Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Montpellier
→ RésuméM. [J] [N] a acquis un bail rural le 20 janvier 2019, cédé par son père. Le 26 mars 2021, M. [V] [B] a délivré un congé-reprise pour faire exploiter le bien par son fils, M. [T] [B]. Contestant ce congé, M. [J] [N] a saisi le tribunal, qui a jugé le congé valable le 20 mars 2023. En appel, la cour a rouvert les débats et a finalement prononcé la nullité du congé, renouvelant le bail pour 9 ans à compter du 1er janvier 2023, tout en condamnant M. [V] [B] et M. [T] [B] aux dépens.
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M. [J] [N] a acquis un bail rural le 20 janvier 2019, cédé par son père, avec l’accord du bailleur M. [V] [B]. Ce bail concerne un terrain agricole de 3ha30a53ca situé à [Localité 7]. Le 26 mars 2021, M. [V] [B] a délivré un congé-reprise à M. [J] [N] pour faire exploiter le bien par son fils, M. [T] [B], avec effet au 31 décembre 2022. M. [J] [N] a contesté ce congé en saisissant le tribunal le 4 juillet 2022, demandant son annulation et le renouvellement du bail. Le tribunal a jugé le congé valable le 20 mars 2023 et a débouté M. [J] [N] de ses demandes, le condamnant à verser 1.000 euros à M. [V] [B]. M. [J] [N] a fait appel le 6 juin 2023. La cour d’appel a rouvert les débats le 2 avril 2024, demandant l’intervention de M. [T] [B]. M. [J] [N] a mis en cause M. [T] [B] le 24 avril 2024 et a demandé l’annulation du congé, le renouvellement du bail pour 9 ans, et l’expulsion de M. [T] [B]. M. [J] [N] a soutenu que le congé était nul en raison de l’absence de mention de l’habitation future du bénéficiaire et de l’absence de justification de conformité au contrôle des structures. M. [V] [B] et M. [T] [B] ont demandé la confirmation du jugement de première instance et ont soulevé des exceptions d’irrecevabilité et de forclusion. Ils ont contesté les arguments de M. [J] [N], affirmant qu’il connaissait la situation de M. [T] [B] et qu’il n’avait pas subi de préjudice.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Cour d’appel de Montpellier
RG n°
23/02977
Grosse + copie
délivrée le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
5e chambre civile
ARRET DU 17 SEPTEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 23/02977 – N° Portalis DBVK-V-B7H-P3G3
Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 MARS 2023
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE RODEZ
TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX DE RODEZ
N° RG22/00776
APPELANT :
Monsieur [J] [N]
[Adresse 8]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentant : Me Eric GRANDCHAMP DE CUEILLE, avocat au barreau d’ALBI, avocat postulant et plaidant
INTIME :
Monsieur [V] [B]
[Adresse 4]
[Adresse 6]
[Localité 5]
Représentant : Me Bastien AUZUECH de la SCP AOUST – AUZUECH, avocat au barreau d’AVEYRON, avocat postulant et plaidant
INTERVENANT :
Monsieur [T] [B]
[Adresse 4]
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représentant : Me Bastien AUZUECH de la SCP AOUST – AUZUECH, avocat au barreau d’AVEYRON, avocat postulant et plaidant
En application de l’article 937 du code de procédure civile, les parties ont été convoquées à l’audience.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 JUIN 2024,en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Mme Corinne STRUNK, Conseillère, chargé du rapport.
Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre
M. Emmanuel GARCIA, Conseiller
Mme Corinne STRUNK, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Estelle DOUBEY
ARRET :
– contradictoire.
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par Mme Françoise FILLIOUX, Présidente de chambre, et par Mme Estelle DOUBEY, Greffier.
* *
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte sous seing privé du 20 janvier 2019, M. [J] [N] est devenu titulaire d’un bail rural à la suite de la cession qui lui a été consentie par son père, [U] [N], avec accord du bailleur M. [V] [B].
Le bail porte sur un fonds agricole situé sur la commune de [Localité 7] et relaté au cadastre de cette commune sous les relations suivantes : section C et numéros [Cadastre 1]-[Cadastre 2], le tout d’une superficie de 3ha30a53ca.
