Tribunal judiciaire de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 22/37832
Tribunal judiciaire de Paris, 26 novembre 2024, RG n° 22/37832

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Paris

Thématique : Établissement de la filiation : enjeux et refus d’expertise génétique

Résumé

Le 04 avril 2019, l’enfant [E] [C] a été inscrit à l’état civil de [Localité 10] comme étant né de [D] [C]. En août 2022, Mme [C] a assigné M. [R] [O] pour établir sa paternité. En octobre 2023, le tribunal a ordonné une expertise génétique, mais M. [O] n’a pas participé. Mme [S] a demandé la reconnaissance de M. [O] comme père et a évoqué des demandes financières. M. [O] a contesté la paternité, affirmant ne jamais avoir voulu d’enfant. Finalement, le tribunal a reconnu M. [O] comme le père et a statué sur l’autorité parentale et la contribution à l’entretien.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

Pôle famille
Etat des personnes

N° RG 22/37832 –
N° Portalis 352J-W-B7G-CXVL6

SC

N° MINUTE :
JUGEMENT
rendu le 26 Novembre 2024
DEMANDERESSE

Madame [D] [S]
agissant en son nom personnel et en qualité de représentante légale d’[E] [S], né le [Date naissance 3] 2019 à [Localité 10]
[Adresse 4]
[Localité 10]
représentée par Me Alexandra BALDINI, avocat au barreau de Paris #D1842

DÉFENDEUR

Monsieur [P] [O]
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Béatrice DUBREUIL, avocat au barreau de Paris #C0808

MINISTÈRE PUBLIC

Isabelle MULLER-HEYM

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Nastasia DRAGIC, Vice-Présidente
Sabine CARRE, Vice-Présidente
Anne FREREJOUAN DU SAINT, Juge

assistées de Founé GASSAMA, Greffière lors des débats et de KarenVIEILLARD, Greffière lors du prononcé.

Décision du 26 Novembre 2024
Pôle famille Etat des personnes
N° RG 22/37832 – N° Portalis 352J-W-B7G-CXVL6

DÉBATS

A l’audience du 12 novembre 2024 tenue en chambre du conseil.
Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Nastasia DRAGIC, Présidente et par Karen VIEILLARD, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 04 avril 2019, l’enfant [E] [C] a été inscrit sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 10], comme étant né le [Date naissance 3] 2019 de [D] [C], née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 9] (Seine-Saint-Denis).

Par acte de commissaire de justice délivré le 23 août 2022, Mme [C], de nationalité française, agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de son enfant mineur, a fait assigner devant ce tribunal M. [R] [O] (en réalité [P] [O]), né le [Date naissance 2] 1964 à Marseille (Bouches-du-Rhône), de nationalité française, aux fins d’établissement de la paternité de ce dernier à l’égard de l’enfant.

Par décision de l’officier de l’état civil de la mairie de [Localité 10] en date du 14 octobre 2022, Mme [C] a été autorisée à se nommer [S], le nom de l’enfant ayant été également modifié par effet dévolutif du changement du nom de sa mère.

Par jugement mixte du 10 octobre 2023, le tribunal, faisant application de la loi française, a :
– déclaré Mme [S], en sa qualité de représentante légale de l’enfant, recevable en son action en établissement judiciaire de paternité ;
Avant-dire droit sur les demandes présentées,
– ordonné une expertise, et désigné pour y procéder l'[7], avec pour mission de procéder à l’examen comparatif des empreintes génétiques afin de dire au résultat de cet examen, si M. [O] peut ou non être le père de l’enfant [E], et préciser, s’il y a lieu en pourcentage, les chances de paternité de ce dernier ;
– sursis à statuer sur les demandes présentées jusqu’au dépôt du rapport d’expertise ;
– réservé les dépens.

Le 12 février 2024, l’expert a déposé son rapport de carence daté du 7 février 2024, aux termes duquel il indique que M. [O] n’a pas participé à l’expertise, en dépit des deux convocations qui lui ont été adressées par lettres recommandées et dont les accusés de réception ont été retournés signés.

Aux termes de ses dernières conclusions en ouverture de rapport notifiées le 10 juin 2024 par la voie électronique, Mme [S] demande au tribunal de :
– la recevoir, en son nom propre et en sa qualité de représentante légale de son enfant mineur, en son action en recherche de paternité et de l’en déclarer bien fondée ;
– la recevoir en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
– juger que le refus de M. [O] de se soumettre à l’expertise génétique établit la paternité de ce dernier à l’égard d'[E] ;
– dire que M. [O] est le père d'[E] ;
– ordonner la transcription du jugement à intervenir sur l’acte de naissance de l’enfant ;
– condamner M. [O] à lui verser la somme de 13 800 euros, sauf à parfaire, sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;
– dire que désormais, le nom de l’enfant sera l’adjonction des deux patronymes [S]-[O] ;
– dire que l’autorité parentale sur l’enfant sera exercée conjointement et qu’il aura sa résidence habituelle à son domicile ;
– dire que le père pourra exercer un droit de visite et d’hébergement classique ;
– condamner M. [O] à lui verser une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant d’un montant de 300 euros par mois, sauf à parfaire, avec indexation et ce, à compter de l’assignation en recherche de paternité en date du 23 août 2022 ;
– condamner M. [O] à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner M. [O] aux dépens.

