Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Rennes
Thématique : Responsabilité pécuniaire des avocats : enjeux de l’obligation de ducroire et des frais engagés
→ RésuméContexte de l’affaireLe 8 avril 2021, Me Frédéric Guerreau, avocat à Melun, a demandé à son confrère Me Emmanuel Vautier, avocat à Meaux, de faire une déclaration de surenchère pour le compte de la société civile immobilière Caly dans une procédure de saisie immobilière. La déclaration a été effectuée le 9 avril 2021, et la société Caly a été déclarée adjudicataire par jugement le 1er juillet 2021 pour un montant de 256’300 euros, plus des frais de poursuite. Problèmes de paiementMe [A] n’a pas pu encaisser le chèque de sa cliente en raison de l’absence du bordereau d’origine des fonds. Il a donc réglé les frais de publicité et a tenté, sans succès, de récupérer ses honoraires et les émoluments judiciaires auprès de sa cliente par l’intermédiaire de Me [S]. Face à cette situation, Me [A] a saisi son bâtonnier en janvier 2023, ce qui a conduit à une médiation sans résultat. Décision du bâtonnierLe 11 mars 2024, le bâtonnier de Rennes a rendu une décision en faveur de Me [A], reconnaissant que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies. Il a condamné Me [S] à payer un total de 7’062,62 euros à Me [A], incluant les émoluments, les débours et les honoraires, tout en déboutant les parties de leurs autres demandes. Appel de Me [S]Me [S] a interjeté appel de cette décision, soutenant que la responsabilité ne lui incombait pas personnellement mais à sa société d’exercice, la Selarl Pontaut Legalis. Il a également contesté la validité des frais réclamés par Me [A], arguant que certains avaient été facturés à une autre entité. Arguments des partiesMe [S] et sa société ont fait valoir que la demande de Me [A] était mal fondée, car les frais de publicité avaient été facturés à une autre structure et que les honoraires avaient déjà été réglés. Ils ont également soutenu que l’obligation de ducroire ne s’appliquait pas aux émoluments, qui étaient exclus par le règlement intérieur national de la profession d’avocat. Décision de la courLa cour a confirmé que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies, mais a infirmé la décision du bâtonnier concernant le montant à payer. Me [S] a été condamné à verser à Me [A] la somme de 4’831,68 euros, tout en supportant les dépens de la première instance et de l’appel, ainsi qu’une somme de 1’500 euros au titre des frais irrépétibles. |
1ère Chambre
ARRÊT N°.
N° RG 24/01919 – N° Portalis DBVL-V-B7I-UU3Q
(Réf 1ère instance : )
Me [J] [S]
C/
Me [L] [A]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport
Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,
Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Morgane LIZEE, lors des débats, et Mme Elise BEZIER, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 24 Septembre 2024
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANT :
Maître [J] [S]
né en à
[Adresse 1]
[Localité 5]
comparant
INTIMÉ :
Maître [L] [A]
né en à
[Adresse 2]
[Localité 6]
comparant
INTERVENANTES :
LA SELARL PONTAULT LEGALIS, société d’avocat au barreau de MELUN, représentée par son gérant Me [J] [S], domicilié en cette qualité
[Adresse 4]
Représentée par Me Frédéric GUERREAU avocat au barreau de MELUN
LA SELARL EVAVOCAT, société d’exercice libérale à responsabilité limitée, inscrite au RCS de [Localité 8] sous le numéro 844 224 642
domiciliée [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal en exercice,
Représentée par Me Emmanuel VAUTIER avocat au barreau de MEAUX
*****
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Le 8 avril 2021, Me Frédéric Guerreau, avocat au barreau de Melun, a sollicité son confrère, Me Emmanuel Vautier, avocat au barreau de Meaux, pour effectuer, au nom de sa cliente, la société civile immobilière Caly, une déclaration de surenchère dans une procédure de saisie immobilière poursuivie devant le tribunal judiciaire de Meaux.
Me [A] a effectué la déclaration de surenchère le 9 avril 2021 et la société Caly a été déclarée adjudicataire sur surenchère par jugement du 1er juillet 2021, moyennant le prix de 256’300’euros, outre les frais de poursuites d’un montant taxé à la somme de 13’074,25 euros.
