Si le préjudice moral causé par la publication d’un article de presse People est lié à une double atteinte, l’une à la vie privée, l’autre au droit à l’image, il doit être apprécié de manière globale dès lors que ces deux atteintes sont intrinsèquement liées
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis. Par ailleurs, l’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées, à condition qu’elles soient dissociables. S’agissant de l’atteinte à la vie privée, l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause ; cependant, la répétition des atteintes, comme l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à accroitre le préjudice. En outre, l’utilisation de l’image d’une personne sans autorisation est de nature à provoquer chez son titulaire un dommage moral, la seule constatation de l’atteinte à ce droit par voie de presse ouvrant droit à réparation. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats. En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de la demanderesse consécutif à la publication litigieuse, il convient tout d’abord de prendre en compte le fait que celle-ci subit l’exposition au public d’éléments de sa vie privée dans un article qui apparaît dans un magazine de diffusion nationale et à grand tirage, et qui est annoncé dans un encart en page de couverture, accompagnée d’une pastille « SCOOP », révélatrice d’une promesse d’exclusivité, autant d’éléments qui, au-delà des seuls lecteurs, attirent l’attention des simples passants, du fait de l’affichage dans les kiosques à journaux et contribuent à assurer une plus large publicité aux propos litigieux. Il convient également de prendre en considération le fait que la publication litigieuse se rapporte à des faits relevant de sa vie privée, spéculant notamment sur ses sentiments et sur l’évolution de sa relation avec son ex-mari, ou annonçant son installation, fait à propos duquel la demanderesse ne s’était pas spécifiquement exprimée publiquement, ces éléments étant de nature à donner de la consistance au préjudice allégué. Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi. En outre, s’il convient de tenir compte de l’importance que la victime accorde à son image en sa qualité de mannequin et d’animatrice notamment, les clichés publiés ne sont en l’espèce ni dégradants, ni dévalorisants et ne portent pas atteinte à sa dignité. Il y a enfin lieu de prendre en considération le fait que la demanderesse a l’habitude de s’exprimer largement sur sa vie privée, notamment sur sa vie sentimentale, ses projets personnels comme son désir d’enfants, sa maternité ou encore son état psychologique, mais aussi sa séparation, son organisation familiale et son hôtel qu’elle partage avec ce dernier. S’il n’est pas contesté que la médiatisation autour de son premier mariage est ancienne, l’intéressée n’a pas cessé depuis lors de communiquer sur les éléments relatifs à sa vie privée tant par le biais d’interviews, d’un reportage télévisé, d’un livre autobiographique que de publications sur son compte Instagram. Cette complaisance à l’égard des médias est de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité de l’intérssée à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée par un magazine ainsi que l’importance qu’elle accorde à la protection de celle-ci. |
L’Essentiel : Le tribunal a rendu son jugement le 27 novembre 2024, condamnant CMI FRANCE à verser 2.000 euros à [L] [T] pour atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image, suite à la publication d’un article dans le magazine Public. Bien que la demanderesse ait subi un préjudice moral, le tribunal a noté sa propre exposition médiatique. La demande de publication d’un communiqué judiciaire a été rejetée, jugée disproportionnée par rapport à la liberté d’expression. CMI FRANCE a également été condamnée aux dépens et à verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
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Résumé de l’affaire :
