Responsabilité pécuniaire des avocats : enjeux de l’obligation de ducroire et des frais engagés

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Responsabilité pécuniaire des avocats : enjeux de l’obligation de ducroire et des frais engagés

L’Essentiel : Le 8 avril 2021, Me Frédéric Guerreau a sollicité Me Emmanuel Vautier pour une déclaration de surenchère au nom de la société civile immobilière Caly, qui a été déclarée adjudicataire le 1er juillet 2021. Cependant, des problèmes de paiement ont surgi lorsque Me [A] n’a pas pu encaisser le chèque de sa cliente, entraînant une procédure de règlement de différend. Le bâtonnier de Rennes a tranché en faveur de Me [A], mais Me [S] a interjeté appel, arguant que la responsabilité incombait à sa société. La cour a confirmé l’obligation de ducroire, condamnant Me [S] à rembourser certains frais.

Contexte de l’affaire

Le 8 avril 2021, Me Frédéric Guerreau, avocat à Melun, a demandé à son confrère Me Emmanuel Vautier, avocat à Meaux, de faire une déclaration de surenchère pour le compte de la société civile immobilière Caly dans une procédure de saisie immobilière. La déclaration a été effectuée le 9 avril 2021, et la société Caly a été déclarée adjudicataire par jugement le 1er juillet 2021 pour un montant de 256’300 euros, plus des frais de poursuite.

Problèmes de paiement

Me [A] n’a pas pu encaisser le chèque de sa cliente en raison de l’absence du bordereau d’origine des fonds, malgré plusieurs demandes. Il a donc réglé les frais de publicité et a tenté de récupérer ses honoraires et émoluments auprès de sa cliente, sans succès. En conséquence, il a saisi son bâtonnier le 2 janvier 2023, ce qui a conduit à une procédure de règlement de différend.

Intervention des bâtonniers

Les bâtonniers de [Localité 8] et [Localité 9] ont désigné le bâtonnier de Rennes pour trancher le différend. Une tentative de conciliation a eu lieu le 25 septembre 2023, mais le recouvrement amiable a échoué, poussant Me [A] à demander une décision au fond. Le 11 mars 2024, le bâtonnier de Rennes a statué en faveur de Me [A], reconnaissant l’obligation de ducroire de Me [S] et condamnant ce dernier à payer les sommes réclamées.

Appel de Me [S]

Me [S] a interjeté appel de cette décision le 27 mars 2024, soutenant que la responsabilité ne lui incombait pas personnellement mais à sa société d’exercice, la Selarl Pontaut Legalis. Il a également contesté la validité des frais réclamés par Me [A], arguant que certains avaient été réglés par un tiers.

Arguments des parties

Me [S] et sa société ont fait valoir que la décision ne pouvait être rendue que contre la société, et que l’obligation de ducroire ne s’appliquait pas aux frais de publicité et aux honoraires déjà réglés. En revanche, Me [A] a soutenu que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies, et que les frais engagés pour le compte de la société Caly devaient être remboursés.

Décision de la cour

La cour a confirmé que l’obligation de ducroire s’appliquait entre les deux avocats, mais a infirmé la décision du bâtonnier concernant le montant des émoluments, qui sont exclus de cette obligation. Me [S] a été condamné à verser à Me [A] la somme de 4’831,68 euros, correspondant aux frais et débours justifiés, tout en supportant les dépens de la procédure.

Conclusion

La cour a statué en faveur de Me [A] pour les frais engagés, tout en rejetant la demande de remboursement des émoluments, confirmant ainsi la responsabilité de Me [S] dans le cadre de l’obligation de ducroire.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les implications de l’obligation de ducroire selon l’article 11-8 du RIN ?

L’article 11-8 du RIN (Règlement Intérieur National de la profession d’avocat) stipule que :

* »L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l’exclusion des émoluments, dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. »*

Cette obligation de ducroire implique que l’avocat qui confie un dossier à un confrère est responsable des paiements dus pour les services rendus par ce dernier, sauf stipulation contraire.

