Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel de Bourges
→ RésuméLa présente affaire oppose M. [K] [Z], ouvrier agricole, à la SARL Villevière, spécialisée dans le matériel agricole. Après avoir rompu son contrat à durée déterminée (CDD) en octobre 2020 pour un CDI ailleurs, M. [Z] a saisi le conseil de prud’hommes en avril 2021, demandant la requalification de son CDD en contrat à durée indéterminée (CDI) et des indemnités. Le 16 janvier 2023, le conseil a requalifié le CDD en CDI, mais a rejeté certaines demandes. M. [Z] a interjeté appel, et le 23 février 2024, la cour a confirmé la requalification tout en infirmant d’autres condamnations.
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SD/CV
N° RG 23/00164
N° Portalis DBVD-V-B7H-DQXK
Décision attaquée :
du 16 janvier 2023
Origine : conseil de prud’hommes – formation paritaire de CHÂTEAUROUX
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M. [K] [Z]
C/
S.A.R.L. VILLEVIERE
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Expéd. – Grosse
Me LEFRANC 23.2.24
Me JOLIVET 23.2.24
COUR D’APPEL DE BOURGES
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 23 FÉVRIER 2024
N° 23 – 10 Pages
APPELANT :
Monsieur [K] [Z]
[Adresse 1]
Représenté par Me Edouard LEFRANC de la SCP LIERE- JUNJAUD-LEFRANC-DEMONT, avocat au barreau de CHÂTEAUROUX
INTIMÉE :
S.A.R.L. VILLEVIERE
[Adresse 2]
Ayant pour postulant Me Guillaume JOLIVET de la SELAFA CHAINTRIER AVOCATS, avocat au barreau de BOURGES
Représentée par Me Marie-Sophie LUCAS de la SCP TREMBLAY & ASSOCIÉS, avocat plaidant, du barreau d’ORLÉANS
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats et du délibéré :
PRÉSIDENT : Mme VIOCHE, présidente de chambre
ASSESSEURS : Mme de LA CHAISE, présidente de chambre
Mme CHENU, conseillère
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DELPLACE
DÉBATS : À l’audience publique du 12 janvier 2024, la présidente ayant pour plus ample délibéré, renvoyé le prononcé de l’arrêt à l’audience du 23 février 2024 par mise à disposition au greffe.
ARRÊT : Contradictoire – Prononcé publiquement le 23 février 2024 par mise à disposition au greffe.
Arrêt n° 23 – page 2
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FAITS ET PROCÉDURE :
La SARL Villevière exploite une activité de louage de matériel agricole, négoce de paille et fourrage ainsi que de travaux de culture du sol.
Suivant plusieurs contrats à durée déterminée , M. [K] [Z] a été engagé par cette société en qualité d’ouvrier agricole sur plusieurs périodes : du 1er juillet au 31 août 2016, du 21 juin au 22 décembre 2017, du 1er juillet au 30 novembre 2018 puis du 1er avril au 30 novembre 2019.
Au dernier état de la relation contractuelle, M. [Z] était engagé suivant contrat à durée déterminée du 3 avril 2020 pour la période du 6 avril au 31 décembre 2020, moyennant un salaire brut mensuel de 1 706,29 €, contre 35 heures de travail effectif par semaine.
La convention collective départementale des exploitations de polyculture, d’élevage de viticulture, d’arboriculture, d’entreprise de travaux agricoles et CUMA de l’Indre s’est appliquée à la relation de travail.
Par lettre remise en main propre le 6 octobre 2020, M. [Z] a informé son employeur qu’en raison notamment du contrat de travail à durée indéterminée qu’il venait d’accepter, il rompait de manière anticipée son contrat de travail à durée déterminée en application de l’article
L. 1243-2 du code du travail, et qu’ainsi, leurs relations contractuelles prendraient fin le 30 octobre suivant.
Le 6 avril 2021, M. [Z] a saisi le conseil de prud’hommes de Châteauroux, section agriculture, d’une action en requalification de son CDD en CDI et en paiement d’une indemnité de requalification, de rappels de salaire pour heures supplémentaires et majoration des heures de travail accomplies le dimanche ou les jours fériés ainsi que les congés payés afférents, d’une somme pour application de produits phytosanitaires, de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, non-respect des amplitudes de travail et temps de repos ainsi que pour harcèlement moral.
