Évaluation des préjudices liés à une maladie professionnelle et contestation des expertises médicales.

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Évaluation des préjudices liés à une maladie professionnelle et contestation des expertises médicales.

L’Essentiel : Mme [I], ouvrière de fabrication de sandwichs depuis 2011, a déclaré deux maladies professionnelles en avril 2017, entraînant une incapacité permanente partielle. Contestant les taux d’IPP initialement fixés, elle a obtenu une réévaluation favorable en 2021. En mai 2018, elle a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, qui a été acceptée en 2020. Malgré un jugement en mars 2022 fixant des indemnités, Mme [I] a interjeté appel, contestant les montants alloués. La cour a confirmé les décisions initiales tout en ordonnant un complément d’expertise pour évaluer son préjudice fonctionnel permanent.

Engagement et Déclarations de Maladie

Mme [I] a été engagée par la société [13] en tant qu’ouvrière de fabrication de sandwichs depuis le 7 novembre 2011. Le 13 avril, elle a déclaré deux maladies professionnelles liées à une tendinopathie chronique des épaules, qui ont été prises en charge par la [8].

Évaluation de l’Incapacité et Contestation

L’état de santé de Mme [I] a été consolidé au 31 juillet 2017, avec un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 12% pour l’épaule droite et de 8% pour l’épaule gauche. Elle a contesté ces taux, et le tribunal du contentieux de l’incapacité a finalement fixé l’IPP à 20% pour l’épaule droite et 18% pour l’épaule gauche par un jugement du 28 octobre 2021.

Reconnaissance de la Faute Inexcusable

Le 29 mai 2018, Mme [I] a demandé la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, et après un protocole d’accord signé le 16 novembre 2020, la faute inexcusable a été reconnue. Un expert, le docteur [H], a été désigné pour évaluer les préjudices liés aux maladies professionnelles.

Jugement et Indemnisation

Le tribunal a rendu un jugement le 28 mars 2022, fixant divers préjudices à des montants spécifiques, tout en déboutant Mme [I] de ses demandes concernant le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel. La [10] a été chargée de verser les indemnités, déduction faite d’une provision antérieure.

Appel de Mme [I]

Mme [I] a interjeté appel le 2 mai 2022, demandant la désignation d’un nouvel expert pour évaluer ses préjudices, tout en contestant les montants alloués pour divers postes de préjudice, notamment l’assistance par tierce personne, les souffrances physiques et morales, ainsi que les préjudices d’agrément et sexuel.

Réponse de la Société [13]

La société [13] a demandé la confirmation du jugement initial, arguant que les évaluations faites par l’expert étaient justes et que les demandes de Mme [I] étaient infondées. Elle a également demandé le déboutement de la demande de nouvelle expertise.

Évaluation des Préjudices

La cour a examiné les demandes de Mme [I] concernant l’assistance à tierce personne, les souffrances physiques et morales, le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel. Elle a confirmé les montants alloués par le tribunal initial, considérant que les évaluations de l’expert étaient appropriées et bien fondées.

Décision Finale

La cour a confirmé le jugement en ce qui concerne les indemnités allouées, tout en ordonnant un complément d’expertise pour évaluer le préjudice fonctionnel permanent de Mme [I]. Les frais de cette expertise seront avancés par la [9], qui pourra récupérer les montants auprès de l’employeur.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les conditions de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur ?

La faute inexcusable de l’employeur est définie par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, qui stipule que l’employeur est responsable des accidents du travail et des maladies professionnelles survenus à ses salariés, sauf s’il prouve qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir ces risques.

Pour qu’une faute inexcusable soit reconnue, il faut établir que l’employeur avait connaissance du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en protéger.

L’article L. 452-1 précise également que la reconnaissance de la faute inexcusable ouvre droit à une indemnisation complémentaire pour la victime, en plus des prestations versées par la sécurité sociale.

Ainsi, la reconnaissance de la faute inexcusable repose sur la démonstration d’une négligence grave de l’employeur dans l’application des mesures de sécurité, ce qui a conduit à la survenance de la maladie professionnelle.

Comment se déroule la procédure d’expertise médicale dans le cadre d’une contestation d’indemnisation ?