Il est important de noter que cette responsabilité est limitée aux honoraires, frais et débours, et exclut expressément les émoluments. Cela signifie que si un avocat engage un confrère pour une tâche, il doit s’assurer que les paiements pour les services rendus sont effectués, mais il n’est pas responsable des émoluments qui pourraient être dus à ce confrère.

En l’espèce, Me [S] a confié à Me [A] la gestion d’une procédure de surenchère, ce qui a activé cette obligation. La cour a confirmé que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies, car Me [S] avait effectivement confié le dossier à Me [A], et ce dernier avait engagé des frais pour lesquels il pouvait demander un remboursement.

Comment la responsabilité peut-elle être engagée en cas de société d’exercice ?

L’article 16 de la loi du 31 décembre 1990 précise que :

* »Chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine de l’ensemble des actes qu’il accomplit. La société est solidairement responsable avec lui. »*

Cela signifie que lorsqu’un avocat exerce au sein d’une société d’exercice, comme une SELARL, il peut être tenu personnellement responsable des actes qu’il accomplit dans le cadre de sa profession.

Dans le cas présent, même si Me [S] exerce au sein de la Selarl Pontaut Legalis, il reste personnellement responsable des obligations contractées, notamment celles liées à l’obligation de ducroire.

La cour a jugé que Me [A] pouvait agir contre Me [S] personnellement, en plus de la société, car la responsabilité de l’avocat est engagée indépendamment de la structure dans laquelle il exerce. Cela permet aux créanciers de choisir d’agir contre l’avocat ou la société, selon ce qui est le plus approprié dans les circonstances.

Quels sont les effets de la décision du bâtonnier sur les frais et émoluments ?

La décision du bâtonnier a été fondée sur l’article 11-8 du RIN, qui exclut expressément les émoluments de l’obligation de ducroire.

La cour a rappelé que :

* »L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l’exclusion des émoluments. »*

Dans cette affaire, Me [A] a réclamé des honoraires, des débours et des émoluments. La cour a confirmé que les honoraires et les débours étaient dus, mais a infirmé la décision du bâtonnier concernant les émoluments, car ceux-ci ne sont pas couverts par l’obligation de ducroire.

Ainsi, la cour a condamné Me [S] à verser à Me [A] la somme de 4’831,68 euros, qui comprend les honoraires et les débours, mais a rejeté la demande relative aux émoluments, conformément à l’article 11-8 du RIN.

Cette décision souligne l’importance de bien distinguer entre les différents types de paiements dus dans le cadre de la relation entre avocats, en particulier en ce qui concerne les obligations contractuelles et les responsabilités financières.

1ère Chambre

ARRÊT N°.

N° RG 24/01919 – N° Portalis DBVL-V-B7I-UU3Q

(Réf 1ère instance : )

Me [J] [S]

C/

Me [L] [A]

Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 26 NOVEMBRE 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre, entendu en son rapport

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Morgane LIZEE, lors des débats, et Mme Elise BEZIER, lors du prononcé,

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 Septembre 2024

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 26 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANT :

Maître [J] [S]

né en à

[Adresse 1]

[Localité 5]

comparant

INTIMÉ :

Maître [L] [A]

né en à

[Adresse 2]

[Localité 6]

comparant

INTERVENANTES :

LA SELARL PONTAULT LEGALIS, société d’avocat au barreau de MELUN, représentée par son gérant Me [J] [S], domicilié en cette qualité

[Adresse 4]

Représentée par Me Frédéric GUERREAU avocat au barreau de MELUN

LA SELARL EVAVOCAT, société d’exercice libérale à responsabilité limitée, inscrite au RCS de [Localité 8] sous le numéro 844 224 642

domiciliée [Adresse 2] prise en la personne de son représentant légal en exercice,

Représentée par Me Emmanuel VAUTIER avocat au barreau de MEAUX

*****

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Le 8 avril 2021, Me Frédéric Guerreau, avocat au barreau de Melun, a sollicité son confrère, Me Emmanuel Vautier, avocat au barreau de Meaux, pour effectuer, au nom de sa cliente, la société civile immobilière Caly, une déclaration de surenchère dans une procédure de saisie immobilière poursuivie devant le tribunal judiciaire de Meaux.

