Levée du secret professionnel et preuve des donations indirectes dans le cadre d’une succession complexe

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Levée du secret professionnel et preuve des donations indirectes dans le cadre d’une succession complexe

L’Essentiel : Monsieur [M] [B], héritier réservataire, a assigné la SCP [E] et Associés en raison de différends sur la succession de son père, Feu [W] [B], décédé le 7 septembre 2017. La succession, ouverte en Belgique, a vu [M] [B] hériter d’une moitié en nue-propriété, tandis que Madame [I] [T], veuve, a reçu la moitié en pleine propriété et l’usufruit. Le litige s’est intensifié autour de l’origine des fonds pour des biens immobiliers, notamment des terrains viticoles. Le juge des référés a ordonné la levée du secret professionnel, permettant à [M] [B] d’accéder aux documents nécessaires au litige.

Contexte de l’Affaire

Monsieur [M] [B], héritier réservataire, a assigné la SCP [E] et Associés devant le juge des référés du tribunal, suite à des différends concernant la succession de son père, Feu [W] [B]. Ce dernier, décédé le 7 septembre 2017, avait été marié en secondes noces à Madame [I] [T]. La succession a été déclarée ouverte en Belgique, où les règles de partage des biens sont appliquées.

Situation Familiale et Succession

Feu [W] [B] avait un fils unique, [M] [B], qui a hérité d’une moitié en nue-propriété de la succession. Madame [I] [T], en tant que veuve, a reçu la moitié en pleine propriété et la moitié en usufruit, malgré le régime de séparation de biens. Les deux filles de Madame [I] [T] issues de son précédent mariage ont également des droits sur la succession.

Litige Concernant les Biens Immobiliers

Le litige s’est intensifié lorsque [M] [B] a contesté l’origine des fonds ayant permis l’achat de divers biens immobiliers, notamment des terrains viticoles. Il a accusé le notaire [P] [K] de ne pas avoir enquêté sur les comptes bancaires de Feu [W] [B] pour établir si des donations indirectes avaient eu lieu, ce qui pourrait affecter sa part d’héritage.

Demande de Levée du Secret Professionnel

Le conseil de [M] [B] a demandé au notaire [R] [E] de fournir des copies des actes d’achat et de révéler l’origine des fonds utilisés pour ces acquisitions. Cependant, le notaire a refusé, invoquant le secret professionnel et la législation française qui l’empêche de divulguer des informations sans autorisation judiciaire.

Décision du Juge des Référés

Le juge des référés a décidé d’ordonner la levée du secret professionnel concernant les actes de propriété et les transactions immobilières. Il a également autorisé le notaire [R] [E] à délivrer les documents demandés à [M] [B], tout en condamnant ce dernier aux dépens et à verser une somme de 1500 euros à la SCP [E] pour couvrir les frais engagés.

Conclusion de la Décision

La décision a été rendue publique et est exécutoire à titre provisoire. Le juge a réservé tous les droits et moyens des parties, tout en ordonnant la communication des actes nécessaires au litige, ce qui pourrait avoir des implications significatives sur la répartition de la succession.

Q/R juridiques soulevées :

Quelle est la portée de la demande de levée du secret professionnel dans le cadre de la succession ?

La demande de levée du secret professionnel formulée par M [M] [B] s’inscrit dans le cadre des dispositions de l’article 834 du Code de Procédure Civile, qui stipule que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifient l’existence d’un différend.

Cet article précise que le juge peut intervenir pour protéger les droits des parties lorsque l’urgence le justifie.

En l’espèce, M [M] [B] justifie d’un intérêt légitime à obtenir la levée du secret professionnel concernant les actes de propriété et les transactions immobilières, car cela pourrait avoir un impact direct sur sa part d’héritage.

Il est donc fondamental de reconnaître que la levée du secret professionnel est une mesure qui peut être ordonnée lorsque l’intérêt du demandeur est avéré et que les actes en question sont pertinents pour la résolution du litige.

Quelles sont les conditions pour ordonner des mesures conservatoires en référé ?

Les conditions pour ordonner des mesures conservatoires en référé sont énoncées dans l’article 835 du Code de Procédure Civile. Cet article stipule que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection peuvent prescrire en référé des mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, même en présence d’une contestation sérieuse.