Par acte d’huissier en date du 26 mars 2021, M. [V] [B] a fait délivrer un congé-reprise pour faire exploiter le bien par son fils, [T] [B] ainsi que le prévoit l’article L. 411-58 du code rural et de la pêche maritime. Ce congé a été délivré pour le terme du bail en cours, soit pour le 31 décembre 2022.
Par requête en date du 4 juillet 2022, M. [J] [N] a saisi le tribunal aux fins notamment de voir juger le congé nul et de nul effet et voir le bail rural se renouveler.
Le jugement rendu le 20 mars 2023 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rodez :
Dit que le congé délivré le 26 mars 2021 à effet au 31 décembre 2022, par M. [V] [B] à M. [J] [N], aux fins de reprise du bail rural cédé le 20 janvier 2019, portant sur les parcelles cadastrées section C[Cadastre 1] et [Cadastre 2] sur la commune de [Localité 5] (nouvelle commune de [Localité 7] Aveyron) est valable ;
Déboute M. [J] [N] de l’ensemble de ses demandes ;
Condamne M. [J] [N] à payer à M. [V] [B] une somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [J] [N] aux entiers dépens.
Le premier juge relève qu’il incombe à M. [J] [N] de rapporter la preuve que l’absence de mention du domicile du bénéficiaire du congé au moment de la reprise l’a induit en erreur et que cela lui a causé un grief. Or, de par ses relations professionnelles avec M. [T] [B] et de la proximité de leurs habitations, M. [J] [N] ne pouvait ignorer la teneur du projet agricole de ce dernier ainsi que le fait que sa résidence actuelle, proche du lieu d’exploitation, allait demeurer la même.
M. [J] [N] a relevé appel de la décision par déclaration au greffe du 6 juin 2023.
Par arrêt avant dire-droit du 2 avril 2024, la cour d’appel a ordonné la réouverture des débats et a renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience du 3 juin 2024 et a invité M. [J] [N] à attraire M. [T] [B] dans la cause, tout en réservant l’intégralité des demandes.
Par acte signifié le 24 avril 2024, M. [J] [N] a mis en cause M. [T] [B] dans le cadre de son intervention forcée.
Dans ses dernières conclusions du 31 mai 2024, M. [J] [N] demande à la cour de :
Réformer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 mars 2023 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rodez ;
Statuant à nouveau
In limine litis, dire et juger nul et de nul effet le congé délivré par M. [V] [B] à M. [J] [N] le 26 mars 2021 pour le 31 décembre 2022 ;
Dire que le bail qui lie M. [V] [B] et M. [J] [N] s’est renouvelé pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2023 ;
Ordonner la réintégration sur le fonds loué de M. [J] [N] ;
Dire que M. [T] [B] devra, ainsi que toute personne de son chef, quitter et rendre libre les parcelles cadastrées Section C et numéros [Cadastre 1]-[Cadastre 3] (commune de [Localité 7]) dans le délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai, à défaut de quoi il pourra y être contraint par une expulsion avec, si besoin est, le concours de la force publique ;
Condamner solidairement M. [V] [B] et M. [T] [B] à payer à M. [J] [N] la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamner M. [V] [B] et M. [T] [B] aux entiers dépens.
En premier lieu, M. [J] [N] soutient que le congé de reprise doit être déclaré nul et de nul effet, car il ne mentionne pas l’habitation qu’occupera le bénéficiaire de la reprise conformément à l’article L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime. L’appelant affirme que bien qu’il connaisse le domicile et la situation actuelle de M. [T] [B], rien ne lui permet de savoir quel sera son domicile futur une fois la reprise effectuée. L’omission de la mention de l’habitation future une fois la reprise effectuée empêche nécessairement le preneur de procéder à la vérification du sérieux du projet de reprise et est, en elle-même, de nature à l’induire en erreur.
Ensuite, M. [J] [N] soutient encore que le congé de reprise doit également être déclaré nul et de nul effet dès lors que le bénéficiaire de la reprise envisage de mettre les parcelles à la disposition d’une société d’exploitation et que cette précision n’apparait pas dans le congé, ce qui est de nature à induire le preneur en erreur. Il fait valoir que les terres reprises étaient destinées à être mises en valeur par le GAEC des [Adresse 4], puis par le GAEC Les Fermes du Ruisseau sans que le congé n’en porte mention. Il conteste l’intention du bénéficiaire du congé d’exploiter les terres à titre individuel soulignant ainsi son absence de loyauté dans la délivrance du congé.