Débats et AudienceL’audience du 9 octobre 2024 a été tenue publiquement par Gauthier DELATRON, sans opposition des avocats. Après avoir entendu les parties, il a rendu compte au tribunal conformément à l’article 786 du code de procédure civile. Jugement et AssignationLe tribunal a été saisi par une assignation délivrée le 12 janvier 2024 à la société CMI FRANCE, éditrice du magazine Public, à la demande de [L] [D], dite [L] [T]. Cette dernière a allégué une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image dans le numéro 1063 du magazine, daté du 24 novembre 2023. Elle a demandé des dommages-intérêts et la publication d’un communiqué judiciaire. Conclusions des PartiesLes dernières conclusions de [L] [D] ont été signifiées le 5 septembre 2024, maintenant ses demandes initiales. En réponse, CMI FRANCE a demandé le déboutement de la demanderesse et a proposé une évaluation symbolique du préjudice à un euro. Le tribunal a mis l’affaire en délibéré pour une décision prévue le 27 novembre 2024. Publication ContestéeLe magazine Public a publié un article sur la relation entre [L] [T] et [Z] [W], avec des détails sur leur cohabitation et des spéculations sur leur vie privée. L’article a été illustré par des photographies de [L] [T] et de sa famille, ce qui a conduit à l’assignation pour atteinte à sa vie privée. Atteintes à la Vie Privée et Droit à l’ImageConformément aux articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme, [L] [T] a soutenu que la publication a violé son droit à la vie privée et à l’image. CMI FRANCE a rétorqué que les informations étaient déjà publiques et que les photographies avaient été prises lors d’événements officiels. Évaluation du PréjudiceLe tribunal a noté que le préjudice moral résultant de la publication devait être évalué en tenant compte de la nature des atteintes. Bien que [L] [T] ait subi une atteinte à sa vie privée, le tribunal a également pris en compte sa propre exposition médiatique. Décision du TribunalLe tribunal a condamné CMI FRANCE à verser 2.000 euros à [L] [T] pour le préjudice moral. La demande de publication d’un communiqué judiciaire a été rejetée, considérée comme une restriction disproportionnée de la liberté d’expression. CMI FRANCE a également été condamnée aux dépens et à verser 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. ConclusionLe jugement a été rendu le 27 novembre 2024, confirmant les atteintes à la vie privée et au droit à l’image de [L] [T] tout en tenant compte de sa propre médiatisation. |
Q/R juridiques soulevées : La révélation de la relation sentimentale d’un couple de personnalités publiques sans que ces dernières ne l’ai révélé publiquement, tout comme le fait de spéculer sur l’évolution de leur relation et de leurs sentiments ainsi que sur leur recherche de logement, relèvent de l’intimité de la vie privée.
Cette atteinte est prolongée par l’utilisation de photographies, deux d’entre elles étant utilisées dans le cadre d’un photomontage, venant illustrer les propos tenus dans l’article de presse People quant à leur relation, la troisième la présentant avec son ex-mari et sa fille. La circonstance que les photographies litigieuses aient pu être initialement réalisées avec le consentement de l’intéressée est indifférente dès lors qu’elles sont ici détournées de leur destination initiale pour illustrer un article attentatoire à sa vie privée, sans que cela ne soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général ou un rapport avec l’actualité, ce qui porte également atteinte à son droit à l’image. Pour rappel, conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation. Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit. Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir. Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée. |
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
MINUTE N°:
17ème Ch. Presse-civile
N° RG 24/01039 – N° Portalis 352J-W-B7I-C3XX4
G.D
Assignation du :
12 Janvier 2024
[1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
République française
Au nom du Peuple français
JUGEMENT
rendu le 27 Novembre 2024
DEMANDERESSE
[L] [D] dite [L] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 5]
représentée par Me Alain TOUCAS-MASSILLON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1155
DEFENDERESSE
S.A.S. CMI FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Patrick SERGEANT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B1178
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Magistrats ayant participé au délibéré :
Gauthier DELATRON Juge
Président de la formation
Sophie COMBES, Vice-Présidente
Jean-François ASTRUC Vice-Président
Assesseurs
Greffiers :
Virginie REYNAUD, Greffier lors des débats
Viviane RABEYRIN, Greffier lors de la mise à disposition
A l’audience du 09 Octobre 2024 tenue publiquement devant Gauthier DELATRON, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les parties, en a rendu compte au tribunal, conformément aux dispositions de l’article 786 du code de procédure civile.
