Tribunal judiciaire de Lille, 25 novembre 2024, RG n° 23/09433
Tribunal judiciaire de Lille, 25 novembre 2024, RG n° 23/09433

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Lille

Thématique : Validité des engagements contractuels et contestation des signatures dans le cadre d’un crédit affecté.

Résumé

Contexte de l’affaire

Monsieur et Madame [G] ont engagé des travaux dans leur maison via la société France Confort Habitat, incluant des installations de climatisation, menuiseries, électricité, ainsi que la fourniture d’une chaudière et d’un poêle à pellets, pour un montant total de 30 000 euros. Un crédit affecté a été souscrit auprès de la SA Crédit Agricole Consumer Finance, sous l’enseigne Sofinco, pour financer ces travaux.

Défaut de paiement et mise en demeure

Après plusieurs échéances impayées, la SA CA Consumer Finance a prononcé la déchéance du terme par courrier recommandé, demandant le remboursement d’une somme de 28 095,48 euros. L’affaire a été portée devant le juge des contentieux de la protection à Lille, avec une audience initialement prévue pour mai 2024, reportée à juin 2024.

Demandes des parties

La SA CA Consumer Finance a demandé au tribunal de débouter Monsieur et Madame [G] de leurs demandes, de constater la déchéance du terme et de les condamner à rembourser la somme due, tout en sollicitant la résolution judiciaire du contrat. De leur côté, Monsieur et Madame [G] ont contesté la validité du contrat de crédit, affirmant que leurs signatures avaient été falsifiées.

Vérification des signatures

Le tribunal a procédé à une vérification des signatures contestées. Les analyses ont révélé que la signature de Madame [G] sur les documents de crédit ne correspondait pas à celle de sa carte d’identité, indiquant une falsification. De même, la signature de Monsieur [G] a été jugée non authentique.

Nullité du contrat de crédit

En raison de l’absence de consentement des emprunteurs, le contrat de crédit a été annulé. L’annulation implique que les parties doivent être remises dans leur état antérieur, ce qui inclut le remboursement des sommes déjà versées.

Responsabilité de la banque

La SA CA Consumer Finance a été jugée responsable pour avoir débloqué les fonds sans avoir vérifié l’authenticité des signatures. Cependant, les époux [G] n’ont pas contesté la validité du contrat principal de vente des travaux, ce qui a limité la portée de leur demande contre la banque.

Décision finale du tribunal

Le tribunal a prononcé la nullité de l’engagement de crédit, condamnant Monsieur et Madame [G] à rembourser une somme de 21 247,49 euros à la SA CA Consumer Finance, après déduction des paiements effectués. La banque a été condamnée à verser 800 euros aux époux au titre des frais de justice, tandis que sa demande de frais irrépétibles a été rejetée. L’exécution provisoire de la décision a été ordonnée.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
de LILLE
[Localité 4]

☎ :[XXXXXXXX01]

N° RG 23/09433 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XUEO

JUGEMENT

DU : 25 Novembre 2024

Société CONSUMER FINANCE DEPT SOFINCO

C/

[U] [X] épouse [G]
[L] [G]

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

JUGEMENT DU 25 Novembre 2024

DANS LE LITIGE ENTRE :

DEMANDEUR(S)

Société CONSUMER FINANCE DEPT SOFINCO, dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Représentant : Me Francis DEFRENNES, avocat au barreau de LILLE

ET :

DÉFENDEUR(S)

Mme [U] [X] épouse [G], demeurant [Adresse 3]

M. [L] [G], demeurant [Adresse 3]

représentée par Me Delphine BRACQ, avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DES DÉBATS À L’AUDIENCE PUBLIQUE DU 30 Septembre 2024

Magali CHAPLAIN, Juge, assisté(e) de Deniz AGANOGLU, Greffier

COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DU DÉLIBÉRÉ

Par mise à disposition au Greffe le 25 Novembre 2024, date indiquée à l’issue des débats par Magali CHAPLAIN, Juge, assisté(e) de Deniz AGANOGLU, Greffier

RG : 23/9433 PAGE

EXPOSE DU LITIGE

Dans le cadre d’un démarchage à domicile, [L] [G] a commandé auprès de la société France confort habitat la réalisation de divers travaux dans sa maison d’habitation, notamment des travaux de climatisation, de menuiseries et d’électricité ainsi que la fourniture et la pose d’une chaudière et d’un poêle à pellets suivant bon de commande n°1061 signé le 29 mai 2019 pour un prix de 30 000 euros.

Selon offre préalable acceptée le 24 juin 2019 portant le numéro de dossier n°81607392038, la SA Crédit Agricole Consumer Finance, exerçant sous l’enseigne Sofinco, a consenti à [L] [G] et [U] [X], son épouse, un crédit affecté à la fourniture de biens ou la prestation de services d’un montant de 30 000 euros, au taux d’intérêt contractuel de 3,835 % l’an, remboursable en 180 mensualités de 222,91 euros hors assurance facultative.

Plusieurs échéances étant restées impayées, le prêteur a, par courrier recommandé avec avis de réception signé le 17 août 2023, prononcé la déchéance du terme et mis en demeure les emprunteurs de lui régler la somme de 28 095,48 euros.

