La question de la validité des engagements à durée indéterminée dans le cadre des servitudes immobilières.

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La question de la validité des engagements à durée indéterminée dans le cadre des servitudes immobilières.

L’Essentiel : En août 2021, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] ont acquis une parcelle à Agincourt, où se trouve un transformateur EDF, établi par une servitude en 1998. En mai 2021, ils ont demandé à Enedis de déplacer ce transformateur, mais la demande a été refusée en janvier 2022. Le couple a alors saisi le tribunal administratif, arguant que la servitude était perpétuelle et donc nulle, ce qui les empêchait de construire un garage. Le tribunal a finalement déclaré la servitude nulle, condamnant Enedis à verser 1 500 euros aux propriétaires.

Contexte de l’affaire

La SA Enedis, anciennement ERDF et successeur d’EDF, est responsable de la gestion du réseau de distribution d’électricité. En août 2021, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] ont acquis une parcelle à Agincourt, sur laquelle se trouve une maison. L’acte de vente mentionne une servitude pour l’implantation d’un transformateur EDF, établie par un acte notarié en 1998.

Demande de déplacement du transformateur

En mai 2021, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] ont demandé à Enedis de déplacer le transformateur situé sur leur terrain. Enedis a répondu en janvier 2022 qu’il n’était pas possible de déplacer le transformateur, en raison de l’absence d’autres terrains disponibles et des conséquences sur la distribution d’électricité.

Procédures judiciaires engagées

Le couple a saisi le tribunal administratif pour demander le déplacement du transformateur, puis a assigné Enedis devant le tribunal judiciaire de Nancy en avril 2022. Ils ont demandé la nullité ou la résiliation de la convention de servitude, invoquant l’interdiction des conventions perpétuelles.

Arguments des demandeurs

M. [D] [W] et Mme [F] [Z] soutiennent que la servitude est perpétuelle et donc nulle. Ils affirment que le transformateur occupe l’emplacement nécessaire pour construire un garage et que la servitude les empêche d’exercer leurs droits de propriété. Ils demandent également une indemnité de 2 500 euros et la prise en compte de la durée de vie des transformateurs.

Réponse d’Enedis

Enedis a contesté les demandes des propriétaires, arguant que la convention ne constitue pas un engagement perpétuel et que la durée de la servitude est limitée à la durée de vie des ouvrages. Elle a également demandé le rejet des demandes des propriétaires et une indemnité de 5 000 euros.

Décision du tribunal

Le tribunal a conclu que la convention de servitude était nulle en raison de son caractère perpétuel, ce qui constitue un vice du consentement. Enedis a été condamnée à payer 1 500 euros aux propriétaires et à supporter les dépens. La décision est exécutoire à titre provisoire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conséquences juridiques de la nullité d’une convention de servitude en raison de la prohibition des engagements perpétuels ?

La nullité d’une convention de servitude en raison de la prohibition des engagements perpétuels a des conséquences significatives sur les droits des parties. Selon l’article 1210 du Code civil, « les conventions qui ont pour effet de créer des engagements perpétuels sont prohibées ».

Cette prohibition vise à protéger les propriétaires en leur permettant de conserver la pleine jouissance de leur bien. En conséquence, si une convention est déclarée nulle, cela signifie que le propriétaire retrouve l’intégralité de ses droits sur son bien, sans aucune charge liée à la servitude.

De plus, l’article 544 du Code civil stipule que « la propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue ». Ainsi, la nullité de la convention de servitude permet au propriétaire de jouir de son bien sans restriction, ce qui inclut le droit de construire ou d’aménager son terrain comme il l’entend.

Il est également important de noter que la nullité d’une convention de servitude peut entraîner des conséquences financières, notamment en ce qui concerne les indemnités versées. L’article 700 du Code de procédure civile permet au tribunal d’accorder une indemnité à la partie qui a obtenu gain de cause, ce qui peut compenser les frais engagés pour faire valoir ses droits.

Comment la jurisprudence interprète-t-elle la notion de servitude et ses implications sur les droits des propriétaires ?

La jurisprudence a établi des principes clairs concernant la notion de servitude. Selon l’article 637 du Code civil, « la servitude est un droit réel qui confère à son titulaire le droit de faire ou de ne pas faire quelque chose sur le fonds d’autrui ».