JUGEMENT
Mis à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Vu l’assignation délivrée le 12 janvier 2024 à la société CMI FRANCE, éditrice du magazine Public, à la requête d’[L] [D], dite [L] [T], laquelle, estimant qu’il avait été porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et à son droit à l’image dans le numéro 1063 du magazine en date du 24 novembre 2023, demande au tribunal, au visa des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de :
condamner la société CMI FRANCE à lui verser les sommes suivantes :20 000 euros au titre de son préjudice résultant des atteintes à sa vie privée ;10 000 euros au titre de son préjudice résultant de l’atteinte à son droit à l’image ;
Vu les dernières conclusions de la société CMI FRANCE signifiées par voie électronique le 17 septembre 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles elle demande au tribunal de :
à titre principal, débouter la demanderesse de l’ensemble de ses demandes, y compris des demandes dont était précédemment saisi le tribunal judiciaire de Nanterre sous le numéro RG 24/00751 ;à titre subsidiaire, de dire et juger que le préjudice subi par la demanderesse est évalué à la somme d’un euro symbolique et la débouter de toutes ses autres demandes ;en tout état de cause, condamner la demanderesse à verser à la société CMI FRANCE la somme de 3000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens ;
Vu l’ordonnance de clôture en date du 18 septembre 2024 ;
A l’audience du 9 octobre 2024, les parties ont oralement soutenu leurs écritures et il leur a été indiqué que la décision, mise en délibéré, serait rendue le 27 novembre 2024.
Sur la publication litigieuse
[L] [D], dite [L] [T], est une mannequin, actrice et animatrice de télévision.
Dans son édition n°1063, datée du 24 novembre 2023, le magazine Public, édité par la société CMI FRANCE, consacre un article à [L] [T] et [Z] [W].
Celui-ci est annoncé en page de couverture par le titre « [L] [T] & [Z] [W] Ils s’installent ensemble à [Localité 4] », avec une pastille « Scoop », apposé à un montage photographique présentant les intéressés.
La publication querellée est ensuite développée en page 10 du magazine, sous le titre « [L] [T] Elle emménage avec [Z] [W] ! », avec la mention « Infos Exclu ». Un sous-titre indique : « Les choses deviennent sérieuses entre la sublime blonde et le rappeur, qui auraient décidé de s’installer ensemble à [Localité 4], tout près de la fille d’[L]… mais également de son papa. »
L’article débute en présentant la relation entre [L] [T] et [Z] [W] comme celle d’un « couple moderne », digressant sur la « formule magique » qu’aurait trouvée [L] [T] pour refaire sa vie avec l’intéressé, en tenant compte de son ex-mari et de sa fille [I]. L’article relate qu’après avoir « passé ces derniers mois à naviguer entre [Localité 8], [Localité 6] et [Localité 4] », elle se serait installée définitivement au Maroc avec [Z] [W]. L’article indique qu’[L] [T] a gardé le rez-de-chaussée de l’hôtel qu’elle possède avec son ex-mari et spécule sur les difficultés relationnelles entre elle et ce dernier. Il est également relaté, par les propos rapportés d’un proche anonyme, que le tremblement de terre ayant frappé le Maroc en août a déterminé [L] [T] à s’y installer pour rester auprès de sa fille. L’article précise qu’[L] [T] et [Z] [W] sont « hébergés actuellement dans une maison prêtée par un ami » et « chercheraient activement une villa », se livrant à des hypothèses sur leurs futurs voisins.
L’article est illustré de deux photographies, l’une correspondant à un montage présentant les deux intéressés côte à côte ; l’autre présentant [L] [T], son ex-mari et sa fille, accompagnée de la légende suivante : « Mariés en 2014 à [Localité 6] et séparés en 2022, les parents de [I] commencent à peine à digérer la rupture… ».
C’est dans ces circonstances qu’est intervenue la présente assignation.
Sur les atteintes à la vie privée et au droit à l’image
Conformément à l’article 9 du code civil et à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De même, elle dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 10 de la même convention. Ils peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s’inscrit.
