Responsabilité professionnelle et manquement au devoir d’information dans une transaction immobilière

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Responsabilité professionnelle et manquement au devoir d’information dans une transaction immobilière

L’Essentiel : Le 18 septembre 2019, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] signent une promesse de vente pour un immeuble à [Localité 16] au prix de 350.000 euros, avec un acompte de 3.000 euros. Des problèmes de conformité et de servitudes émergent, notamment une servitude de passage obstruée par un portail non autorisé. Le notaire informe les acheteurs de l’impossibilité de résoudre la situation, entraînant la renonciation à l’achat le 20 décembre 2019. Les époux [X] assignent le notaire et le vendeur en justice pour fautes professionnelles, demandant des dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral.

Contexte de la Promesse de Vente

Le 18 septembre 2019, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont signé une promesse de vente pour un immeuble à [Localité 16], pour un montant de 350.000 euros, avec un acompte de 3.000 euros. La signature de l’acte authentique était prévue pour le 31 décembre 2019. Le bien comportait une piscine, mais des problèmes de conformité et de servitudes ont été soulevés.

Problèmes de Servitude et de Conformité

L’acte de vente mentionnait une servitude de passage au profit d’une parcelle voisine, mais un portail non autorisé obstruait ce passage. Les futurs acquéreurs ont demandé des clarifications à l’office notarial concernant cette situation. Le 18 décembre 2019, le notaire a informé les acheteurs de l’impossibilité de fermer le portail, ce qui a conduit à des complications pour la vente.

Renonciation à l’Achat

Le 20 décembre 2019, le notaire a décidé de ne pas signer l’acte authentique et a accordé un délai supplémentaire aux acheteurs pour trouver une solution avec le vendeur. En l’absence d’accord, les époux [X] ont finalement renoncé à l’achat.

Actions en Justice

Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont assigné la SCP [D] [Z] [10], la SAS [11] et Monsieur [U] [M] en justice, invoquant des fautes professionnelles du notaire et du vendeur, qui auraient causé un préjudice matériel et moral. Ils ont demandé des dommages et intérêts pour compenser leurs pertes.

Arguments des Demandeurs

Les demandeurs ont soutenu que le notaire avait manqué à son obligation d’information et de conseil, en ne fournissant pas des informations essentielles sur la servitude et la conformité des travaux. Ils ont également accusé le vendeur de dissimulation d’informations cruciales concernant le portail et la piscine.

Réponse des Défendeurs

La SCP [D] [Z] [10] et la SAS [11] ont demandé leur mise hors de cause, arguant qu’elles avaient respecté leurs obligations. Elles ont contesté les accusations de faute, affirmant que le notaire avait agi conformément à ses devoirs et que les informations manquantes n’étaient pas de sa responsabilité.

Décision du Tribunal

Le tribunal a reconnu des fautes de la part du vendeur et du notaire, entraînant un préjudice pour les demandeurs. Il a condamné Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à verser des dommages et intérêts pour couvrir les frais engagés par les époux [X] ainsi qu’une compensation pour le préjudice moral.

Conclusion et Condamnations

Le tribunal a ordonné le paiement d’un montant total de 9.457,28 euros pour les frais matériels et 3.000 euros pour le préjudice moral, ainsi qu’une somme de 2.000 euros pour les frais de justice. La société de courtage a été mise hors de cause.

Q/R juridiques soulevées :

Quelles sont les obligations d’information et de conseil du notaire dans une promesse de vente ?

Le notaire a des obligations précises en matière d’information et de conseil, qui sont essentielles pour garantir la validité et l’efficacité de l’acte qu’il rédige. Selon l’article 1240 du Code civil, « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Cela implique que le notaire doit vérifier les déclarations faites par le vendeur et s’assurer que toutes les informations pertinentes sont communiquées aux parties. En effet, l’article 1112-1 du Code civil stipule que « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son contractant ».

Ainsi, le notaire doit procéder à des vérifications approfondies, notamment en ce qui concerne les autorisations d’urbanisme et la conformité des travaux. Dans le cas présent, Maître [Z] aurait dû s’assurer que toutes les servitudes et les conditions de conformité étaient clairement établies et comprises par les acquéreurs.