Ces mesures peuvent être ordonnées pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans le cas présent, la demande de M [M] [B] vise à obtenir des informations qui pourraient prouver l’existence de donations indirectes, ce qui pourrait affecter la réserve héréditaire.

Ainsi, la condition d’urgence et la nécessité de prévenir un dommage imminent sont remplies, justifiant l’intervention du juge en référé.

Comment se détermine la condamnation aux dépens selon le Code de Procédure Civile ?

La condamnation aux dépens est régie par l’article 696 du Code de Procédure Civile, qui dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, sauf si le juge décide autrement par une décision motivée.

Cet article souligne que le juge a la faculté de répartir les dépens entre les parties en fonction des circonstances de l’affaire.

Dans le cas présent, le juge a condamné M [M] [B] aux entiers dépens, ce qui signifie qu’il devra supporter l’ensemble des frais liés à la procédure, en raison de sa position de demandeur dans une affaire où il a été débouté.

Cette décision est conforme à l’équité, qui commande souvent de faire supporter les frais à la partie qui a succombé dans ses prétentions.

Quelles sont les implications de l’article 700 du Code de Procédure Civile dans cette affaire ?

L’article 700 du Code de Procédure Civile prévoit que le juge peut condamner la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante à payer à l’autre partie une somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Cet article permet ainsi de compenser les frais engagés par la partie qui a dû défendre ses droits dans le cadre d’une procédure judiciaire.

Dans cette affaire, le juge a condamné M [M] [B] à verser une somme de 1500 euros à la SCP [E] au titre de l’article 700, ce qui reflète une prise en compte des frais exposés par la partie adverse pour se défendre.

Cette décision est également fondée sur des considérations d’équité et de situation économique de la partie condamnée, ce qui est essentiel dans l’application de cet article.

TRIBUNAL JUDICIAIRE D’AVIGNON
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ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

DU 25 NOVEMBRE 2024
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N° du dossier : N° RG 24/00463 – N° Portalis DB3F-W-B7I-JZIG

Minute : n° 24/541

PRÉSIDENT : Jean-Philippe LEJEUNE

GREFFIER : Béatrice OGIER

DEMANDEUR

Monsieur [M] [B]
né le 14 Mai 1972 à [Localité 8] (BELGIQUE)
[Adresse 22]
[Localité 5]
[Localité 5] (BELGIQUE)
représenté par Me Marc GEIGER, avocat postulant au barreau de CARPENTRAS

DÉFENDEUR

S.C.P. [E] et associés prise en la personne de son représentant légal en exercice
[Adresse 1],
[Localité 2]
représentée par Me Véronique CHIARINI, avocat au barreau de NIMES

DÉBATS :

Après avoir entendu à l’audience du 04 Novembre 2024 les parties comparantes ou leurs conseils, le président les a informés que l’affaire était mise en délibéré et que l’ordonnance serait rendue ce jour, par mise à disposition au greffe.

Le :25/11/2024
exécutoire & expédition
à :Me GEIGER-Me CHIARINI

EXPOSÉ DU LITIGE

Vu l’assignation délivrée le 28 août 2024 par monsieur [M] [B] à l’encontre de la SCP [E] et Associés devant le juge des référés du tribunal de céans, à laquelle référence sera faite pour plus ample exposé des moyens et prétentions ultimes du demandeur conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile,

Vu les conclusions responsives déposées lors de l’audience du 4 novembre 2024 auxquelles référence sera faite pour plus ample exposé des moyens et prétentions ultimes de la SCP [E] conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de Procédure Civile,

Faits et prétentions des parties,

[M] [B], employé d’une société de pompes funèbres, Registre National
belge n° 72.05.14-099.58, de nationalité belge, ne le 14 mai 1972, domicilié [Localité 5], [Adresse 23], BELGIQUE, est le fils unique et l’héritier réservataire de:

-Feu son père, [W] [B], entrepreneur en travaux publics, de nationalité belge, époux en secondes noces de Madame [I] [T], né à [Localité 17], section [Localité 14], BELGIQUE, le 04 mars 1942, en son vivant retraité.
-Feu [W] [B] s’était marié à [Localité 17], BELGIQUE, le 15 mars 2008, sous le régime de la séparation de biens pure et simple défini par les articles 1536 et suivants du Code civil belge, aux termes du contrat de mariage reçu par Maître [O] [J], notaire à [Localité 19], section [Localité 16], le 27 février 2008, avec Madame [I] [T] mieux identifiée ci-après ;

Feu [W] [B] était divorce en premières noces de Madame [U]
[D] ;

-Feu [W] [B] était domicilié en son vivant à [Localité 17], section [Localité 14], BELGIQUE, [Adresse 28] et était de nationalité belge, de sorte que sa succession a été déclarée ouverte en Belgique.

Feu [W] [B] est décédé à [Localité 10], section [Localité 18], BELGIQUE, [Adresse 24], le 07 septembre 2017, à l’hôpital [12] ;

Feu [W] [B] était marié en secondes noces avec Madame [I]
[T], née à [Localité 19], section [Localité 16], cette dernière en troisièmes noces, ayant été auparavant mariée, en deuxièmes noces.

En effet, [I] [T] est divorcée [X] en premières noces, est divorcée
[N] en deuxièmes noces et est veuve [B] en troisièmes noces ;
De son deuxième mariage, sont issues deux filles :

-[A] [N], Registre national belge 74.04.26-414.97, née le 26 avril 1974 et qui est domiciliée à [Localité 4], section HERCHIES, [Adresse 26], BELGIQUE ;
-[G] [N], Registre national belge 77.07.01-394.78, née le 01 juillet
1977, domiciliée à [Localité 4], section [Localité 13], [Adresse 11],
[Adresse 11], Belgique ;

La succession de Feu [W] [B] se répartit donc comme suit, en droit belge :
– [M] [B], fils unique et héritier réservataire, reçoit une moitié en nue-
propriété ;
– [I] [T], veuve et bénéficiant d’un testament, nonobstant le régime matrimonial de la séparation des biens pure et simple, reçoit la moitié en pleine propriété et la moitié en usufruit ;

Dans son arrêt n° 2022/TF/527 du 04 décembre 2023, la Cour d’appel de MONS, Chambre 34, a décidé en substance, concernant le présent litige, a jugé par des attendus décisoires à la page 27:
“Il (lire [M] [B]) reproche ou notaire [P] [K] de refuser d’investiguer et d’analyser les comptes bancaires belges et [S] de Feu [W] [B] pour constater l’origine des fonds qui ont permis l’achat des terrains viticoles de [Localité 20].

Le notaire rappelle, à juste titre, que la charge de la preuve de l’existence d’éventuelles donations indirectes incombe à [M] [B] et qu’il ne lui appartient pas (au notaire [P] [K]) de se substituer aux parties pour effectuer des recherches” ;

ll apparaît du relevé des formalités publiées, relevé obtenu par le notaire [L]
LETURGIE à la résidence de [Localité 9], NORD, FRANCE, que [I] [T] et ses deux filles [A] [N] et [G] [N] sont devenues propriétaires de divers biens à [Localité 21], VAUCLUSE (une villa et un terrain), et à [Localité 20], VAUCLUSE (trois terrains viticoles ).

ll apparaît que les actes ont été reçus par le notaire [R] [E], à la résidence de [Localité 2], [Adresse 3].

Par lettre recommandée du 03janvier 2024, le conseil belge d'[M] [B], à savoir Maître [Y] [F], avocat à [Localité 7], [Localité 15] BELGIQUE [Adresse 27], a sollicité du notaire [R] [E] copie des actes passés en son étude et surtout dévoiler l’origine des fonds ayant financé les achats (qui seraient des donations indirectes déguisées de nature à impacter la réserve de moitié du fils unique [M] [B]), c’est-à-dire des comptes bancaires belges et/ou français qui ont alimenté la comptabilité de l’étude [E] pour l’acquisition de la villa et du terrain de [Localité 21] et des trois terrains viticoles de [Localité 20].

ll a d’ailleurs été suggéré au notaire [R] [E] de communiquer les informations, sous le secret professionnel, à son confrère, Maître [P] [K], notaire à la résidence de [Localité 6], [Localité 15], BELGIQUE, [Adresse 25], charge de la liquidation et du partage de la succession de Feu [W] [B], mandaté pour ce par la Justice belge.