Le droit à l’information du public s’agissant des personnes publiques, s’étend ainsi d’une part aux éléments relevant de la vie officielle, d’autre part aux informations et images volontairement livrées par les intéressés ou que justifie une actualité ou un débat d’intérêt général. A l’inverse, les personnes peuvent s’opposer à la divulgation d’informations ou d’images ne relevant pas de leur vie professionnelle ou de leurs activités officielles et fixer les limites de ce qui peut être publié ou non sur leur vie privée, ainsi que les circonstances et les conditions dans lesquelles ces publications peuvent intervenir.
Enfin, la diffusion d’informations déjà notoirement connues du public n’est pas constitutive d’atteinte au respect de la vie privée.
Sur la publication dans le magazine Public du 24 novembre 2023
Au soutien de son action, [L] [T] fait valoir que la société CMI FRANCE a publié, sans son autorisation, un article spéculant sur la nature de ses sentiments à l’égard de [Z] [W] et révélant leur installation ensemble à [Localité 4], mais spéculant également sur l’état de ses relations avec son ex-mari, ce qu’elle estime être une immixtion intolérable dans sa vie privée.
Elle fait aussi valoir que la société CMI FRANCE a publié sans son autorisation, en page de couverture, un photomontage plaçant côte à côte une photographie la représentant et une photographie de [Z] [W], ainsi qu’en page 10, un autre photomontage pareillement composé avec une autre photographie de la demanderesse, outre une photographie la représentant accompagnée de son ex-mari et de sa fille dans une rue.
La société CMI FRANCE soutient que l’atteinte aux droits de la personnalité de la demanderesse doit être relativisée. Elle considère que les faits évoqués par l’article litigieux sont notoires et anodins, en ce que d’une part la relation qui unit la demanderesse à [Z] [W] est déjà connue du public depuis le mois d’avril 2023 sans démenti des intéressés (pièces n°12 et 13 en défense) et ressortait déjà des partages et commentaires réciproques des intéressés sur les réseaux sociaux depuis mars 2023 (pièce n°14 en défense), et que d’autre part la demanderesse s’est confiée à plusieurs reprises dans les médias sur son attachement au Maroc, sur son relais château à [Localité 4] ou encore sur la rupture avec son ex-mari (pièces n°16 et 17 en défense).
S’agissant de l’atteinte au droit à l’image, elle soutient que les photographies de la demanderesse utilisées dans les photomontages ont été réalisées à l’occasion d’événements officiels, à savoir un gala de charité, tandis que le cliché la présentant avec son ex-mari et sa fille a été pris lors du carnaval de [Localité 7] en février 2022 et est déjà paru dans la presse (pièce n°18 en défense), l’ensemble de ces photographies n’ayant qu’une vocation identitaire.
En l’espèce, la publication du 24 novembre 2023 procède à la révélation de l’installation supposée d’[L] [T] et [Z] [W] à [Localité 4], spécule sur l’évolution de leur relation et de leurs sentiments ainsi que sur leur recherche de logement, mais spécule également sur l’état de ses relations avec son ex-mari, éléments qui relèvent assurément de l’intimité de la vie privée de la demanderesse.
S’il est justifié par la société défenderesse qu’[L] [T] s’est déjà exprimée sur sa cohabitation avec son ex-mari [G] [O], dans leur hôtel à [Localité 4], pour le bien de leur fille (pièces n°16 et 17 en défense), aucune des pièces produites en défense ne démontre qu’[L] [T] s’est exprimée publiquement, avant la publication, sur sa relation avec [Z] [W], sur son installation avec ce dernier ou même sur l’état actuel de ses relations avec son ex-mari, pas plus qu’il n’est justifié d’une information relevant d’un sujet d’actualité ou d’un débat d’intérêt général, l’atteinte à la vie privée d’[L] [T] se trouvant ainsi caractérisée.
