Type de juridiction : Tribunal judiciaire
Juridiction : Tribunal judiciaire de Draguignan
Thématique : Usufruit et obligations de conservation : enjeux de la garantie financière entre héritiers.
→ RésuméContexte de l’affaireMonsieur [T] [Z], décédé en 2012, a laissé derrière lui un patrimoine comprenant trois immeubles, dont deux appartements et une villa. Ses héritiers incluent ses trois enfants issus de son premier mariage et sa seconde épouse, madame [Y] [C]. Par testament, il a légué l’usufruit de son patrimoine à madame [Y] [C]. Litiges concernant la gestion du patrimoineLes enfants de monsieur [T] [Z] ont contesté les tentatives de madame [Y] [C] de vendre des biens immobiliers sans leur accord. En 2016, un protocole d’accord a été signé pour la vente de la villa, stipulant que les enfants n’étaient pas tenus d’effectuer des travaux de réfection du toit, mais de verser une somme à madame [Y] [C] lors de la vente. Problèmes d’entretien et demandes de travauxEn 2018, des problèmes d’infiltration d’eau ont été signalés, et les enfants ont proposé un nouvel accord pour l’entretien de la villa, qui n’a pas été signé. En 2019, les enfants ont mis en demeure madame [Y] [C] de verser une caution pour garantir l’état de la villa, ce qui a conduit à une assignation en justice. Décisions judiciaires et expertisesLe tribunal a reconnu l’obligation de madame [Y] [C] de verser une caution, mais a désigné un expert pour évaluer les désordres dans la villa. Le rapport d’expertise a été remis en 2021, et des ordonnances de changement d’expert ont suivi. Les enfants ont ensuite assigné madame [Y] [C] pour obtenir une caution d’un million d’euros. Arguments des partiesLes enfants soutiennent que madame [Y] [C] doit fournir une caution correspondant à la valeur du bien, tandis que madame [Y] [C] conteste cette demande, affirmant que les réparations incombent aux nus-propriétaires. Elle a également demandé des travaux de réfection de la toiture, arguant que les enfants avaient négligé leur obligation d’entretien. Jugement du tribunalLe tribunal a débouté les enfants de leur demande de caution, considérant qu’ils n’avaient pas prouvé le montant requis. En revanche, il a ordonné aux enfants de réaliser les travaux de réfection de la toiture, en raison de leur inaction face aux problèmes d’entretien. De plus, le tribunal a condamné les enfants à verser des dommages et intérêts à madame [Y] [C] pour préjudice de jouissance. Conséquences financièresLes enfants ont été condamnés à payer 7.000 € pour le préjudice de jouissance et 5.000 € pour les frais de justice. Ils doivent également exécuter les travaux sous astreinte de 100 € par jour de retard. Le jugement a été rendu exécutoire par provision, et les dépens ont été mis à leur charge. |
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 1
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DU 26 Novembre 2024
Dossier N° RG 22/07379 – N° Portalis DB3D-W-B7G-JUKB
Minute n° : 2024/530
AFFAIRE :
[N] [Z], [I] [Z], [G] [Z] C/ [Y] [M] [C] épouse [Z]
JUGEMENT DU 26 Novembre 2024
COMPOSITION DU TRIBUNAL :
PRÉSIDENT : Madame Alexandra MATTIOLI
JUGES : Madame Amandine ANCELIN
Madame Chantal MENNECIER
GREFFIER lors des débats : Madame Fanny RINAUDO, Directrice des Services de greffe Judiciaires
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Nasima BOUKROUH
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 Juin 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 12 Septembre prorogé au 26 Novembre 2024
JUGEMENT :
Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort.