Cependant, pour qu’une servitude soit valide, elle doit respecter certaines conditions, notamment celle de ne pas être perpétuelle. La Cour de cassation a précisé que « la servitude doit être limitée dans le temps et ne peut pas être établie pour une durée indéterminée » (Civ. 3e, 19 février 1992, pourvoi n° 90-16.148).

Dans le cas présent, la convention de servitude a été jugée nulle car elle conférait à ENEDIS un droit de jouissance indéfini sur la parcelle, ce qui constitue un vice de consentement. En effet, la clause permettant à ENEDIS de prolonger la servitude à sa seule initiative a été considérée comme une atteinte aux droits du propriétaire, qui se voit ainsi privé de la pleine jouissance de son bien.

La jurisprudence souligne également que les servitudes doivent être établies dans le respect des droits des propriétaires, comme le stipule l’article L.323-6 du Code de l’énergie, qui préserve le droit du propriétaire de clore ou de bâtir sur son terrain. Ainsi, toute servitude qui empiète sur ces droits fondamentaux peut être contestée et annulée.

Quelles sont les implications de l’absence de contrepartie dans une convention de servitude ?

L’absence de contrepartie dans une convention de servitude peut également entraîner sa nullité. L’article 1169 du Code civil précise que « le contrat doit avoir une cause licite et une contrepartie ».

Dans le cas présent, les demandeurs soutiennent que la contrepartie de 1.000 francs versée lors de la conclusion de la convention est illusoire, car elle ne reflète pas la valeur réelle de la servitude consentie. La jurisprudence a établi que si la contrepartie est dérisoire, cela peut constituer un motif de nullité du contrat.

En effet, la Cour de cassation a jugé que « la contrepartie doit être appréciée au moment de la formation du contrat » et que « si elle est manifestement disproportionnée par rapport à l’engagement pris, cela peut entraîner la nullité de la convention » (Civ. 3e, 27 mai 1998, pourvoi n° 96-15.774).

Ainsi, si la servitude est consentie sans une contrepartie adéquate, cela peut être interprété comme une atteinte aux droits du propriétaire, justifiant une demande de nullité. Dans ce contexte, les propriétaires peuvent revendiquer la nullité de la convention de servitude en raison de l’absence de contrepartie suffisante, ce qui renforce leur position juridique.

Quelles sont les conséquences de la résiliation judiciaire d’une convention de servitude ?

La résiliation judiciaire d’une convention de servitude a des conséquences importantes pour les parties impliquées. Selon l’article 1184 du Code civil, « la résiliation judiciaire d’un contrat entraîne la restitution des prestations effectuées ».

Dans le cas où la convention de servitude est résiliée, cela signifie que les parties doivent revenir à la situation antérieure à la conclusion de la convention. Cela inclut la restitution de toute indemnité versée, ainsi que la cessation de l’exercice des droits conférés par la servitude.

De plus, la résiliation judiciaire peut également entraîner des conséquences financières pour la partie qui a bénéficié de la servitude. En effet, si la résiliation est prononcée en raison d’un manquement aux obligations contractuelles, la partie défaillante peut être condamnée à indemniser l’autre partie pour les préjudices subis.

Il est également important de noter que la résiliation judiciaire peut être demandée pour des motifs variés, tels que l’absence de contrepartie, la violation des droits du propriétaire ou encore la durée indéterminée de la servitude. Dans tous les cas, la résiliation judiciaire vise à protéger les droits des parties et à rétablir l’équilibre contractuel.

En conclusion, la résiliation judiciaire d’une convention de servitude permet de mettre fin à des engagements jugés contraires aux principes du droit civil, tout en préservant les droits des propriétaires sur leur bien.

MINUTE N° :
JUGEMENT DU : 21 Novembre 2024
DOSSIER N° : N° RG 22/01055 – N° Portalis DBZE-W-B7G-IEIE
AFFAIRE : Monsieur [D] [W], Madame [F] [Z] pacsée [W] C/ S.A. ENEDIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANCY

POLE CIVIL Section 4
JUGEMENT

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRESIDENT : Madame Marie-Cécile HENON-MERNIER,

Statuant par application des articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux Avocats.