Il réclamait également qu’il soit ordonné à l’employeur, sous une astreinte dont le conseil se réserverait la liquidation, de lui remettre un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation Pôle Emploi et un bulletin de salaire conformes ainsi qu’une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la SARL Villevière aux dépens.
La société s’est opposée aux demandes.
Par jugement du 16 janvier 2023, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé, le conseil de prud’hommes, requalifiant en CDI le CDD du 3 avril 2020 en l’absence de précision sur le motif du recours au CDD, a :
– condamné la SARL Villevière à payer à M. [Z] les sommes suivantes :
– 1 706,29 euros à titre d’indemnité de requalification,
– 1 000 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non réglées et congés payés afférents,
– 500 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement du temps de travail,
– 1 200 euros à titre d’indemnité de procédure,
– débouté le salarié de ses demandes en paiement des majorations pour travail le dimanche et jours fériés et congés payés afférents, de sommes pour application de produits phytosanitaires et congés payés afférents, de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et harcèlement moral.
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Le 16 février 2023, par la voie électronique, M. [Z] a régulièrement relevé appel de cette décision.
DEMANDES ET MOYENS DES PARTIES :
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère expressément à leurs conclusions.
1 ) Ceux de M. [Z] :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 17 novembre 2023, il sollicite que la cour :
– constate qu’elle n’est pas saisie d’une demande d’annulation ou d’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription soulevée par l’employeur,
– confirme en conséquence le jugement en ce qu’il a rejeté cette fin de non-recevoir et a déclaré ses demandes recevables,
– confirme la décision en ce qu’elle a condamné la SARL La Villevière à lui payer la somme de 1 706,29 euros à titre d’indemnité de requalification,
– mais l’infirme en ses autres dispositions.
Il demande ainsi à la cour, statuant à nouveau, de condamner la SARL Villevière à lui payer les sommes suivantes :
– 5 442,08 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 544,21 euros au titre des congés payés afférents,
– 25,67 euros à titre de rappel de majorations de salaire pour travail les dimanches et jours fériés, et 2,57 euros de congés payés afférents,
– 8 085,28 euros à titre d’indemnité pour application de produits phytosanitaires, outre 808,53 euros au titre des congés payés afférents,
– 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de travail et de repos,
– 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.
Il sollicite également qu’il soit ordonné à la SARL Villevière, sous astreinte, de lui remettre un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, un bulletin de salaire et une attestation Pôle Emploi conformes, que l’employeur soit débouté de toutes ses prétentions et condamné à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euros pour les frais non répétibles engagés en première instance, et la même somme pour ceux engagés en cause d’appel, ainsi qu’aux entiers dépens.
2 ) Ceux de la SARL Villevière :
Aux termes de ses dernières conclusions remises au greffe le 5 décembre 2023, elle demande à la cour de :
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [Z] de sa demande de rappel de salaire au titre des majorations pour travail du dimanche et jours fériés, d’un rappel d’indemnités et congés payés afférents pour utilisation de produits phytosanitaires et de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité et harcèlement moral,
– l’infirmer en ce qu’il l’a condamnée à payer au salarié les sommes de 1 000 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et congés payés afférents et de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail.
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Elle réclame enfin que M. [Z] soit condamné à lui payer une indemnité de procédure de 3 000 euros ainsi qu’aux entiers dépens.
* * * * * *
La clôture de la procédure est intervenue le 20 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1) Sur la demande de rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires non réglées et congés payés afférents :
Aux termes de l’article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail effectuées, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies, afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande et détermine souverainement, au vu des éléments produits par chacune des parties, l’existence d’heures de travail accomplies et la créance salariale s’y rapportant.
