Conflit de compétence en matière d’indivision et de liquidation patrimoniale.

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Conflit de compétence en matière d’indivision et de liquidation patrimoniale.

L’Essentiel : Le 19 novembre 2003, [Z] [B] et [O] [J] ont acquis en indivision un ensemble immobilier à [Localité 12]. Cet achat, financé par un emprunt, comprend un terrain à bâtir et une parcelle d’accès. Après leur mariage en 2004, des événements juridiques ont suivi, notamment la liquidation judiciaire de [O] [J] en 2013 et leur divorce en 2020. En 2021, la selarl [11] a assigné [Z] [B] pour demander la liquidation de l’indivision. Le tribunal, soulevant des questions de compétence, a finalement statué en faveur du juge aux affaires familiales, rendant un jugement susceptible d’appel.

Acquisition de l’Immeuble

Le 19 novembre 2003, [Z] [B] et [O] [J] ont acquis en indivision un ensemble immobilier situé à [Adresse 5] à [Localité 12] (Vienne). Cet ensemble comprend un terrain à bâtir sur lequel une maison a été construite, ainsi qu’une moitié indivise d’une parcelle à usage d’accès. Pour financer cet achat, ils ont souscrit un emprunt.

Événements Familiaux et Juridiques

Le 26 juin 2004, [Z] [B] et [O] [J] se sont mariés. Cependant, le 14 novembre 2013, [O] [J] a été placé en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Poitiers, qui a désigné un liquidateur. Le divorce des époux [J] a été prononcé le 16 novembre 2020, avec effet rétroactif au 1er juillet 2014.

Assignation et Réactions Judiciaires

Le 22 octobre 2021, la selarl [11] a assigné [Z] [B] devant le tribunal judiciaire de Poitiers. Le 17 avril 2023, le tribunal a soulevé d’office plusieurs points, notamment l’incompétence matérielle du tribunal et le défaut de réunion des conditions de l’article 815-17 du code civil, ordonnant la réouverture des débats.

Demandes des Parties

La selarl [11] a demandé au tribunal de déclarer sa demande recevable et fondée, d’ordonner la liquidation et le partage de l’indivision, ainsi que la vente de l’immeuble. De son côté, [Z] [B] a contesté la compétence du tribunal, s’opposant au partage partiel et demandant l’homologation d’un projet d’état liquidatif.

Arguments et Motifs du Jugement

La demanderesse a soutenu que les règles des articles 815 et suivants du code de procédure civile s’appliquent à l’indivision. Toutefois, le tribunal a rappelé que les règles de fond ne déterminent pas la compétence matérielle. Il a également noté que le règlement des intérêts patrimoniaux doit se faire devant le juge aux affaires familiales, conformément à l’article L213-3 du code de l’organisation judiciaire.

Décision du Tribunal

Le tribunal a statué en se déclarant matériellement incompétent au profit du juge aux affaires familiales, rendant ainsi un jugement contradictoire et susceptible d’appel.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la compétence matérielle du tribunal dans le cadre d’une indivision ?

La compétence matérielle du tribunal est régie par l’article L213-3 du Code de l’organisation judiciaire, qui précise que les litiges relatifs aux intérêts patrimoniaux des époux doivent être portés devant le juge aux affaires familiales.

Cet article stipule :

« Le juge aux affaires familiales connaît des demandes en matière de divorce, de séparation de corps, de liquidation et de partage des intérêts patrimoniaux des époux, ainsi que des demandes relatives à l’autorité parentale. »

Dans le cas présent, bien que la demanderesse invoque les articles 815 et suivants du Code civil concernant l’indivision, ces dispositions ne déterminent pas la compétence matérielle du tribunal.

En effet, les règles de fond, bien qu’importantes pour le règlement des intérêts patrimoniaux, ne sont pas des règles de compétence.

Ainsi, le tribunal a jugé qu’il était matériellement incompétent pour traiter cette affaire, renvoyant la compétence au juge aux affaires familiales.

Quelles sont les conditions de l’article 815-17 du Code civil ?

L’article 815-17 du Code civil traite des droits des coïndivisaires dans le cadre d’une indivision. Cet article énonce :

« Tout coïndivisaire peut demander le partage de l’indivision. Toutefois, le partage ne peut être demandé avant l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de l’ouverture de l’indivision, sauf si tous les coïndivisaires en conviennent autrement. »

Cet article précise également que :

« Le partage peut être demandé en tout ou en partie, et il peut être effectué par voie de licitation ou d’adjudication. »

Dans le contexte de l’affaire, le tribunal a soulevé le défaut de réunion des conditions de cet article, ce qui signifie que les conditions nécessaires pour procéder à un partage n’étaient pas remplies.

