L’Essentiel : Le 30 novembre 2010, la société SCIFIM a signé une promesse de vente avec Madame [H] [G] pour un bien immobilier à [Localité 9]. Le 18 février 2011, la Ville de [Localité 8] a exercé son droit de préemption pour 2 000 000 euros, visant à créer des logements sociaux. Un bail emphytéotique a été signé le 11 octobre 2011, suivi d’un permis de construire en 2015. Cependant, le 8 avril 2016, le tribunal administratif a annulé la préemption, entraînant des actions en justice de SCIFIM, qui a finalement été déboutée le 21 novembre 2024.
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Contexte de la Promesse de VenteLe 30 novembre 2010, la société SCIFIM a signé une promesse unilatérale de vente avec Madame [H] [G] pour un ensemble immobilier situé à [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9], pour un montant de 2 305 000 euros hors commissions. Le 27 décembre 2010, une déclaration d’intention d’aliéner a été envoyée à la Ville de [Localité 8]. Exercice du Droit de PréemptionLe 18 février 2011, la Ville de [Localité 8] a exercé son droit de préemption sur le bien pour un prix de 2 000 000 euros, plus 230 000 euros de commissions, dans le but de créer des logements sociaux. Le 3 août 2011, le bien a été vendu à la Ville. Contrat de Bail EmphytéotiqueLe 11 octobre 2011, un bail emphytéotique de 55 ans a été signé entre la Ville et une société de gérance d’immeubles municipaux, avec un loyer capitalisé de 310 000 euros. Un permis de construire pour réhabiliter le premier bâtiment et démolir le second a été délivré le 16 décembre 2015. Annulation de la Décision de PréemptionLe 8 avril 2016, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de préemption, constatant que la Ville n’avait pas respecté les délais de transmission de sa décision au représentant de l’État. SCIFIM a ensuite demandé à la Ville de respecter ses obligations de rétrocession. Actions en Justice de SCIFIMAprès l’absence de réponse de la Ville, SCIFIM a saisi le tribunal administratif, qui a annulé la décision implicite de rejet le 29 juin 2018, mais a rejeté la demande d’injonction de rétrocession. SCIFIM a interjeté appel. Décisions des Cours AdministrativesLe 24 octobre 2019, la cour administrative d’appel a annulé le jugement précédent et a ordonné à la Ville de proposer l’acquisition du bien à SCIFIM. Cependant, le Conseil d’État a annulé cette décision le 28 septembre 2020, jugeant que la revente à SCIFIM porterait atteinte à l’intérêt général. Demande d’IndemnisationLe 8 avril 2021, SCIFIM a assigné la Ville de Paris pour obtenir 5 809 366,59 euros en dommages-intérêts, en raison de la préemption et du refus de rétrocession. Le tribunal a déclaré incompétent pour certaines demandes, mais compétent pour d’autres. Arguments de SCIFIM et de la VilleSCIFIM a soutenu que la Ville avait commis une double faute en préemptant illégalement le bien et en refusant de le proposer après l’annulation. La Ville a contesté la responsabilité, arguant qu’elle avait agi de bonne foi et que les préjudices n’étaient pas prouvés. Décision du TribunalLe tribunal a rejeté la demande de SCIFIM, considérant que la Ville n’avait pas engagé sa responsabilité pour l’illégalité de la préemption. Il a également noté que les préjudices allégués n’étaient pas certains et a condamné SCIFIM aux dépens. ConclusionLa décision du tribunal a été rendue le 21 novembre 2024, déboutant SCIFIM de ses demandes et confirmant l’absence de droit à réparation pour les préjudices invoqués. |
Q/R juridiques soulevées :
Quelle est la portée de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme dans le cadre d’une décision de préemption annulée ?L’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme stipule que, lorsque la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption doit proposer aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause l’acquisition du bien en priorité. Cet article précise : « Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité. Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle. » Ainsi, cet article impose une obligation de rétrocession au titulaire du droit de préemption, ce qui est essentiel pour protéger les droits des propriétaires évincés. En l’espèce, la Ville de [Localité 8] a été condamnée à proposer l’acquisition du bien à la société SCIFIM après l’annulation de la décision de préemption. Toutefois, le Conseil d’État a jugé que la revente à la société SCIFIM porterait une atteinte excessive à l’intérêt général, ce qui a conduit à une complexité dans l’application de cet article. Quelles sont les conséquences d’une décision de préemption illégale sur la responsabilité de la collectivité ?La responsabilité de la collectivité peut être engagée en cas de décision de préemption illégale, comme le stipule l’article L.213-12 du code de l’urbanisme. Cet article prévoit que : « En cas de non-respect des obligations définies au deuxième alinéa de l’article L. 213-11 ou au premier alinéa de l’article L. 213-11-1, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel saisissent le tribunal de l’ordre judiciaire