En l’espèce, M. [Z] expose qu’entre le 29 juin et le 14 juillet 2019 ainsi qu’entre le 1er juin et le 31 juillet 2020, il a accompli de très nombreuses heures supplémentaires qui ne lui auraient pas été rémunérées, de sorte que la somme de 5 806,58 euros lui resterait due à ce titre par l’employeur.
À l’appui de ses allégations, il produit :
– des relevés d’heures, dans lesquels il mentionne, pour les périodes considérées, le nombre d’heures de travail réalisées chaque jour,
– des décomptes, selon lesquels lui resteraient dues les sommes de 3 214,34 euros pour la période comprise entre le 29 juin et le 14 juillet 2019, et de 2 227,74 euros pour la période comprise entre le 1er juin et le 31 juillet 2020, outre les congés payés afférents,
– ses bulletins de salaire.
L’employeur s’oppose à cette prétention, en soulignant que les bulletins de salaire mentionnent que de très nombreuses heures supplémentaires ont été rémunérées à M. [Z] qui, selon lui, a été rempli de ses droits et que les éléments qu’il fournit ne sont pas suffisamment précis dès lors que ses relevés d’heures comportent des ratures, et n’indiquent ni ses heures d’embauche et de débauche quotidiennes, ni ses temps de pause, de sorte qu’il ne peut utilement y répondre.
Contrairement à ce que soutient la SARL Villevière, les éléments produits par M. [Z], qui comportent plusieurs ratures mais essentiellement lorsqu’il a écrit que 15h50 supplémentaires ont été réalisées alors qu’initialement, il avait mentionné 15h30, sont suffisamment précis dès lors qu’ils indiquent chaque jour un nombre d’heures de travail réalisées et que la preuve des temps de pause incombe à l’employeur.
L’employeur conteste devoir des rappels de salaire pour heures supplémentaires non réglées, en mettant en avant que M. [Z] n’a pas déduit de ses décomptes toutes les heures supplémentaires qu’il lui a payées, que les relevés d’heures comportent plusieurs erreurs qui
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démontrent leur caractère mensonger et que la masse salariale a diminué depuis le départ du salarié. Il met en avant sa bonne foi et la confiance qu’il plaçait en ses salariés pour préférer ne pas produire de son côté un décompte qu’il aurait établi pour les seuls besoins de la cause.
À l’appui de ses dénégations, il verse aux débats le témoignage de M. [T] [W], qui indique avoir travaillé comme ouvrier saisonnier avec M. [Z] entre le 25 juin et le 31 août 2020, relate que chaque saisonnier devait noter individuellement les heures de travail qu’il réalisait sur une feuille qu’il remettait à l’employeur, confirme que celui-ci leur faisait confiance et les payait donc intégralement, et précise que M. [Z] accomplissait exactement le même nombre d’heures de travail que lui puisque leur emploi du temps était le même. M. [Z] ne peut critiquer la valeur probante de cette attestation au motif que M. [W] serait proche du gérant alors que d’une part, aucun élément ne le démontre et que d’autre part, elle est précise et circonstanciée, si bien qu’il n’y a pas lieu de l’écarter.
Par ailleurs, l’examen des bulletins de salaire produits montre que la SARL Villevière a payé à M. [Z], pendant les périodes
considérées, 371, 67 heures supplémentaires, réparties comme suit :
– en juin 2019, 34,67 heures supplémentaires majorées à 25%,
– en juillet 2019, 62 heures supplémentaires majorées à 25% et 68 heures majorées à 50%,
– en août 2019, 8 heures supplémentaires majorées à 25% et 17 heures majorées à 50%
– en juin 2020, 32 heures supplémentaires majorées à 25% et 25 heures majorées à 50%,
– en juillet 2020, 40 heures supplémentaires majorées à 25% et 85 heures majorées à 50%,
C’est exactement que l’intimée met en avant que l’appelant n’a pas déduit de ses décomptes les heures supplémentaires qui lui ont été payées en juin 2019, et que de même, il avait omis, dans ses premières conclusions, de comptabiliser celles qui lui ont été réglées en août 2019, ce qui entache la crédibilité des éléments produits puisqu’il ressort de ses relevés d’heures qu’il a été en congés le 7 août 2019 puis du 16 au 31 août suivant.