Cette atteinte est prolongée par l’utilisation des trois photographies d’[L] [T], deux d’entre elles étant utilisées dans le cadre d’un photomontage la plaçant côte à côte avec [Z] [W], venant illustrer les propos tenus dans l’article quant à leur relation, la troisième la présentant avec son ex-mari et sa fille. La circonstance que les photographies litigieuses aient pu être initialement réalisées avec le consentement de l’intéressée est indifférente dès lors qu’elles sont ici détournées de leur destination initiale pour illustrer un article attentatoire à sa vie privée, sans que cela ne soit rendu nécessaire par un débat d’intérêt général ou un rapport avec l’actualité, ce qui porte également atteinte à son droit à l’image.
Dans ces conditions, il convient donc de considérer que sont constituées les atteintes à la vie privée et au droit à l’image de la demanderesse résultant de la publication dans le magazine Public du 24 novembre 2023.
Sur la publication sur le site internet public.fr
A l’occasion de la présente action, la demanderesse n’a formé aucune demande, même additionnelle, tenant à l’article publié sur le site internet public.fr.
La société défenderesse soutient que dans le cadre d’une procédure sous le numéro RG 24/00751, [L] [T] l’a assignée devant le tribunal judiciaire de Nanterre par acte du 23 janvier 2024 (pièce n°25 en défense), sur les mêmes fondements que la présente affaire mais à raison d’un article publié sur le site internet public.fr, et que par ordonnance de mise en état du 12 septembre 2024, le juge de la mise en état de Nanterre a ordonné, en application de l’article 101 du code de procédure civile, son dessaisissement du fait du lien de connexité unissant sa procédure avec la présente procédure, renvoyé l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris, réservé le dépens et débouté la société CMI PUBLISHING de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure (pièce n°28 en défense). Elle sollicite dès lors que le présent tribunal statue sur les demandes d’[L] [T] relatives à l’article publié sur le site internet public.fr, en la déboutant.
Il convient de relever que l’ordonnance de clôture dans la présente procédure a été rendue le 18 septembre 2024, que le présent tribunal n’a en l’état pas été saisi du dossier de la procédure initiée devant le juge de Nanterre, qui concerne aux termes de l’ordonnance susvisée un article identique paru à la même date sur le site internet public.fr, et qu’aucune jonction avec la présente affaire n’a été réalisée. Il est constaté également qu’[L] [T] n’a formé, dans la présente procédure, aucune demande relative à l’article publié sur ce site internet, si bien que le tribunal n’en est pas saisi.
Il convient par conséquent de déclarer sans objet la demande formée par la société défenderesse, tendant au débouté des demandes d’[L] [T] relatives à l’article paru à la même date sur le site internet public.fr
Sur les écritures en défense du 4 septembre 2024
Dans le corps de ses dernières conclusions, la demanderesse fait valoir que dans ses écritures en date du 4 septembre 2024, la société CMI FRANCE s’est livrée à de nouvelles atteintes à sa vie privée et à son image, pour lesquelles elle entend solliciter réparation du tribunal selon le détail au dispositif de ses conclusions, lequel ne comporte cependant aucune demande en ce sens.
Il convient d’observer qu’en l’absence de demande formalisée à ce titre par la demanderesse, le tribunal n’a pas à se prononcer sur les éventuelles atteintes alléguées.
Sur les mesures sollicitées
Sur la demande indemnitaire
Si la seule constatation de l’atteinte au respect à la vie privée et au droit à l’image par voie de presse ouvre droit à réparation, le préjudice étant inhérent à ces atteintes, il appartient toutefois au demandeur de justifier de l’étendue du dommage allégué ; l’évaluation du préjudice est appréciée de manière concrète, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes, ainsi que des éléments invoqués et établis.
Par ailleurs, l’atteinte au respect dû à la vie privée et l’atteinte au droit à l’image constituent des sources de préjudice distinctes, pouvant ouvrir droit à des réparations différenciées, à condition qu’elles soient dissociables.