Me [A] a effectué la déclaration de surenchère le 9 avril 2021 et la société Caly a été déclarée adjudicataire sur surenchère par jugement du 1er juillet 2021, moyennant le prix de 256’300’euros, outre les frais de poursuites d’un montant taxé à la somme de 13’074,25 euros.

N’ayant pu encaisser en Carpa le chèque de la cliente que lui avait remis son confrère en l’absence du bordereau d’origine des fonds vainement sollicité à plusieurs reprises, Me'[A] a réglé les frais de publicité (4’583,74 euros TTC). De même a-t-il vainement réclamé à la cliente, par le truchement de son confrère, ses honoraires (600 euros TTC) et les émoluments judiciaires (1’878,88 euros TTC).

Face à cette situation, Me [A] a saisi le 2 janvier 2023 son bâtonnier qui a transmis sa demande au bâtonnier de [Localité 9] lequel a recueilli les explications de Me [S].

Aucun accord n’ayant pu être trouvé, les bâtonniers de [Localité 8] et de [Localité 9] ont, par décision du 13 juillet 2023, désigné, sur le fondement de l’article 179-2 du décret du 27 novembre 1991, le bâtonnier de Rennes comme tiers bâtonnier pour trancher le différend opposant les deux avocats.

Mme la bâtonnière de l’ordre des avocats au barreau de Rennes a accepté cette mission le 24’juillet 2023.

La tentative de conciliation, fixée le 25 septembre 2023, a abouti à une médiation, Me [S] s’engageant à mener une procédure de recouvrement des frais et émoluments à l’encontre de sa cliente et les parties s’accordant sur une prorogation de quatre mois du délai donné au bâtonnier pour statuer.

Le recouvrement amiable s’avérant en définitive impossible, Me [A] a demandé au bâtonnier saisi de rendre une décision au fond.

C’est ainsi que par décision de règlement de différend du 11 mars 2024, Mme la bâtonnière de Rennes a’:

– dit et jugé que les conditions de l’obligation de ducroire étaient réunies dans le cas d’espèce,

– fixé le montant des sommes réclamées par Me [A] (émoluments : 1’878,88 euros, débours’: 4’583,74’euros et honoraires : 600’euros) à la somme globale de 7’062,62’euros,

– condamné Me [S] au payement de la somme de 7’062,62’euros au profit de Me'[A], au visa des textes énoncés (articles 179-2 du décret du 27 novembre 1991 et 11-8’du RIN),

– débouté les parties de leurs autres demandes.

Pour ce faire, Mme la bâtonnière a retenu que Me [S] était engagé sur le fondement de l’article 11-8 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (obligation dite ducroire) et a considéré que cette obligation portait sur l’ensemble des sommes réclamées par Me [A].

Me [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration adressée le 27 mars 2024 par lettre recommandée.

Aux termes de leurs conclusions (29 août 2024) auxquelles Me'[J] [S] et la Selarl Pontaut Legalis se sont référés lors de l’audience, ces derniers demandent à la cour de’:

– recevoir Me [J] [S] en son appel de la décision de Mme la bâtonnière de l’ordre des avocats de Rennes du 11 mars 2024,

– recevoir la Selarl Pontault Legalis, société d’avocats au barreau de Melun en son intervention volontaire,