Enfin, le salarié a inscrit sur ses relevés 50 minutes après avoir d’abord mentionné 30 minutes, un 5 ayant été ajouté par dessus un 3, ce qui fausse leur résultat.
Dès lors, au vu des éléments produits de part et d’autre, la cour a la conviction que les éléments fournis par M. [Z] ne sont pas sincères et qu’il n’a donc pas accompli les heures supplémentaires qu’il allègue. Il s’ensuit que par voie infirmative, il doit être débouté de sa demande en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires réalisées mais non réglées, outre les congés payés afférents.
2) Sur la demande en paiement de majorations pour travail les dimanches et les jours fériés :
En l’espèce, M. [Z] sollicite un rappel de salaire de 25,67 euros au titre des majorations pour les heures de travail qu’il prétend avoir accomplies les dimanches et jours fériés, en se prévalant de l’article 24 de la convention collective applicable. L’employeur s’y oppose en mettant en avant que les relevés d’heures fournis sont imprécis.
Les dispositions précitées prévoient des majorations dans les termes suivants :
‘ les heures de travail effectif faites le dimanche ou un jour férié sont majorées de 25%.
Celles qui sont nécessitées par l’exécution de travaux à caractère exceptionnel, le dimanche ou jour férié, sont majorées à 100%, avec repos compensateur.
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Par travaux à caractère exceptionnel, il y a lieu de considérer ceux que l’on n’effectue pas habituellement, tels ceux occasionnés par un sinistre, un accident, une calamité, le dépannage du matériel et leurs conséquences.
Cette majoration ne se cumule pas avec celles pour heures supplémentaires.’
Il résulte des éléments produits par le salarié qu’il a seulement ajouté à la main, en haut du relevé d’heures figurant dans un tableau établi sur ordinateur pour le mois de juillet 2019, qu’il a travaillé pendant 10 heures le dimanche 30 juin 2019. Or, il ne précise pas au titre de quelle période les majorations qu’il réclame lui resteraient dues ce qui rend sa demande particu-lièrement imprécise et ce d’autant que l’examen des bulletins de salaire démontre qu’en juillet 2019, des majorations pour travail le dimanche et les jours fériés lui ont été payées.
Il s’en déduit que c’est exactement que les premiers juges l’ont débouté de ce chef de demande. Le jugement doit donc être confirmé sur ce point.
3) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour dépassement des temps de travail et de repos :
L’article L. 3121-20 du code du travail prévoit qu’au cours d’une même semaine, la durée maximale hebdomadaire de travail est de quarante-huit heures.
Aux termes de l’article L. 3121-21 du même code, en cas de circonstances exceptionnelles et pour la durée de celles-ci, le dépassement de la durée maximale définie à l’article L. 3121-20 peut être autorisé par l’autorité administrative, dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, sans toutefois que ce dépassement puisse avoir pour effet de porter la durée du travail à plus de soixante heures par semaine. Le comité social et économique donne son avis sur les demandes d’autorisation formulées à ce titre. Cet avis est transmis à l’agent de contrôle de l’inspection du travail.
L’article L. 3121-22 du même code dispose par ailleurs que la durée hebdomadaire de travail calculée sur une période quelconque de douze semaines consécutives ne peut dépasser quarante-quatre heures, sauf dans les cas prévus aux articles L. 3121-23 à L. 3121-25.
En l’espèce, M. [Z] expose que l’employeur a enfreint à plusieurs reprises les dispositions relatives à la durée maximale, quotidienne et hebdomadaire du travail, ce qui lui a occasionné un préjudice que les premiers juges ont insuffisamment évalué dès lors que les dépassements qui lui ont été ainsi imposés lui ont occasionné une fatigue importante et ont porté atteinte à sa vie personnelle et familiale. Il met en avant que la durée du travail maximale quotidienne est fixée à 10 heures, que la durée maximale hebdomadaire est de 48 heures et que son repos quotidien devant être au minimum de 11 heures, l’amplitude de travail quotidienne ne peut excéder 13 heures.