Au soutien de sa demande, elle explique qu’elle a rencontré M. [O] le 05 avril 2014 et est tombée enceinte au cours de l’été 2018, la date présumée de son début de grossesse ayant été déterminée au 25 juin 2018 ; que leur relation a pris fin au mois de septembre 2018 et que M. [O] n’a pas souhaité reconnaître l’enfant ; qu’il lui a notamment adressé un message le 10 février 2019 qui disait : « Mets-toi une bonne fois pour toutes dans la tête que je ne serai JAMAIS le père de ton enfant. Je n’ai JAMAIS voulu d’enfant avec toi. Et tu peux bien raconter toutes les histoires que tu veux, ma vie ne sera JAMAIS partagée avec toi. Si j’avais su que je me retrouverai dans cette situation, j’aurais mis des capotes. ADIEU ! » ; que toutefois, contre toute attente, au mois de novembre 2021, il lui a fait part de son désir de faire partie de la vie d'[E] qu’il a rencontré au mois de février 2022 ; qu’il lui a acheté quelques cadeaux ; qu’il a néanmoins rompu tout contact par la suite et qu’elle s’est alors trouvée dans l’obligation de saisir la présente juridiction aux fins d’établir la filiation paternelle de son fils ; que M. [O] a refusé de se présenter à l’expertise génétique ordonnée ; qu’il est de l’intérêt supérieur d'[E] de connaître son identité personnelle et d’établir un lien juridique avec son géniteur conformément aux dispositions de l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (« CEDH ») ; qu’une déclaration judiciaire de paternité, fondée notamment sur le refus de se soumettre à un test génétique, est conforme à l’article 8 de la CEDH ; qu’elle rappelle également qu’au jour de la conception de l’enfant, elle entretenait une relation exclusive avec M. [O] ; qu’ils ne se protégeaient pas et qu’elle ne prenait pas de contraceptif ; qu’il existe donc des présomptions et des indices graves suffisants en eux-mêmes pour établir la paternité de M. [O] à l’égard d'[E] ; qu’elle sollicite en outre le remboursement des frais liés à l’entretien et à l’éducation d'[E] depuis sa naissance, à savoir la somme de 13 800 euros correspondant à l’allocation d’une somme de 300 euros par mois pendant 46 mois ; qu’elle sollicite également le changement de nom de son fils pour adjoindre celui de M. [O], que l’autorité parentale soit exercée conjointement avec le père, que la résidence de l’enfant soit fixée à son domicile et que le père puisse exercer un droit de visite et d’hébergement une fin de semaine sur deux et durant la moitié de toutes les petites et grandes vacances scolaires, outre l’allocation d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant à hauteur de 300 euros par mois, étant précisé que cette demande est susceptible d’évoluer lorsque la situation de fortune du père aura été portée à la connaissance du tribunal.

Elle ajoute que la narration des faits par le défendeur dans ses écritures est totalement inexacte et calomnieuse ; qu’il souhaite la dévaloriser en affirmant qu’il serait « tombé dans un piège » ou encore qu’elle l’aurait « poursuivi sans cesse pour avoir des relations intimes avec lui » ; qu’il a produit aux débats un message qu’elle lui a envoyé le 28 octobre 2017 par lequel elle lui a adressé une photo d’elle dans une tenue qu’il qualifie de « particulière » afin de la discréditer ; qu’il affirme qu’il n’y a jamais eu de relation sentimentale entre eux et que son comportement serait « irresponsable » ; qu’il convient de le débouter de la demande qu’il forme à son encontre sur le fondement de l’article 1240 du code civil ; que si préjudice moral il y a, c’est elle-même et son enfant qui l’ont subi par suite de l’irruption du père dans leurs vies puis de sa disparition, nocive pour [E] sur le plan psychologique ; qu’elle-même s’est sentie utilisée, piégée et abusée par M. [O] qui était doté de toutes ses facultés mentales, psychologiques et émotionnelles tout au long des 8 années qu’ils ont passées à se fréquenter.