d’une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption. » Cela signifie que si la collectivité ne respecte pas ses obligations, elle peut être tenue de verser des dommages-intérêts. Dans le cas présent, la société SCIFIM a tenté d’engager la responsabilité de la Ville de [Localité 8] en raison de l’illégalité de la décision de préemption et du refus de rétrocession. Cependant, le tribunal a noté que la responsabilité de la collectivité ne peut être engagée que si un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice allégué est établi. En l’espèce, la Ville a contesté la réalité du préjudice, arguant que la société SCIFIM n’aurait pas pu bénéficier d’un loyer en raison du bail emphytéotique conclu avec un tiers. Comment le tribunal a-t-il évalué le préjudice allégué par la société SCIFIM ?Le tribunal a examiné les différents éléments de préjudice avancés par la société SCIFIM, qui se décomposent en plusieurs catégories : 1. **Perte de loyers** : La société SCIFIM a réclamé 804 091,42 euros au titre des loyers qu’elle aurait dû percevoir depuis le 8 avril 2016. Cependant, le tribunal a noté que le bail emphytéotique conclu par la Ville de [Localité 8] pour une durée de 55 ans rendait cette demande infondée, car la société SCIFIM n’aurait pas pu percevoir de loyers pendant cette période. 2. **Perte de plus-value** : La société a également demandé 4 563 097,66 euros pour la plus-value manquée. Le tribunal a estimé que cette perte était difficile à évaluer, car elle dépendait de nombreux facteurs incertains, notamment le prix du marché au moment d’une éventuelle revente. 3. **Préjudice moral** : Enfin, la société a demandé 100 000 euros pour préjudice moral, mais n’a pas fourni de preuves suffisantes pour justifier ce montant. Le tribunal a conclu que les préjudices invoqués par la société SCIFIM n’étaient pas certains et ne pouvaient pas être indemnisés, car ils étaient conditionnés par des événements futurs incertains. Quelles sont les implications de la décision du Conseil d’État sur la rétrocession du bien préempté ?La décision du Conseil d’État du 28 septembre 2020 a eu des implications significatives sur la question de la rétrocession du bien préempté. Le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel qui avait ordonné la rétrocession, en considérant que cela porterait une atteinte excessive à l’intérêt général. Le Conseil d’État a précisé que : « … le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, et dans un tel cas, de refuser d’enjoindre au titulaire du droit de préemption de rétrocéder le bien. » Cette décision souligne que, même en cas d’illégalité de la préemption, la collectivité peut refuser de rétrocéder le bien si cela est justifié par des considérations d’intérêt général. Dans le cas présent, la Ville de [Localité 8] avait engagé des travaux pour créer des logements sociaux, ce qui a été jugé comme un motif impérieux d’intérêt général. Ainsi, la société SCIFIM n’a pas pu obtenir la rétrocession du bien, malgré l’illégalité de la décision de préemption, ce qui a des conséquences sur sa demande de dommages-intérêts. |
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions exécutoires délivrées le :
Copies certifiées conformes délivrées le :
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2ème chambre
N° RG 21/05707
N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
N° MINUTE :
Assignation du :
08 Avril 2021
JUGEMENT
rendu le 21 Novembre 2024
DEMANDERESSE
La société GROUPE DE CONSEIL EN INVESTISSEMENT ET FINANCEMENT
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représentée par Maître Benoît JORION, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1758
DÉFENDERESSE
La VILLE DE [Localité 8], représentée par son maire en exercice
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Maître Stéphane DESFORGES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0131
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
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COMPOSITION DU TRIBUNAL
Mme Claire BERGER, 1ere Vice-présidente adjointe
Monsieur Robin VIRGILE, Juge
Madame Sarah KLINOWSKI, Juge
assistés de Madame Sylvie CAVALIE, Greffière lors de l’audience et de Madame Adélie LERESTIF, Greffière lors de la mise à disposition.
DEBATS
A l’audience collégiale du 26 Septembre 2024, présidée par Claire BERGER et tenue publiquement, rapport a été fait par Sarah KLINOWSKI, en application de l’article 804 du code de procédure civile.
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 21 Novembre 2024.
JUGEMENT
Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire et en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Le 30 novembre 2010, la société Groupe de Conseil en Investissement et Financement, ci-après la société SCIFIM, a conclu en qualité de bénéficiaire une promesse unilatérale de vente avec Madame [H] [G] portant sur un ensemble immobilier sis à [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9], constitué de deux corps de bâtiments, édifiés sur un terrain d’assiette de 205 m², cadastré AS [Cadastre 1] moyennant le prix de 2 305 000 euros hors commissions.