La SARL Villervière conteste avoir imposé à son salarié de tels dépassements dès lors que le code rural prévoit, pour les entreprises agricoles, des dispositions dérogatoires à l’article L. 3121-22 du code du travail. Elle ajoute que M. [Z] s’étant contenté de produire des relevés d’heures sans précision de ses heures d’embauche et de débauche ne peut prétendre que son droit au repos n’a pas été respecté.
S’agissant de la durée maximale du travail, il résulte en effet de l’article L.713-13 du code rural que par dérogation à l’article L. 3121-22 du code du travail, pour les exploitations, entreprises, établissements et employeurs mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 722-1 du présent code, aux 2° et 3° de l’article L. 722-20 et au 6° du même article L. 722-20, pour les seules entreprises qui ont une activité de production agricole, la limite de quarante-quatre heures est calculée sur
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une période de douze mois consécutifs. Les mêmes exploitations, entreprises, établissements et employeurs peuvent être autorisés à dépasser le plafond de soixante heures mentionné à l’article L. 3121-21 du code du travail à la condition que le nombre total d’heures supplémen-taires effectuées au-delà de ce plafond n’excède pas soixante heures au cours d’une période de douze mois consécutifs.
Il se déduit de ce texte que les relevés d’heures produits par l’appelant ne concernent que des périodes de quelques semaines, et que ses bulletins de salaire, qui mentionnent la réalisation de nombreuses heures supplémentaires, n’établissent pas pour autant que la durée du travail imposée à M. [Z] a excédé soixante heures au cours d’une période de douze mois consécutifs. Par ailleurs, c’est pertinemment que l’employeur met en avant que faute pour le salarié d’avoir précisé l’heure à laquelle il débutait et terminait ses journées de travail, celui-ci se contente d’alléguer que les amplitudes maximales de travail et son droit au repos n’ont pas été respectés, les bulletins de salaire précités ne pouvant suffire à le démontrer en dépit de l’importance du nombre d’heures supplémentaires mentionné.
Il s’en déduit que l’intimée ayant respecté la durée légale du travail et des temps de repos, M. [Z] est mal fondé à réclamer de ce chef des dommages et intérêts. Par infirmation du jugement critiqué, il doit donc être débouté de cette prétention.
4) Sur la demande en paiement d’indemnités pour application de produits phytosanitaires et congés payés afférents :
Aux termes de l’article 18 de la convention collective applicable, une indemnité est due à tout salarié non cadre qui applique des produits phytosanitaires. Pour le temps passé mentionné sur le document d’enregistrement du temps de travail, elle est calculée sur la base de 15% du salaire horaire brut du salarié.
M. [Z] sollicite, en l’espèce, paiement de la somme de 8 085,28 euros au titre de l’indemnité qui lui serait due en raison du fait qu’il a régulièrement manipulé des produits chimiques dangereux pendant l’exercice de son activité, puisqu’il devait appliquer des produits phytosanitaires sans le moindre équipement de protection ni certification appropriée. Il prétend que ce fait se trouve démontré par la production du témoignage de M. [D], et qu’il a droit, au regard des dispositions conventionnelles précitées, à une indemnité calculée sur la base du salaire correspondant à son temps de travail tel que figurant sur le document d’enregistrement du temps de travail que l’employeur était tenu de renseigner.