– réformer en toutes ses dispositions la décision dont appel de Madame la bâtonnière [O] [F] du 11 mars 2024,

statuant à nouveau et à titre principal,

– constater que Me [J] [S] n’est pas débiteur de Me [A] au titre des prestations frais et émoluments évoqués par ce dernier et le renvoyer à mieux se pouvoir, seule la Selarl Pontault Legalis, société d’avocats au barreau de Melun, pouvant être tenue de l’obligation ducroire,

subsidiairement,

– constater que les émoluments réclamés par Me [A] pour 1’878,88’euros ainsi que les dépens pour 4’583,74’euros ont été exposés par un tiers, en l’espèce l’AIARPI Lexialis qui a seule qualité à agir et exciper de l’obligation ducroire,

en conséquence,

– débouter Me [A] de toutes ses demandes fins et conclusions,

à titre très infiniment subsidiaire,

– dire et juger que les émoluments et dépens sollicités par Me [A] à l’égard de Me'[J] [S] soit les sommes de 1’878,88’euros et 4’583,74’euros constituent des émoluments et dépens qui sont expressément exclus de l’obligation ducroire tel que résultant de l’article 11.8 du RIN,

en conséquence et statuant à nouveau,

– débouter Me [A] de toutes ses demandes fins et conclusions à l’égard de Me [S],

à titre reconventionnel,

– condamner Me [A] à payer à Me [S] et à la Selarl Pontault Legalis ensemble une indemnité globale de 3’000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– statuer ce que de droit sur les dépens.

Me [S] précise qu’il n’exerce pas la profession d’avocat à titre individuel mais dans le cadre d’une société d’exercice, la Selarl Pontault Legis.

Me [S] et sa société d’exercice soutiennent, en premier lieu, que ce n’est pas l’avocat mais la société d’exercice qui a mandaté Me [A] ainsi qu’il résulte des échanges et en tirent la conséquence que la décision ne pouvait être rendue que contre cette société. Ils relèvent qu’aucune demande n’est formée contre ladite société qui n’a pas été partie à la procédure devant le bâtonnier, de sorte que la procédure n’est pas régulière à son égard.

Ils contestent que l’obligation de ducroire puisse s’appliquer aux prétentions formulées, relevant que’:

– les frais de publicité (4’231,68’euros) ont été facturés à l’AIARPI Lexialis Avocats, « ‘structure d’exercice ayant une personnalité juridique distincte de celle de Me [A]’ », comme les émoluments adjudicataire et surenchérisseur qui sont également à l’en-tête de celle-ci laquelle n’est pas partie à la procédure, Me [A] devant être débouté faute de droit d’action,

– les honoraires de Me [A] (600 euros TTC) lui ont été réglés le 21 décembre 2023 par la Selarl Pontault Legalis, ce que le bâtonnier n’a pas pris en compte,

– l’article 11.8 du RIN (obligation ducroire) exclut de son champ d’application les émoluments dus au confrère auquel le dossier a été confié, rappelant à cet égard que le cabinet Lexialis Avocats dispose d’un droit propre de recouvrement qui n’a jamais été mis en ‘uvre.

Ils concluent, en conséquence, au rejet de la demande.

Aux termes de leurs dernières écritures (10 septembre 2024) auxquelles Me [L] [A] et la Selarl EV Avocat se sont référés lors de l’audience, ils demandent à la cour de’:

– les déclarer recevables en leurs demandes,

en conséquence,

– confirmer la décision de règlement d’un différend rendue par Mme le bâtonnier de l’ordre des avocats de Rennes, en date du 11 mars 2024,

y ajoutant,

– condamner Me [J] [S] à leur payer la somme de 3’000’euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Me [J] [S] aux entiers dépens.

Me [A] et sa société d’exercice, qui intervient volontairement à l’instance et reprend l’argumentation de son associé, rappellent le contexte de l’affaire et les circonstances dans lesquelles ils ont été amenés à régler, en l’absence de fonds, les frais que Me [A] a ensuite réclamés à son confrère au titre de l’obligation de ducroire.

Ils estiment sans objet l’argumentation développée concernant la société d’exercice de Me'[S] dès lors que cette société d’exercice intervient volontairement à l’instance et que le débat aurait été strictement identique en première instance si cette dernière était intervenue.

Ils précisent qu’ils ont payé les factures litigieuses, contrairement à ce qu’indiquent les appelants qui laissent entendre que le règlement aurait été effectué par l’AIARPI Lexialis Avocats.