Le 27 décembre 2010, une déclaration d’intention d’aliéner a été adressée par le notaire en charge de la vente à la Ville de [Localité 8].
Par décision du 18 février 2011, la Ville de [Localité 8] a exercé son droit de préemption urbain sur l’ensemble immobilier précité au prix de 2 000 000 euros, outre 230 000 euros de commissions, en vue de la réalisation de logements sociaux.
Par acte authentique du 3 août 2011, Mademoiselle [H] [G] a vendu son bien à la Ville de [Localité 8].
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
Le 11 octobre 2011, un bail emphytéotique d’une durée de 55 ans portant sur l’ensemble immobilier a été conclu entre la Ville de [Localité 8] et une société de gérance d’immeubles municipaux, moyennant un loyer capitalisé de 310 000 euros, société à laquelle un permis de construire en vue de la réhabilitation du premier bâtiment et de la démolition-construction du second dans la perspective de création de onze logements sociaux et très sociaux a été délivré le 16 décembre 2015.
Par jugement du 8 avril 2016, saisi par requête du 16 avril 2015 de tiers à la vente en leur qualité de contribuables locaux, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision de préemption, la ville de Paris n’étant pas en mesure d’établir la transmission de sa décision de préemption au représentant de l’Etat dans le département dans le délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner.
Par courrier du 16 juin 2016 par la voix de son conseil, la société SCIFIM a invité Madame la Maire de la ville de [Localité 8] à respecter les dispositions de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme en proposant cet immeuble à la venderesse puis à l’acquéreur évincé.
En l’absence de réponse, elle a déféré la décision implicite de rejet devant le tribunal administratif de Paris, qui par jugement du 29 juin 2018, l’a annulée tout en rejetant la demande de la société SCIFIM d’enjoindre à la ville de Paris de lui proposer le bien préempté au regard de l’atteinte manifeste à l’intérêt général que représenterait la rétrocession du bien litigieux, invitant la société SCIFIM, si elle s’y croyait fondée, à saisir le tribunal judiciaire d’une action en réparation dirigée contre le titulaire du droit de préemption, conformément aux dispositions de l’article L.213-12 du code de l’urbanisme. La société SCIFIM a interjeté appel de cette décision.
Par arrêt du 24 octobre 2019, la cour administrative d’appel de Paris a annulé le jugement et a enjoint la ville de [Localité 8] de proposer l’acquisition de l’ensemble immobilier préempté à la venderesse puis à l’acquéreur évincé, ne relevant aucun motif impérieux d’intérêt général s’opposant à ce que soit engagée la procédure de rétrocession.
La ville de [Localité 8] s’est pourvue en cassation.
Par arrêt du 28 septembre 2020, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêt du 24 octobre 2019 de la cour administrative d’appel de Paris et rejeté la demande d’injonction de la société SCIFIM, estimant que la revente du bien à cette dernière porterait une atteinte excessive à l’intérêt général au regard des importants travaux comportant la démolition et la reconstruction de l’un des deux bâtiments et la réhabilitation du second, réceptionnés en avril 2018, ayant permis la créations de onze logements sociaux et très sociaux.
Souhaitant exercer une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption, la société SCIFIM, par acte du 8 avril 2021, a assigné la Ville de Paris devant le tribunal de céans aux fins essentielles de la condamner à lui verser une indemnité de 5 809 366,59 euros pour son préjudice consécutif à la décision de préemption puis à son refus de lui rétrocéder le bien à la suite de l’annulation de cette décision.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
Par ordonnance du 13 juillet 2022, le juge de la mise en état a essentiellement :
Déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de loyers pour la période antérieure au 8 avril 2016 Déclaré le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de loyers pour la période postérieure au 8 avril 2016,Déclaré le tribunal judiciaire de Paris compétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de plus-value en ce qu’il est éventuellement la conséquence d’un défaut de proposition à la société par la Ville de Paris d’acquérir le bien préempté,Déclaré le tribunal judiciaire de Paris incompétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de plus-value en ce qu’il est éventuellement la conséquence d’un autre fait générateur de responsabilité.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 14 novembre 2022, la société SCIFIM demande au tribunal, au visa des articles L.213-11-1 et L.213-12 du code de l’urbanisme, de :
A titre principal,