N’ayant pu encaisser en Carpa le chèque de la cliente que lui avait remis son confrère en l’absence du bordereau d’origine des fonds vainement sollicité à plusieurs reprises, Me'[A] a réglé les frais de publicité (4’583,74 euros TTC). De même a-t-il vainement réclamé à la cliente, par le truchement de son confrère, ses honoraires (600 euros TTC) et les émoluments judiciaires (1’878,88 euros TTC).
Face à cette situation, Me [A] a saisi le 2 janvier 2023 son bâtonnier qui a transmis sa demande au bâtonnier de [Localité 9] lequel a recueilli les explications de Me [S].
Aucun accord n’ayant pu être trouvé, les bâtonniers de [Localité 8] et de [Localité 9] ont, par décision du 13 juillet 2023, désigné, sur le fondement de l’article 179-2 du décret du 27 novembre 1991, le bâtonnier de Rennes comme tiers bâtonnier pour trancher le différend opposant les deux avocats.
Mme la bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Rennes a accepté cette mission le 24’juillet 2023.
La tentative de conciliation, fixée le 25 septembre 2023, a abouti à une médiation, Me [S] s’engageant à mener une procédure de recouvrement des frais et émoluments à l’encontre de sa cliente et les parties s’accordant sur une prorogation de quatre mois du délai donné au bâtonnier pour statuer.
Le recouvrement amiable s’avérant en définitive impossible, Me [A] a demandé au bâtonnier saisi de rendre une décision au fond.
C’est ainsi que par décision de règlement de différend du 11 mars 2024, Mme la bâtonnière de Rennes a’:
– dit et jugé que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies dans le cas d’espèce,
– fixé le montant des sommes réclamées par Me [A] (émoluments : 1’878,88 euros, débours’: 4’583,74’euros et honoraires : 600’euros) à la somme globale de 7’062,62’euros,
– condamné Me [S] au payement de la somme de 7’062,62’euros au profit de Me'[A], au visa des textes énoncés (articles 179-2 du décret du 27 novembre 1991 et 11-8’du RIN),
– débouté les parties de leurs autres demandes.
Pour ce faire, Mme la bâtonnière a retenu que Me [S] était engagé sur le fondement de l’article 11-8 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (obligation dite ducroire) et a considéré que cette obligation portait sur l’ensemble des sommes réclamées par Me [A].
Me [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration adressée le 27 mars 2024 par lettre recommandée.
Aux termes de leurs conclusions (29 août 2024) auxquelles Me'[J] [S] et la Selarl Pontaut Legalis se sont référés lors de l’audience, ces derniers demandent à la cour de’:
– recevoir Me [J] [S] en son appel de la décision de Mme la bâtonnière de l’ordre des avocats de Rennes du 11 mars 2024,
– recevoir la Selarl Pontault Legalis, société d’avocats au barreau de Melun en son intervention volontaire,
– réformer en toutes ses dispositions la décision dont appel de Madame la bâtonnière [O] [F] du 11 mars 2024,
statuant à nouveau et à titre principal,
– constater que Me [J] [S] n’est pas débiteur de Me [A] au titre des prestations frais et émoluments évoqués par ce dernier et le renvoyer à mieux se pouvoir, seule la Selarl Pontault Legalis, société d’avocats au barreau de Melun, pouvant être tenue de l’obligation ducroire,
subsidiairement,
– constater que les émoluments réclamés par Me [A] pour 1’878,88’euros ainsi que les dépens pour 4’583,74’euros ont été exposés par un tiers, en l’espèce l’AIARPI Lexialis qui a seule qualité à agir et exciper de l’obligation ducroire,
en conséquence,
– débouter Me [A] de toutes ses demandes fins et conclusions,
à titre très infiniment subsidiaire,
– dire et juger que les émoluments et dépens sollicités par Me [A] à l’égard de Me'[J] [S] soit les sommes de 1’878,88’euros et 4’583,74’euros constituent des émoluments et dépens qui sont expressément exclus de l’obligation ducroire tel que résultant de l’article 11.8 du RIN,
en conséquence et statuant à nouveau,
– débouter Me [A] de toutes ses demandes fins et conclusions à l’égard de Me [S],
à titre reconventionnel,
– condamner Me [A] à payer à Me [S] et à la Selarl Pontault Legalis ensemble une indemnité globale de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– statuer ce que de droit sur les dépens.