Il est également de sa responsabilité de répondre aux demandes d’informations des parties, ce qui n’a pas été fait dans cette affaire, entraînant un manquement à son devoir de conseil.

Quelles sont les conséquences de la dissimulation d’informations par le vendeur ?

La dissimulation d’informations par le vendeur peut engager sa responsabilité délictuelle, comme le stipule l’article 1240 du Code civil. En effet, si un vendeur omet de communiquer des informations essentielles qui influencent le consentement de l’acheteur, il peut être tenu responsable des préjudices causés.

Dans cette affaire, Monsieur [U] [M] a sciemment dissimulé des informations concernant l’installation d’un portail sans autorisation et l’absence de certificat de conformité pour la piscine. Ces éléments étaient cruciaux pour le consentement des acquéreurs, car ils affectaient directement l’usage et la jouissance du bien.

L’article 1112-1 du Code civil impose au vendeur de révéler toute information déterminante pour le consentement de l’autre partie. En ne le faisant pas, Monsieur [U] [M] a non seulement violé son obligation de loyauté, mais a également causé un préjudice matériel et moral aux époux [X], qui avaient engagé des frais et des démarches en vue de l’acquisition.

Quels sont les types de préjudices pouvant être indemnisés dans ce type d’affaire ?

Dans le cadre d’une action en responsabilité délictuelle, plusieurs types de préjudices peuvent être indemnisés. Selon l’article 1240 du Code civil, tout dommage causé par une faute peut donner lieu à réparation.

Les préjudices matériels incluent les frais engagés par les acheteurs en raison de la vente avortée, tels que les frais de déménagement, les échéances de prêt immobilier, et d’autres dépenses directement liées à l’acquisition du bien. Dans cette affaire, les époux [X] ont justifié des frais de déménagement et des échéances de prêt, qui ont été reconnus comme des préjudices matériels.

En outre, le préjudice moral, qui découle de la déception et du stress causés par l’annulation de la vente, peut également être indemnisé. Les époux [X] ont exprimé leur détresse émotionnelle et leur perte de temps, ce qui a été pris en compte par le tribunal pour évaluer le montant des dommages et intérêts.

Comment se détermine la responsabilité du notaire en cas de manquement à ses obligations ?

La responsabilité du notaire peut être engagée en cas de manquement à ses obligations d’information et de conseil. Selon l’article 1240 du Code civil, la faute du notaire doit être prouvée, et il doit être démontré que cette faute a causé un préjudice aux parties.

Dans cette affaire, Maître [Z] n’a pas effectué les vérifications nécessaires concernant les autorisations d’urbanisme et la conformité des travaux, ce qui constitue un manquement à son devoir de diligence. De plus, il n’a pas répondu aux demandes d’informations des acquéreurs, ce qui a contribué à leur méconnaissance des risques liés à l’achat.

La jurisprudence impose au notaire de prouver qu’il a bien rempli ses obligations. En l’absence de preuves de diligence, le notaire peut être tenu responsable des conséquences de son inaction, comme cela a été le cas dans cette affaire où les époux [X] ont subi un préjudice en raison de la vente non réalisée.

Quelles sont les implications de la mise hors de cause d’un courtier d’assurance dans une affaire de responsabilité notariale ?

La mise hors de cause d’un courtier d’assurance, comme la société [11] dans cette affaire, signifie qu’elle n’est pas responsable des fautes commises par le notaire ou le vendeur. Selon les principes de la responsabilité civile, un courtier d’assurance agit en tant qu’intermédiaire et n’est pas responsable des actes de ses clients, sauf s’il a lui-même commis une faute.

Dans ce cas, la société [11] a été mise hors de cause car elle n’a pas été impliquée dans les manquements du notaire ou du vendeur. Cela souligne l’importance de déterminer la responsabilité de chaque partie dans une affaire complexe, où plusieurs acteurs peuvent être impliqués.

La décision de mettre hors de cause le courtier d’assurance permet de concentrer la responsabilité sur les parties directement impliquées dans la transaction, à savoir le notaire et le vendeur, qui ont manqué à leurs obligations respectives envers les acquéreurs.