La procédure d’expertise médicale est régie par les articles 232 et suivants du Code de procédure civile. L’article 232 stipule que le juge peut ordonner une expertise lorsqu’il estime qu’il est nécessaire d’obtenir des éclaircissements sur des points techniques ou scientifiques.

Dans le cadre d’une contestation d’indemnisation, la partie qui demande une expertise doit en faire la demande au juge, en précisant les points sur lesquels elle souhaite que l’expert se prononce.

L’expert doit ensuite examiner la victime, recueillir ses doléances, et prendre connaissance de l’ensemble des éléments médicaux fournis par les parties.

L’article 233 précise que l’expert doit rédiger un rapport dans lequel il doit répondre aux questions posées par le juge et les parties. Ce rapport doit être communiqué aux parties, qui peuvent formuler des observations.

Enfin, l’article 234 indique que le juge peut ordonner une nouvelle expertise si les conclusions de l’expert sont jugées insuffisantes ou contestées de manière sérieuse.

Quels sont les critères d’évaluation des préjudices corporels en cas de maladie professionnelle ?

L’évaluation des préjudices corporels est encadrée par le Code civil, notamment par l’article 1382 qui impose à celui qui cause un dommage de le réparer.

Les préjudices peuvent être classés en plusieurs catégories, notamment :

1. **Déficit fonctionnel temporaire** : Il s’agit de l’incapacité à exercer ses activités habituelles pendant une période déterminée. L’évaluation se fait en tenant compte de la durée et de l’intensité de l’incapacité.

2. **Déficit fonctionnel permanent** : Ce préjudice est évalué en fonction de l’impact durable sur la qualité de vie de la victime. L’article 1er de la loi du 5 juillet 1985 précise que l’indemnisation doit tenir compte de la perte de qualité de vie.

3. **Souffrances physiques et morales** : L’évaluation de ce préjudice se fait souvent sur une échelle de 1 à 7, comme l’indique le rapport d’expertise.

4. **Préjudice d’agrément** : Il s’agit de l’impossibilité de pratiquer des activités de loisirs ou sportives. Ce préjudice doit être prouvé par des éléments concrets.

5. **Préjudice sexuel** : Ce préjudice est évalué en fonction de l’impact sur la vie intime de la victime, et doit être objectivement établi.

L’indemnisation doit être intégrale et tenir compte de l’ensemble des préjudices subis par la victime, conformément à l’article 29 de la loi du 5 juillet 1985.

Quelles sont les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable sur l’indemnisation des préjudices ?

La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur a des conséquences significatives sur l’indemnisation des préjudices subis par la victime.

Selon l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque la faute inexcusable est reconnue, la victime a droit à une indemnisation complémentaire qui s’ajoute aux prestations versées par la sécurité sociale.

Cette indemnisation complémentaire peut couvrir :

1. **Les frais médicaux** : Tous les frais liés à la santé de la victime, y compris les soins, les médicaments et les éventuelles interventions chirurgicales.

2. **Les pertes de revenus** : La victime peut demander une compensation pour les pertes de salaire dues à son incapacité de travail.

3. **Les préjudices moraux et physiques** : La victime peut obtenir une indemnisation pour les souffrances endurées, ainsi que pour la perte de qualité de vie.

4. **Les préjudices d’agrément et sexuels** : Ces préjudices peuvent également être indemnisés, à condition qu’ils soient prouvés.

En somme, la reconnaissance de la faute inexcusable permet à la victime d’accéder à une indemnisation plus complète et plus juste, en tenant compte de l’ensemble des préjudices subis.

AFFAIRE : CONTENTIEUX PROTECTION SOCIALE

DOUBLE RAPPORTEUR

RG : N° RG 22/03142 – N° Portalis DBVX-V-B7G-OISG

[I]

C/

S.A.S. [13]

[11]

APPEL D’UNE DÉCISION DU :

Pole social du TJ de [Localité 7]

du 28 Mars 2022

RG : 19/00114

AU NOM DU PEUPLE FRAN’AIS

COUR D’APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE D

PROTECTION SOCIALE

ARRÊT DU 19 NOVEMBRE 2024

APPELANTE :

[T] [I]

née le 20 Février 1964 à

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Delphine LE GOFF de la SELARL SOCIETE D’AVOCATS VICARI LE GOFF, avocat au barreau d’AIN

INTIMÉES :

S.A.S. [13] exerçant sous l’enseigne [5]

[Adresse 14]

[Adresse 15]

[Localité 6]

représentée par Me Sébastien ARDILLIER de FIDUCIAL LEGAL BY LAMY, avocat au barreau de LYON, subsittué Me Amina MOKDADI, avocat au barreau de LYON.