Cela implique que la demanderesse ne pouvait pas exiger la liquidation et le partage de l’indivision sans respecter les dispositions prévues par cet article.

Quelles sont les implications de l’action oblique dans ce contexte ?

L’action oblique est régie par l’article 1341-1 du Code civil, qui stipule :

« Le créancier peut exercer, à la place de son débiteur, les droits que celui-ci a contre un tiers, lorsque ce droit est susceptible d’être exercé en vue de garantir le paiement de sa créance. »

Dans cette affaire, la demanderesse a tenté de justifier son action en invoquant l’action oblique, arguant qu’elle exerçait les droits du débiteur à l’égard de son ex-épouse.

Cependant, le tribunal a souligné que cette action oblique ne modifiait pas la compétence matérielle du tribunal.

En effet, même si la demanderesse agit en tant que créancier, le règlement des intérêts patrimoniaux des époux doit être traité par le juge aux affaires familiales, conformément à l’article L213-3 du Code de l’organisation judiciaire.

Ainsi, l’argument de l’action oblique n’a pas été jugé pertinent dans ce contexte, renforçant l’incompétence matérielle du tribunal.

Quels sont les droits des coïndivisaires en matière d’actualisation des créances ?

L’article 815-17 alinéa 3 du Code civil stipule :

« Chaque coïndivisaire a le droit d’actualiser l’état des créances pour exercer la faculté qui lui est ouverte. »

Cela signifie que chaque coïndivisaire peut demander une mise à jour des créances afin de s’assurer que ses droits sont respectés dans le cadre de l’indivision.

Dans le cadre de cette affaire, le tribunal a reconnu le droit du coïndivisaire à l’actualisation de l’état des créances, ce qui est essentiel pour garantir que chaque partie puisse faire valoir ses droits de manière équitable.

Cette actualisation est cruciale, surtout dans le cadre d’une liquidation, car elle permet de déterminer la valeur des parts de chaque coïndivisaire et d’assurer un partage juste et équitable des biens indivis.

Ainsi, le tribunal a ordonné la réouverture des débats pour permettre aux parties de répondre à cette question d’actualisation des créances.

MINUTE N° :
DOSSIER : N° RG 21/02410 – N° Portalis DB3J-W-B7F-FQIF

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE POITIERS

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU 19 Novembre 2024

DEMANDERESSE :

S.E.L.A.R.L. [S] [C] [11] immatriculée au RCS de POITIERS sous le n° [N° SIREN/SIRET 7],
dont le siège social est sis [Adresse 8]

Agissant ès qualité de liquidateur de Monsieur [O] [W] [J],
[Adresse 3] (86),
immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Poitiers sous le numéro 502 257 397.

représentée par Maître Nicolas DUFLOS de la SCP DUFLOS-CAMBOURG, avocats au barreau de POITIERS, substituée par Maître Audrey MOUNEAU-LALLEMAND

DEFENDERESSE :

Madame [Z] [B]
née le [Date naissance 4] 1977 à [Localité 9] (53)
demeurant [Adresse 6]

représentée par Maître Stéphanie DUBIN-SAUVETRE de la SELARL GASTON – DUBIN SAUVETRE – DE LA ROCCA, avocats au barreau de POITIERS,

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Carole BARRAL, Vice-présidente

Statuant par application des articles 812 à 816 du Code de Procédure Civile, avis préalablement donné aux avocats.

GREFFIER lors des débats : Thibault PAQUELIN
GREFFIER lors du délibéré : Sandrine ROY

Débats tenus à l’audience du 17 Septembre 2024.

FAITS et PROCÉDURE

Le 19.11.2003, [Z] [B] et [O] [J] ont acquis, en indivision à parts égales, un ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 12] (Vienne) et composé :
– d’un terrain à bâtir cadastré BI [Cadastre 1] sur lequel ils ont construit une maison d’habitation,
– de la moitié indivise d’une parcelle à usage d’accès cadastrée BI [Cadastre 2]
à l’effet de quoi ils ont souscrit un emprunt auprès du [10].

Le 26.6.2004, ils se sont mariés.

Le 14.11.2013, le tribunal de commerce de Poitiers a placé [O] [J] en liquidation judiciaire et désigné, en qualité de liquidateur, la selarl [11] prise en la personne de Maître [C].

Le 16.11.2020, le divorce des époux [J] a été prononcé avec effet, dans leurs rapports patrimoniaux, au 01.7.2014.