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE DRAGUIGNAN
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Chambre 1

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DU 26 Novembre 2024
Dossier N° RG 23/02091 – N° Portalis DB3D-W-B7H-JYHP
Minute n° : 2024/533

AFFAIRE :

[P] [X], [H] [X]-[L] C/ S.A.S. [11], [U] [M], S.C.P. [D] [Z] [10]

JUGEMENT DU 26 Novembre 2024

COMPOSITION DU TRIBUNAL :

PRÉSIDENT : Madame Alexandra MATTIOLI

JUGES : Madame Virginie GARCIA
Madame Chantal MENNECIER

GREFFIER lors des débats : Madame Fanny RINAUDO, Directrice des Services de greffe Judiciaires
GREFFIER lors de la mise à disposition : Madame Nasima BOUKROUH

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Septembre 2024
A l’issue des débats, les parties ont été avisées que le jugement serait prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2024 prorogé au 26 Novembre 2024

JUGEMENT :

Rendu après débats publics par mise à disposition au greffe, par décision réputée contradictoire et en premier ressort.

copie exécutoire à : Me Isabelle CALDERARI
la SCP LOUSTAUNAU FORNO
Délivrées le

Copie dossier

NOM DES PARTIES :

DEMANDEURS :

Monsieur [P] [X]
[Adresse 7]
[Localité 8]

Madame [H] [X]-[L]
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentés par Me Isabelle CALDERARI, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, avocat postulant, Me Sylviane MAZARD, avocat au barreau de LILLE, avocat plaidant

D’UNE PART ;

DÉFENDEURS :

S.A.S. [11]
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Jean-luc FORNO, de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

Monsieur [U] [M]
dernier domicile connu : [Adresse 14]
[Localité 16]

non comparant

S.C.P. [D] [Z] [10]
[Adresse 15]
[Localité 16]

représentée par Maître Jean-luc FORNO, de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, avocat au barreau de DRAGUIGNAN

D’AUTRE PART ;

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EXPOSE DU LITIGE

Le 18 septembre 2019, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L] ont signé en l’Etude de la SCP [D] [Z] [10] une promesse de vente portant sur un immeuble situé [Adresse 1], [Localité 16], cadastré section BW [Cadastre 3] et BW [Cadastre 4], appartenant à Monsieur [U] [M], pour un prix de 350.000 euros.

La réitération de l’acte authentique devait intervenir le 31 décembre 2019 au plus tard, et un acompte de 3.000 euros a été versé par les bénéficiaires de la promesse.

Le bien comprend une piscine pour laquelle une déclaration de travaux avait été obtenue, tandis que l’opposition de non-contestation relative à la réalisation de celle-ci n’avait pas été délivrée.

L’acte mentionne l’existence de plusieurs servitudes, parmi lesquelles une servitude de passage au profit de la parcelle cadastrée [Cadastre 5], dont le propriétaire était [R], dans les termes suivants :

« A titre de servitude réelle et perpétuelle, le propriétaire du fonds servant constitue au profit du fonds dominant et de ses propriétaires successifs un droit de passage en tous temps et heures et avec tous véhicules…. Ce droit de passage s’exercera exclusivement sur le chemin…. il ne pourra être ni obstrué ni fermé par UN PORTAIL D’ACCES sauf dans ce dernier cas accord entre les parties…. »

Un portail d’accès, non mentionné à l’acte étant édifié sur chemin de la servitude, les époux [X] ont sollicité à plusieurs reprises l’office notarial afin d’obtenir des informations sur le fonctionnement de celui-ci.

Le 18 décembre 2019, soit l’avant-veille de la date de la signature de l’acte authentique prévue le 20 décembre 2019, Maître [Z] a informé les futurs acquéreurs de l’impossibilité de fermer le portail de la propriété compte tenu de la situation d’enclavement de la propriété voisine et du refus de la Mairie de délivrer un certificat de conformité pour les travaux réalisés sur l’immeuble depuis 2004 ainsi que pour la piscine en raison du risque de noyade lié à l’impossibilité de fermer le portail.