Par acte de commissaire de justice en date du 25 septembre 2023, la SA CA Consumer Finance Département Sofinco a fait assigner Monsieur et Madame [G] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Lille en remboursement du crédit.

Initialement appelée à l’audience du 6 mai 2024, l’affaire a fait l’objet d’un renvoi à l’audience du 17 juin 2024 lors de laquelle les parties, représentées par leurs conseils respectifs, ont accepté l’application de l’article 446-2 du code de procédure civile et l’établissement d’un calendrier de procédure. L’audience de plaidoiries a été fixée au 30 septembre 2024.

A cette audience, les parties, représentées par leur conseil respectif, ont développé oralement leurs dernières écritures déposées à l’audience et visées par le greffier, aux termes desquelles la SA CA Consumer Finance demande au juge de :

–   débouter Monsieur et Madame [G] de l’ensemble de leurs demandes,
dire recevable et bien fondé l’ensemble de ses demandes fins et conclusions,–   constater la déchéance du terme de l’engagement souscrit par Monsieur et Madame [G] faute de régularisation des impayés,
–   en conséquence, condamner solidairement Monsieur et Madame [G] à lui payer la somme de 28 081,81 euros augmentée des intérêts au taux de 3,835 % l’an courus et à courir à compter du 9 août 2023 et jusqu’au jour du plus complet paiement,
 * subsidiairement :
–   prononcer la résolution judiciaire du contrat signé le 24 juin 2019,
–   condamner solidairement Monsieur et Madame [G] à lui payer la somme de 30 000,00 euros au titre des restitutions qu’implique la résolution judiciaire du contrat, déduction faite des règlements intervenus, ainsi que la somme de 2.000 euros par application de l’article 1231-1 du code civil,

 * très subsidiairement :
–   condamner solidairement Monsieur et Madame [G] à lui payer les échéances impayées jusqu’à la date du jugement,
–   dire que Monsieur et Madame [G] devront reprendre le règlement des échéances à bonne date sous peine de déchéance du terme sans formalité de sa part,
* en tout état de cause :
condamner Monsieur et Madame [G] à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les frais et dépens,rappeler au besoin l’exécution provisoire de droit attachée à la décision.
Elle soutient que les signatures contestées émanent bien de Monsieur et Madame [G]. Elle se prévaut notamment d’un courrier manuscrit du 15 février 2021 de [U] [G] aux termes duquel cette dernière sollicite la résiliation du contrat d’assurance en reprenant les références du contrat de crédit qu’ils prétendent ne jamais avoir signé.

Elle considère encore qu’elle n’a commis aucune faute tirée du devoir de mise en garde dans la mesure où elle n’était pas tenue d’une obligation de mise en garde. Elle expose qu’elle s’est correctement informée sur la situation financière du couple ; que le principe de non immixtion et celui de loyauté et de sincérité des débiteurs justifient qu’elle tienne compte des ressources et charges déclarées par les emprunteurs dans la fiche de dialogue pour admettre la proportionnalité du crédit au regard des capacités de remboursement ; que les emprunteurs ont dissimulé des crédits souscrits et ne peuvent se prévaloir de leur propre turpitude.

Elle fait valoir enfin que les défendeurs ne justifient d’aucun préjudice en lien avec la faute alléguée. Sur le quantum de l’indemnisation, elle rappelle que le manquement de l’établissement de crédit à son devoir de mise en garde génère un préjudice pour l’emprunteur non averti s’analysant en une simple perte de chance de ne pas contracter qui ne peut correspondre au montant de la dette dont le recouvrement est poursuivi.

Elle s’oppose à la demande de délais de grâce, au motif que, depuis le premier incident de paiement non régularisé, les emprunteurs n’ont effectué aucun versement et qu’ils ont de fait d’ores et déjà bénéficier de délais de paiement.

Interrogée par le tribunal, elle a indiqué que son action n’était pas forclose et qu’aucune cause de déchéance du droit aux intérêts soulevée d’office par le tribunal n’était encourue.

Monsieur et Madame [G] ont comparu en personne, assistés de leur conseil. Ils demandent au juge de :

–   débouter la SA CA Consumer Finance de l’ensemble de ses demandes,
prononcer la nullité du contrat de crédit du 24 juin 2019,

