l’état des comptes, le relevé produit n’étant pas accompagné de justificatifs et ne libérant donc pas le bailleur de son obligation de justifier des charges qu’il entend refacturer. Elle soutient notamment l’existence d’une double facturation de l’assurance, du montant élevé du poste relatif au traitement des déchets, d’une facturation de prestations de communication et d’animations qui ne sont pas mentionnées dans le contrat de bail, et d’une facturation de son site internet. Elle ajoute que la clé de répartition des charges varie selon les charges. Elle réclame donc le remboursement par compensation avec sa dette locative de l’ensemble des provisions sur charge versées depuis son entrée dans le local. S’agissant de la somme de 9.915,67 euros réclamée par le bailleur au titre des travaux, elle conteste devoir cette somme au motif que l’art 10.2 du bail prévoit que le sous-locataire s’engage à effectuer les travaux d’aménagement des locaux, et il n’a jamais été convenu que la société BILTOKI réalise des prestations à ce titre et les mette ensuite à sa charge.
En réponse à la demande au titre des pénalités de retard, la SAS TANGER MED fait valoir, au visa de l’article 1231-5 code civil, que les dispositions de l’article 8.6 du contrat de bail visent à évaluer forfaitairement et par avance des dommages et intérêts en cas d’inexécution de ses obligations par le sous-locataire, ce qui constitue donc une clause pénale. Or, elle soutient être à jour de ses loyers depuis le mois de décembre 2020, ce qui doit conduire à retenir que la pénalité de 12% est excessive.
Au soutien de sa demande subsidiaire tendant à la suspension des effets de la clause résolutoire, la SAS TANGER MED fait valoir, sur le fondement des articles L145-41 alinéa 2 code de commerce et 1343-5 code civil, en premier lieu être un débiteur de bonne foi, qu’elle s’efforce de régler les sommes dues, et est à jour du paiement depuis décembre 2020. Elle expose en second lieu être un débiteur malheureux en ce qu’elle rencontre des difficultés indépendantes de sa volonté, notamment le dysfonctionnement du système de climatisation ayant entraîné une perte significative de chiffre d’affaires lors de l’été 2019, lequel n’a été réparé que plusieurs mois plus tard, et ce de manière imparfaite dès lors que des dysfonctionnements persistent. Elle expose également avoir subi les restrictions liées au mesures prises pour lutter contre l’épidémie de COVID.
A titre infiniment subsidiaire, pour s’opposer à la demande subsidiaire du bailleur de résiliation du bail, la SAS TANGER MED soutient, au visa de l’article 1729 du code civil lequel offre au tribunal un pouvoir d’appréciation de la gravité du manquement, qu’elle est un débiteur de bonne foi qui s’efforce de satisfaire régulièrement à ses obligations, en réglant son loyer depuis décembre 2020, et qui supporte des difficultés économiques liés aux deux épisodes indépendants de sa volonté, le dysfonctionnement du système de climatisation et l’épidémie de covid, ce qui ne permet pas de caractériser l’existence d’un manquement grave justifiant la résiliation du bail.
Si le tribunal faisait droit aux demandes formées à son encontre, la société TANGER MED demande de voir écarter l’exécution provisoire, incompatible avec la nature de l’affaire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal,
Déboute la SAS BILTOKI de sa demande tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire ;
Déboute la SAS BILTOKI de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judiciaire du bail ;
Déboute la SAS BILTOKI de sa demande en paiement des arriérés de loyers et charges ;
Déboute la SAS TANGER-MED de ses demandes relatives au remboursement des charges ;
Condamne la SAS BILTOKI au paiement des dépens ;
Condamne la SAS BILTOKI à payer à la SAS TANGER-MED la somme de 1.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SAS BILTOKI de sa demande formée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que le présent jugement assorti de l’exécution provisoire de droit ;
Le présent jugement a été signé par Madame Marie WALAZYC, Vice-Présidente et par Madame Isabelle SANCHEZ, Greffier.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
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