Le 20 décembre 2020, Maître [Z] n’a pas souhaité que l’acte authentique soit signé et a accordé aux acheteurs un délai supplémentaire de 10 jours afin qu’ils trouvent une solution avec le vendeur, notamment une éventuelle remise de prix en compensation des travaux à entreprendre afin de sécuriser la propriété. En l’absence de remise de prix consentie par Monsieur [U] [M], les époux [X] ont renoncé à l’achat envisagé.

Faisant valoir que les fautes conjuguées du notaire, qui a manqué à ses obligations professionnelles, et du vendeur, qui a intentionnellement dissimulé des informations essentielles aux acheteurs, leur ont causé un préjudice tant matériel que moral, Monsieur [P] [I] et Madame [H] [I]-[L], suivant acte du 13 mars 2023 converti en procès-verbal de recherches infructueuses pour Monsieur [U] [M], ont fait assigner la SCP [D] [Z] [10], la SAS [11] et Monsieur [U] [M] devant le tribunal judiciaire de DRAGUIGNAN afin d’en obtenir l’indemnisation.

Dans leurs conclusions du 7 février 2024, ils demandent au tribunal, au visa des articles 1112-1, 1240 du code civil, de :

-CONDAMNER solidairement Monsieur [U] [M], la SCP [D] [Z] [10] prise en la personne de son représentant légal, outre la société de courtage d’assurance [11] à leur payer la somme de 29.980,66 euros minimum à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice matériel ;
-CONDAMNER solidairement Monsieur [U] [M], la SCP [D] [Z] [10] prise en la personne de son représentant légal et la société de courtage d’assurance [11] à leur payer la somme de 6000 € à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral ;
-CONDAMNER solidairement les mêmes à leur payer la somme de 3000 € en application de l’article 700 du CPC outre les entiers dépens.

Au soutien de leurs demandes, ils mettent en avant la faute délictuelle du notaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil consistant en la violation de son obligation d’information et de conseil des parties, soulignant que Maître [Z] s’est abstenu de leur fournir les informations nécessaires leur permettant de prendre une décision éclairée concernant l’acquisition du bien, quant à la servitude grevant le bien et à l’absence de conformité des travaux. Ils lui reprochent :
– l’imprécision et l’incomplétude des documents contractuels, et notamment des implications des servitudes dont les plans n’étaient pas annexés ;
– le défaut de réponse à leurs demandes d’informations réitérées ;
– la négligence dans la vérification des documents d’urbanisme et la conformité des travaux ;
– d’être demeuré taisant sur l’impossibilité de fermer le portail alors qu’il en était informé au minima le 10 décembre 2019.

Ils reprochent à Monsieur [U] [M] de leur avoir sciemment dissimulé des informations essentielles, en violation de son devoir de loyauté et de bonne foi dans la transaction immobilière, s’agissant de :
– l’installation du portail sans autorisation ;
– la non divulgation de l’absence d’accord de la voisine alors qu’il a produit un courrier contesté auprès de la mairie de [Localité 16] faisant état du prétendu accord de Madame [R] pour tenter de régulariser la situation après signature du compromis ;
– la fausse déclaration sur le responsable de la non-déclaration du portail, puisqu’il a tenté de dissimuler son implication dans l’installation irrégulière du portail en attribuant la responsabilité à une société tierce.

Ils soulignent que ces fautes conjuguées leur ont causé un préjudice matériel, puisqu’ils avaient obtenu leur prêt, transféré les fonds sur le compte du notaire et pris leurs dispositions pour déménager de la région Hauts de France et emménager dans les lieux le soir même de la signature de l’acte authentique, alors qu’ils ont été informés seulement deux jours plus tôt des difficultés. Ils précisent que ce préjudice est composé des frais bancaires liés au prêt consenti pour financer l’acquisition et les frais liés à la location en urgence d’un garde-meubles pendant plusieurs mois.

Ils invoquent également un préjudice moral puisqu’ils ont été confrontés à une grande déception et à un stress considérable, outre une perte de temps en raison de l’annulation soudaine de leur projet d’aménagement.