GREFFIER : Madame Valérie SCHANG lors des débats et Madame Sabrina WITTMANN lors de la mise à disposition

PARTIES :

DEMANDEURS

Monsieur [D] [W]
né le 08 Juin 1977 à NANCY (54000), demeurant 32 RUE JEAN MERMOZ – 54770 AGINCOURT
représenté par Me Sandrine BOUDET, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 147

Madame [F] [Z] pacsée [W]
née le 18 Avril 1981 à METZ (57000), demeurant 32 RUE JEAN MERMOZ – 54770 AGINCOURT
représentée par Me Sandrine BOUDET, avocat au barreau de NANCY, avocat plaidant, vestiaire : 147

DEFENDERESSE

S.A. ENEDIS La Société ENEDIS, Société Anonyme à Directoire
Dont le numéro SIREN est le 444608442
Dont le siège social est 34 place des Corolles 92400 COURBEVOIE
Prise en son établissement de VILLERS LES NANCY, 2 boulevard Cattenoz, 54600 VILLERS LES NANCY
Prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié audit siège, dont le siège social est sis 2 BOULEVARD DE CATENOZ – 54600 VILLERS-LES-NANCY
représentée par Maître Adrien PERROT de la SCP PERROT AVOCAT, avocats au barreau de NANCY, avocats postulant, vestiaire : 150, Me Vincent DERER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire

Clôture prononcée le : 16 janvier 2024
Débats tenus à l’audience du : 20 Juin 2024
Date de délibéré indiquée par le Président : 21 Novembre 2024
Jugement prononcé par mise à disposition au greffe du 21 Novembre 2024.

le
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Copie+retour dossier

EXPOSE DU LITIGE :

La SA Enedis, anciennement dénommée ERDF, et venant aux droits de EDF, est en charge de la gestion et de l’aménagement du réseau de distribution publique de l’électricité.

Le 30 août 2021, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] ont acquis une parcelle cadastrée AB section 34, située à Agincourt (54), 32 rue Mermoz, sur laquelle est construite une maison d’habitation.

Selon l’acte de vente, les vendeurs ont déclaré qu’il existait une servitude pour l’implantation d’un transformateur EDF sur une partie du terrain de la maison résultant d’un acte notarié reçu le 9 février 1998 dont une copie a été publiée à la conservation des hypothèques.

Saisi en mai 2021 par M. [D] [W] et Mme [F] [Z] d’une demande de déplacement du transformateur situé sur leur terrain, ENEDIS les a informés par un courrier en date du 5 janvier 2022, de l’impossibilité d’y procéder, en précisant que d’une part il n’existait aucun autre terrain disponible dans la zone recherchée et d’autre part la suppression définitive de ce poste ne pouvait être envisagée sauf à compromettre la distribution d’électricité auprès de nombreux clients ainsi que l’éclairage public d’une partie de la commune.

Exposant avoir saisi le tribunal administratif d’une demande de déplacement du poste de distribution, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] ont assigné Enedis devant le tribunal judiciaire de Nancy le 5 avril 2022 aux fins d’obtenir au titre de l’interdiction des conventions perpétuelles, la nullité et à défaut, la résiliation judiciaire de la convention de servitude.

Par ordonnance en date du 21 juin 2022, le juge de la mise en état a organisé une mesure de médiation, laquelle a été refusée par les parties.

Aux termes de leurs conclusions notifiées par voie électronique le 27 mars 2023, et au visa des articles 1210, 1169, 544 du code civil, et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, M. [D] [W] et Mme [F] [Z] demandent au tribunal de :

A titre principal,
– prononcer la nullité de la convention de servitude au titre de l’interdiction des conventions perpétuelles
A titre subsidiaire,
– prononcer la résiliation de la convention de servitude
A titre plus subsidiaire,
– prononcer la nullité de la convention de servitude au titre de l’absence de contrepartie
A titre infiniment subsidiaire,
– prononcer l’annulation de l’article 3 de la convention de servitude et limiter la durée de la convention à 30 années à compter du 19 juillet 1996
En tout état de cause,
– condamner la SA Enedis à payer à M. [D] [W] et Mme [F] [Z] une somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner la SA Enedis aux entiers dépens
– débouter la SA Enedis de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions
– ordonner l’exécution provisoire de la décision.

