Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Poitiers
→ RésuméM. [J] [F] a été affilié à la MSA du Limousin pendant plus de cinquante ans, accumulant des cotisations impayées de 26 277,13 euros pour plusieurs années. En septembre 2020, la MSA a demandé la condamnation solidaire de son épouse, Mme [O]-[K] [I], pour le paiement de cette somme. Le tribunal a déclaré irrecevables les demandes pour les années antérieures à 2017, mais a condamné Mme [F] à verser 11 673,09 euros pour 2017 à 2019. En appel, la Cour a infirmé cette décision, condamnant Mme [F] à payer 14 604,04 euros pour les années précédentes.
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M. [J] [F] a été affilié à la MSA du Limousin en tant que chef d’exploitation pendant plus de cinquante ans. Il a accumulé des cotisations et majorations de retard totalisant 26 277,13 euros pour les années 2002, 2004, 2005, 2013, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019. En septembre 2020, la MSA a demandé la condamnation solidaire de son épouse, Mme [O]-[K] [I], pour le paiement de cette somme. Le tribunal a déclaré irrecevables les demandes concernant les années antérieures à 2017, tout en condamnant Mme [F] à payer 11 673,09 euros pour les années 2017, 2018 et 2019. La MSA a interjeté appel de cette décision. Dans ses conclusions, elle demande l’infirmation de la partie du jugement déclarant irrecevables ses demandes antérieures à 2017, tout en confirmant la condamnation de Mme [F] pour les années 2017 à 2019 et en réclamant des montants supplémentaires pour les années précédentes. De son côté, Mme [F] conteste la créance de la MSA, demande la confirmation de l’irrecevabilité des demandes antérieures à 2017, et soutient que les cotisations des années 2017 à 2019 sont couvertes par la prescription. Elle plaide également contre la solidarité et les frais d’huissier, tout en demandant des dommages-intérêts.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Poitiers
RG n°
21/03531
ARRET N° 467
N° RG 21/03531
N° Portalis DBV5-V-B7F-GNYO
MSA DU LIMOUSIN
C/
[I] [F]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE POITIERS
Chambre sociale
ARRÊT DU 26 SEPTEMBRE 2024
Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 novembre 2021 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de TULLE
APPELANTE :
MUTUALITÉ SOCIALE AGRICOLE DU LIMOUSIN
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par la Mutualité Sociale Agricole du Poitou en la personne de M. [Y] [R], cadre gestionnaire, muni d’un pouvoir
INTIMÉE :
Madame [W] [O] [K] [I] [F]
Née le 22 février 1952 à [Localité 1] (19)
[Adresse 4]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LX POITIERS- ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
Représentée par Me Olga-Brigitte EFANG, avocat au barreau de MARSEILLE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s’y étant pas opposés, l’affaire a été débattue le 18 juin 2024, en audience publique, devant :
Monsieur Nicolas DUCHÂTEL, Conseiller qui a présenté son rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Ghislaine BALZANO, Conseillère
Monsieur Nicolas DUCHÂTEL, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Véronique DEDIEU
GREFFIER, lors du délibéré : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– Signé par Monsieur Nicolas DUCHÂTEL, conseiller en remplacement de Madame Marie-Hélène DIXIMIER, présidente, légitimement empêchée et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [J] [F] a été affilié à la MSA du Limousin en tant que chef d’exploitation du 1er janvier 1971 au 31 mars 2021.
M. [F] a fait l’objet de plusieurs contraintes délivrées par la MSA du Limousin au titre de cotisations et majorations de retard pour un montant total de 26 277,13 euros au titre des années 2002, 2004, 2005, 2013, 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019.
Par requête du 14 septembre 2020, la MSA du Limousin a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Tulle aux fins d’obtenir la condamnation solidaire de Mme [O]-[K] [I] épouse [F] au paiement de la somme de 26 277,13 euros au titre des cotisations et majorations de retard dues par son époux.
Par jugement du 24 novembre 2021, le pôle social du tribunal judiciaire de Tulle a :
déclaré les demandes de la MSA du Limousin relatives aux cotisations et majorations de retard concernant les années antérieures à 2017 irrecevables,
condamné solidairement Mme [F] à payer à la MSA du Limousin la somme de 11 673,09 euros au titre des cotisations et majorations de retard dues pour les années 2017, 2018 et 2019,
condamné Mme [F] au paiement des dépens.
La MSA a interjeté appel de cette décision le 10 décembre 2021.