Enfin, M. [J] [N] soutient que le congé de reprise est également nul du fait de l’absence de justification, par le GAEC des [Adresse 4], société bénéficiaire de la reprise, qu’elle est en règle avec le contrôle des structures des exploitations agricoles à la date d’effet du congé. Le GAEC n’apportant pas cette justification, le congé doit être déclaré nul.
L’appelant fait valoir que, compte tenu de l’omission d’une mention légale obligatoire dans le congé, la forclusion de l’article L. 411-54 du code rural et de la pêche maritime n’est pas encourue et n’affecte aucune des trois causes de nullité. Ainsi, le délai, qui devait expirer le 26 juillet 2021, n’est donc pas forclos.
Enfin, s’agissant de l’irrecevabilité, s’il ne conteste pas que les exceptions de procédure doivent être soulevés avant toute défense au fond, il fait valoir que le vice de forme évoqué pour la première fois en appel, tenant à l’absence de mention de la société bénéficiaire du congé, vient au soutien du premier vice invoqué en première instance, les deux s’inscrivant dans le cadre d’une même exception de procédure en sorte qu’ils sont recevables.
M. [J] [N] ajoute enfin que, suite à l’annulation du congé, le bail doit se renouveler pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2023 en application de l’article L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime.
Dans ses dernières conclusions du 31mai 2024, M. [V] [B] et M. [T] [B] demandent à la cour de :
Déclarer irrecevables le moyen tiré du défaut de mention dans le congé d’une mise à disposition des biens repris au profit d’une société et celui du défaut de conformité du bénéficiaire de la reprise au contrôle des structures ;
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rodez le 20 mars 2023 ;
Débouter M. [J] [N] de l’ensemble de ses demandes ;
Condamner M. [J] [N] à verser à M. [V] [B] la somme de 3.500 euros et à M. [T] [B] la somme de 1.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.
Au soutien de leurs écritures, les consorts [B] font valoir que la contestation de la régularité d’un congé pour reprise est une exception de nullité qui doit être soulevée, à peine de nullité, avant toute défense au fond.
Ainsi, ils soutiennent que l’absence de mention dans le congé pour reprise de la mise à disposition des biens repris au profit d’une société est un vice de forme qui aurait dû être soulevé in limine litis en première instance en sorte qu’il doit être déclaré irrecevable.
Plus encore, les intimés soulèvent la forclusion de l’action rappelant que la contestation d’un congé doit être engagée devant le tribunal paritaire des baux ruraux dans le délai de 4 mois à compter de sa délivrance en application des articles L 411-54 et R 411-11 du code rural.
Ils soutiennent ainsi que l’exigence, tenant à la mention dans le congé du mode d’exercice futur (individuel ou société), est sanctionnée à peine de nullité si elle fait défaut, mais qu’il s’agit, non pas d’une règle légale, mais d’une création prétorienne soumise au délai de forclusion en sorte que ce moyen ne saisit pas la cour.
Ils précisent qu’en raison du maintien de M. [N] sur les terres, ils ont été contraints de demeurer au sein du GAEC des [Adresse 4] puis à la suite de sa dissolution, de s’associer au GAEC Les Fermes tout en expliquant qu’initialement, ils devaient exploiter les parcelles de manière individuelle, raison pour laquelle la présence d’une exploitation dans le cadre d’un GAEC n’a pas été mentionnée.
Sur le moyen tiré de l’absence de conformité au titre du contrôle des structures, ils soulèvent l’irrecevabilité du moyen en raison de la forclusion de l’action s’agissant d’une condition de fond.
Ils ajoutent que ce moyen est infondé le GAEC n’ayant pas pour objet d’exploiter les biens repris, il n’avait pas à se conformer à la législation relative au contrôle des structures.
Enfin, s’agissant du défaut de mention de l’habitation du bénéficiaire, les consorts [B] font valoir que le fermier connaissait pertinemment le lieu d’habitation du bénéficiaire du congé, qu’il ne peut prétendre à aucune confusion tout en soutenant qu’il ne justifie d’aucun grief en sorte que la nullité du congé ne saurait être prononcée. Ils ajoutent que l’adresse à la date d’effet du congé est la même que celle mentionné sur le congé à la date de sa délivrance. La proximité géographique des parties, leur participation au sein de la CUMA en qualité d’administrateur et les SMS démontrent sans contestation sérieuse que M. [N] connaissait la situation de M. [T] [B] et son projet agricole.