copie exécutoire à : Maître Josselin BERTELLE
Maître Grégory KERKERIAN
Délivrées le
Copie dossier
NOM DES PARTIES :
DEMANDEURS :
Monsieur [N] [Z]
[Adresse 7]
[Localité 9]
Madame [I] [Z]
[Adresse 2]
[Localité 8]
Monsieur [G] [Z]
[Adresse 5]
[Localité 4]
représentés par Maître Josselin BERTELLE, de la SELARL LEXSTONE AVOCATS, avocats au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant et assistés par Me Alexandra BOURGEOT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
D’UNE PART ;
DÉFENDERESSE :
Madame [Y] [M] [C] épouse [Z]
[Adresse 1]
[Localité 13]
représentée par Maître Grégory KERKERIAN, de la SELARL GREGORY KERKERIAN ET ASSOCIE, avocat au barreau de DRAGUIGNAN
D’AUTRE PART ;
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EXPOSE DU LITIGE
Monsieur [T] [Z], né le [Date naissance 3] 1941 à [Localité 14], est décédé le [Date décès 6] 2012 à [Localité 15], laissant pour lui succéder :
– ses trois enfants nés de son union avec madame [E] [U] (sa première épouse) : [I], [N] et [G] [Z] ;
– madame [Y] [C], veuve [Z], sa seconde épouse aux termes d’un contrat de mariage reçu par Maître [J], le 10 avril 2012.
Par testament olographe en date du 12 avril 2012, monsieur [T] [Z] a légué en usufruit à sa seconde épouse l’ensemble de son patrimoine.
Le patrimoine comportait trois immeubles : un appartement affecté à un cabinet médical sis [Adresse 11], un appartement sis [Adresse 12] et une villa ([Localité 13]).
Des inventaires ont été effectués concernant l’appartement sis [Adresse 12] et la villa, respectivement en date des 16 octobre 2012 et 23 octobre 2012.
Les enfants de monsieur [T] [Z] exposent que madame [Y] [C] a tenté de mettre en vente des biens immobiliers, notamment celui de l’[Adresse 11] et la villa, sans mandat de leur part.
Parallèlement, à partir de l’année 2013, madame [Y] [C] a sollicité des nu-propriétaires qu’ils fassent exécuter des travaux sur la toiture en raison d’infiltrations.
Par protocole d’accord transactionnel signé le 24 juin 2016 entre les parties, les héritiers de monsieur [T] [Z] ont convenu des conditions de mise en vente de la villa ainsi que du partage des meubles.
Il était notamment convenu que les enfants de feu monsieur [Z] vendraient la maison sans avoir à effectuer les travaux de réfection du toit et en contrepartie de cela ils devaient verser le jour de la vente à madame [Y] [Z] la somme forfaitaire de 12.000 € en plus de la partie lui revenant (sur le produit de la vente).
En décembre 2018, madame [Y] [Z] a une nouvelle fois informé les enfants de feu monsieur [Z] d’un dégât des eaux, mettant en cause l’état du toit de la villa.
En janvier et février 2018, monsieur [G] [Z] s’est rendu sur place pour constater l’état de la maison, accompagné par un couvreur.
Par suite, en accord avec ses frères et sœurs, il a adressé un courriel en date du 15 février 2019 formalisant une nouvelle proposition d’accord transactionnel à madame [Y] [Z], une des clauses stipulant la nécessité à sa charge d’entretenir non seulement le toit mais également la villa dans son ensemble. L’accord n’a pas été signé par les parties.
En date du 21 mai 2019, par courrier de mise en demeure d’avocat, madame [I] [Z] et messieurs [N] et [G] [Z] ont sollicité de madame [Y] [Z] le versement de d’une caution en leur qualité de nus propriétaires, à titre de garantie de restitution de la villa en bon état d’entretien.
En dépit d’une correspondance entre les parties, et en l’absence de réponse de la part de madame [Y] [Z] sur la question de la caution sollicitée, madame [I] [Z] et messieurs [N] et [G] [Z] ont fait assigner madame [Y] [C] devant Madame la Présidente du Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN, en référé, par acte d’huissier du 5 août 2020.