Ils soutiennent que les conditions de l’obligation de ducroire sont réunies, Me [S] ayant confié à son confrère le soin de déposer une déclaration de surenchère pour son client et d’intervenir à l’audience et ayant finalement admis qu’il était tenu au payement des honoraires de postulation puisqu’il les a réglés.

Ils ajoutent que les frais et dépens suivent le même sort de sorte que Me [S] doit leur verser les sommes qu’ils ont engagées pour le compte de la société Caly, cliente de ce dernier.

SUR CE, LA COUR’:

La demande de Me [A] est fondée sur l’article 11.8 du règlement intérieur national de la profession d’avocat (RIN). Ce texte dispose que’:

« ‘11.8 Responsabilité pécuniaire ‘ [C]’:

L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l’exclusion des émoluments, dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats concernés peuvent néanmoins, dès l’origine et par écrit, convenir du contraire. En outre, le premier avocat peut, à tout instant, limiter, par écrit, son engagement au montant des sommes dues, au jour où il exclut sa responsabilité pour l’avenir.

Sauf stipulation contraire, les dispositions de l’alinéa ci-dessus s’appliquent dans les rapports entre un avocat et tout autre correspondant qui est consulté ou auquel est confiée une mission’ ».

En l’espèce, il est établi par les pièces versées aux débats que Me [S] a confié, après accord téléphonique et par courriel, à son confrère [A] le soin de conduire une procédure de surenchère dans un dossier de saisie immobilière pendant devant le tribunal judiciaire de Meaux pour le compte de l’une de ses clientes, la société Caly, qu’il ne s’est ainsi pas contenté de mettre en relation son confrère avec sa cliente, mais lui a bien confié le dossier.

Il suffit, à cet égard, de rappeler que, par courrier du 8 avril 2021, Me [J] [S], membre de la Selarl Pontault Legalis, a saisi Me [A] en ces termes’:

« ‘Je fais suite à notre entretien téléphonique du 7 avril dernier dans cette nouvelle affaire concernant une déclaration de surenchère pour laquelle je vous remercie d’avoir accepté d’intervenir.

Vous trouverez joint à la présente sous forme Word pour que vous puissiez la modifier en cas de difficulté, le projet de déclaration de surenchère qu’il convient de déposer au greffe du juge des saisies immobilières du tribunal judiciaire de Meaux dans l’intérêt de notre cliente, la société Caly laquelle est en cours d’immatriculation et dont vous trouverez ci-joint les statuts…

Elle est animée par Mme [U] [Z] et son époux M. [H] [Z] dont je vous joint les pièces d’identité. Ces derniers sont également animateurs de la SAS Evolia… qui est une agence immobilière située à la même adresse que la SCI Caly.

Je vous joins également la copie du chèque de banque de 23 300 euros établi à l’ordre de la Carpa séquestre par l’agence Société Générale de [Localité 10] et que je me propose de vous remettre en original demain à l’audience du CRD.

La surenchère concerne un bien immobilier situé’ qui a été vendu à la barre du tribunal le 1er avril 2021… à la requête du CIC ayant pour avocat…

Les débiteurs saisis sont M.’et Mme [M]. A priori, ils n’ont pas de conseil.

Il n’y avait, en outre, qu’un seul créancier inscrit à savoir le Trésor Public, lequel n’aurait pas non plus de représentant.

L’avocat des adjudicataires est Me [I] mais, en revanche, je n’ai pas la copie de la déclaration de l’adjudicataire et n’ai pas connaissance de son identité et je vous laisse le soin de le vérifier auprès du greffe…

Par ailleurs, je vous laisse le soin d’établir l’attestation visée à l’article R 329-51 al 2 du code des procédures civiles d’exécution et de procéder dans les trois jours de sa déclaration aux parties et m’en justifier.

