Cour d’appel de Lyon, 30 novembre 2024, RG n° 24/09003
Cour d’appel de Lyon, 30 novembre 2024, RG n° 24/09003

Type de juridiction : Cour d’appel

Juridiction : Cour d’appel de Lyon

Thématique : Prolongation de la mesure de rétention : Évaluation des conditions et des garanties de représentation d’un individu en situation irrégulière.

Résumé

Le 30 août 2024, [R] [X], né le 4 mai 1993 au Maroc, a été remis aux autorités italiennes avec une interdiction de circulation en France pour trois ans. Après une entrée illégale en France le 25 juillet 2024, il a été assigné à résidence, mais ne s’est jamais présenté à la police. Le 25 novembre, il a été placé en centre de rétention administrative, suivi d’une demande de prolongation de sa rétention en raison de son caractère menaçant. Malgré ses contestations, la prolongation a été accordée pour 26 jours supplémentaires, confirmant son manque de coopération avec les autorités.

N° RG 24/09003 – N° Portalis DBVX-V-B7I-QA3I

Nom du ressortissant :

[R] [X]

PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

PREFET DU PUY DE DOME

C/

[X]

COUR D’APPEL DE LYON

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE SUR APPEL AU FOND

EN DATE DU 30 NOVEMBRE 2024

statuant en matière de Rétentions Administratives des Etrangers

Nous, Aurore JULLIEN, conseillère à la cour d’appel de Lyon, déléguéepar ordonnance de madame la première présidente de ladite Cour en date du 2 septembre 2024 pour statuer sur les procédures ouvertes en application des articles L.342-7, L. 342-12, L. 743-11 et L. 743-21 du code d’entrée et de séjour des étrangers en France et du droit d’asile,

Assisté(e) de William BOUKADIA, greffier,

En présence du ministère public, représenté par David AUMONIER, substitut, près la cour d’appel de Lyon,

En audience publique du 30 Novembre 2024 dans la procédure suivie entre :

APPELANTS :

Monsieur le Procureur de la République

près le tribunal de judiciaire de Lyon

représenté par le parquet général de [Localité 4]

M. LE PREFET DU PUY-DE-DÔME

[Adresse 1]

[Localité 3]

non comparant, régulièrement avisé, représenté par Maître Manon VIALLE, avocat au barreau de L’AIN, substituant Me Jean-Paul TOMASI, avocat au barreau de LYON

ET

INTIME :

M. [R] [X]

né le 04 Mai 1993 à [Localité 2] (MAROC)

de nationalité Marocaine

Actuellement retenu au centre de rétention administrative de [5]

Comparant et assisté de Maître Marie HOUPPE, avocat au barreau de LYON, commis d’office

Avons mis l’affaire en délibéré au 30 Novembre 2024 à 16h30 et à cette date et heure prononcé l’ordonnance dont la teneur suit :

FAITS ET PROCÉDURE

Le 30 août 2024, [R] [X] né le 4 mai 1993 à [Localité 2] (Maroc) a fait l’objet d’une décision de remise aux autorités italiennes assortie d’une interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans, notifiée à l’intéressé le jour même, prise par le Préfet du Puy de Dôme.

Il convient de rappeler que l’intéressé avait été éloigné vers le territoire italien en raison de la diffusion à son encontre d’un mandat d’arrêt européen qui avait été mis à exécution le 30 novembre 2022, et qu’il était entré à nouveau sur le territoire français le 25 juillet 2024 sans être titulaire d’un document l’autorisant à y séjourner.

Par décision du même jour, [R] [X] a été assigné à résidence pour une durée de 45 jours avec obligation de pointer tous les jours à hôtel de police de [Localité 3] à 8h30 y compris les dimanches et jours fériés.

Suivant procès-verbal du 4 septembre 2024, le commissariat de police de [Localité 3] a dressé un procès-verbal de carence, indiquant que M. [X] ne s’était jamais présenté.

Par décision du 25 novembre 2024, le placement centre de rétention administrative de M. [X] a été ordonné pour une durée de 96 heures.

Une demande de réadmission en Italie a été adressée le même jour aux autorités compétentes.

Par requête du 27 novembre 2024, reçue à 14h59 (cf. Timbre du greffe), le Préfet du Puy de Dôme a saisi le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Lyon d’une demande de prolongation de la mesure de rétention pour une durée de 24 jours.

À l’appui de sa demande, il a fait valoir que la personne retenue a été placée en centre de rétention administrative suite à une mesure de garde à vue pour des faits de violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité, et qu’il constituait par ailleurs une menace à l’ordre public, ayant déjà été incarcéré dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, et ayant en outre fait l’objet d’une procédure en Suisse concernant des faits d’enlèvement d’enfants.