1/ Sur la recevabilité du moyen tiré du défaut de mention de la mise à disposition des biens repris au profit d’une société :
La nullité du congé rural obéit aux règles de nullité des actes de procédure et elle est couverte si celui qui l’invoque a, postérieurement à l’acte critiqué, fait valoir des défenses au fond ou opposé une fin de non-recevoir sans soulever la nullité comme l’énoncent les articles 74 et 112 du code de procédure civile.
Par ailleurs, l’article 113 dispose que tous les moyens de nullité contre des actes de procédure doivent être invoqués simultanément à peine d’irrecevabilité de ceux qui ne l’auraient pas été.
En l’espèce, par requête du 4 juillet 2022, M. [J] [N] a saisi le tribunal partitaire des baux ruraux de Rodez pour voir constater la nullité du congé au visa de l’article L 411-47 du code rural et de la pêche maritime.
Devant cette juridiction, M. [N] a soulevé une exception de nullité affectant le congé délivré le 26 mars 2021 pour vice de forme, tenant au défaut de mention de l’adresse du bénéficiaire du congé de reprise, et ce avant toute défense au fond en sorte que ce moyen est effectivement recevable.
En appel, M. [N] soulève un nouveau moyen tendant à l’annulation du congé litigieux pour défaut de mention de mise à disposition des biens repris au profit d’une société.
Ce moyen caractérise un vice de forme puisque l’article L 411-47 du code rural et de la pêche maritime énonce qu’à peine de nullité, le congé doit indiquer, en cas de reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire, ou des bénéficiaires, devant exploiter conjointement le bien loué.
Il résulte de l’application combinée des articles 74, 112 et 113 du code de procédure civile, que ce vice de forme devait être soulevé avant toute défense au fond et en même temps que le premier moyen exposé en première instance.
En conséquence, l’absence de mention dans le congé pour reprise de la mise à disposition des biens repris au profit d’une société est un vice de forme qui aurait dû être soulevé in limine litis en première instance en sorte qu’il doit être déclaré irrecevable en appel.
2/ Sur la recevabilité du moyen tiré de l’absence de conformité au titre du contrôle des structures :
En appel, M. [N] soulève un nouveau moyen tenant à l’annulation du congé litigieux pour défaut d’autorisation d’exploiter de la société et d’une non-conformité à la législation relative au contrôle des structures.
M. [B] conclut à l’irrecevabilité de ce moyen, l’action étant selon lui forclose.
Selon l’article L 411-54 du code rural et de la pêche maritime, le congé peut être déféré par le preneur au tribunal paritaire dans un délai fixé par décret, à dater de sa réception, sous peine de forclusion. La forclusion ne sera pas encourue si le congé est donné hors délai ou s’il ne comporte pas les mentions exigées à peine de nullité par l’article L 411-47. La forclusion rend irrecevable toute contestation pour vice du fond.
L’article R 411-11 fixe ce délai à quatre mois.
Au cas d’espèce, le congé litigieux a été notifié au bailleur le 26 mars 2021 par acte extrajudiciaire dans les dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, le terme étant arrêté au 31 décembre 2022.
Il s’ensuit que la contestation dudit congé devait être engagée avant le 26 juillet 2021 sauf contestation de sa validité encourue en raison d’un défaut des mentions exigées à peine de nullité par l’article L 411-47.
M. [N] conteste la validité du congé car il considère que le bénéficiaire de la reprise, à savoir le GAEC des [Adresse 4] puis le GAEC Les Fermes du Ruisseau, ne justifie pas se trouver en conformité avec la législation sur le contrôle des structures des exploitations agricoles.
Ce moyen est fondé sur l’article L 411-58 al 4 du code rural et de la pêche maritime et non sur l’article L 411-47 de telle sorte que la contestation du congé y afférente devait être introduite avant l’expiration du délai de quatre mois, soit le 26 juillet 2021 ce qui n’est pas le cas en l’espèce en présence d’une requête déposée le 4 juillet 2022.