S’agissant de la responsabilité de [11], ils soulignent qu’elle a toujours été leur unique interlocuteur suite à la plainte qu’ils ont déposé auprès de la [9] et de la caisse régionale de garantie du Var. Ils ajoutent qu’elle ne les a pas informés du nom ni de la compagnie d’assurance responsable.

Dans leurs conclusions du 4 octobre 2023, la SCP [D] [Z] [10] et la SAS [11] demandent au tribunal de :

-ORDONNER la mise hors de cause de la [11] en sa qualité de courtier ;
-DEBOUTER Monsieur et Madame [P] [X] de toutes leurs demandes, fins et conclusions en ce qu’elles sont dirigées à l’encontre de la SCP [D] [Z] [10] à [Localité 16] ;
-les CONDAMNER à payer à la SCP [D] [Z] [10], la somme de 3 000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
-les CONDAMNER aux entiers dépens distraits au profit de Maître Jean-Luc FORNO, avocat, membre de la SCP LOUSTAUNAU FORNO, sur ses offres et affirmations de droit.

A titre liminaire, elles font valoir que la [11] est une société de courtage d’assurances qui n’a pas vocation à se substituer à l’assureur professionnel des notaires, les [13]/[12] SA, et qu’elle ne peut faire l’objet d’aucune condamnation et doit ainsi être mise hors de cause.

La SCP [Z] [10] affirme avoir effectué les diligences qu’il convenait en la matière, en mentionnant les différentes servitudes à l’acte et en relatant toutes les opérations d’urbanisme et la conformité des travaux, excepté s’agissant de la piscine, pour laquelle manquait l’opposition de non-contestation, et au sujet de laquelle le notaire a invité Monsieur [U] [M] à régulariser la situation. Elle souligne que l’acheteur s’est exécuté en écrivant à la mairie de [Localité 16] le 24 septembre 2019, et que ce n’est que le 10 décembre 2019 que l’opposition à la déclaration préalable a été rendue, quelques jours avant la régularisation de l’acte authentique, de sorte que le notaire a souhaité accorder un délai complémentaire aux acquéreurs pour leur permettre de se rétracter.

Elle conteste un quelconque manquement de Maître [Z], qui n’a pu prendre connaissance de l’impossibilité de fermer le portail que lors de la réception du refus du certificat de non-opposition délivré par la mairie. Elle souligne que le délai de réponse de la mairie n’a pas permis au notaire d’informer les époux [X] plus tôt de cette difficulté, de sorte qu’aucune faute ne peut lui être reprochée. Elle conteste également le préjudice invoqué concernant les frais bancaires qui devaient en tout état de cause être retenus par la banque en cas d’échec de la vente et dont la perte n’est pas liée à un quelconque manquement de l’étude. Elle ajoute que les demandeurs ne justifient pas d’une quelconque mise en demeure, le courrier du 10 septembre 2020 faisant simplement état d’un préjudice financier.

Monsieur [U] [M], bien que régulièrement assigné, n’a pas constitué avocat.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 27 février 2024 et renvoyé à l’audience collégiale du 5 septembre 2024, à l’issue de laquelle les parties ont été informées de la mise en délibéré de la décision par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2024 prorogé au 26 Novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, sur la demande de mise hors de cause la société [11]

La société [11] sollicite sa mise hors de cause au motif qu’elle n’est que le courtier délégataire de l’assureur de la SCP notariale [D] [Z] [10].

Il ressort des correspondances intervenues entre le Conseil des consorts [X] et la société [11] que cette dernière s’est toujours présentée comme le courtier de l’assureur du Notaire, ce qui est également corroboré dans le logo de signature des correspondances de [11] selon lequel elle est « une société de courtage d’assurance ».

Il convient dès lors de mettre hors de cause la SAS [11].

Sur la demande de dommages et intérêts des consorts [X]

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En application de ce texte, chacun des coauteurs d’un même dommage, unique et indivisible, doit être condamné à le réparer en totalité, la condamnation étant alors prononcée in solidum, sans préjudice des recours récursoires entre eux.

A) Sur l’existence d’une faute de monsieur [U] [M], vendeur

Il résulte des dispositions de l’alinéa 1er de l’article 1112-1 du code civil que celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son contractant.