[11]

[Adresse 3]

[Adresse 12]

[Localité 1]

représenté par Mme [O] [L] (Membre de l’entrep.) en vertu d’un pouvoir général

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 22 Octobre 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente et Nabila BOUCHENTOUF, Conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Christophe GARNAUD, Greffier placé.

COMPOSITION DE LA COUR:

Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate

Anne BRUNNER,Conseillère

Nabila BOUCHENTOUF, Conseillère

Assistées pendant les débats de Christophe GARNAUD, Greffier placé

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 19 Novembre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*************

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

Mme [I] (la salariée, la victime) a été engagée par la société [13] en qualité d’ouvrière de fabrication sandwichs à compter du 7 novembre 2011.

Le 13 avril, elle a souscrit deux déclarations de maladie professionnelle relatives à une tendinopathie chronique de la coiffe des rotateurs de l’épaule droite et de l’épaule gauche.

La [8] (la [10]) a pris en charge ces deux maladies au titre de la législation professionnelle.

L’état de santé de la victime a été déclarée consolidé au 31 juillet 2017 avec attribution d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) de 12% au titre de sa pathologie de l’épaule droite au vu des séquelles suivantes : « limitation douloureuse légère de plusieurs mouvements de l’épaule droite chez une droitière », et de 8% au titre de sa pathologie de l’épaule gauche au vu des séquelles suivantes : « limitation douloureuse légère de plusieurs mouvements de l’épaule gauche chez un droitière ».

Mme [I] a contesté ses taux d’IPP auprès de la [10], puis du tribunal du contentieux de l’incapacité qui a ramené le taux à 18% pour l’épaule gauche et à 20% pour l’épaule droite, par jugement du 28 octobre 2021.

Le 29 mai 2018, Mme [I] a saisi la [10] aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur et, en l’absence d’accord, a saisi le pôle social du tribunal judiciaire, le 18 février 2019.

Le 16 novembre 2020, un protocole d’accord a été conclu entre la salariée et son employeur en présence de la [10].

Aux termes de celui-ci, les parties se sont accordées sur la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, ses conséquences et la désignation du docteur [H] en tant qu’expert aux fins de déterminer et quantifier les préjudices directement consécutifs aux deux maladies professionnelles déclarées.

Le docteur [H] a rendu son rapport le 21 avril 2021.

Par jugement du 28 mars 2022, le tribunal :

– fixe le préjudice subi par Mme [I] au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme de 2 844 euros,

– fixe le préjudice subi par Mme [I] au titre de l’assistance par tierce personne temporaire à la somme de 1 224 euros,

– fixe le préjudice subi par Mme [I] au titre des souffrances physiques et morales endurées à la somme de 4 000 euros,

– déboute Mme [I] de ses demandes au titre du préjudice d’agrément et du préjudice sexuel,

– dit que la [10] s’acquittera des sommes allouées à Mme [I] en réparation de son préjudice complémentaire, déduction faite de la provision de 2 500 euros versée en exécution du protocole d’accord du 16 novembre 2020,

– dit que la [10] pourra recouvrer les montants de l’indemnisation des préjudices complémentaires à Mme [I] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamne la société [13] au paiement des dépens de l’instance.

Par déclaration enregistrée le 2 mai 2022, Mme [I] a relevé appel de cette décision.