M. [N] soutient néanmoins que l’expiration du délai de forclusion est sans effet sur la recevabilité du moyen, puisqu’il invoque un fait non connu de lui dans les quatre mois du congé et duquel il entend déduire l’impossibilité de la reprise. Il se prévaut de deux décisions rendues par la cour de cassation les 23 janvier 1970 (n° 67-10.138) et 23 janvier 2020 (n°18-22.159) pour justifier de l’inopposabilité du délai.
En l’état, il est acquis que le preneur, qui n’a pas contesté le congé dans le délai prévu à l’article L 411-54, ne peut se prévaloir des dispositions de l’article L 411-58 que s’il invoque un fait non connu de lui dans les quatre mois du congé.
Au cas présent, le congé délivré le 26 mars 2021 par M [V] [B] indique comme motif « une reprise au profit d’un descendant, M [T] [B], fils du requérant, ‘en sa qualité d’exploitant agricole ».
M. [N] soutient que les terres concernées seront exploitées par le GAEC Les Fermes du Ruisseau constitué par M. [T] [B] à la suite de la dissolution du GAEC des [Adresse 4].
Il justifie par les pièces 3 à 7 que lors de la délivrance du congé, M. [T] [B] était membre du GAEC Des [Adresse 4] et qu’il exerce son activité depuis le 1er février 2023 au sein du GAEC Les Fermes du Ruisseau.
Il n’est pas justifié que ces éléments non mentionnés dans le congé étaient portés à la connaissance de M. [N] dans les quatre mois ayant suivi la délivrance de l’acte litigieux.
Il s’ensuit que l’appelant peut valablement prétendre à un relevé de forclusion en sorte que ce moyen est recevable en appel.
3/ Sur la validité du congé :
Selon l’article L 411-47 du code rural et de la pêche maritime, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
A peine de nullité, le congé doit :
Mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;
Indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire, ou des bénéficiaires, devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d’empêchement, d’un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l’habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris ;
Reproduire les termes de l’alinéa premier de l’article L 411-54.
La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l’omission ou l’inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur. Ainsi, la nullité pour vice de forme d’un congé de bail rural, donné par acte extra-judiciaire, ne peut être prononcée qu’à charge par celui qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité même s’il s’agit d’une formalité substantielle.
A titre liminaire, il sera rappelé que le congé affecté par un vice de forme peut être annulé pour non-respect des conditions de l’article L 411-47 sans limite de délai en sorte que l’action fondée sur le moyen tenant à l’absence de mention de l’adresse du repreneur n’est pas forclose.
La régularité formelle d’un congé s’apprécie à la date de sa délivrance.
Ainsi que le prévoit l’article L 411-47, le bénéficiaire de la reprise a l’obligation de s’installer à proximité du fonds pour en assurer lui-même l’exploitation, en sorte qu’il doit être indiqué dans le congé l’habitation qu’il occupera dès cette reprise.
L’appréciation des conditions de reprise s’effectue exclusivement par rapport aux mentions du congé.
Au cas d’espèce, le congé délivré le 26 mars 2021 par M [V] [B] indique comme motif « une reprise au profit d’un descendant, M [T] [B], fils du requérant, demeurant [Adresse 4] à [Localité 7] en sa qualité d’exploitant agricole ».
En l’occurrence, si le congé mentionne expressément le domicile du repreneur à la date de délivrance, est omise la mention de l’habitation que devra occuper après la reprise le bénéficiaire du bien repris.
Le jugement a néanmoins considéré que cette omission ne cause à M. [N] aucun grief puisque les pièces versées aux débats, comme le plan satellite google maps établissant la contiguïté des exploitations agricoles respectives, et le Kbis de la CUMA dans laquelle tant M. [N] que M. [T] [B] occupent des fonctions d’administrateurs, démontrent que M [N] ne pouvait ignorer tant le projet agricole du repreneur, que l’adresse effective à la date de la reprise puisque M. [B] est établi depuis plusieurs années en qualité d’exploitant agricole au lieudit [Adresse 4] à [Localité 7] et restera établi à cette adresse.
En appel, l’intimé ajoute que les SMS échangés entre les parties confirment cette parfaite connaissance du lieu de vie après la reprise par M [N].