En l’espèce, Madame et Monsieur [X] se sont portés acquéreur, le 18 septembre 2019, d’un bien consistant en une maison d’habitation avec piscine et comportant une servitude de passage au profit de la parcelle cadastrée n°[Cadastre 5].

Il ressort des pièces versées aux débats que la parcelle cadastrée n°[Cadastre 5] a pour propriétaire Madame [R] et que relativement à ladite servitude, l’acte mentionne :

« A titre de servitude réelle et perpétuelle, le propriétaire du fonds servant constitue au profit du fonds dominant et de ses propriétaires successifs un droit de passage en tous temps et heures et avec tous véhicules…. Ce droit de passage s’exercera exclusivement sur le chemin…. il ne pourra être ni obstrué ni fermé par UN PORTAIL D’ACCES sauf dans ce dernier cas accord entre les parties…. »

Tel que le révèle notamment la mise en demeure de régularisation des travaux adressée par la Commune de [Localité 16] à Monsieur [U] [M], un portail d’accès non mentionné à l’acte se trouve installé sur le passage de la servitude.

Alors que l’existence de ce portail devait être signalé aux bénéficiaires de la promesse, Monsieur [U] [M] a omis d’informer les consorts [X] que le portail a été installé et ce, sans autorisation légale préalable de la part des services d’urbanisme.

En outre, il apparaît que Monsieur [M] n’a pas informé les consorts [X] que Madame [R] n’avait pas donné son accord pour l’installation dudit portail et que celui-ci gênait son droit de passage et empêchait ainsi la libre circulation pour accéder à son habitation.

Il ressort de l’opposition à une déclaration préalable en date du 10 décembre 2019 que Monsieur [U] [M] a produit un courrier prétendument rédigé par Madame [R], ce que conteste l’intéressée, aux fins de régulariser sa défaillance après la signature du compromis.

Ces agissements révèlent la parfaite connaissance de ce dernier de ce que l’existence de ce portail allait à l’encontre des termes de la promesse de vente ce dont il s’en déduit que le vendeur a délibérément caché cette information essentielle.

Cette dissimulation intentionnelle est encore caractérisée par le fait que Monsieur [U] [M] a tenté de cacher sa faute en attribuant la responsabilité de la non-déclaration du portail à une société tierce qui n’est autre que sa propre société, ce qui caractérise encore davantage sa parfaite connaissance de ce que ces informations étaient essentielles pour les acheteurs.

Enfin, Monsieur [U] [M] a également omis de préciser que la piscine n’avait pas obtenu de certificat de conformité alors qu’il savait pertinemment que le document n’a jamais été délivré du fait de l’impossibilité de fermer le portail du terrain pour mettre en sécurité l’accès à ladite piscine, les propriétaires de la parcelle [Cadastre 5] s’y opposant.

En dépit de sa connaissance de l’ensemble des irrégularités précitées, Monsieur [U] [M] a signé une promesse de vente avec les consorts [X] en omettant volontairement de les en informer.

En retenant sciemment une information déterminante du consentement des consorts [X], Monsieur [U] [M] a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle si un préjudice en est résulté.

B) Sur la faute de Maître [Z], notaire

En application de l’article 1240 du code civil précité, les notaires doivent, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour en assurer l’utilité et l’efficacité.

Aussi, le notaire est-il tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu’il existe une publicité légale, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse.

La recherche de la délivrance ou non du certificat de conformité ne suffit pas, en l’absence d’information sur les incidences d’un refus de délivrance du certificat de conformité et du risque encouru dans ce cas.

En outre, l’attention du notaire quant à l’effectivité de l’acte juridique qu’il reçoit doit d’autant plus être mobilisée lorsqu’il est le seul notaire à intervenir pour cette opération.

Enfin, la preuve du conseil donné incombe au notaire, et elle peut résulter de toute circonstance ou document.

En l’espèce, il n’est pas contestable que Maître [Z] devait procéder aux vérifications des autorisations d’urbanisme et de conformité des travaux du portail et de la piscine et ce, avant la signature de la promesse de vente afin que les vendeurs soient en pleine possession de tous les éléments d’information sur le bien, objet de la vente.