Ils exposent au préalable que le transformateur se situe sur le seul emplacement susceptible d’accueillir un garage fermé leur permettant d’accéder à la voie publique, et ce sans enclaver leur jardin. Au fond, ils indiquent que la prohibition des engagements perpétuels est sanctionnée par une nullité d’ordre public pouvant être soulevée par toute personne qui y a intérêt. Ils soutiennent que la convention litigieuse prévoit son application à tous successeurs et ayants droits quelconques du propriétaire, pour la durée de l’ouvrage existant, et de tous ceux qui pourraient lui être substitués sur l’emprise des existants. Ils estiment que l’engagement qui en résulte est perpétuel. Ils relèvent subsidiairement que lorsqu’un contrat est conclu pour une durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin à tout moment. Plus subsidiairement, ils estiment que le contrat doit être annulé au regard de la contrepartie illusoire d’un montant de 1.000 francs versé par le signataire de la convention qui a définitivement renoncé à son droit de propriété. Ils soulignent que la servitude ne se limite pas à l’emprise en sol de 8,75 m² de l’ouvrage existant, mais porte sur l’intégralité de la parcelle cadastrée section AB n°34, sur laquelle il leur est interdit de bâtir ou même de planter des arbres ou arbustes. Ils estiment qu’ils se trouvent ainsi privés des droits issus de l’article L.323-6 du code de l’énergie qui préserve en principe le droit du propriétaire de clore ou de bâtir le terrain concerné par la pose d’un tel ouvrage. A titre infiniment subsidiaire, ils indiquent que la réglementation technique des transformateurs prévoit leur obsolescence au bout d’une durée de 30 années, de sorte qu’il convient d’annuler la clause relative au caractère perpétuel de l’engagement et de limiter la durée du contrat à 30 ans.

Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 21 septembre 2023, et au visa des articles 1168, 1169 et 1210 du code civil, la société Enedis demande au tribunal de :

débouter M. [D] [W] et Mme [F] [Z] de toutes leurs demandes, fins et conclusionscondamner M. [D] [W] et Mme [F] [Z] à lui payer une somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civilecondamner M. [D] [W] et Mme [F] [Z] aux entiers dépens.
Elle relève au préalable que l’article 1210 du code civil, entré en vigueur le 1er octobre 2016, ne peut s’appliquer aux conventions conclues avant cette date. Elle expose ensuite que si la jurisprudence antérieure prohibait déjà les engagements perpétuels, une telle prohibition n’a pas vocation à s’appliquer à la convention litigieuse dont la durée est expressément limitée à la durée de vie de l’ouvrage, qu’il soit présent ou futur. Elle soutient qu’à supposer même qu’un vice de perpétuité affecte la convention, les demandeurs ne peuvent aucunement prétendre à son annulation pure et simple, seule la clause relative à la durée de la convention étant susceptible d’être annulée ou modérée. Elle estime que, s’agissant d’une convention limitée à la durée de vie des ouvrages, il ne peut être considéré que la faculté de résiliation applicable aux contrats à durée indéterminée lui serait ouverte. S’agissant du moyen tiré de l’absence de contrepartie, elle relève que l’article 1169 du code civil ne peut s’appliquer aux conventions conclues avant le 1er octobre 2016. Elle estime qu’en tout état de cause, la contrepartie, doit être appréciée à la date de formation du contrat, ne peut au cas d’espèce être regardée comme dérisoire dans la mesure où la servitude litigieuse porte, d’une part, sur une surface réduite située en bordure de propriété, et qu’elle a fait l’objet, d’autre part, d’une indemnité de 1.000 francs, accompagnée de garanties au profit des propriétaires contre les dommages causés à leurs biens, à l’ouvrage lui-même, ou aux tiers.

Le 16 janvier 2024, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et renvoyé l’affaire pour être évoquée devant la formation de juge unique à l’audience du 20 juin 2024.