Par conclusions du 11 mars 2024, reprises oralement à l’audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la MSA du Limousin demande à la cour de :
infirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle en ce qu’il a déclaré irrecevables ses demandes relatives aux cotisations et majorations de retard antérieures à l’année 2017,
confirmer le jugement en ce qu’il a condamné solidairement Mme [F] au paiement de la somme de 11 673,09 euros au titre des cotisations et majorations dues pour les années 2017, 2018 et 2019,
condamner solidairement Mme [F] au paiement de la somme de 14 604,04 euros au titre des cotisations et majorations de retard dues par M. [J] [F] pour les années 2002, 2004, 2005, 2013, 2015 et 2016,
condamner solidairement Mme [F] au paiement de la somme de 1 357,76 euros au titre des frais d’huissier correspondants.
Par conclusions datées du 2 mai 2024, reprises oralement à l’audience, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, Mme [F] demande à la cour de :
juger que la MSA avait ramené sa créance de 71 306,62 euros à la somme de 26 277, 13 euros,
confirmer le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle en ce qu’il a déclaré les demandes de la MSA du Limousin, relatives aux cotisations et majorations de retard concernant les années antérieures à 2017 irrecevables,
infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamnée solidairement à payer à la MSA la somme de 11 673,09 euros au titre des cotisations et majorations de retard dues pour les années 2017, 2018 et 2019,
débouter la MSA de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
juger que les cotisations concernées par les périodes résiduelles des années 2017, 2018 et 2019 sont couvertes par la prescription triennale, vis-à-vis d’elle,
juger que les contraintes décernées avant le 14 septembre 2020, date de saisine du tribunal par rapport à Mme [F] sont couvertes par la prescription des titres exécutoires,
juger que le principe de la relativité du titre exécutoire s’applique à son égard,
juger que la solidarité ne peut s’appliquer en l’espèce, même en présence d’une dette ménagère,
juger que les frais d’huissier constituent l’accessoire qui doit suivre le sort du principal,
juger que la MSA ne peut démontrer s’être trouvée dans l’impossibilité d’agir à son encontre,
condamner la MSA au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.
I. Sur la prescription et la solidarité entre les époux
Au soutien de son appel, la MSA fait valoir que :
les dettes représentatives des cotisations sociales obligatoires et les majorations de retard qui constituent un accessoire indissociable des cotisations, doivent être qualifiées de dettes ménagères dans la mesure où les prestations que ces cotisations génèrent contribuent à l’entretien du ménage, et elles entrent dans le champ de la solidarité,
les dettes de cotisations peuvent être recouvrées auprès de l’époux qui a une obligation solidaire, ainsi que les majorations de retard y afférentes,
la solidarité n’a pas à être établie par une décision juridictionnelle,
toutes les contraintes de cotisations adressées à M. [F] dans les délais sont interruptives du délai de prescription de son action en recouvrement,
elles le sont également à l’égard de son épouse Mme [F], tenue solidairement même si les contraintes ne la vise pas nominativement.
Mme [F] lui oppose que :
à la date de saisine du tribunal judiciaire le 14 septembre 2020, toutes les cotisations antérieures au 1er janvier 2017 ne peuvent plus être réclamées car prescrites, le raisonnement de la MSA par rapport aux actes interruptifs de la prescription n’étant valable qu’à l’égard de M. [F],
la MSA ne peut démontrer s’être trouvée dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure en ce qui la concerne, et dans ces conditions, la prescription a couru et est acquise en sa faveur,
s’agissant de la contrainte du 8 mars 2019, les cotisations du 1er janvier au 31 décembre 2017 sont couvertes par la prescription et seule l’année 2018 reste sujette à examen, à charge pour la demanderesse d’en justifier le calcul,
la contrainte du 28 février 2020 concerne les cotisations du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019 pour la somme de 11 594, 03 euros sous réserve de justifier de la base de calcul des cotisations par période concernée,
l’existence d’une solidarité entre époux ne permet pas la poursuite d’un conjoint en vertu d’un titre qui ne mentionne que le nom de l’autre époux, car elle ne peut se retrouver privée du principe du contradictoire,
les demandes de la MSA se heurtent aux principes du droit des procédures collectives, à l’interdiction de payer et à l’arrêt des poursuites individuelles à l’encontre du débiteur et de ses coobligés, en lui demandant de payer des dettes en lieu et place de M. [F], en liquidation judiciaire, la MSA rompt le principe d’égalité des créanciers, et l’interdiction de procéder à tout paiement.