 * subsidiairement :
procéder à la vérification des signatures des emprunteurs sur l’offre de crédit affecté, ainsi que sur le devis de la société France Confort Habitat, et enfin sur le procès-verbal de réception des travaux en date du 4 juillet 2019, en vertu des dispositions des articles 1373 du code civil et 287 et 288 du code de procédure civile ;condamner la SA CA Consumer Finance à leur rembourser les sommes qui ont été prélevées au terme du crédit,condamner la SA CA Consumer Finance à leur payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour défaut de mise en garde en vertu des dispositions de l’article 1231-1 du code civil ainsi que la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice financier qu’ils ont subi, en vertu des dispositions des articles 1104, 1231-1 et 1231-2 du code civil,
 * très subsidiairement :
dire n’y avoir lieu à application de la clause pénale, en vertu des dispositions de l’article 1231-5 alinéa 2 du code civil,leur accorder les plus larges délais de paiement, en vertu des dispositions des articles L314-20 du code de la consommation et 1343-5 du code civil,suspendre le remboursement du crédit pendant une durée de deux ans et dire que les sommes dues ne produiront pas d’intérêt pendant cette période,condamner la SA CA Consumer Finance à leur payer une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure,condamner la SA CA Consumer Finance aux dépens.
Ils exposent et font valoir qu’ils n’ont pas signé le contrat de crédit affecté du 24 juin 2019 et que leurs signatures ont été imitées par la société France Confort Habitat. Ils précisent que cette société les a démarchés courant de l’année 2019 pour divers travaux dans leur habitation ; qu’elle leur a fait croire que les travaux seraient pris en charge par une prime de l’Etat qui leur sera directement versée par la suite ; qu’ils ont signé certains documents mais que la société a imité leurs signatures dans le cadre de la souscription d’autres crédits ; que certains travaux ont commencé mais n’ont jamais été achevés ; que ne sachant plus ce qu’ils avaient signé, ils n’ont réalisé qu’en février 2023 que la société France Confort Habitat avait imité leurs signatures dans le cadre de la souscription du crédit objet du litige, date à laquelle ils ont mis un terme aux prélèvements sur leur compte et déposé une plainte qui est toujours en cours ; qu’un second crédit d’un montant de 30 000 euros a été souscrit en leur nom auprès de la société Financo sur la base d’un bon de commande similaire à celui qui se rapporte au crédit litigieux (même date, même travaux), seule la signature diverge.

Ils reconnaissent avoir signé une offre de crédit du 18 juin 2020 d’un montant de 15 000 euros auprès de la S.A Cofidis et un crédit affecté de 10 000 euros auprès de la société Financo aux termes d’un bon de commande visant des travaux de façade qu’ils produisent en pièce 27 et 37 ; que les signatures contestées sur l’offre de crédit litigieuse ne correspondent pas aux signatures figurant tant sur les contrats de prêt consentis par les sociétés Cofidis et Financo que sur leurs cartes d’identités respectives.

A titre subsidiaire, ils invoquent, sur le fondement de l’article L312-7 du code de la consommation et 1231-1 du code civil, le manquement du prêteur à son obligation de conseil et de mise en garde. Ils exposent qu’ils ne sont pas des emprunteurs avertis et que le prêteur n’a pas vérifié leur solvabilité, notamment en consultant le fichier des incidents de paiement alors qu’ils étaient engagés aux termes de cinq crédits pour un montant total de 94 000 euros avec des remboursements mensuels de plus de 800 euros ce qui est excessif au regard de leurs revenus. Ils ajoutent que le prêteur aurait dû également vérifier leurs signatures sur les contrats et être alerté par le fait que les signatures présentes sur les différents documents contractuels ainsi que sur le procès-verbal de réception de travaux étaient toutes différentes ; que le prêteur n’a pas davantage vérifié l’exécution complète du contrat principal avant de libérer les fonds. Ils estiment avoir subi un préjudice en lien avec la faute de la banque consistant en une perte de chance de ne pas contracter et en un surendettement.

A titre infiniment subsidiaire, ils sollicitent la suppression de la clause pénale prévue au contrat de crédit sur le fondement des dispositions de l’article 1231-5 du code civil au motif qu’elle apparait excessive.

Enfin, ils sollicitent, dans l’hypothèse où le crédit n’était pas annulé, les plus larges délais de paiement compte tenu de leur situation financière et de l’escroquerie dont ils ont été victimes.

L’affaire a été mise en délibéré au 25 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.

PAR CES MOTIFS

Le juge des contentieux de la protection, statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Déclare l’action en paiement de la SA CA Consumer Finance Département Sofinco recevable ;

Prononce la nullité de l’engagement souscrit par [L] [G] et [U] [X] épouse [G] avec la SA CA Consumer Finance, exerçant sous la marque Sofinco le 24 juin 2019 suivant offre de contrat de prêt n°81607392039 ;

En conséquence, condamne in solidum [L] [G] et [U] [X] épouse [G] à payer à la S.A CA Consumer Finance Département Sofinco la somme de 21 247,49 euros correspondant au capital prêté après déduction des sommes versées par eux, créance arrêtée au 5 février 2023, échéance de février 2023 incluse, avec intérêts au taux légal à compter du jugement;

Dit que toutes les mensualités ou toute autre somme payées postérieurement au 5 février 2023 par [L] [G] et [U] [X] épouse [G] viendront en déduction de la somme de 21247,49 euros;

Déboute [L] [G] et [U] [X] épouse [G] de leur demande de dommages et intérêts ;

Condamne la SA CA Consumer FinanceDépartement Sofinco à payer à [L] [G] et [U] [X] épouse [G] la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SA CA Consumer Finance Département Sofinco de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Déboute les parties du surplus de leur demande ;

Condamne la SA CA Consumer Finance Département Sofinco aux dépens de l’instance ;

Rappelle que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.

LE GREFFIER LE JUGE
D.AGANOGLU M.CHAPLAIN

 


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