DIRE et JUGER fautive la décision de préemption du 18 février 2011 de la ville de [Localité 8] sur le bien sis [Adresse 5] et [Adresse 3], que la société SCFIM devait acquérir,DIRE ET JUGER fautive le refus de la ville de [Localité 8] de proposer le bien sis [Adresse 5] et [Adresse 3] à la société SCIFIM,EVALUER le préjudice de la société SCIFIM, pour la période postérieure au 8 avril 2016, à la somme de 5.467.189,08 euros, somme à parfaire ; En conséquence,
CONDAMNER la ville de [Localité 8] à verser à la société SCIFIM la somme de 5.467.189,08 euros, à parfaire, augmentée des intérêts légaux,A titre subsidiaire et avant dire droit,
ORDONNER une mesure d’expertise judiciaire,NOMMER tel expert qu’il lui plaira aux fins qu’il recueille tous éléments et faire toutes constatations utiles de nature à éclairer le tribunal dans son appréciation des préjudices subis par la société SCIFIM à compter du 18 février 2011 en raison de la décision illégale de préemption de la Ville de Paris en date du 18 février 2011,DIRE que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du Code de procédure civile. En particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s’adjoindre tout spécialiste de son choix pris sur la liste des experts établies près ce Tribunal,DIRE qu’en cas de difficulté, l’expert s’en réfèrera au juge qui aura ordonné l’expertise,FIXER la provision à consigner au Greffe, à titre d’avance sur les honoraires de l’expert, dans le délai qui sera imparti par la décision à intervenir,Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
En tout état de cause,
CONDAMNER la Ville de [Localité 8] à la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de Procédure Civile,PRONONCER l’exécution provisoire,CONDAMNER la ville de [Localité 8] aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par voie électronique le 6 juin 2023, Madame le Maire de la Ville de Paris demande au tribunal de :
DEBOUTER la société SCIFIM de l’ensemble de ses demandes,ECARTER l’exécution provisoire de droit,CONDAMNER la société SCIFIM à verser à la Ville de [Localité 8] la somme de 6.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,CONDAMNER la société SCIFIM aux dépens.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour l’exposé plus ample des moyens de fait et de droit développés au soutien de ces prétentions, lesquels sont présentés succinctement dans les motifs.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 25 octobre 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 26 septembre 2024.
A l’issue des débats, les parties ont été informées que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 21 novembre 2024.
Il sera rappelé que les demandes des parties tendant à voir « constater », « juger que » ou « déclarer » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile dès lors qu’elles ne confèrent pas de droits spécifiques à la partie qui les requiert. Elles ne donneront en conséquence pas lieu à mention au dispositif.
Sur l’action en dommages-intérêts contre la Ville de [Localité 8]
La société SCIFIM sollicite, au visa des articles L.213-11-1 et L.213-12 du code de l’urbanisme, la condamnation de la ville de [Localité 8] à lui verser la somme de 5 467 189,08 euros en réparation du manquement de cette dernière à son obligation de lui proposer le bien illégalement préempté. Elle souligne la double faute de la ville de Paris qui d’une part, a pris une décision illégale de préempter le bien litigieux le 18 février 2011, illégalité définitivement constatée par le tribunal administratif de Paris le 8 avril 2016, puis d’autre part a refusé de proposer le bien illégalement préempté au vendeur et à l’acquéreur, illégalité définitivement constatée par le tribunal administratif de Paris le 28 juin 2018, le Conseil d’Etat ayant seulement refusé d’enjoindre la rétrocession du bien en raison d’une atteinte excessive à l’intérêt général sans remettre en cause le caractère illégal du refus de la ville de Paris. Sur l’insuffisante gravité de l’illégalité entachant la décision de préemption qui lui est opposée en défense, la société SCIFIM soutient que l’illégalité d’une décision administrative constitue une faute et suffit à ouvrir droit à réparation.
La société SCIFIM rappelle enfin qu’elle s’était engagée à acquérir l’ensemble immobilier litigieux sans condition suspensive, de sorte qu’il n’y avait aucune incertitude quant à son acquisition du bien s’il n’avait pas été préempté par la ville de [Localité 8].
Sur le quantum des dommages-intérêts sollicités, la société SCIFIM précise que son préjudice est constitué d’une part des loyers qui auraient dû être encaissés par elle depuis le 8 avril 2016, d’un montant de 804 091,42 euros, calculés notamment sur la base des baux cités dans la promesse de vente du 30 novembre 2010, d’autre part de la plus-value manquée, calculée par comparaison entre le prix de vente du bien en 2011 et sa valeur actuelle, d’un montant de 4 563 097,66 euros, et enfin de son préjudice moral, qu’elle évalue à la somme de 100 000 euros. Elle ajoute que l’existence d’un bail emphytéotique ne rendait pas impossible la rétrocession du bien, fût-elle à un prix qui en aurait tenu compte.