Il devait d’autant plus effectuer lesdites diligences qu’il résulte des pièces versées aux débats que les acquéreurs ont demandé dès le lendemain de la signature de la promesse de vente des renseignements complémentaires sur la situation juridique du bien sans que l’officier ministériel ne leur apporte une réponse précise et circonstanciée conformément à ce que son devoir de conseil le lui impose.

Cette obligation était d’autant plus importante que les consorts [X] n’étaient pas assistés par un notaire propre dans le cadre de la vente en litige. Or, il ne ressort pas des stipulations de l’acte authentique que les acquéreurs aient été clairement informés des incidences de la situation créée par la servitude querellée. Ils n’apparaissent pas avoir été davantage informés des conséquences d’un refus de délivrance du certificat de conformité et du risque subséquent qu’ils s’engageaient à supporter, ce dont il résulte que le notaire a manqué à son devoir de conseil.

En outre, et en tout état de cause, il appartenait à Maître [Z], pour recevoir l’acte de vente entre Monsieur [U] [M] et les consorts [X] portant sur une maison d’habitation et une piscine, de vérifier, avant l’établissement de cet acte, que Monsieur [U] [M] avait effectivement demandé et obtenu les autorisations d’urbanisme idoines.

Sur ce point, Maître [Z] ne peut légitimement soutenir que les vérifications des documents concernant la piscine n’étaient pas essentielles au prétexte qu’une déclaration de travaux avait été obtenue ou que le certificat de conformité n’avait pas été érigé en condition suspensive par les bénéficiaires.

En effet, d’une part la piscine faisait naturellement partie du bien, objet de la vente, ce dont il en résulte que les vérifications lui incombant portaient nécessairement sur la maison d’habitation et la piscine qui y est incluse et dont la jouissance paisible doit être assurée aux acquéreurs et d’autre part, l’information sur l’existence ou non desdites autorisations lui était facilement accessible ce dont il en résulte qu’il devait exercer un contrôle sur ce point pour au moins informer loyalement les acquéreurs.

Maître [Z] ne saurait enfin sérieusement prétendre avoir été induit en erreur par le vendeur, l’erreur ainsi induite – à la supposer établie – n’étant pas légitime pour avoir été causée par sa propre carence dans les investigations qui lui incombaient.

En effet, peu importe que les services d’urbanisme de la Commune de [Localité 16] aient rendu l’opposition à déclaration préalable à travaux le 10 décembre 2019 puisque dès le 25 octobre 2019, des agents de la Commune se rendaient sur les lieux pour enquêter sur la situation du bien et que celle-ci a adressé une mise en demeure à Monsieur [M] le 19 novembre suivant.

Cette chronologie démontre au contraire que si le Notaire instrumentaire avait exercé ses diligences en temps utile, et notamment par suite des nombreuses relances aux fins d’information émanant des consorts [X], ces derniers auraient pu être prévenus des difficultés de la vente dans des délais plus raisonnables.

Enfin, Maître [Z] n’est pas davantage excusé par la circonstance selon laquelle il aurait invité Monsieur [M] à régulariser la situation de la piscine et du portail dès lors qu’il ne justifie aucunement desdites diligences.

En ne procédant pas à ces investigations et en ne respectant pas son devoir de conseil, le notaire a commis une faute susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle si un préjudice en est résulté.

C) Sur les préjudices

1) Sur le préjudice matériel des consorts [X]

Si l’information portant sur la servitude de passage avait été donnée aux consorts [X] avant qu’ils n’accomplissent toutes les démarches liées à leur déménagement dans le sud de la France, ils n’auraient pas tout mis en œuvre pour poursuivre la vente et finaliser leur installation puisqu’il était prévu qu’ils emménagent dans la maison le soir-même de la signature de l’acte définitif.

Or, il apparaît qu’ils ont été informés de l’échec de la vente deux jours avant la date de la signature de l’acte définitif ce dont il en résulte qu’ils avaient nécessairement engagé des frais de déménagement.