S’agissant de l’atteinte à la vie privée, l’allocation de dommages et intérêts ne se mesure pas à la gravité de la faute commise, ni au chiffre d’affaires réalisé par l’éditeur de l’organe de presse en cause ; cependant, la répétition des atteintes, comme l’étendue de la divulgation et l’importance du lectorat de ce magazine à fort tirage, sont de nature à accroitre le préjudice.
En outre, l’utilisation de l’image d’une personne sans autorisation est de nature à provoquer chez son titulaire un dommage moral, la seule constatation de l’atteinte à ce droit par voie de presse ouvrant droit à réparation. Le demandeur doit toutefois justifier de l’étendue du dommage allégué, le préjudice étant apprécié concrètement, au jour où le juge statue, compte tenu de la nature des atteintes et des éléments versés aux débats.
Au soutien de sa demande indemnitaire en réparation de la publication dans le magazine Public du 24 novembre 2023, [L] [T] expose que la publication de cet article lui cause un grave préjudice moral, celui-ci étant aggravé notamment par l’exploitation mercantile en page de couverture de son nom, de sa notoriété et de son image, par la mise en scène de l’annonce de sa emménagement avec [Z] [W], par les détails réels ou supposés contenus dans l’article quant à sa situation familiale et les sentiments supposés qu’elle nourrit à l’égard de [Z] [W] et de son ex-mari, par la très grande visibilité du magazine en kiosque, par le nombre important des lecteurs, par le contenu volontairement intrusif de l’article et par le ton dénigrant et le sentiment de défiance que crée l’article à son égard. Elle évoque également un préjudice de carrière en tant que mannequin professionnel et comédienne vivant de la commercialisation de son image.
La société défenderesse sollicite l’allocation d’une réparation à hauteur d’un euro symbolique. Elle conteste en premier lieu le sérieux du préjudice allégué, en ce que le couple ne fait pas mystère sur les réseaux sociaux des liens qui les unissent (pièce n°14 en défense), lesquels ont déjà été rendus publics par la presse à plusieurs reprises plusieurs mois auparavant (pièces n°12 et 13 en défense). Elle indique encore qu’après la publication litigieuse, les intéressés se sont témoignés leurs sentiments amoureux sur leurs réseaux sociaux (pièce n°14 en défense). Elle estime que les photographies publiées sont consenties et qu’elles ne présentent pas la demanderesse sous un jour désagréable. Elle soutient que l’article litigieux n’est signalé que par un petit encart en page de couverture, réduisant sa visibilité. En second lieu, elle sollicite qu’il soit tenu compte, dans l’appréciation du préjudice, de la particulière complaisance de la demanderesse sur le terrain de sa vie privée, celle-ci se livrant sur des sujets personnels et même intimes, à l’occasion d’interviews dans les médias (pièces n°4 à 10, 15, 20 en défense), dans un livre autobiographique paru en mai 2024 (pièce n°3 en défense) et en exposant également des éléments de sa vie privée, comme la naissance de sa fille ou la séparation avec son ex-mari, sur les réseaux sociaux (pièce n°2 en défense). Enfin, elle constate l’absence de pièce justificative établissant le préjudice de la demanderesse.
A titre préalable, il sera relevé que si le préjudice moral causé par la publication en cause est lié à une double atteinte, l’une à la vie privée, l’autre au droit à l’image, il doit être apprécié de manière globale dès lors que ces deux atteintes sont intrinsèquement liées.
En l’espèce, pour évaluer l’étendue du préjudice moral de la demanderesse consécutif à la publication litigieuse, il convient tout d’abord de prendre en compte le fait que celle-ci subit l’exposition au public d’éléments de sa vie privée dans un article qui apparaît dans un magazine de diffusion nationale et à grand tirage (pièce n°2.1 à 2.4 en demande et n°23 en défense), et qui est annoncé dans un encart en page de couverture, accompagnée d’une pastille « SCOOP », révélatrice d’une promesse d’exclusivité, autant d’éléments qui, au-delà des seuls lecteurs, attirent l’attention des simples passants, du fait de l’affichage dans les kiosques à journaux et contribuent à assurer une plus large publicité aux propos litigieux.