J’ai bien noté que vous souhaitiez recevoir des honoraires d’un montant de 500 euros HT que je sollicite auprès des clients, vous remerciant d’établir la facture à l’ordre de la société Evolia dont je vous adresse le Kbis… J’ai également sollicité l’attestation de non condamnation que je vous ferai suivre parallèlement dès qu’elle aura été régularisée par les clients…’ ».

Il s’ensuit ‘ ce qui n’est pas contesté ‘ que l’obligatoire de ducroire prévue par le texte précité régit effectivement les rapports entre les deux avocats concernés. D’ailleurs, Me [S] et/ou sa société d’exercice ont volontairement, à une date non précisée, exécuté l’ordonnance ‘ alors que rien ne les y obligeait puisqu’elle n’était pas exécutoire ‘ pour ce qui est des honoraires convenus (soit la somme de 600 euros TTC).

Me [S] et sa société d’exercice font, en premier lieu, valoir que le débiteur de l’obligation n’est pas l’avocat mais sa société d’exercice (la Selarl Pontaut Legalis).

Si Me [S] exerce sa profession par l’intermédiaire d’une Selarl (Pontaut Legalis) qui est intervenue volontairement à la procédure, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 16 de la loi du 31’décembre 1990, « ‘chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine de l’ensemble des actes qu’il accomplit. La société est solidairement responsable avec lui’ ».

Il résulte de cette disposition que le créancier de l’obligation de ducroire peut agir à sa convenance tant contre l’associé qui a personnellement confié le dossier à son confrère que contre sa société d’exercice.

Me [A] (ou sa société d’exercice qui intervient également volontairement à la procédure) pouvait agir contre Me [S] personnellement. La demande est, en conséquence, recevable.

En second lieu, Me [S] et la société Pontaut Legalis exposent que Me [A] n’est pas créancier des débours puisque la facture des frais de publicité a été établie par le prestataire, la société des Editions de Presse Les Affiches Parisiennes [Adresse 3] à [Localité 11], au nom de l’AIARPI Lexialis Avocats – [Localité 8] ([Adresse 2] [Localité 6]).

Il convient toutefois de rappeler que Me [A] exerce sa profession par le truchement d’une société d’exercice dénommée Selarl EVavocat laquelle est, ainsi qu’il ressort de son papier à en-tête (par exemple, sa pièce n° 3), membre d’une AIARPI dénommée Lexialis Avocats ([Localité 9] ‘ [Localité 8] ‘ [Localité 7]) qui réunit deux Selarl’: EVavocat et Saulnier Nardeux Malagutti Alfonsi.

À de stade, il semble utile de préciser qu’une AIARPI est une association inter-barreaux d’avocats à responsabilité professionnelle individuelle et que les structures de ce type, régies par les articles 124’à 128-2 du décret du 27 novembre 1991, fondées sur un contrat d’association, sont dépourvues de la personnalité morale
1:  » les associations, Aarpi ou sociétés en participation, étant dépourvues de la personnalité morale, l’action doit être intentée ou dirigée non pas à l’encontre du groupement d’exercice mais à l’encontre du ou des associés concernés par les facturation litigieuses  » (Ader et Damien, Règles de la profession d’avocat, Dalloz, n° 741.84)

.

Il en résulte que, nonobstant la référence à l’association sur le papier à en-tête de Me [A] (« ‘AIARPI LEXIALIS [Localité 8] SELARL EVAVOCAT’ »), c’est bien ce dernier, par le truchement de sa société d’exercice, qui a passé commande à la société Claude & Goy (marque de la société des Editions de presse Les Affiches Parisiennes) Publicité judiciaire et légale, [Adresse 3] [Localité 11], de la prestation d’affichage et de publicité liée à la surenchère de la société Caly, prestation qui a été facturée le 7 juin 2021 (facture n° AP 723126), au prix de 4’231,68 euros TTC.

L’erreur commise sur la facture qui ne mentionne en tant que destinataire que l’AIARPI Lexialis [Localité 8] est sans incidence sur l’identité du véritable solvens qui ne peut être que l’avocat qui avait passé commande de la prestation (et non l’AARPI dont il est membre).