La décision a été mise en délibéré au 21 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Selon acte notarié signé le 9 février 1998 et publié à la conservation des hypothèques, les propriétaires de la parcelle cadastrée section AB numéro 34 et Electricité de France ont signé une convention intitulée « servitude d’implantation d’un poste de transformation » ainsi rédigée :

« Article. I :

Après avoir pris connaissance de l’implantation du poste de transformation du tracé de. la canalisation, le propriétaire concède à titre de servitude à ELECTRICITE DE FRANCE le droit :

d’installer un POSTE DE TRANSFORMATION de courant électrique sur la parcelle cadastrée : section AB numéro 34 sus visée,cette servitude s’exercera dans les limites de cette parcelle telle que figurée au plan ci-joint aux présentes après mention, soit une emprise au sol de 8,75 m²
Le poste transformation de courant électrique dont il s’agit étant destiné à alimenter le réseau de distribution publique dont le Service National est concessionnaire, ELECTRICITE DEFIRANCE est autorisé .
à relier audit réseau en établissant à demeure les canalisations aériennes on souterraines nécessaires à la distribution d’énergie électrique dans le périmètre du terrain concerné par la présente convention,à faire pénétrer sur ladite propriété ses agents ou ceux des entreprises dûment accréditées par ELECTRICITE DE FRANCE en vue de la construction, de la surveillance. de l’entretien et de la réparation des ouvrages ainsi établis, les propriétaires s’engageant à donner à cet effet toutes facilités d’accès par tontes les voies menant aux ouvrages.
Article 2 :

Le propriétaire conserve sur la propriété dont s’agit tous les droits compatibles avec l’exercice de cette servitude ainsi constituée mais renonce à demander, pour quelques motifs que ce soient. l’enlèvement ou la modification des ouvrages ci-dessus désignés. il s’engage. en outre à ne pas bâtir ni planter d’arbres on d’arbustes sur le terrain mis à disposition.

Compte tenu de l’évolution probable des besoins et des techniques de construction des postes, ELECTRICITE DE France se réserve le droit reconstruire dans le des règles d’urbanisme, dans les limites du terrain sus visé, un ouvrage différent de celui initialement installé.

Article 3 :

La présente convention sera applicable à tous les successeurs et ayants droit à quelque titre que ce soit du propriétaire.
En cas de vente de l’immeuble le propriétaire s’engage à reproduire ou faire reproduire dans l’acte de vente, les dispositions taisant l’objet des présentes

JOUISSANCE

La présente convention prend effet à dater du 1.9 juillet 1996, et est conclue pour la durée des ouvrages d’ELECTRICITE DE FRANCE dont il est question et de tous ceux qui pourraient leur être substitués sur l’emprise des existants.

Elle Prendra fin sans aucune formalité, au cas où ces installations viendraient à être définitivement supprimées.

INDEMNITE

La présente servitude est consentie et acceptée moyennant une indemnité de 1 000,00 frs

… »

M. [D] [W] et Mme [F] [Z] entendent obtenir la nullité de la convention de servitude du poste de transformation en soutenant que selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, les conventions perpétuelles sont prohibées.

M. [D] [W] et Mme [F] [Z] relèvent que la servitude doit s’appliquer pendant la durée de vie du propriétaire et des acheteurs successifs et qu’elle a été conclue pour la durée de l’ouvrage public en place et de tous ceux qui pourraient lui être substitués sur l’emprise des existants, de sorte qu’elle ne serait aucunement limitée dans le temps.

En réplique, ENEDIS conclut au rejet de la demande de nullité en faisant valoir que la convention ne constitue pas un contrat de bail conférant à ENEDIS un droit de jouissance perpétuel de la parcelle litigieuse mais une simple servitude limitée à la durée des ouvrages implantés à savoir l’existant et celui ou ceux qui seraient substitué à cet existant, ce qui contredit toute perpétuité.

ENEDIS considère qu’en tout état de cause et à supposer établi le vice de perpétuité affectant la convention du 9 février 1998, les demandeurs ne sont pas fondés à obtenir la nullité du contrat, mais uniquement de la clause affectée du vice de perpétuité.

* * * * * * *

Mais il y a lieu de retenir que contrairement à ce que soutient ENEDIS, la convention ne peut s’analyser en une convention de servitude dès lors qu’une servitude suppose selon les articles 637 et 686 du code civil et à la différence d’une servitude légale nullement revendiquée en l’espèce, qu’une charge réelle soit imposée à un fonds servant au profit d’un fonds dominant. Or les ouvrages du réseau électrique ne sauraient être considérés, en tant que tels, comme bénéficiaires de la servitude de support. Ainsi la Cour de cassation a jugé, dans le cadre d’une convention portant sur l’installation d’un transformateur d’EDF, que le réseau de distribution électrique ne pouvait constituer le fonds dominant d’une servitude (Civ. 3e, 13 juin 2012, n° 10-21.788).