Dans le dernier état de ses conclusions reçues à la cour le 17 octobre 2024 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débats, elle demande à la cour de :

A titre principal,

– ordonner avant dire droit la désignation d’un nouvel expert judiciaire aux fins de réalisation de l’expertise médicale, avec pour mission de :

* procéder à une expertise médicale contradictoire sur sa personne afin de déterminer les conséquences médicales de ses maladies professionnelles du 13 avril 2016,

* convoquer l’ensemble des parties en la cause,

* effectuer à son examen clinique et recueillir ses doléances,

* prendre connaissance de l’ensemble des éléments médicaux fournis par les parties,

* décrire les lésions consécutives aux maladies professionnelles en cause,

* décrire les lésions dont elle reste atteinte,

* déterminer et quantifier les préjudices directement consécutifs aux maladies professionnelles du 13 avril 2016, en se limitant aux préjudices suivants :

* déterminer l’existence et l’étendue des souffrances physiques et morales endurées (sur une échelle de 1 à 7),

* déterminer l’existence de préjudices esthétiques temporaire et définitif, et les quantifier,

* déterminer l’existence d’un préjudice d’agrément constitué par l’empêchement partiel ou total de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisir,

* déterminer l’existence d’un préjudice sexuel,

* déterminer l’existence de déficits fonctionnels permanents qu’elle a subi après la date de consolidation,

* indiquer si elle subit une perte ou une diminution de ses possibilités de promotion professionnelle et, dans l’affirmative, donner son avis sur l’étendue de ce préjudice,

* indiquer si avant la date de consolidation de son état de santé, elle s’est trouvée atteinte d’un déficit fonctionnel temporaire notamment constitué par une incapacité fonctionnelle totale ou partielle, par le temps d’hospitalisation et par les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante, et dans l’affirmative en faire la description et en quantifier l’importance,

* indiquer si la présence ou l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne a été nécessaire auprès de la victime durant la période antérieure à la consolidation de son état de santé et, dans l’affirmative, en préciser les conditions d’intervention notamment en termes de spécialisation technique, de durée et de fréquence des interventions,

* indiquer si son état nécessite des aménagements de son logement et/ou de son véhicule à son handicap ; et dans l’affirmative les déterminer,

– rédiger au terme de ses opérations un pré-rapport qu’il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d’un mois,

– répondre de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, puis transmettre aux parties un rapport définitif,

A titre subsidiaire,

– dire et juger que les sommes allouées ne couvrent pas l’intégralité des préjudices subis,

En conséquence,

– lui allouer les sommes suivantes :

* déficit fonctionnel temporaire partiel : 2 844 euros,

* assistance à tierce personne : 8 532 euros,

* souffrances physiques et morales endurées : 8 000 euros,

* préjudice d’agrément : 10 000 euros,

* préjudice sexuel : 5 000 euros,

– ordonner un complément d’expertise pour un nouvel expert judiciaire en demandant d’évaluer les déficits fonctionnels permanents qu’elle a subis après la date de consolidation,

En tout état de cause,

– dire et juger que la [10] est tenue de lui verser les indemnisations fixées par la cour au titre des préjudices subis, qu’ils soient expressément visés ou non expressément par le livre IV du code de la sécurité sociale, à charge pour elle d’en récupérer le montant auprès de l’employeur,

– dire et juger que les majorations des rentes suivront l’augmentation des taux résultant de l’aggravation de ses séquelles,

– ordonner l’exécution provisoire,

– condamner la société [13] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 22 avril 2024, reçues à la cour le 11 octobre 2024 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débat, la société [13] (la société, l’employeur) demande à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il :

* rejette les demandes d’indemnisation formulées au titre du préjudice d’agrément et du préjudice sexuel,

* réduit la demande d’indemnisation au titre de l’assistance à tierce personne à la somme de 1 224 euros,

* fixe l’indemnisation du préjudice subi par Mme [I] au titre du déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme de 2 844 euros,

* réduit la demande d’indemnisation du préjudice subi par Mme [I] au titre des souffrances physiques et morales endurées à la somme de 4 000 euros,

* tenu compte de la provision de 2 500 euros qu’elle a réalisée en exécution du protocole d’accord du 16 novembre 2020,

– débouter Mme [I] de sa demande au titre de la désignation d’un nouvel expert,

– débouter Mme [I] de sa demande relative au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– constater que la somme de 2 844 euros sollicitée au titre du déficit temporaire partiel n’a fait l’objet d’aucune opposition en première instance et lui a été versée par la société,

– condamner Mme [I] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écritures reçues au greffe le 5 août 2024 et reprises à l’audience sans ajout ni retrait au cours des débat, la [10] demande à la cour de :

– lui donner acte qu’elle s’en remet sur l’appréciation de la faute inexcusable de l’employeur,

– prendre acte de ce qu’elle fera l’avance des sommes allouées à la victime au titre de l’indemnisation des préjudices,

– dire et juger qu’elle procédera au recouvrement de l’intégralité des sommes dont elle sera amenée à faire l’avance auprès de l’employeur, y compris des frais d’expertise.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions susvisées.