Par ordonnance du 20 janvier 2021, la Présidente a reconnu le caractère valide de l’obligation de madame [Y] [Z] d’avoir à verser une caution, se déclarant par ailleurs incompétente pour statuer sur le montant de l’engagement de la caution, et disant n’y avoir lieu à urgence sur cette question. Faisant droit à une demande de madame [Y] [Z] en ce sens, le Juge des référés a désigné, en outre, un expert aux fins notamment de décrire les désordres à l’origine des dysfonctionnements allégués dans la villa et de chiffrer le coût et la durée de la remise en état, ainsi que des préjudices éventuellement subis.
Le rapport d’expertise judiciaire été remis en date du 5 juillet 2021.
Une ordonnance de changement d’expert est intervenue en date du 15 décembre 2021, suivie d’une ordonnance de prorogation du délai (23 décembre 2021).
Par acte d’huissier du 4 novembre 2022, monsieur [N] [Z], madame [I] [Z] et monsieur [G] [Z] ont fait assigner madame [Y] [C] devant le Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN aux fins de solliciter, au visa des article 601et 602 du Code civil, la remise d’une caution d’un montant de 1 million d’euros sous astreinte de 500 € ar jour de retard à compter du délai de un mois suivant la signification du jugement, ainsi que sa condamnation au paiement de 3.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens.
Dans leurs dernières écritures, datées du 20 juin 2024, ils maintiennent leur demande principale telle que formalisée relativement à la valeur de la caution dans l’assignation et sollicitent, à titre “extrêmement subsidiaire”, la remise d’une caution de 250.000 € sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter du mois suivant la signification du jugement.
En réponse aux demandes reconventionnelles formulées par la défenderesse, ils concluent à son débouté.
En tout état de cause, ils demandent la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile et des dépens.
Ils soutiennent notamment, au visa des articles 601 et 602 du Code civil, que :
• madame [C] est tenue au paiement d’un caution en application des dispositions de l’article 601 du Code civil, principe dont le juge des référés a retenu la validité ;
• l’usufruitier doit fournir une caution correspondant à la valeur du bien dont elle a l’usufruit, ainsi que retenu par un arrêt de la cour d’appel de COLMAR 2 me chambre civile, section A, 15 mars 2007 n°04/05072 (non versé aux débats) ;
• pour justifier du montant de la demande de fixation à hauteur de 1.000.000 d’euros, ils produisent une “attestation de valeur” (pièce n°16) ;
• Il y a eu un défaut d’entretien du bien par l’usufruitière à l’origine des dysfonctionnements constatés, ainsi que le retient également l’expert ;
• le rapport d’expertise réalisé par la société [10] doit être rejeté, considérant l’absence de contradictoire de cette pièce qui est, par conséquent, inopposable;
• la demande reconventionnelle de réfaction totale de la toiture à leur charge doit être rejetée en ce que madame [Y] [Z] a elle-même causé les dégradations ; les réparations s’imposent par suite de son propre manquement à son obligation de jouissance en bon père de famille ; notamment, elle a aggravé les dysfonctionnements dénoncés en faisant procéder à l’arrosage de la toiture dans le cadre d’un constat d’huissier effectué en cours d’expertise et qui a sensiblement accru les désordres à l’intérieur de la maison.
Dans ses dernières conclusions, signifiées par le réseau privé virtuel des avocats en date du 31 mars 2023, madame [C] conclut au débouté des demandeurs en l’ensemble de leurs demandes et sollicite de dire n’y avoir lieu à exécution provisoire de droit du jugement à venir sur les demandes des consorts [Z].
À titre reconventionnel, elle sollicite la condamnation des demandeurs à exécuter les travaux de réfaction totale de la toiture de la villa sise [Adresse 1] à [Localité 13] sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la mise en demeure. De plus, elle sollicite leur condamnation in solidum au paiement de 7.000 € en réparation de son préjudice de jouissance outre celle de 5.000 € au titre de l’article 700 ainsi qu’aux dépens, en ceux compris les frais de constat, d’expertise judiciaire et de commissaire de justice.