Il demande à la cour de constater que la SARL Villevière ne critique pas le jugement déféré en ce qu’il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de cette demande. Cependant, d’une part, les premiers juges ont seulement précisé dans le corps de leur décision que les demandes postérieures au 30 octobre 2017 étaient recevables, sans indiquer dans le dispositif de celle-ci qu’ils rejetaient cette fin de non-recevoir ou que les demandes étaient recevables puisqu’ils se sont contentés de débouter le salarié de cette prétention. Par ailleurs, dans le dernier état de ses conclusions, l’employeur a indiqué qu’il renonçait à soulever la prescription de cette demande en paiement d’un rappel d’accessoires de salaire pour utilisation de produits sanitaires, si bien que cour n’est saisie d’aucune fin de non-recevoir.
La SARL Villevière s’oppose néanmoins à cette prétention, en faisant valoir qu’il ressort seulement des pièces produites par M. [Z] qu’il aurait utilisé du Misol, traitement réservé aux semences de céréales, lesquelles ne sont pas réalisées tout au long de l’année. Elle met ainsi en avant que la demande formée de ce chef est invraisemblable et ce d’autant que les gérants de l’exploitation avaient interdit l’accès à l’outil de stockage des céréales ce qui montre qu’aucun salarié ne manipulait de produits sanitaires. Elle entend le démontrer par le témoignage de
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M. [W], déjà cité, et prétend que l’attestation de M. [D] n’est pas probante puisqu’il a introduit contre elle une action prud’homale de même nature et que d’ailleurs, M. [Z] a attesté en faveur de ce salarié.
Le simple fait que les personnes dont émanent les attestations soient en litige avec l’employeur n’est pas à lui seul de nature à entacher leur crédibilité, si bien qu’il n’y a pas lieu d’écarter le témoignage de M. [D] pour cette raison.
Cependant, celui-ci attestant en ces termes : ‘j’ai constaté que [K] effectuait des traitements de semence sans protection, Misola et Latitude, sans être détenteur du Certiphyto. ( …)Tous les fait relatés se produisait régulièrement’, ce témoignage n’est ni précis ni circonstancié. Il n’est en outre corroboré par aucun autre élément et ce alors qu’il se trouve directement contredit par l’attestation de M. [W], qui confirme que les dirigeants de l’exploitation avaient interdit aux salariés l’accès à l’outil de stockage des céréales ‘car il n’était pas aux normes de sécurité’. L’attestation de M. [D] ne peut donc suffire à établir que M. [Z] a manipulé des produits chimiques dangereux et que sa demande en paiement d’indemnités pour application de produits phytosanitaires est fondée. Il doit par suite en être débouté ainsi que l’ont pertinemment retenu les premiers juges.
5) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité :
Aux termes de l’article L. 4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu envers ses salariés d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise. La réparation d’un préjudice résultant d’un manquement de l’employeur suppose que le salarié qui s’en prétend victime produise en justice les éléments permettant d’établir d’une part, la réalité du manquement et d’autre part, l’existence et l’étendue du préjudice en résultant.
En l’espèce, pour invoquer le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, M. [Z] prétend qu’il devait appliquer les produits phytosanitaires précités, réaliser des travaux en hauteur et utiliser des engins tels qu’un télescopique alors que l’employeur n’avait mis à sa disposition aucun équipement de protection.
L’intimée, qui renonce à soulever la prescription de cette demande, réplique qu’elle a satisfait à son obligation de sécurité ; elle soutient que d’une part, l’appelant affirme faussement avoir appliqué des produits chimiques dangereux, que d’autre part, ses allégations sont imprécises et qu’enfin, il ne fait état d’aucun manquement à une réglementation relative à la santé et à la sécurité des travailleurs si bien qu’elle ignore quel manquement précis il lui reproche.
Il résulte de ce qui précède que M. [Z] ne démontre pas avoir manipulé des produits phytosanitaires. Si le témoignage de M. [D], qui indique que ‘[K] utilisait le télescopique sans contrôle APAVE et assurance et montait sur les meules de paille à plus de 10 mètres de hauteur sans aucune sécurité’, il ressort de ce qui précède que ce témoignage n’est ni circonstancié ni précis et qu’il n’est corroboré par aucun autre élément, de sorte qu’il ne peut suffire à emporter la conviction de la cour. Enfin, M. [Z] ne précise ni quelle précaution ni quelle mesure particulière de prévention aurait dû prendre l’employeur lorsqu’il utilisait un chariot télescopique dans l’exercice de ses missions.
