Tribunal judiciaire de Nanterre, 26 novembre 2024, RG n° 23/07532
Tribunal judiciaire de Nanterre, 26 novembre 2024, RG n° 23/07532

Type de juridiction : Tribunal judiciaire

Juridiction : Tribunal judiciaire de Nanterre

Thématique : Reconnaissance de paternité : enjeux de fraude et d’intérêt supérieur de l’enfant

Résumé

En mars 2016, M. [B] [U] a reconnu son fils, [K] [U], à [Localité 9]. Cependant, en septembre 2023, le procureur de la République a contesté cette reconnaissance, l’accusant de fraude pour permettre à Mme [N] [W] d’obtenir un titre de séjour. Le ministère public a mis en avant des incohérences dans les témoignages des parents et l’absence de vie commune. En réponse, Mme [N] [W] a défendu la légitimité de la reconnaissance, affirmant une relation amoureuse avec M. [U]. Le tribunal a finalement annulé la reconnaissance de paternité, ordonnant la transcription de cette annulation sur l’acte de naissance de l’enfant.

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

Pôle Famille 2ème section

JUGEMENT RENDU LE
26 Novembre 2024

N° RG 23/07532
N° Portalis DB3R-W-B7H-YXHB

N° Minute : 24/

AFFAIRE

M. PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

C/

[B], [O] [U],
[N] [W]

Copies délivrées le :

DEMANDEUR

Monsieur le Procureur de la République
Tribunal Judiciaire de Nanterre
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Madame Marie-Emilie DELFOSSE, substitut du Procureur de la République

DEFENDEURS

Monsieur [B], [O] [U]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Défaillant

Madame [N] [W]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Ayant pour avocat postulant Me Martial JEUGUE DOUNGUE, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 565, et pour avocat plaidant Me Ange RIDJA MALI, avocat au barreau d’ESSONNE

AUTRE PARTIE

[K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] (93)
Ayant pour représentant légal Mme [F] [M], administratuer ad hoc et pour avocat Maître Laurence JARRET de la SCP LC2J, avocats au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : PN 752

L’affaire a été débattue le 24 Septembre 2024 en chambre du conseil devant le tribunal composé de :

Monia TALEB, Vice-Présidente,
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
magistrats chargés du rapport, les avocats ne s’y étant pas opposés.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries au tribunal composé de :

Monia TALEB, Vice-Présidente
Cécile BAUDOT, Première Vice-Présidente Adjointe
Martine SERVAL, Magistrat à titre temporaire
qui en ont délibéré.

Albane SURVILLE, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision réputée contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

EXPOSE DU LITIGE

[K] [U] est né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] de Mme [N] [W] et de M. [B] [U], qui l’ont reconnu devant l’officier de l’état civil de [Localité 9] le 18 mars 2016.

Par deux exploits en date des 14 septembre 2023 et 28 septembre 2023, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nanterre a respectivement fait assigner M. [B] [U] et Mme [N] [W], en personne et en qualité de représentante légale de l’enfant, devant le tribunal judiciaire de Nanterre. Aux termes de son assignation, le ministère public sollicite, au visa des articles 311-14, 336 du code civil, et 42 du code de procédure civile, l’annulation de la reconnaissance effectuée par ce dernier.

Il estime en effet que la reconnaissance faite par M. [B] [U], de nationalité française, est frauduleuse en ce qu’elle a eu pour seule finalité de permettre à Mme [N] [W], de nationalité nigériane, d’obtenir un titre de séjour en France. Il fait valoir que la situation lui a été signalée le 30 octobre 2020 par la préfecture de l’Essonne après que Mme [N] [W] a déposé une demande de renouvellement de son titre de séjour « parent d’enfant français ». Il soutient qu’il ressort des auditions de Mme [N] [W] et M. [B] [U], réalisées en 2017 et en 2018, que les intéressés n’ont pas la même version des circonstances de leur rencontre, qu’ils n’ont jamais eu de communauté de vie, que M. [U] n’entretient pas de relations avec l’enfant et qu’il n’est pas démontré qu’il verse une pension alimentaire. Il ajoute que M. [U] a reconnu onze enfants de mères différentes.

Par ordonnance du 9 janvier 2024, le juge de la mise en état a désigné un administrateur ad hoc pour représenter l’enfant.