Il était indiqué qu’il était également connu pour des faits de violence sur conjoint et pour des faits de vol.

Il était précisé que M. [X] était démuni de tout document de voyage en cours de validité et que lors de l’émission de la demande de réadmission en Italie, il avait refusé de remettre son titre de séjour italien et sa carte d’identité ce qui caractérisait une obstruction à son éloignement, l’intéressé refusant également de signer le courrier de réadmission.

Par ordonnance du 28 novembre 2024, le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Lyon a rejeté la demande de prolongation.

Par acte du 28 novembre 2024 à 16h03, le Procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de Lyon a interjeté appel de cette décision et a demandé que son appel soit déclaré suspensif.

Par ordonnance du 29 novembre 2024 à 17h00, la juridiction du Premier Président a déclaré l’appel du Parquet recevable et a déclaré son appel suspensif.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience du 30 novembre 2024 à 10h30.

Dans ce cadre, le Procureur Général a fait valoir que M. [X] est maintenu en centre de rétention dans l’attente de son éloignement vers l’Italie, et que cette procédure est actuellement suspendue du fait des autorités de ce dernier pays qui sollicitent des documents originaux ce qui signifie que la procédure d’éloignement vers l’Italie n’est pas une voie définitivement fermée.

Il a fait valoir que le Juge des Libertés et de la Détention a soulevé d’office cette question alors qu’aucune requête en contestation de placement en rétention n’avait été déposée, étant rappelé que si le Juge des Libertés et de la Détention peut être amené à vérifier les conditions de rétention, il ne peut, conformément à l’article L743-2 du CESEDA se saisir lui-même d’une contestation du placement en rétention.

Il a également fait valoir que la personne retenue ne dispose d’aucune garantie de représentation, n’a pas respecté la mesure d’assignation à résidence prise à son encontre et ne justifie d’aucune ressource et constitue une menace à l’ordre public.

Le conseil du Préfet du Puy de Dôme a fait valoir que le procès-verbal d’interpellation ne relève pas d’une pièce nécessaire ou essentielle à l’examen du dossier ou à la saisine du Juge des Libertés et de la Détention, étant rappelé que la jurisprudence et les textes ne le prévoient pas.

Il a rappelé par ailleurs que M. [X] a renoncé à la présence de son avocat lors de sa troisième audition et a fini par refuser de signer son audition, et ne démontre pas de grief particulier sur ce point.

S’agissant des demandes italiennes aux fins de réadmission, il a indiqué que les autorités italiennes qui ont été destinataires de copie ont demandé à avoir les documents originaux afin de procéder à l’examen de la situation de M. [X] ce qui démontre que la préfecture n’est pas confrontée à un refus définitif.

Enfin, il a rappelé que le Juge des Libertés et de la Détention ne pouvait se saisir d’office de la question de la validité de la requête.

Sur le fond, il a indiqué que M. [X] ne dispose pas d’une résidence stable ni de ressources légales, n’a pas respecté une assignation à résidence prononcée à son encontre et a fait part de son refus de quitter le territoire, sans oublier qu’il constitue une menace à l’ordre public au regard des différentes condamnations prononcées à son encontre.

M. [X] a fait état de ce que son placement en garde à vue était à son sens abusif car il n’avait rien fait et qu’il avait renoncé à la présence de son avocat sur insistance des enquêteurs alors qu’il avait demandé à être assisté dès l’origine.

Le conseil de M. [X] a conclu à l’irrecevabilité de la requête au motif de ce qu’elle n’était pas accompagnée des pièces utiles à son examen, pièces prévues à l’article R743-2 du CESEDA, et qu’à son sens, ce qui a été retenu par le premier juge, à savoir l’absence du procès-verbal d’interpellation, ne permettait pas une appréciation complète de la situation de la personne retenue.

Il a également soulevé deux moyens de nullité concernant le placement en garde à vue de M. [X], procédure support à la décision portant obligation de quitter le territoire en ce que la procédure versée aux débats est incomplète et ne permet pas de déterminer les circonstances dans lesquelles la personne retenue a été interpellée mais aussi en l’absence lors de la troisième audition de celui-ci de son avocat, la renonciation à la présence de ce dernier étant douteuse, d’autant plus que M. [X] a refusé de signer le procès-verbal et qu’il avait demandé lors de la notification de ses droits puis lors de la prolongation de la mesure de garde à vue à bénéficier de l’assistance d’un avocat.

MOTIVATION

Sur la régularité de la requête en prolongation de la mesure de rétention

Attendu que l’article R743-2 du CESEDA dispose que : ‘A peine d’irrecevabilité, la requête est motivée, datée et signée, selon le cas, par l’étranger ou son représentant ou par l’autorité administrative qui a ordonné le placement en rétention.