MOTIFS DE LA DECISION

SUR LA DEMANDE DE NOUVELLE EXPERTISE

Mme [I] conteste les conclusions de l’expertise du docteur [H] et sollicite une nouvelle expertise pour les raisons suivantes :

– au titre de l’assistance tierce personne, elle expose que l’aide retenue par l’expert est insuffisante puisqu’il la limite à hauteur d’une heure par semaine, sur 68 semaines, soit 8,57 minutes par jour ;

– au titre des souffrances physiques et morales endurées, elle considère que le docteur [H] a minimisé ses souffrances ;

– au titre du préjudice d’agrément, elle estime que l’expert ayant répondu « non » à ses déclarations, ses conclusions sont inattendues et inexpliquées,

– sur le préjudice sexuel, elle soutient qu’elle s’est vue prescrire pendant plusieurs mois des antalgiques et antidépresseurs puissants affectant nécessairement sa libido et qu’elle constate une contradiction évidente puisque son mari a obtenu une indemnisation au titre de son préjudice sexuel ;

– au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel, elle estime qu’il est inconcevable qu’à compter du 1er août 2017, elle ne puisse plus subir un tel déficit alors que, le jour précédent, le docteur [H] a retenu un DFTP hauteur de 25% ;

– au titre du déficit fonctionnel permanent, elle souligne que la mission confiée à l’expert ne prévoyait pas l’évaluation du déficit fonctionnel permanent puisqu’il était à cette date de droit constant que ce poste de préjudice était indemnisé par la rente servie par la [10].

En réponse, la société prétend que l’expertise du docteur [H] est claire, précise et dépourvue d’ambiguïté et qu’elle est en accord avec les conclusions du docteur [N].

Elle s’en remet en revanche à la décision de la cour concernant la demande d’expertise complémentaire au titre des déficits fonctionnels permanents.

Il est constant que le prononcé d’une nouvelle expertise n’est pas de droit et est soumise à l’appréciation du juge.

Ici, la victime se contente de critiquer les conclusions d’expertise du docteur [H], lequel a disposé de tous les éléments propres à lui permettre d’évaluer utilement l’état de santé de Mme [I] en suite des maladies professionnelles déclarées, sans qu’aucun grief sérieux ne soit opposé à son encontre et sans que l’examen de ces critiques par la cour ne nécessite le prononcé d’une nouvelle mesure d’instruction.

Les conclusions de l’expert sont suffisamment claires, précises et non équivoques pour que la demande de prononcé d’une nouvelle expertise soit rejetée, sauf à faire droit à la demande de complément d’expertise relativement à l’évaluation du déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement.

SUR LA LIQUIDATION DES PREJUDICES

La cour observe liminairement que le jugement n’est pas remis en cause en ses dispositions relatives à l’évaluation du déficit fonctionnel temporaire de la victime.

Pour le surplus, Mme [I] prétend que ses préjudices ont été sous-évalués.

En réponse, la société considère que le tribunal en a fait une juste appréciation.

Au terme de son rapport d’expertise, le docteur [H] conclut en ces termes :

« Souffrances physiques et morales : 2,5/7,

Préjudice esthétique temporaire : Non,

Préjudice esthétique définitif : Non,

Préjudice d’agrément : pêche : non, s’occuper de ses petits-enfants : non ; limitation pour pétanque Bowling : oui occasionnel, porter son petit-fils limitation (et non interdiction) : oui,

Préjudice sexuel : Non,

Déficit fonctionnel temporaire total : Non,

Déficit fonctionnel temporaire partiel : classe II (25%) 13/04/2016 au 31/07/2017,

Assistance tierce personne avant consolidation : 1 heure par semaine du 13/04/2016 au 31/07/2017,

Préjudice lié à l’aménagement du véhicule et/ou de son logement : non ».