En défense, la ville de [Localité 8], après avoir rappelé que la compétence du tribunal judiciaire est limitée aux seuls préjudices éventuels qui résulteraient d’un défaut de proposition à la société SCIFIM d’acquérir le bien préempté et avoir souligné sa bonne foi dans le consentement d’un bail emphytéotique plusieurs années avant le recours de personnes sans lien avec la vente initialement projetée, soutient que la demanderesse ne peut se prévaloir d’aucun droit à réparation dans la mesure où les articles du code de l’urbanisme qu’elle invoque n’instituent pas de droit à réparation et dans la mesure où sa responsabilité ne peut être engagée en l’absence de faute, de lien de causalité avec le préjudice allégué et de préjudice.
Sur l’absence de droit à réparation, la Ville de [Localité 8] fait valoir que les dispositions du code de l’urbanisme ne fixent pas les conditions de fond de la responsabilité du titulaire du droit de préemption dans l’hypothèse où la décision de préemption a été annulée et l’acquisition du bien n’a pas été proposée à l’acquéreur évincé, l’article L.213-12 de ce code attribuant seulement compétence au juge judiciaire pour statuer sur une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption, de sorte qu’il appartient à la demanderesse de démontrer que les conditions de droit commun de la responsabilité délictuelle sont réunies. Or la défenderesse conteste avoir commis une quelconque faute engageant sa responsabilité en exerçant son droit de préemption malgré l’illégalité pour vice de forme constatée par le juge administratif, le juge judiciaire n’étant pas compétent pour apprécier les conséquences de l’illégalité de la décision du juge administratif, de même qu’elle conteste avoir commis une faute en refusant de proposer le bien illégalement préempté au propriétaire évincé par suite de la décision du Conseil d’Etat qui a rejeté la demande d’injonction de la société SCIFIM. Elle rappelle par ailleurs une jurisprudence du Conseil d’Etat du 21 mars 2008 n°279074 selon laquelle les vices de procédure ou de forme entachant la décision de préemption n’engagent pas la responsabilité de la collectivité si la décision annulée pour vice de procédure ou de forme est néanmoins justifiée au fond, le juge administratif considérant dans cette hypothèse que si cette illégalité pour vice de forme est fautive, le lien de causalité n’est pas établi en ce que le préjudice allégué ne peut être regardé comme la conséquence du vice dont cette décision est entachée. Elle en conclut qu’elle n’a nullement engagé sa responsabilité en exerçant son droit de préemption malgré l’illégalité pour vice de forme constatée par le juge administratif.
Sur le préjudice allégué, qui est pour elle la conséquence de sa décision de préemption et de la non-réalisation de la vente, la Ville de [Localité 8] soutient qu’il est par conséquent sans lien de causalité direct et certain avec sa décision de ne pas proposer l’acquisition du bien après l’annulation de la décision de préemption, seul préjudice sur lequel le juge judiciaire peut statuer. Elle fait également observer que le préjudice allégué n’est nullement certain puisqu’en cas d’annulation d’une décision de préemption, le titulaire du droit de préemption doit d’abord proposer l’acquisition du bien à l’ancien propriétaire, qui aurait pu tout aussi bien accepter de se voir rétrocéder le bien. En toute hypothèse, la Ville de [Localité 8] estime que la demanderesse ne peut se prévaloir que d’une perte de chance de lever l’option conférée par la promesse unilatérale de vente et donc seulement d’un droit préférentiel à l’acquisition de ce bien. Contestant le calcul des loyers manqués établi par la demanderesse, elle fait remarquer que certains baux étaient impayés au jour de la promesse, que la société SCIFIM ne prouve nullement que les lots vacants pouvaient être facilement loués et qu’elle omet de déduire des loyers encaissés les coûts de gestion et d’entretien des locaux qui auraient été à sa charge. La Ville de [Localité 8] souligne enfin l’absence de préjudice pour la société SCIFIM, l’immeuble préempté ayant été donné à bail emphytéotique pour une durée de 55 ans en vue de la réalisation de logements sociaux par contrat du 11 octobre 2011 conclu dans des conditions tout à fait régulières dès lors que la décision de préemption n’a pas été contestée par le vendeur ou l’acquéreur évincé, de sorte que si la société SCIFIM avait acquis l’ensemble immobilier, elle n’aurait pu remettre en cause le bail emphytéotique et n’aurait donc tiré aucun bénéfice de cette acquisition.
Sur ce,
Il résulte des articles 10 et 13 du titre II de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III que, sauf exception prévue par la loi, la responsabilité de l’administration ne peut être recherchée que devant les juridictions administratives.
L’article L.213–12 du code de l’urbanisme, instituant ainsi une exception au principe de séparation des fonctions administrative et judiciaire rappelé ci-dessus, énonce :
« En cas de non-respect des obligations définies au deuxième alinéa de l’article L. 213-11 ou au premier alinéa de l’article L. 213-11-1, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel saisissent le tribunal de l’ordre judiciaire d’une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption.