Par conclusions signifiées par la voie électronique le 6 juin 2024, Mme [N] [W] demande au tribunal de :
déclarer l’action du procureur de la République recevable,rejeter les demandes du procureur de la République, condamner le procureur de la République à lui payer la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,le condamner aux dépens.
Elle expose qu’elle est arrivée en France le 10 février 2009 dans des conditions de grande précarité et qu’elle a fait l’objet pendant plusieurs années d’une exploitation sexuelle. Elle précise avoir formé une demande de titre de séjour en 2012, qui a été rejetée, puis avoir été prise en charge par le 115. Elle affirme avoir rencontré M. [U] en 2014, lors d’une fête de la musique à [Localité 8], et avoir entretenu avec celui-ci une relation amoureuse pendant plusieurs années, tout en le sachant marié. Elle soutient qu’à l’annonce de sa grossesse, M. [U] a souhaité reconnaître l’enfant et lui a indiqué qu’il entendait assumer ses responsabilités paternelles. Elle précise toutefois qu’il a ponctuellement participé à l’entretien et à l’éducation de l’enfant jusqu’à l’âge de cinq mois, puis qu’il l’a complètement abandonnée lorsqu’il a appris qu’elle était en couple. Elle réfute toute intention frauduleuse et reproche au ministère public d’occulter les convergences contenues dans les auditions.
Elle affirme que M. [U] est le père biologique de l’enfant et considère que les contradictions sur le lieu de la première rencontre, l’absence de vie de commune, l’absence de lien entre le père et son fils, ou la reconnaissance par M. [U] d’autres enfants, ne constituent pas des preuves de fraude.

Par conclusions signifiées par la voie électronique le 4 juin 2024, l’administrateur ad hoc de l’enfant demande au tribunal de :
dire l’action du ministère public recevable, débouter le procureur de la République de ses demandes,statuer ce que de droit sur les dépens.
Il fait valoir tout d’abord que l’action introduite dans le délai de dix ans est recevable et que la loi française est applicable en matière de fraude à la loi.
Sur le fond, il soutient que le ministère public ne rapporte pas la preuve de ce que la reconnaissance a pour objectif exclusif la fraude. Il souligne en effet que le dossier est composé des seules auditions des parties effectuées suite au signalement de la préfecture. Il note qu’aucune investigation n’a été faite afin de déterminer si les parties entretenaient effectivement une relation amoureuse ayant conduit à la grossesse de la mère. Il ajoute que l’absence de communauté de vie, tout comme la reconnaissance anticipée, est un fait courant, qui ne suffit à établir le caractère frauduleux de la reconnaissance. De même, il considère que le fait que M. [U] ait reconnu de nombreux enfants n’invalide pas pour autant la reconnaissance de l’enfant [K]. Il considère ainsi qu’en l’état d’une enquête sommaire et des déclarations des parties, qui s’accordent sur l’existence de relations intimes, il n’est pas démontré par le ministère public que la reconnaissance de M. [U] ait pour fondement exclusif la régularisation du droit au séjour de la mère, même s’il existe effectivement un doute. Il précise que si l’intérêt supérieur de l’enfant peut résider dans la connaissance de la réalité de sa filiation, la réalisation d’une expertise est en l’espèce impossible compte tenu de l’impossibilité de localiser le père. Il ajoute que l’intérêt de l’enfant reste préservé par la possibilité pour celui-ci d’agir en contestation de paternité à sa majorité.

Régulièrement cité selon les modalités prévues à l’article 659 du code de procédure civile, M. [B] [U] n’a pas constitué avocat.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024 et l’affaire a été fixée à l’audience de plaidoiries du 24 septembre 2024.

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 26 novembre 2024 par mise à disposition au greffe.

[DÉBATS NON PUBLICS – Motivation de la décision occultée]

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, en matière civile, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort, après débats en chambre du conseil,

DÉCLARE recevable l’action du ministère public en annulation de la reconnaissance de paternité souscrite par M. [B], [O] [U] le 18 mars 2016 à l’égard de l’enfant [K] [U],

ANNULE la reconnaissance de paternité effectuée par M. [B],[O] [U] le 18 mars 2016 devant l’officier de l’état-civil de [Localité 9] (Seine-Saint-Denis), à l’égard de l’enfant [K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10] (Seine-Saint-Denis),

ORDONNE la transcription du présent jugement sur l’acte de naissance n° 740 de l’enfant [K] [U], né le [Date naissance 2] 2016 à [Localité 10],

DIT que l’enfant portera le nom de sa mère [W],

DIT qu’aucun acte, extrait ou copie ne pourra être désormais délivré sans que la mention relative à l’annulation n’y figure

DEBOUTE Mme [N] [W] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. [B] [U] aux entiers dépens,

DIT que la présente décision sera notifiée par voie de signification extrajudiciaire par la partie la plus diligente et qu’elle sera susceptible d’appel dans le mois de la signification auprès du greffe de la cour d’appel de Versailles ;

RAPPELLE qu’à défaut d’avoir été signifiée dans les six mois de sa date, la présente décision est réputée non avenue ;

signé le 26 novembre 2024 par Monia TALEB, Vice-Présidente et par Albane SURVILLE, Greffier présent lors du prononcé.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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