Lorsque la requête est formée par l’autorité administrative, elle est accompagnée de toutes pièces justificatives utiles, notamment une copie du registre prévu à l’article L. 744-2.

Lorsque la requête est formée par l’étranger ou son représentant, la décision attaquée est produite par l’administration. Il en est de même, sur la demande du magistrat du siège du tribunal judiciaire, de la copie du registre.’;

Attendu que la discussion porte sur la qualité de pièce justificative ou pas du procès-verbal d’interpellation de M. [X],

Que ni le texte ni la jurisprudence n’exige la présentation d’une telle pièce étant relevé que la lecture de la procédure permet de déterminer les circonstances de recherche et d’interpellation de la personne retenue, mais aussi que celle-ci s’est vue notifier ses droits dans le cadre de son placement en garde à vue,

Qu’au regard de ces éléments, la requête en prolongation déposée par la Préfecture du Puy de Dôme le 27 novembre 2024 sera déclarée régulière, la décision déférée étant infirmée sur ce point,

Sur les demandes de nullité de la procédure support de la décision portant obligation de quitter le territoire

Attendu que les articles 63-3 et 63-3-1 du code de procédure pénale prévoient les modalités d’intervention de l’avocat en garde à vue pour assister la personne faisant l’objet de cette mesure, ce droit devant être notifié puis mis en oeuvre,

Attendu que M. [X] estime que l’absence de son avocat lors de sa troisième audition génère un grief qui doit entraîner la nullité de la procédure puisqu’il avait demandé à bénéficier de l’assistance d’un avocat, ce qui avait été le cas lors de ses premières auditions,

Que toutefois, il est constant que M. [X] comprend parfaitement le français et le parle et, du fait des affaires pénales précédentes le concernant, connaît l’étendue de ses droits et a renoncé lors de sa troisième audition, à la présence de son avocat, acceptant de répondre aux questions avant de refuser de signer le procès-verbal,

Que ces éléments démontrent qu’aucun grief ne saurait être tiré de cette situation menant au prononcé de la nullité de la procédure de garde à vue,

Attendu que M. [X] fait également valoir que l’absence du procès-verbal d’interpellation fait grief puisqu’il ne permet pas de déterminer les circonstances de son interpellation,

Que la lecture de la procédure permet de relever dans le procès-verbal de saisine que M. [X] a été reconnu le soir des faits et que l’interpellation a eu lieu le lendemain avec notification immédiate des droits liés au placement en garde à vue,

Qu’aucun grief ne saurait être tiré de l’absence d’une pièce qui serait spécifiquement titrée ‘procès-verbal d’interpellation’,

Que ces éléments ne permettent de prononcer la nullité de la procédure de garde à vue,

Que de la sorte, la décision déférée doit être infirmée dans son intégralité,

Sur le bien-fondé de la requête

Attendu que l’article L. 741-3 du CESEDA rappelle qu’un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que le temps strictement nécessaire à son départ et que l’administration doit exercer toute diligence à cet effet ;

Attendu qu’il ressort des pièces versées aux débats que la personne retenue bénéficie du titre de réfugié en Italie et dispose de documents en original à ce titre,

Que depuis son placement en rétention, il a refusé de coopérer dans le cadre de sa demande de réadmission en Italie, refusant de signer la demande mais aussi de remettre les documents en original,

Que l’Italie a indiqué ne pas pouvoir traiter la demande tant qu’elle n’est pas en possession des documents originaux, ce qui ne constitue pas un refus définitif de demande de réadmission,

Qu’au regard de ces éléments, il est relevé que l’administration a exercé les diligences nécessaires dans le cadre du traitement de la situation de M. [X],

Qu’en outre, ce dernier ne dispose pas de garanties de représentation sur le territoire français, refus de le quitter tant qu’il n’aura pas ses enfants alors que ces derniers font l’objet d’une mesure de protection par le juge des enfants, sans compter qu’il peut constituer une menace à l’ordre public, ayant déjà été placé sous écrou extraditionnel pour l’exécution d’une peine prononcée en Italie, mais ayant aussi fait l’objet de poursuites en Suisse concernant une soustraction d’enfant,

Qu’au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient de faire droit à la requête présentée et d’ordonner la prolongation de la mesure de rétention prise à l’encontre de M. [X] pour une durée de 26 jours,

PAR CES MOTIFS

Infirmons dans sa totalité la décision déférée

Ordonnons la prolongation de la rétention de [R] [X] au centre de rétention administrative pour une durée de 26 jours supplémentaires

Le greffier, Le conseiller délégué,

William BOUKADIA Aurore JULLIEN

 


Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Chat Icon