En cas de non-respect des obligations définies au sixième alinéa de l’article L. 213-11 ou au dernier alinéa de l’article L. 213-11-1, la personne qui avait l’intention d’acquérir ce bien saisit le tribunal de l’ordre judiciaire d’une action en dommages-intérêts contre le titulaire du droit de préemption.
Dans les cas prévus aux articles L. 213-11 et L. 213-11-1, la renonciation à la rétrocession n’interdit pas de saisir le tribunal de l’ordre judiciaire d’une action en dommages et intérêts contre le titulaire du droit de préemption.
L’action en dommages et intérêts se prescrit par cinq ans :
1° Dans le cas prévu à l’article L. 213-11, à compter de la mention de l’affectation ou de l’aliénation du bien au registre mentionné à l’article L. 213-13 ;
2° Dans le cas prévu à l’article L. 213-11-1, à compter de la décision de la juridiction administrative devenue définitive ».
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
L’article L.213–11–1 du même code oblige en effet, en cas d’annulation ou d’illégalité d’une décision de préemption, le titulaire du droit de préemption à proposer alors le bien préempté à l’acquisition du propriétaire évincé et, en cas de refus de ce dernier, à celle de l’acquéreur évincé en ces termes :
« Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l’acquisition du bien en priorité.
Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l’une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l’exercice du droit de préemption a fait obstacle. A défaut d’accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d’expropriation, conformément aux règles mentionnées à l’article L.213-4.
A défaut d’acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l’acquisition.
Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l’acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l’acquisition à la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l’article L.213-2 ».
Toute exception doit être d’interprétation stricte.
Par suite, les dommages et intérêts relevant de la compétence judiciaire fixée à l’article L 213–12 du code de l’urbanisme doivent s’entendre comme étant uniquement ceux résultant du non-respect des obligations visées au même article, c’est-à-dire l’obligation de proposer le bien à l’acquisition, et non pas ceux résultant de l’irrégularité ayant eu pour effet d’obliger l’administration à proposer le bien.
Cette indemnité doit permettre au vendeur ou à l’acquéreur évincé, en application du droit commun, d’obtenir réparation de l’intégralité du préjudice consécutif au défaut de rétrocession du bien, et ce, en prenant en compte la valeur actuelle du bien que le juge est habilité à apprécier souverainement.
En l’espèce, si la société SCIFIM relève une double faute de la Ville de Paris dans ses écritures, à savoir sa décision de préemption illégale et son refus de lui rétrocéder le bien une fois l’illégalité de sa décision de préemption constatée, la seule faute qu’elle peut en réalité lui reprocher consiste en ce refus de lui proposer le bien illégalement préempté en suite de la décision du tribunal administratif de Paris du 8 avril 2016.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
Le juge de la mise en état a en effet rappelé les limites de la compétence du tribunal de céans pour connaître des demandes de la société SCIFIM dans son ordonnance du 13 juillet 2022, précisant que : « L’obligation de proposer à la société l’acquisition du bien préempté est née au moment de l’annulation de la décision de préemption, soit au 8 avril 2016. Par suite, la réparation du préjudice consécutif à la perte des loyers échus antérieurement au 8 avril 2016 ne peut être de la compétence des juridictions judiciaires mais relève de celles des juridictions administratives (…).
La réparation de la perte de valeur est de la compétence de ce tribunal en ce qu’elle est la conséquence éventuelle du refus de proposer le bien à l’acquisition de la société mais de celle des juridictions administratives en ce qu’elle est la conséquence éventuelle d’un autre fait générateur de responsabilité ».
En conséquence, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal judiciaire de Paris seulement compétent pour statuer sur la demande de la société SCIFIM en réparation d’un préjudice de perte de loyers pour la période postérieure au 8 avril 2016 et en réparation d’un préjudice de perte de plus-value en ce qu’il est éventuellement la conséquence d’un défaut de proposition à la société par la Ville de Paris d’acquérir le bien préempté, mais pas en ce qu’il est la conséquence éventuelle d’un autre fait générateur de responsabilité.
Il résulte des pièces versées aux débats qu’en suite de l’acceptation de son offre par la propriétaire et de la signature de l’acte authentique du 3 août 2011, la ville de [Localité 8] a conclu le 11 octobre 2011 un bail emphytéotique pour une durée de 55 ans avec une société dont la vocation est la création et la gestion de logements sociaux. Des travaux de démolition et de reconstruction de l’un des deux bâtiments et la réhabilitation du second ont été réceptionnés au mois d’avril 2018 et ont permis la création de onze logements sociaux et très sociaux dont les premiers baux ont été signés au mois de mai 2018.