Le 22.10.2021, la selarl [11] es qualité a assigné [Z] [B] devant le tribunal judiciaire de Poitiers.

Le 17.4.2023, ce tribunal a soulevé d’office :
– l’incompétence matérielle du tribunal judiciaire au profit du juge aux affaires familiales,
– le défaut de réunion des conditions de l’article 815-17 du code civil,
– le caractère personnel à chaque créancier du droit de se payer par prélèvement sur l’actif,
– le droit du coïndivisaire à l’actualisation de l’état des créances pour exercer la faculté qui lui est ouverte à l’article 815-17 alinéa 3,
et ordonné la réouverture des débats par devant le juge de la mise en état pour permettre aux parties d’y répondre.

Le 21.3.2024, la clôture des débats a été prononcée et l’affaire inscrite à l’audience du 17.9.2024 puis le délibéré fixé par mise à disposition au greffe le 19.11.2024, date à laquelle le présent jugement est rendu.

PRÉTENTIONS, MOYENS et ARGUMENTS

La selarl [11] es qualité demande au tribunal, selon dernières conclusions du 16.02.2024, de la déclarer recevable et bien fondée puis :
– ordonner la liquidation et le partage de l’indivision existant entre la défenderesse et [O] [J] s’agissant de l’immeuble,
– en ordonner la vente sur licitation et/ou par adjudication à la barre du tribunal sur le cahier des charges rédigé par son avocat et mise à prix de 100 000 € avec, en l’absence d’enchères, faculté de baisse à 75.000 € puis à 50 000 €,
– désigner un juge commissaire pour surveiller les opérations de partage et faire rapport en cas de difficulté,
– ordonner l’emploi des dépens en frais privilégiés de liquidation et partage,
– débouter la défenderesse de toutes ses demandes fins et conclusions,
– la condamner à lui payer 1 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fonde son action sur les articles 815-17 et 1341-1 du code civil, 1271 à 1281 ainsi que 1359 et suivants du code de procédure civile.

[Z] [B] demande au tribunal, selon dernières conclusions du 07.3.2024 :
– de déclarer le juge aux affaires familiales compétent en l’espèce,
– de juger qu’elle s’oppose au partage partiel de l’indivision entre le défendeur et elle,
– de juger qu’elle entend exercer la faculté d’arrpêt du cours de l’actuion en partage en acquyittant l’obligation au nom et en l’acquis du débiteur,
– de déclarer mal fondée l’action entreprise sur le fondement de l’article 815-17 du code civil,
– de débouter la demanderesse de toutes ses demandes,
– d’homologuer le projet d’état liquidatif établi par Maître [L],
– lui attribuer la propriété de l’immeuble indivis,
– juger qu’elle devra verser à la demanderesse une soulte de 7 706,04 €,
– condamner la demanderesse à lui payer 3 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Pour l’exposé des moyens et arguments des parties, il est renvoyé à leurs conclusions en vertu de l’article 455 du code de procédure civile qui seront repris en synthèse au fil des motifs.

MOTIFS du jugement

La demanderesse développe longuement la compétence matérielle du tribunal, faisant valoir :
– que, s’agissant d’une indivision, ce sont les règles des articles 815 et suivants du code de procédure civile qui s’appliquent à l’espèce,
– qu’elle ne fait qu’exercer son action oblique,
– qu’il ne s’agit pas de procéder à la liquidation totale des intérêts “communs” mais seulement d’un bien indivis dans le cadre d’une procédure collective.

Aucune de ces assertions n’est contestée ni contestable mais, d’une part, les règles de fond ne sont pas des règles de compétence et en sont indépendantes.
L’applicabilité à l’espèce des articles 815 et suivants du code civil n’est donc pas déterminante de la compétence matérielle du tribunal, étant rappelé que ce texte fonde la plupart des règlements patrimoniaux des couples, séparés ou non.

Le moyen de l’action oblique n’est pas plus pertinent, au contraire puisque, précisément, la demanderesse exerce les droits et actions du débiteur à l’égard de son ex épouse. Or, le règlement de leurs intérêts patrimoniaux s’opère devant le juge aux affaires familiales en vertu de l’article L213-3 alinéas 2, 1° et 2°du code de l’organisation judiciaire qui ne distingue pas selon que la liquidation poursuivie l’est en sa totalité ou partiellement.

PAR CES MOTIFS

le tribunal,
statuant publiquement et par mise à disposition au greffe du jugement contradictoire et susceptible d’appel,

se déclare matériellement incompétent au profit du juge aux affaires familiales.

En foi de quoi, le président signe avec le greffier.
le greffier, le président,


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