Il convient également de prendre en considération le fait que la publication litigieuse se rapporte à des faits relevant de sa vie privée, spéculant notamment sur ses sentiments à l’égard de [Z] [W] et sur l’évolution de sa relation avec son ex-mari, ou annonçant son installation à [Localité 4] avec [Z] [W], fait à propos duquel la demanderesse ne s’était pas spécifiquement exprimée publiquement, ces éléments étant de nature à donner de la consistance au préjudice allégué.
Certains éléments commandent toutefois une appréciation plus modérée du préjudice subi.
Il sera, en premier lieu, souligné qu’[L] [T] ne produit aucune pièce de nature à préciser le préjudice, moral ou professionnel, résultant spécifiquement pour elle de la publication de l’article.
En outre, s’il convient de tenir compte de l’importance qu’[L] [T] accorde à son image en sa qualité de mannequin et d’animatrice notamment, les clichés publiés ne sont en l’espèce ni dégradants, ni dévalorisants et ne portent pas atteinte à sa dignité.
Par ailleurs, les termes de l’article ne sont ni méprisants ou dégradants pour l’intéressée.
Il y a enfin lieu de prendre en considération le fait que la demanderesse a l’habitude de s’exprimer largement sur sa vie privée, notamment sur sa vie sentimentale, ses projets personnels comme son désir d’enfants, sa maternité ou encore son état psychologique, mais aussi sa séparation avec [G] [O], son organisation familiale et son hôtel à [Localité 4] qu’elle partage avec ce dernier. S’il n’est pas contesté que la médiatisation autour de son premier mariage est ancienne, [L] [T] n’a pas cessé depuis lors de communiquer sur les éléments relatifs à sa vie privée tant par le biais d’interviews, d’un reportage télévisé, d’un livre autobiographique que de publications sur son compte Instagram (pièces 2 à 11, 14, 15, 16, 17, 20 en défense). Cette complaisance à l’égard des médias est de nature à attiser la curiosité du public et à nuancer la sensibilité d’[L] [T] à l’évocation d’éléments relevant de sa vie privée par un magazine ainsi que l’importance qu’elle accorde à la protection de celle-ci.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il conviendra d’allouer à [L] [T], à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, la somme de 2.000 euros pour les atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l’image au sein du numéro 1063 du magazine Public en date du 24 novembre 2023.
Sur la demande de publication du communiqué de la décision
Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de publication judiciaire, qui constitue une restriction disproportionnée de la liberté d’expression, alors que l’allocation de dommages et intérêts à la demanderesse est suffisante à réparer le préjudice subi.
Sur les autres demandes
La société CMI FRANCE, qui succombe, sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit de Maître Alain TOUCAS-MASSILLON conformément à l’article 699 du code de procédure civile.
Il serait inéquitable de laisser à la charge du demandeur les frais exposés par lui au titre de la présente procédure, il y a lieu en conséquence de condamner la société CMI FRANCE à lui payer la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que l’exécution provisoire, en application de l’article 514 du code de procédure civile, est de droit.
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,
Condamne la société CMI FRANCE à payer à [L] [D] la somme de 2.000 euros en réparation de son préjudice moral résultant des atteintes portées à son droit à la vie privée et à son droit à l’image ;
Déclare sans objet la demande de la société CMI FRANCE tendant au débouté d’[L] [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions relatives à l’affaire dont était précédemment saisi le tribunal judiciaire de Nanterre sous le numéro RG 24/00751 ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société CMI FRANCE aux dépens, avec distraction au profit de Maître Alain TOUCAS-MASSILLON conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société CMI FRANCE à payer à [L] [D] la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit nonobstant appel.
Fait à Paris le 27 Novembre 2024
Le Greffier Le Président
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