Par suite, faute pour lui d’établir que l’employeur lui a fait manipuler des produits dangereux et d’invoquer précisément d’autres manquements, M. [Z] ne peut prospérer en cette demande indemnitaire.
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C’est donc exactement que le conseil de prud’hommes l’en a débouté.
6) Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral :
Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L. 1154-1 du même code, il appartient au salarié qui s’estime victime d’un harcèlement moral de présenter les éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs de harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces dispositions que pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs, étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, M. [Z] invoque avoir été victime du harcèlement moral de son employeur qui, de manière répétée, lui aurait manqué de respect et lui aurait tenu des propos injurieux, ce que celui-ci conteste.
Il produit à l’appui de ses allégations :
– le courrier qu’il a adressé le 3 octobre 2020 à son employeur pour rompre de manière anticipée son CDD et par lequel il formule des griefs en ces termes : ‘le climat dans l’entreprise s’étant détérioré durant l’année passée et par le manque de respect avéré d’un des dirigeants ainsi que ses moqueries inadaptées sur ma vie privée, j’ai donc décidé de rompre mon contrat de travail comme l’article L. 1243-2 du code du travail m’y autorise et a accepter un contrat à durée indéterminée dans une entreprise qui saura reconnaître mes valeurs professionnelles’,
– le témoignage précité de M. [D], lequel entend ‘relater les faits et paroles a l’encontre de mon collègue [K] [Z] dont j’ai été témoin en effet a de multiple reprise j’ai entendu M. [P] [J] employe un vocabulaire inadapté, limite vulgaire et insultant envers [K] ( …) M. [P] appelait [K] mon commis.’
En dehors du fait que le gérant de l’entreprise aurait appelé M. [Z] ‘mon commis’, expression, qui sans précisions sur des éléments de contexte, ne peut être analysée comme insultante ou péjorative, aucun de ces deux éléments ne fait état des propos précis qui auraient été adressés au salarié par l’employeur, ni dans quelles circonstances ou à quelle date celui-ci lui aurait manqué de respect.
Par suite, M. [Z] ne présente pas d’éléments de fait précis et concordants laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral.
Le jugement déféré doit donc être confirmé en ce qu’il a débouté le salarié de la demande indemnitaire qu’il forme de ce chef.
Arrêt n° 23 – page 10
23 février 2024
7) Sur les autres demandes :
Compte tenu de ce qui précède, la demande visant à la remise des documents de fin de contrat et d’un bulletin de salaires conformes à la présente décision n’est pas fondée. Le salarié doit donc en être débouté comme l’a exactement dit le jugement critiqué.
M. [Z], qui succombe, est condamné aux dépens de première instance et d’appel et débouté en conséquence de ses demandes d’indemnité de procédure.
En équité, l’employeur gardera à sa charge ses propres frais irrépétibles et sera donc également débouté de la sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition du greffe :
CONFIRME le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a condamné la SARL Villevière à payer à M. [K] [Z] les sommes de 1 000 euros à titre de rappel de salaire et congés payés afférents et de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour dépassement du temps de travail et en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles ;
STATUANT À NOUVEAU DES CHEFS INFIRMÉS et AJOUTANT:
DÉBOUTE M. [K] [Z] de ses demandes en paiement d’un rappel de salaire pour heures supplémentaires réalisées et non payées, outre les congés payés afférents, et de dommages et intérêts pour dépassement de la durée légale du travail et non-respect des temps de repos ;
DÉBOUTE la SARL Villevière de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [Z] aux dépens de première instance et d’appel et le déboute de ses demandes d’indemnité de procédure.
Ainsi fait, jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus ;
En foi de quoi, la minute du présent arrêt a été signée par Mme VIOCHE, présidente de chambre, et Mme DELPLACE, greffière à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
S. DELPLACE C. VIOCHE
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