Parallèlement, l’irrégularité de la décision initiale de préemption a été constatée par jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 2016, ce qui a conduit la société SCIFIM deux mois plus tard à déférer la décision implicite de rejet de la Ville de Paris, laquelle n’avait pas répondu au courrier du 16 juin 2016 de son conseil l’invitant à respecter les dispositions de l’article L.213-11-1 du code de l’urbanisme en proposant l’immeuble illégalement préempté à la venderesse, puis à l’acquéreur évincé, devant le tribunal administratif de Paris.
Si le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 28 septembre 2020 a annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel de Paris du 24 octobre 2019, qui avait jugé qu’aucun motif impérieux d’intérêt général ne s’opposait à ce que soit engagée la procédure de rétrocession ci-avant rappelée et enjoint à la ville de [Localité 8] de proposer l’acquisition de l’immeuble sis [Adresse 5] à [Localité 9] d’abord à la venderesse, puis en cas de renonciation expresse ou tacite de cette dernière, à la société SCIFIM, c’est en considération des nouveaux intérêts en présence et des conséquences dommageables d’une revente du bien à la société requérante, qui aurait pu remettre en cause la vocation sociale des logements créés et porter à l’intérêt général une atteinte excessive non justifiée par l’intérêt qui s’attache à la disparition des effets de la décision annulée.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
En effet, il appartient au juge administratif de vérifier, au regard de l’ensemble des intérêts en présence, que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général, et dans un tel cas, de refuser d’enjoindre au titulaire du droit de préemption de rétrocéder le bien tout en invitant le vendeur ou l’acquéreur évincé, s’ils s’y estiment fondés, à saisir le juge judiciaire d’une action en dommages et intérêts sur le fondement de l’article L.213-12 du code de l’urbanisme précité.
Ainsi, la décision du Conseil d’Etat du 28 septembre 2020 de ne pas enjoindre à la Ville de [Localité 8] de rétrocéder le bien à la société SCIFIM n’exclut pas pour autant une faute de la première de refuser de rétrocéder ledit bien à la seconde et pour cause, celle-ci ne démontrant pas que la conclusion de baux avec de nouveaux locataires constituait un obstacle à un changement de propriétaire du bien ou que les travaux d’aménagement de l’ensemble immobilier, qui n’ont pas eu pour effet de le transformer en un bien qui n’aurait d’usage ou d’utilité que pour la collectivité, n’auraient pu être pris en compte au titre de la valeur nouvelle du bien dans la détermination du prix proposé dans le cadre de la procédure de rétrocession.
En conséquence, il est démontré l’existence d’une faute de la ville de [Localité 8], laquelle ouvre droit à réparation sur le fondement de l’article L.213-12 du code de l’urbanisme si la demanderesse démontre l’existence d’un préjudice certain et d’un lien de causalité direct entre ce dernier et la faute invoquée.
La société SCIFIM décompose son préjudice ainsi :
804 091,42 euros au titre des loyers qui auraient dû être encaissés depuis le 8 avril 2016,4 563 097,66 euros au titre de la plus-value manquée,100 000 euros au titre de son préjudice moral.
Si la société SCIFIM démontre bien à l’issue des débats que la vente projetée le 30 novembre 2010 était suffisamment probable, l’acte authentique de vente n’étant assorti d’aucune condition suspensive tenant à l’obtention d’un prêt ou d’un permis de construire, outre qu’elle verse aux débats une attestation de Mademoiselle [H] [G] du 2 juillet 2023, laquelle confirme avoir vendu l’immeuble litigieux hérité de son père aux fins de paiement des droits de succession et précise : « je ne souhaitais pas acquérir cet immeuble si la ville de Paris me l’avait proposé », le tribunal judiciaire de Paris n’est compétent que pour les préjudices consécutifs à l’obligation de proposer l’acquisition du bien préempté, laquelle est née le 8 avril 2016 au moment de l’annulation de la décision de préemption. Or, les préjudices que la société SCIFIM invoque et qui sont de la compétence du tribunal judiciaire n’apparaissent pas certains mais purement éventuels.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
En effet, il résulte de l’ordonnance du juge de la mise en état du 13 juillet 2022 que le tribunal judiciaire de Paris n’est compétent pour statuer sur la réparation d’un préjudice de perte de loyers que pour la période postérieure au 8 avril 2016. Or , le bail emphytéotique du 11 octobre 2011 versé aux débats par la Ville de [Localité 8] permet de savoir que cette dernière a donné à bail l’ensemble litigieux à une société dénommée Société de Gérance d’Immeubles Municipaux moyennant un loyer capitalisé fixé pour toute sa durée, soit pour une durée de 55 ans, à 310 000 euros, dont 10 000 euros payés le 11 octobre 2011 et le solde, payable dans les trois mois à partir de la décision d’agrément prévue par les articles R331-1 et suivants du code de la construction et de l’habitation et au plus tard deux ans après la date du contrat de bail emphytéotique.