Me [S] précise qu’il n’exerce pas la profession d’avocat à titre individuel mais dans le cadre d’une société d’exercice, la Selarl Pontault Legis.
Me [S] et sa société d’exercice soutiennent, en premier lieu, que ce n’est pas l’avocat mais la société d’exercice qui a mandaté Me [A] ainsi qu’il résulte des échanges et en tirent la conséquence que la décision ne pouvait être rendue que contre cette société. Ils relèvent qu’aucune demande n’est formée contre ladite société qui n’a pas été partie à la procédure devant le bâtonnier, de sorte que la procédure n’est pas régulière à son égard.
Ils contestent que l’obligation de ducroire puisse s’appliquer aux prétentions formulées, relevant que’:
– les frais de publicité (4’231,68’euros) ont été facturés à l’AIARPI Lexialis Avocats, « ‘structure d’exercice ayant une personnalité juridique distincte de celle de Me [A]’ », comme les émoluments adjudicataire et surenchérisseur qui sont également à l’en-tête de celle-ci laquelle n’est pas partie à la procédure, Me [A] devant être débouté faute de droit d’action,
– les honoraires de Me [A] (600 euros TTC) lui ont été réglés le 21 décembre 2023 par la Selarl Pontault Legalis, ce que le bâtonnier n’a pas pris en compte,
– l’article 11.8 du RIN (obligation ducroire) exclut de son champ d’application les émoluments dus au confrère auquel le dossier a été confié, rappelant à cet égard que le cabinet Lexialis Avocats dispose d’un droit propre de recouvrement qui n’a jamais été mis en ‘uvre.
Ils concluent, en conséquence, au rejet de la demande.
Aux termes de leurs dernières écritures (10 septembre 2024) auxquelles Me [L] [A] et la Selarl EV Avocat se sont référés lors de l’audience, ils demandent à la cour de’:
– les déclarer recevables en leurs demandes,
en conséquence,
– confirmer la décision de règlement d’un différend rendue par Mme le bâtonnier de l’ordre des avocats de Rennes, en date du 11 mars 2024,
y ajoutant,
– condamner Me [J] [S] à leur payer la somme de 3’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner Me [J] [S] aux entiers dépens.
Me [A] et sa société d’exercice, qui intervient volontairement à l’instance et reprend l’argumentation de son associé, rappellent le contexte de l’affaire et les circonstances dans lesquelles ils ont été amenés à régler, en l’absence de fonds, les frais que Me [A] a ensuite réclamés à son confrère au titre de l’obligation de ducroire.
Ils estiment sans objet l’argumentation développée concernant la société d’exercice de Me'[S] dès lors que cette société d’exercice intervient volontairement à l’instance et que le débat aurait été strictement identique en première instance si cette dernière était intervenue.
Ils précisent qu’ils ont payé les factures litigieuses, contrairement à ce qu’indiquent les appelants qui laissent entendre que le règlement aurait été effectué par l’AIARPI Lexialis Avocats.
Ils soutiennent que les conditions de l’obligation de ducroire sont réunies, Me [S] ayant confié à son confrère le soin de déposer une déclaration de surenchère pour son client et d’intervenir à l’audience et ayant finalement admis qu’il était tenu au payement des honoraires de postulation puisqu’il les a réglés.
Ils ajoutent que les frais et dépens suivent le même sort de sorte que Me [S] doit leur verser les sommes qu’ils ont engagées pour le compte de la société Caly, cliente de ce dernier.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement.
Déclare recevable les interventions volontaires des Selarl Pontaut Legalis et Evavocat.
Confirme la décision du bâtonnier de l’ordre des avocats de Rennes en ce qu’elle a dit que les conditions de l’obligation ducroire étaient réunies.
L’infirme quant au montant de la condamnation.
Statuant à nouveau’:
Condamne Me [J] [S] à verser à Me [L] [A] la somme de 4’831,68 euros TTC en deniers ou quittance (une somme de 600 euros TTC ayant été réglée).
Condamne Me [S] et la société Pontaut Légalis aux éventuels dépens de première instance et d’appel.
Les condamne à verser à Me [L] [A] une somme de 1’500’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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