Le notaire [R] [E] a répondu le 04 mars 2024 dans un courrier affranchi le 15 mars 2024 et reçu fin mars 2024 qu’il ne lui est pas possible de communiquer les relevés de comptes relatifs aux acquisitions faites par des tiers en raison du nouveau règlement du notariat français pris par Arrêté ministériel du 29 janvier 2024.

“ Le notaire n’est tenu de témoigner dans un litige ou une instance judiciaire concernant /’un de ses clients ou un dossier suivi par son Office que dans les cas prévus par la loi.
ll ne peut donner communication des actes déposés en son étude qu’aux seules parties, à leurs héritiers, ayants-droits, mandataires conventionnés ou toute personne autorisée par la loi ou par décision judiciaire, sous réserve qu’il justifie devant lui de leurs identité et qualité”.

Le notaire [E] conclut que seule une décision judiciaire française l’autoriserait à produire les documents demandés, c’est-à-dire les actes d’achat et la comptabilité des actes d’achats pour identifier l’origine des fonds.

M [M] [B] demande au juge des référés de :
-ORDONNER la levée du secret professionnel de Maître [E] s’agissant des
actes ci-après visés ;
-AUTORISER et, au besoin enjoindre le notaire Maître [R] [E] à délivrer à Monsieur [M] [B] une expédition des actes de propriété, des actes de transactions immobilières concernant les biens de [Localité 21] et les biens de [Localité 20] aux noms de [W] [B] et/ou de [I] [T] et/ou de [A] [N] et/ou de [G] [N]
-JUGER les frais et dépens comme de droit.

La SCP [E] demande au juge des référés :

-Prendre acte de ce que la SCP [E] s’en rapporte à justice sur la demande de lever le secret professionnel, et exécutera la décision sur justificatif de son caractère définitif ou exécutoire,

-Condamner le demandeur à payer à la SCP [E] la somme de 1 500 € par application de l’article 700 du Code de Procédure Civile,

-Condamner la partie demanderesse aux dépens,

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de levée du secret professionnel ;

L’article 834 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifient l’existence d’un différend.

L’article 835 du même code dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent toujours même en présence d’une contestation sérieuse prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans le cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

En l’espèce, le demandeur M [M] [B] justifie d’un intérêt à solliciter la levée du secret professionnel des actes instruits par maître [E] et notamment les actes de propriété, des actes de transactions immobilières concernant les biens de [Localité 21] et les biens de [Localité 20] aux noms de [W] [B] et/ou de [I] [T] et/ou de [A] [N] et/ou de [G] [N].

Il convient donc de faire droit à la demande de M [B] et d’autoriser maître [E] à produire les actes nécessaires au litige en constatant que le notaire instrumentaire ne s’oppose pas à cette demande.

Sur les demandes accessoires ;

Aux termes de l’article 696 du Code de Procédure Civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.

Aux termes de l’article 700 du Code de Procédure Civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou à défaut la partie perdante à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Celui-ci tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée,
Il peut même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.

L’équité commande de condamner M [M] [B] aux entiers dépens et au paiement d’une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS

Nous, Juge des référés, statuant publiquement, par décision contradictoire, mise à disposition au greffe, exécutoire à titre provisoire et en premier ressort,

Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ; cependant, dès à présent, vu l’article 145 du code de procédure civile,

Tous droits et moyens des parties étant réservés,

Ordonnons la levée du secret professionnel de maître [E] relativement aux actes de propriété, aux transactions immobilières concernant les biens de [Localité 21] et les biens de [Localité 20] aux noms de [W] [B] et/ou de [I] [T] et/ou de [A] [N] et/ou de [G] [N],

Autorisons Maître [R] [E] à délivrer à M [M] [B] une expédition de ces actes,

Condamnons M [M] [B] aux entiers dépens ;

Condamnons M [M] [B] à payer à la SCP [E] une somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

La présente décision a été signée par le Président et le Greffier.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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