Par conséquent, si la société SCIFIM s’était vue rétrocéder le bien le 8 avril 2016, date à laquelle son préjudice est né, elle n’aurait en toute hypothèse pu bénéficier d’aucun loyer pendant 55 ans, ce loyer ayant d’ores et déjà été versé à la Ville de [Localité 8].
S’agissant de la perte de plus-value, il est encore rappelé que l’obligation de proposer à la société l’acquisition du bien préempté est née au moment de l’annulation de la décision de préemption, soit au 8 avril 2016. Il convient de relever d’une part que la société SCIFIM compare à tort le prix auquel Mademoiselle [H] [G] avait promis de lui vendre son bien le 30 novembre 2010 au prix estimé par la chambre des notaires de [Localité 8] et le site Meilleurs agents en 2021.
Or le prix de rétrocession du bien le 8 avril 2016 aurait été nécessairement supérieur au prix consenti le 30 novembre 2010 dès lors que le prix de l’immobilier parisien a évolué positivement et surtout, que des travaux d’envergure ont été réalisés par l’emphytéote pour permettre la réhabilitation du premier corps de bâtiment et la démolition-reconstruction du second, travaux qui auraient donc nécessairement été pris en compte dans la fixation du prix de rétrocession, conformément aux dispositions du code de l’urbanisme ci-avant rappelées.
Le tribunal observe d’autre part que la perte de plus-value que la société SCIFIM aurait pu réaliser à l’occasion de la revente de l’immeuble préempté est impossible à évaluer car la date à laquelle cette revente aurait pu intervenir est inconnue, de même que le prix qui aurait alors été celui du marché. Il ne s’agit ainsi que d’un préjudice éventuel.
S’agissant du préjudice moral enfin, aucune pièce n’est versée aux débats pour le démontrer, outre qu’il convient de rappeler que la société SCIFIM n’est pas à l’initiative de la requête, exercée cinq ans après la vente par des tiers en leur qualité de contribuables locaux, en annulation de la décision de préemption de la ville de [Localité 8].
La société SCIFIM ne justifie pas par ailleurs de frais qu’elle aurait pu engager pour la réalisation de la vente projetée le 30 novembre 2010 ou des loyers indument supportés dans la perspective de cette vente, préjudices certains et en lien direct avec le défaut de rétrocession du bien qui auraient pu être indemnisés par le tribunal de céans s’ils avaient été justifiés.
Décision du 21 Novembre 2024
2ème chambre
N° RG 21/05707 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUI4D
A titre surabondant, le tribunal rappelle que la décision de préemption par la Ville de [Localité 8] du bien litigieux le 18 février 2011 a été annulée par le tribunal administratif de Paris le 8 avril 2016 faute pour cette dernière d’avoir transmis sa décision de préemption au préfet de Paris dans le délai de deux mois courant à compter du 20 décembre 2010.
Cette irrégularité de forme, si elle constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la Ville de [Localité 8], n’est pas directement à l’origine des préjudices invoqués par la société SCIFIM puisqu’il n’est pas établi que si la décision de préemption avait été régulièrement transmise au préfet de [Localité 8], cette décision n’aurait pu être légalement prise et ne l’aurait pas été en fait, de sorte que le caractère direct du lien de causalité entre la faute de la défenderesse et les préjudices allégués n’est pas non plus démontré.
En conséquence, la demande de dommages et intérêts de la société SCIFIM sera rejetée, ainsi que sa demande subsidiaire d’expertise avant dire droit dès lors qu’une expertise n’est pas utile à la solution du litige compte tenu des motifs conduisant au rejet de la demande principale.
Sur les demandes accessoires
La société SCIFIM, succombant à l’instance, sera condamnée aux entiers dépens et à payer à la Ville de [Localité 8] la somme de 4 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
Il n’y a pas lieu de prononcer l’exécution provisoire de la présente décision.
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
DÉBOUTE la société SCIFIM de sa demande de dommages et intérêts au titre de l’absence de rétrocession par la Ville de [Localité 8] de l’ensemble immobilier sis [Adresse 5] et [Adresse 3] à [Localité 9] le 8 avril 2016,
DÉBOUTE la société SCIFIM de sa demande d’expertise avant dire droit,
CONDAMNE la société SCIFIM aux dépens,
CONDAMNE la société SCIFIM à payer à la Ville de [Localité 8] la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
DIT n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 21 Novembre 2024
La Greffière La Présidente
Adélie LERESTIF Claire BERGER
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