C’est, en conséquence à tort que Me [S] et la société Pontaut Legalis prétendent que seule l’AIARPI  »dont il convient de rappeler qu’elle est dépourvue de la personnalité morale et n’a donc pas de patrimoine propre » aurait pu agir en recouvrement de la créance.

Ce moyen ne peut donc prospérer.

Me [A] (et sa société d’exercice Evavocat) réclament le payement, outre des honoraires (600 euros TTC déjà réglés), des débours (facture de 4’231,68 euros) et des émoluments (1’878,88’euros TTC, comprenant les émoluments surenchérisseur ‘ 371,21 euros HT ‘ et les émoluments adjudicataire final ‘ 1’194,52 euros HT).

Les frais et débours, dépenses expressément visées par l’article 11.8 du RIN et dont il est justifié du payement, sont incontestablement dus et la décision du bâtonnier, fondée sur le ducroire, qui a condamné Me [S] de ce chef, ne peut qu’être confirmée.

Pour le condamner également au règlement des émoluments que l’article 11.8 exclut pourtant expressément (‘à l’exclusion des émoluments’), le bâtonnier, suivant le demandeur en son argumentation, s’est fondé sur une décision rendue par la Cour de cassation le 14 novembre 2013 (pourvoi n° 12-28763) dont il résulte que le ‘ducroire’ englobe les « ‘frais et émoluments taxables’ ».

Cette solution n’est toutefois plus d’actualité puisque l’obligation de ducroire qui figurait alors sous l’article 11.5 du RIN (« ‘Un avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation son client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu des honoraires, frais et débours dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci. Les avocats peuvent néanmoins, dès l’origine et par écrit, convenir du contraire. En outre, le premier avocat peut, à tout instant, limiter par écrit son engagement au montant des sommes dues au jour où il exclut sa responsabilité pour l’avenir’ ») a été modifiée par décision de l’assemblée générale du Conseil national des Barreaux du 12 décembre 2015, publiée au Journal officiel le 16 février 2016, laquelle a expressément exclu les émoluments du champ de cette obligation (article 11.8 du RIN : « ‘L’avocat qui, ne se bornant pas à mettre en relation un client avec un autre avocat, confie un dossier à un confrère ou le consulte, est personnellement tenu au paiement des honoraires, frais et débours, à l’exclusion des émoluments, dus à ce confrère correspondant, au titre des prestations accomplies à sa demande par celui-ci…’ ».

La demande ne peut donc qu’être rejetée en ce qu’elle tend à la condamnation de l’appelant au payement de la somme de 1’878,88’euros TTC, la décision du bâtonnier étant infirmée de ce chef, Me [S] étant en définitive condamné à verser à Me [A] la somme de (600 + 4’231,68) 4’831,68 euros TTC en deniers ou quittance (la somme de 600 euros ayant été réglée ainsi qu’il résulte des conclusions concordantes des parties).

Sur les dépens et les frais irrépétibles’:

Me [S] et la société Pontaut Légalis qui échouent pour l’essentiel en leurs prétentions supporteront la charge des dépens de première instance et d’appel.

Ils devront, en outre, verser à Me [A] (qui en fait seul la demande) une somme de 1’500’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement.

Déclare recevable les interventions volontaires des Selarl Pontaut Legalis et Evavocat.

Confirme la décision du bâtonnier de l’ordre des avocats de Rennes en ce qu’elle a dit que les conditions de l’obligation ducroire étaient réunies.

L’infirme quant au montant de la condamnation.

Statuant à nouveau’:

Condamne Me [J] [S] à verser à Me [L] [A] la somme de 4’831,68 euros TTC en deniers ou quittance (une somme de 600 euros TTC ayant été réglée).

Condamne Me [S] et la société Pontaut Légalis aux éventuels dépens de première instance et d’appel.

Les condamne à verser à Me [L] [A] une somme de 1’500’euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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