M. [O] n’a pas conclu en ouverture de rapport.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 24 mars 2023, M. [O] a conclu, à titre principal, au débouté des demandes présentées, en sollicitant à titre reconventionnel la condamnation de Mme [S] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral et, en tout état de cause, sa condamnation au paiement de la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

M. [O] expose que Mme [S] n’a eu de cesse de le poursuivre par messages pour avoir des relations intimes avec lui ; qu’il n’y a jamais eu de relation sentimentale entre eux et qu’il a toujours été clair avec elle sur la nature de leur relation, laquelle s’est limitée à quelques rapports intimes étalés sur plusieurs années et entrecoupés de périodes où ils ne se voyaient pas ; que Mme [S] n’a jamais été sa compagne ; qu’il n’a jamais passé une nuit, un week-end ou des vacances avec elle ; qu’il ne connaît aucun membre de sa famille ni aucun de ses amis proches et réciproquement. Il ajoute qu’elle lui avait confirmé à maintes reprises qu’elle prenait un moyen de contraception et qu’il a donc eu un choc en apprenant qu’elle était enceinte et qu’elle lui imputait la paternité de son enfant ; qu’il lui a clairement indiqué ne pas vouloir reconnaître son enfant mais qu’elle a cependant continué à le poursuivre de messages ; que, contrairement à ce qu’allègue la demanderesse, il n’a jamais dit vouloir faire partie de la vie de l’enfant ; que la veille de sa rencontre avec celui-ci au mois de février 2022, il a rappelé par message à Mme [S] qu’il n’avait pas voulu cet enfant et qu’il ne le reconnaîtrait pas ; que de lui avoir acheté des cadeaux n’est pas le signe d’un souhait de sa part de le reconnaître mais simplement un acte de générosité envers un enfant qui n’a pas à subir le comportement irresponsable de sa mère. Il précise qu’il refuse non seulement de reconnaître sa paternité mais également de se soumettre à une expertise génétique ; que son refus ne saurait pour autant être considéré comme un indice de sa paternité. A cet égard, il rappelle que la jurisprudence a déjà reconnu le droit du père à ne pas reconnaître l’enfant.

Au soutien de sa demande reconventionnelle de dommages et intérêts, il fait valoir que Mme [S] l’a volontairement trompé en lui faisant croire qu’elle n’avait aucun risque de tomber enceinte ; qu’il s’interroge sur ses véritables motivations qui pourraient n’être que purement financières ; que cette action de Mme [S] lui cause un grand préjudice moral en raison des manipulations dont elle a fait preuve et du choc violent qu’il a subi ; qu’il s’est senti utilisé, piégé et abusé.

Le ministère public, à qui l’affaire a été communiquée conformément aux dispositions de l’article 425 1° du code de procédure civile, n’a pas formulé d’observations.

L’enfant n’étant pas capable de discernement au sens des dispositions de l’article 388-1 du code civil, notamment au regard de son âge, l’information prévue par ces mêmes dispositions ne lui a pas été délivrée.

La clôture a été prononcée le 8 octobre 2024 et l’affaire a été appelée à l’audience du 12 novembre 2024 pour être plaidée, puis mise en délibéré au 26 novembre 2024.

[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

DIT que M. [P] [O], né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 8] (Bouches-du-Rhône), est le père de l’enfant [E] [S], né le [Date naissance 3] 2019 à [Localité 10], de [D] [S], née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 9] (Seine-Saint-Denis) ;

DIT que l’enfant se nommera désormais « [S] [O] » (1ère partie : « [S] », 2ème partie : « [O] ») ;

ORDONNE la mention de ces dispositions du présent jugement en marge de l’acte de naissance de [E] [S], né le [Date naissance 3] 2019, de [D] [S], née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 9] (Seine-Saint-Denis), dressé sur les registres de l’état civil de la mairie de [Localité 10], sous le numéro 1087 ;

DIT que l’autorité parentale sur l’enfant sera exercée exclusivement par Mme [D] [S] ;

FIXE la résidence de l’enfant au domicile de la mère ;

RESERVE le droit de visite et d’hébergement du père ;

CONDAMNE M. [P] [O] à payer à Mme [D] [S] une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant d’un montant de 180 euros (cent-quatre-vingt euros) par mois, et ce, rétroactivement à compter du 23 août 2022 ;

DIT que pour les mensualités dues à compter de la présente décision la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant sera versée par l’intermédiaire de l’organisme débiteur des prestations familiales à Mme [D] [S] ;

RAPPELLE que jusqu’à la mise en place de l’intermédiation par l’organisme débiteur des prestations familiales, le parent débiteur doit verser la contribution à l’entretien et l’éducation de l’enfant directement entre les mains du parent créancier au plus tard le 5 de chaque mois ;

DIT que cette contribution reste due jusqu’à la fin des études régulièrement poursuivies de l’enfant et sa première embauche lui procurant un revenu suffisant ;

DIT que cette contribution sera réévaluée le 1er janvier de chaque année par le débiteur et pour la première fois le 1er janvier 2026 en fonction des variations de l’indice mensuel des prix à la consommation des ménages hors tabac France entière selon la formule :

contribution = montant initial x nouvel indice
————–
Indice de base

dans laquelle l’indice de base est le dernier indice publié à la date du présent jugement et le nouvel indice, celui du mois précédant la réévaluation ;

REJETTE toutes les autres demandes ;

CONDAMNE M. [P] [O] à payer à Mme [D] [S] la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [P] [O] aux entiers dépens, comprenant les frais d’expertise et ceux liés à la désignation d’un administrateur ad hoc pour l’enfant.

Fait et jugé à Paris le 26 novembre 2024.

La Greffière La Présidente

Karen VIEILLARD Nastasia DRAGIC

 


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