Il convient de liquider le préjudice de Mme [I] sur la base de ces conclusions en tenant compte des observations formulées par les parties.

Sur l’assistance à tierce personne avant consolidation

Ce poste de préjudice correspond à la situation de la personne qui apporte de l’aide à la victime incapable d’accomplir seule certains actes essentiels de la vie courante, tels que l’autonomie pour se déplacer, se coucher, se laver, s’alimenter. L’indemnisation de ce poste de préjudice ne saurait être réduite en cas d’assistance familiale.

Au cas present, Mme [I] sollicite une indemnisation de ce poste de préjudice, sur la période du 13 avril 2016 au 31 juillet 2017, à hauteur de 1 heure par jour et demande que le taux horaire soit fixé à 18 euros, portant ainsi son indemnisation à la somme de 8 532 euros.

L’employeur réplique que ce montant est en inadéquation avec l’expertise réalisée par le docteur [H] et qu’en dehors des attestations produites, aucune preuve n’est rapportée par la victime de la réalité et du contenu de cette assistance.

Dans son rapport, l’expert [H] retient une capacité de Mme [I] à s’habiller et se déshabiller sans souffrance ni limitation apparente. Et les attestations produites par la victime, outre le fait que leur objectivité est relative, ne permettent pas de remettre sérieusement en cause le nombre d’heures retenues au terme de l’analyse médicale claire et circonstanciée de l’expert.

La réévaluation du taux d’incapacité permanente partielle dont se prévaut Mme [I] n’est pas davantage susceptible de le remettre en cause, étant observé que le taux réévalué est inopposable à l’employeur dès lors qu’il n’a pas été partie à l’instance ensuite de laquelle il a été statué sur ce point.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a évalué ce poste de préjudice à la somme de 1 224 euros.

Sur les souffrances physiques et morales endurées

Mme [I] considère que son indemnisation doit à ce titre être fixée à la somme de 8 000 euros compte tenu des douleurs ressenties sur chacune de ses deux épaules.

La société répond que le tribunal s’est fié au compte rendu clair et circonstancié de l’expert [H] et qu’il a également tenu compte du barème proposé par le référentiel indicatif de l’indemnisation du préjudice corporel.

Compte tenu de l’évaluation réalisée par l’expert qui a coté ce poste de préjudice à 2,5/7 pour les deux épaules, et eu égard aux pièces produites, la cour confirme l’indemnité fixée par le premier juge à hauteur de 4 000 euros.

Sur le préjudice d’agrément

Le préjudice d’agrément est caractérisé par l’impossibilité totale ou partielle de pratiquer une activité spécifique sportive ou de loisirs. Ce préjudice s’analyse in concreto au regard de l’impossibilité de s’adonner à des activités sportives, de culture ou de loisir régulières

Ici, Mme [I] sollicite une indemnisation de 10 000 euros de ce chef considérant que, son niveau de handicap global portant sur les deux épaules, cela justifie le fait de ne pas pouvoir pratiquer ses activités de loisir.

La société rétorque qu’aucun préjudice n’est établi conformément à l’expertise du docteur [H].

Mme [I], qui critique l’expertise en ce qu’elle ne retient aucun préjudice d’agrément au titre de ses sorties à la pêche, au zoo et au musée, ne produit aucun justificatif pour attester d’une pratique régulière de ces activités ou de ses limitations (dans quelle mesure, selon quelle fréquence ‘) à les pratiquer.

S’agissant en particulier de l’activité de pétanque alléguée, Mme [S], belle-fille de la victime, atteste de « parties de pétanque entre filles » sans que Mme [I] n’apporte de précisions sur la fréquence de cette activité, sauf à dire qu’elle la pratiquait « occasionnellement avec les enfants ou des amis ». Il ne s’agit donc pas d’une pratique régulière et il en va de même de l’activité bowling, l’expert ayant retenu une limitation de cette pratique que Mme [I] a indiqué pratiquer, là également, occasionnellement.

Concernant enfin la prise en charge des petits-enfants, elle ne relève pas du préjudice d’agrément mais de la perte de la qualité de vie d’ores et déjà indemnisée.

Ainsi, dès lors que Mme [I] ne justifie pas de la pratique de sports ou d’activités de loisirs particuliers, sa demande à ce titre sera, par confirmation du jugement, rejetée.