La convention, qui ne peut s’analyser en une convention de servitude, ne peut donc conférer au bénéficiaire du droit de jouissance ainsi accordé un droit présentant un caractère perpétuel tel que reconnu aux servitudes, ce qu’au demeurant la société ENEDIS ne revendique pas, en soutenant au contraire que le droit de jouissance qui lui a été accordé par la convention est limité à la durée des ouvrages implantés ou de ceux qui leur seraient substitués, excluant ainsi toute perpétuité.

A cet égard, la convention qui accorde à EDF le droit d’implanter le poste de transformation sur la parcelle litigieuse et qui prévoit que le propriétaire renonce à demander pour quelques motifs que ce soient, l’enlèvement ou la modification des ouvrages et s’engage à ne pas bâtir ni planter d’arbres ou d’arbustes sur l’emprise de 8,75 m² mise à sa disposition moyennant une indemnité de 1 000 francs contient les clauses suivantes :

Compte tenu de l’évolution probable des besoins et des techniques de construction des postes, ELECTRICITE DE France s’est réservée le droit reconstruire dans le respect des règles d’urbanisme, dans les limites du terrain sus visé, un ouvrage différent de celui initialement installéLa convention est applicable à tous les successeurs et ayants droit à quelque titre que ce soit du propriétaireLa convention, qui a pris effet à compter du 19 juillet 1996 est conclue pour la durée des ouvrages d’EDF et de tous ceux qui pourraient lui être substitués, avec la précision selon laquelle elle prendra fin au cas où ces installations viendraient à être définitivement supprimées.
Alors que les propriétaires ont consenti, moyennant une indemnité forfaitaire modique, un droit conférant à EDF le bénéficie d’une jouissance spéciale sur la parcelle leur appartenant, il convient de constater que ce droit n’est pas limité dans le temps par la volonté des parties et qu’il a vocation à perdurer non seulement pendant la durée du transformateur installé à l’origine mais également de tous ceux qui viendraient à lui être substitués, ce qui reporte d’autant la durée du contrat susceptible de se prolonger au gré des remplacements successifs des transformateurs.

Les propriétaires et leur ayants droits ont ainsi concédé à EDF un droit de jouissance dont ENEDIS peut bénéficier de manière indéfinie à sa seule initiative, par la faculté de substitution de matériels que la société peut exercer de manière unilatérale, sans que l’autre partie puisse s’y opposer.

Il en résulte que la société ENEDIS n’est pas fondée à soutenir que la convention entre dans le cadre temporel correspondant à la durée de l’ouvrage implanté, dès lors que ses clauses lui confèrent le pouvoir de la prolonger sans limite.

A cet égard et selon la jurisprudence constante de la Cour de Cassation, un contrat dont le terme ne dépend que de la volonté d’une des parties est perpétuel et entaché d’un vice intrinsèque constitutif d’un vice du consentement sanctionné par la nullité. (Voir les références suivantes : 3e Civ., 19 février 1992, pourvoi n 90-16.148, Bulletin 1992 III N 46 – 3e Civ., 27 mai 1998, pourvoi n 96-15.774, Bull. 1998, III, n 110 : – 3e Civ., 7 janvier 2009, pourvoi n 07-18.740 – Com., 29 avril 2002, pourvoi n 00-10.708, Bulletin civil 2002, IV, n 77 J. Mestre et B. Fages, « La perpétuité est toujours prohibée » RTD civ. 2002, p. 510).

En conséquence, les demandeurs sont fondés à soutenir que la convention qui a pour effet de priver un propriétaire de la plénitude de ses droits sur son bien et dont l’une des clauses confère à l’autre partie la faculté unilatérale et exclusive de la proroger sans limite est nulle en raison du vice de perpétuité qui l’affecte.

Il convient donc de faire à la demande et de prononcer la nullité de la convention de servitude.

Les dépens, qui sont à la charge de celui qui succombe, seront supportés par la société ENEDIS également tenue d’une indemnité de 1 500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort,

Prononce la nullité de la convention de servitude ;

Rejette la demande de la société ENEDIS au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA ENEDIS à payer à M. [D] [W] et Mme [F] [Z] la somme de 1 500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SA ENEDIS aux dépens ;

Rappelle que le jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

Le GREFFIER LE PRESIDENT


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