Sur ce, en application de l’article L.725-7 du code rural et de la pêche maritime, les cotisations sociales se prescrivent par trois ans à compter de l’expiration de l’année civile au titre de laquelle elles sont dues et le délai de prescription de l’action en civile en recouvrement est celui de l’article L.244-8-1 du code de la sécurité sociale, soit trois ans à compter de l’expiration du délai imparti par les avertissements ou mises en demeure. Au regard de la version antérieure de ce texte, concernant les mises en demeure notifiées avant le 1er janvier 2017, les actions en recouvrement se prescrivaient par cinq ans à compter de la mise en demeure.
En l’espèce, il est constant que M. [F] ne s’étant pas acquitté de ses cotisations personnelles, la MSA a établi à son encontre six contraintes aujourd’hui définitives.
Il doit par ailleurs être retenu, au vu de la liste des actes d’exécution pratiqués par la MSA, que la prescription a valablement été interrompue à l’égard de M. [F] et que les délais de prescription, que ce soit celui de dix ans applicable aux titres exécutoires prévu par L.114-1 du code des procédures civiles d’exécution, ou celui de trois ans prévu par l’article L.725-7 susvisé applicable aux contraintes n’ayant pas fait l’objet de contestation de la part du débiteur, n’étaient pas expirés à la date des poursuites engagées à l’égard de Mme [F].
Aux termes de l’article 220 du code civil, chacun des époux a le pouvoir de passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants ; toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement.
Les cotisations dues par un époux au titre du régime légal obligatoire d’assurance maladie, de vieillesse et d’invalidité qui est géré par la mutualité sociale agricole ont le caractère d’une dette ménagère puisqu’elles visent à satisfaire les besoins ordinaires du ménage en cas de réalisation des risques couverts. Il est acquis que la solidarité des cotisations s’étend aux majorations de retard qui en sont l’accessoire.
Il est par ailleurs de principe que les poursuites faites contre l’un des codébiteurs solidaires, fût-ce sur le fondement d’un titre distinct, interrompent la prescription à l’égard de tous.
Selon l’article 2245 alinéa 1 du même code, l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires par une demande en justice ou par un acte d’exécution forcée ou la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription contre toutes les autres, même contre les héritiers.
En conséquence, les actes interruptifs de prescription délivrés à M. [F], dont Mme [F] ne conteste pas l’existence, ont également interrompu la prescription à son égard en vertu de la solidarité découlant de l’article 220 du code civil.
Il en résulte que contrairement à ce qu’ont pu retenir les premiers juges, aucune mise en demeure de Mme [F] ne s’imposait et que les demandes formées à son encontre au titre des cotisations réclamées pour les années antérieures à l’année 2017 ne sont pas prescrites. Le jugement attaqué sera infirmé de ce chef.
Il convient par ailleurs d’écarter comme inopérants les moyens tirés de la violation des principes du droit des procédures collectives dans le cadre des poursuites dirigées par la MSA contre la seule Mme [F] sur le fondement des dispositions de l’article 220 du code civil.
La MSA justifiant enfin des montants de ses créances, qui n’ont pas soulevé d’observations de la part de l’intimée même à titre subsidiaire, est donc recevable et fondée à poursuivre à l’encontre de Mme [F], au titre de la solidarité ménagère, le paiement des cotisations augmentées des majorations de retard supplémentaires sur toute la période litigieuse outre le paiement des frais d’huissier à hauteur de la somme de 1 357,76 euros.
II. Sur les demandes accessoires
Mme [F] qui succombe est condamnée aux dépens d’appel. Elle doit par conséquent être déboutée de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La Cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement du pôle social du tribunal judiciaire de Tulle du 24 novembre 2021 sauf en ce qu’il a déclaré les demande de la MSA du Limousin relatives aux cotisations et majorations de retard concernant les années antérieures à 2017 irrecevables,
L’infirme de ce seul chef,
Statuant à nouveau du chef infirmé,
Condamne solidairement Mme [W] [O] [K] [F] à payer à la MSA du Limousin la somme de 14 604,04 euros au titre des cotisations et majorations de retard dues par M. [J] [F] pour les années 2002, 2004, 2005, 2013, 2015 et 2016, ainsi que la somme de 1 357,76 euros au titre des frais d’huissier,
Déboute Mme [W] [O] [K] [F] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [O]-[K] [F] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER, P°/ LA PRÉSIDENTE,
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