L’analyse du premier juge ne saurait être toutefois confirmée en appel au regard de la position adoptée par la cour de cassation qui a jugé dans une décision rendue le 12 janvier 2022 que « les mentions du congé doivent informer complètement son destinataire sur la capacité du repreneur à satisfaire ses obligations et que le défaut de précision sur l’habitation future de celui-ci ne peut être suppléée par l’hypothèse que le bénéficiaire de la reprise entend implicitement ne pas changer de domicile au moment de la celle-ci, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Dans le même sens, par arrêt du 18 mars 2021, elle a dit que « pour confirmer la validité du congé délivré le 8 novembre 2021, l’arrêt retient que le grief tiré de l’absence de précision dans l’acte du lieu d’habitation du repreneur après la reprise ne peut être retenu alors que le congé mentionne l’adresse du bénéficiaire de la reprise, M.[S]’ , située dans la même commune que celle du lieu d’exploitation, ‘ de sorte que M. et Mme [C]… ne pouvaient se méprendre sur le lieu d’habitation du repreneur après la reprise. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Il en résulte que si la recherche d’éléments de nature à permettre au fermier de vérifier le caractère réaliste du projet d’exploitation personnelle des terres relève de l’appréciation des juges du fond, il ne peut être suppléé au défaut de mention de l’adresse du repreneur après la reprise par l’hypothèse qu’il ne changerait pas de domicile.
La seule mention de l’adresse du repreneur au moment de la délivrance du congé n’est pas suffisante et il paraît difficile de déduire de la proximité géographique des exploitations et des relations professionnelles qu’entretiennent les parties, la connaissance par M. [N] du maintien du domicile du repreneur pour en déduire un défaut de grief.
Force est de constater que la mention de l’adresse de M. [B] au moment de la reprise est omise, de telle sorte que M. [N] ne pouvait vérifier si la condition d’habitation à proximité du fonds était remplie ni apprécier l’effectivité du projet agricole ce qui caractérise un grief.
En conséquence, et sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen tenant à la méconnaissance de la législation relative au contrôle des structures, le défaut de mention de l’adresse au moment de la reprise justifie que soit prononcée la nullité du congé délivré par M. [V] [B] suivant acte d’huissier en date du 26 mars 2021.
Il s’ensuit que le bail liant M. [V] [B] et M. [J] [N] se renouvellera pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2023.
M. [N] demande à la cour d’ordonner sa réintégration sur le fonds loué et que M. [B] soit condamné à prendre toute mesure à la restitution de la jouissance des parcelles cadastrées section C n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2] dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir, et sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai.
M. [B] affirme pour sa part que le preneur n’a pas quitté les lieux et poursuit l’exploitation des parcelles.
Aucune des parties ne produit d’élément de preuve au soutien de leurs affirmations respectives et contradictoires.
Ceci étant, l’annulation du congé implique la poursuite du bail rural et des obligations pesant sur le bailleur dont celle d’assurer au fermier la disponibilité des terres en vue de leur exploitation.
Il conviendra en conséquence de rappeler à M. [B] ses obligations sans qu’il n’y ait lieu de les assortir du prononcé d’une astreinte non justifiée par le cas d’espèce.
4/Sur les demandes accessoires :
La décision entreprise sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
En application de l’article 696 du code de procédure civile, il y a lieu de condamner les intimés, qui succombent, à la charge des dépens.
L’équité commande enfin de les condamner à payer à M. [N] la somme de 2.000 euros en application des dispositions au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant après en avoir délibéré conformément à la loi, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
Prononce l’irrecevabilité du moyen tiré du défaut de mention de la mise à disposition des biens repris au profit d’une société,
Dit que le moyen tiré de l’absence de conformité au titre du contrôle des structures est recevable pour ne pas être atteint de forclusion,
Infirme le jugement rendu le 20 mars 2023 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rodez en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Prononce la nullité du congé délivré par M. [V] [B] à M. [J] [N] le 26 mars 2021 pour le 31 décembre 2022,
Dit que le bail liant M. [V] [B] et M. [J] [N] se renouvellera pour une durée de 9 ans à compter du 1er janvier 2023,
Ordonne, si besoin, la réintégration sur le fonds loué de M. [J] [N] et invite M. [V] [B] et M. [T] [B] à prendre toute mesure pour lui restituer la jouissance des parcelles cadastrées section C n°[Cadastre 1] et [Cadastre 2] dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision à intervenir,
Condamne in solidum M. [V] [B] et M. [T] [B] à payer à M. [J] [N] la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamner M. [V] [B] et M. [T] [B] aux entiers dépens.
Le greffier, La présidente,
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