La vente ayant été annulée, des frais imprévus et illégitimes ont été occasionnés, qui résultent directement de cette annulation.

Cela étant, il sera fait droit aux demandes de remboursement des frais suivants en ce qu’ils sont dûment justifiés :

– les échéances du prêt immobilier d’un montant de 2.099,78 euros ;
– les frais de déménagement d’un montant de 7.000 euros ;
– les frais d’agence immobilière pour trouver une solution de relogement : 325 euros ;
– les frais des lettres recommandées à la SCP [Z] et à la banque postale : 19,50 euros et 13 euros.

S’agissant des deux demandes de remboursement correspondant à des dépôts de garantie à [Localité 17], il apparaît que les pièces visées par les demandeurs ne correspondent pas aux justificatifs annoncés. Faute de justifier de ces frais, Madame et Monsieur [X] seront déboutés de leur demande de remboursement des frais correspondants aux deux dépôts de garantie des logements meublés.

S’agissant des frais courants que sont l’assurance habitation ou encore l’eau et l’électricité, il n’est pas rapporté la preuve d’un lien de causalité entre l’échec de l’acquisition de la villa à [Localité 16] et lesdits frais qui sont ceux générés et supportés par tout locataire ou propriétaire d’un bien. Madame et Monsieur [X] seront déboutés de leur demande de remboursement desdits frais.

Enfin, faute pour eux de caractériser le lien de causalité entre les frais inhérents aux quittances de loyer à [Localité 18] et l’échec de la vente immobilière tandis qu’ils sollicitent au surplus le remboursement de quittances d’un logement à [Localité 18] aux mêmes dates d’occupation à [Localité 17], les consorts [X] seront également déboutés de leur demande tendant au remboursement des quittances de loyer à [Localité 18].

2) Sur le préjudice moral

Il n’est pas contesté que les consorts [X] ont acquis la maison à [Localité 16] en vue d’y habiter. Or, force est de constater qu’ils n’ont jamais pu en jouir paisiblement tandis qu’ils s’y étaient légitimement projetés et avaient entrepris toutes les démarches afférentes à la réalisation de la vente, notamment par l’obtention d’un prêt immobilier ce qui témoigne de leur volonté réelle d’acquérir le bien.

Les fautes respectives du notaire et du vendeur précédemment retenues ont ensemble concouru au préjudice moral souffert par les consorts [X], découlant nécessairement de la déloyauté à leur endroit de Monsieur [U] [M] et des négligences d’un professionnel du droit censé assurer la validité et l’efficacité de l’acte de vente, outre des tracas et inquiétudes engendrés par ces révélations.

Le préjudice moral en découlant sera évalué à la somme de 3 000 euros.

En conséquence, Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] seront condamnés in solidum à payer aux consorts [X] la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral respectif.

Sur les frais du procès et l’exécution provisoire

1) Sur les dépens :
Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.

En l’espèce, Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10], parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens.

2) Sur les demandes au titre des frais irrépétibles :

Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations.

Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10], parties condamnées aux dépens, seront condamnées in solidum à payer à Madame et Monsieur [X] une somme qu’il est équitable de fixer à 2.000 euros. La SCP [D] [Z] [10] et la société de courtage [11] seront par ailleurs déboutées de leur propre demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

MET hors de cause la société [11].

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 9.457,28 euros se décomposant comme suit :
– les échéances du prêt immobilier d’un montant de 2.099,78 euros ;
– les frais de déménagement d’un montant de 7.000 euros ;
– les frais d’agence immobilière : 325 euros ;

– les frais des lettres recommandées à la SCP [Z] et à la banque postale : 19,50 euros et 13 euros.

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] à payer à Madame [H] [X] née [L] et à Monsieur [P] [X] la somme unique de 2.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, en ce compris les demandes au titre des frais et dépens de l’instance ;

CONDAMNE in solidum Monsieur [U] [M] et la SCP [D] [Z] [10] aux dépens.

AINSI JUGE ET PRONONCE AU GREFFE DE LA PREMIERE CHAMBRE DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DRAGUIGNAN EN DATE DU 26 NOVEMBRE 2024.

LE GREFFIER, LE PRESIDENT,


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