Sur le préjudice sexuel

Ce préjudice comporte trois postes, à savoir le préjudice morphologique, la perte du plaisir sexuel et l’impossibilité ou la difficulté de procréer.

Sur ce point, Mme [I] expose que sa libido a disparu, notamment parce qu’elle s’est vue prescrire pendant plusieurs mois des antalgiques et antidépresseurs puissants qui l’ont altérée. Elle prétend par ailleurs relever une contradiction dans l’analyse de l’expert qui a retenu ce poste de préjudice pour son époux et non pour elle, alors que l’indemnisation de son mari à ce titre résulte de ses deux maladies professionnelles Elle sollicite l’indemnisation de ce poste de préjudice à hauteur de 5 000 euros.

Or, la cour observe, avec la société, que le docteur [H] n’a pas retenu de préjudice sexuel imputable aux maladies professionnelles déclarées par Mme [I], notamment pas de répercussion objectivée sur la libido, étant ajouté que ce préjudice ne peut être que personnel et indépendant de celui retenu pour l’époux de la victime qui n’entraîne pas automatiquement la reconnaissance du préjudice de cette dernière.

Mme [I] ne verse aux débats aucune pièce médicale venant étayer ses allégations, ni invalider l’analyse du docteur [H] qui a notamment exclu le signe d’anxio-dépression.

Il s’ensuit que la réalité du préjudice sexuel de Mme [I], directement imputable à ses deux maladies professionnelles, n’est pas établie, le jugement étant confirmé en ses dispositions en ce sens.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

La décision attaquée sera confirmée en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Chaque partie conservera la charge de ses dépens d’appel, l’équité ne commandant pas davantage de faire application de l’article 700 du code de procédure civile à hauteur de cour.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Rejette la demande de nouvelle expertise, sauf à ordonner un complément d’expertise sur pièces, confié au docteur [H], afin d’évaluer le préjudice fonctionnel permanent de M. [I],

Dit que l’expert devra, en complément de son rapport d’expertise :

– indiquer si, après la consolidation, Mme [I] conserve un déficit fonctionnel permanent défini comme une altération permanente d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles ou mentales, ainsi que des douleurs permanentes ou tout autre trouble de santé, entraînant une limitation d’activité ou une restriction de participation à la vie en société subie au quotidien par la victime dans son environnement ;

– dans l’affirmative, en évaluer l’importance et en chiffrer le taux ;

– dans l’hypothèse d’un état antérieur préciser en quoi les deux maladies professionnelles a eu une incidence sur cet état antérieur et décrire les conséquences,

Dit que la [9] devra consigner à la régie de la cour avant le 19 décembre 2024 une provision de 500 euros à valoir sur la rémunération de l’expert, et qu’à défaut la désignation de l’expert sera caduque,

Dit que les parties devront communiquer les pièces utiles à l’expert pour l’accomplissement de sa mission dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent arrêt,

Dit que l’expert devra communiquer ses conclusions aux parties dans un pré-rapport, leur impartir un délai pour présenter leurs observations, y répondre point par point dans un rapport définitif, et remettre son rapport au greffe et aux parties dans les quatre mois de sa saisine, sauf prorogation dûment sollicitée auprès du président de la chambre sociale, section D, chargé du suivi des opérations d’expertise, et en adresser une copie aux conseils des parties,

Rappelle que si l’expert ne dépose pas son rapport dans le délai prévu au premier alinéa du présent article, il peut être dessaisi de sa mission par le président de la chambre sociale section D à moins qu’en raison de difficultés particulières, il n’ait obtenu de prolongation de ce délai,

Dit que les frais de ce complément d’expertise seront avancés par la [9], qui en récupérera le montant auprès de l’employeur, la société [13],

Désigne le président de la chambre sociale, section D, pour suivre les opérations d’expertise,

Radie dès à présent l’affaire du rôle des affaires en cours,

Rappelle que la [9] exercera son action récursoire à l’encontre de la société [13] et que les sommes versées seront récupérées en application des dispositions des articles L. 452-2, L. 452-3 et L. 452-3-1 du code de la sécurité sociale,

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes,

Dit que chaque partie conservera à sa charge les dépens d’appel qu’elle aura exposés.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


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