Elle soutient notamment que :
• Le cautionnement n’est pas justifié, la garantie requise par l’article 601 du Code civil consistant, pour l’usufruitier, à obtenir d’un tiers qu’il s’engage envers le nu-propriétaire à garantir les dettes qui pourraient naître de ses rapports avec ce dernier ; de plus, combiné à l’article 2296 du même code, le nu-propriétaire peut solliciter de l’usufruitier qu’il fournisse cautionnement pour garantir les dettes qui pourraient résulter de ses rapports avec ce dernier;
• Le juge des référés a débouté les consorts [Z] de leur demande de fixation d’une caution au motif que le dispositif de leurs écritures ne contenait aucun montant ; ils reproduisent, dans le cadre de l’instance, la même erreur en produisant l’attestation de valeur de l’immeuble produite aux débats à hauteur de 1 million d’euros et en sollicitant la condamnation de madame [Y] [Z] à fournir un cautionnement à hauteur de cette somme ; or, les obligations de l’usufruitier consistent à conserver la substance de la chose;
• les nus-propriétaires sont tenus de supporter à leur charge les réparations du bien en application de l’article 605 et 606 du Code civil ; ils ont manqué à leur obligation en refusant de manière réitérée de réparer la toiture de la maison, en dépit des nombreuses demandes en ce sens de madame [Y] [Z]; elle a engagé des frais au fil des années et a sollicité la réparation de la toiture depuis 2013 (pièce n°14) ;
• Le refus de réparer la toiture opposé par les nus-propriétaires occasionne de nombreux désordres dans la maison, générant de nombreux désordres que madame [Y] [Z] est contrainte de supporter et qui génèrent à son détriment un préjudice de jouissance ; la somme réclamée au titre du préjudice de jouissance est de 1.000 € par an à compter du protocole d’accord par lequel les consorts [Z] s’étaient engagés à exécuter des travaux de réfaction de la toiture.
L’ordonnance de clôture de la procédure est intervenue en date du 14 septembre 2023, fixant l’affaire à l’audience collégiale du 7 mars 2024. L’affaire a fait l’objet d’un avis de changement de date d’audience, la reportant à l’audience collégiale du 20 juin 2024.
A cette audience, à l’issue des débats, l’affaire a été mise en délibéré au 12 septembre 2024, puis plusieurs fois prorogée jusqu’au 26 novembre 2024.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant après en avoir délibéré, par jugement rendu en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE madame [I] [Z], monsieur [N] [Z] et monsieur [G] [Z] de l’ensemble de leurs demandes ;
CONDAMNE in solidum madame [I] [Z], monsieur [N] [Z] et monsieur [G] [Z] à faire exécuter des travaux de réfaction totale de la toiture de la villa sise [Adresse 1] à [Localité 13], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du second mois suivant le présent jugement et pour une durée de huit mois ;
CONDAMNE in solidum madame [I] [Z], monsieur [N] [Z] et monsieur [G] [Z] à payer à madame [Y] [C] la somme de 7.000 € en réparation de son préjudice de jouissance pour la totalité de la période précédant la présente décision;
CONDAMNE in solidum madame [I] [Z], monsieur [N] [Z] et monsieur [G] [Z] à payer à madame [Y] [C] la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande ;
CONDAMNE in solidum madame [I] [Z], monsieur [N] [Z] et monsieur [G] [Z] aux dépens, incluant tous les frais visés à l’article 195 du Code de procédure civile ainsi que les frais de l’expertise judiciaire ordonnée par la décision de référé du Président du Tribunal Judiciaire de DRAGUIGNAN par décision du 20 janvier 2021 ;
RAPPELLE que la présente décision est exécutoire par provision en toutes ses dispositions.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition au greffe, le 26 novembre 2024.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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