Type de juridiction : Cour d’appel
Juridiction : Cour d’appel d’Orléans
→ RésuméM. et Mme [I] exploitent des terres agricoles à [Localité 11]. En 2014, Mme [I] achète des semences de colza de la société Soufflet Agriculture, commercialisées par Monsanto. Après la plantation, un développement anormal des semences, notamment de la variété ‘Exprit’, est constaté. Ils assignent alors Soufflet, Monsanto et Syngenta en référé pour expertise. En 2015, l’expert conclut à une quasi-absence de développement de ‘Exprit’, attribuant les problèmes à des facteurs externes. En 2021, le tribunal rejette leur demande de réparation, décision confirmée par la cour d’appel en 2024, qui souligne l’absence de preuve de responsabilité de Soufflet.
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COUR D’APPEL D’ORLÉANS
C H A M B R E C I V I L E
GROSSES + EXPÉDITIONS : le 13.02. 2024
la SCP LAVAL – FIRKOWSKI
la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS
Me Audrey PALMACE
Me Elisabeth MERCY
ARRÊT du : 13 FEVRIER 2024
N° : -24
N° RG 21/01278 – N° Portalis DBVN-V-B7F-GLK4
DÉCISION ENTREPRISE : Jugement TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ORLEANS en date du 27 Janvier 2021
PARTIES EN CAUSE
APPELANTS :- Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265271998948094
Monsieur [L] [I]
né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 10]
‘[Adresse 12]
[Localité 8]
représenté par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS
Madame [X] [J] épouse [I]
née le [Date naissance 5] 1954 à [Localité 13]
[Adresse 3]
[Localité 8]
représentée par Me Olivier LAVAL de la SCP LAVAL – FIRKOWSKI, avocat au barreau d’ORLEANS
D’UNE PART
INTIMÉES :
– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265292568084050
S.A.S. BAYER SEEDS (anciennement MONSANTO), SASU immatriculée au RCS de LYON sous le n° 420 019 812, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 6]
[Localité 9]
Ayant pour avocat postulant Me Sophie GATEFIN de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Frédéric SAFFROY de la SELARL Alerion, avocat au barreau de PARIS
– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265269326503907
S.A.S. SOUFFLET AGRICULTURE prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 14]
[Localité 2]
Ayant pour avocat postulant Me Audrey PALMACE, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Robert CORCOS de la SELAS FTPA, avocat au barreau de PARIS
– Timbre fiscal dématérialisé N°: 1265270285605278
S.A.S.U. SYNGENTA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 7]
Ayant pour avocat postulant Me Elisabeth MERCY, avocat au barreau d’ORLEANS, et pour avocat plaidant Me Benoit FAURE, avocat au barreau de PARIS,
D’AUTRE PART
DÉCLARATION D’APPEL en date du :22 avril 2021
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 6 novembre 2023
COMPOSITION DE LA COUR
Lors des débats, du délibéré :
Mme Anne-Lise COLLOMP, Présidente de chambre,
M. Laurent SOUSA, Conseiller,
Mme Laure Aimée GRUA, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles.
Greffier :
Mme Karine DUPONT, Greffier lors des débats et du prononcé.
DÉBATS :
A l’audience publique du 8 janvier 2024, ont été entendus Madame Anne-Lise COLLOMP, Président de Chambre, en son rapport et les avocats des parties en leurs plaidoiries.
ARRÊT :
Prononcé le 13 février 2024 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
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FAITS ET PROCEDURE :
M. et Mme [I] exploitent des terres agricoles à [Localité 11] (45).
Selon facture en date du 11 septembre 2014, Mme [I] a acquis auprès de la société Soufflet agriculture des semences de colza de type ‘Expertise’ et ‘Exprit’ commercialisées sous la marque Dekalb et produites par la société Monsanto. Ces semences ont été utilisées sur le même îlot de culture dans des zones distinctes de la manière suivante :
– 11 ha ensemencés avec DK Expertise,
– 14,75 ha ensemencés avec DK Exprit,
– outre 0,5 ha ensemencés avec une autre variété, DK Exentiel.
Ces trois zones ont fait l’objet d’un traitement par application du désherbant ‘Colzor Trio’ fabriqué par la société Syngenta.
Constatant que la zone ensemmencée par la variété ‘Exprit’ connaissait un développement anormal, M. et Mme [I] ont, par acte du 2 avril 2015, fait assigner la société Soufflet agriculture, la société Monsanto et la société Syngenta en référé devant le tribunal de grande instance d’Orléans aux fins d’obtenir le prononcé d’une expertise judiciaire.
Par ordonnance du 3 avril 2015, une mesure d’expertise judiciaire a été ordonnée et M. [E] a été désigné pour y procéder.
L’expert judiciaire a rendu son rapport le 28 septembre 2015.
Par acte d’huissier en date du 29 octobre 2018, les époux [I] ont fait assigner la société Soufflet agriculture devant le tribunal de grande instance d’Orléans en réparation de leur préjudice.
Par actes d’huissier du 30 avril 2019, la société Soufflet agriculture a fait assigner la société Monsanto et la société Syngenta en intervention forcée.
Par jugement en date du 27 janvier 2021, le tribunal judiciaire d’Orléans a :
– ordonné la jonction entre les affaires portant le numéro de RG N° 19/00905 et N° 18/02168;
– rejeté la demande des époux [I] en paiement de 10 500 euros ;
– rejeté la demande d’appel en garantie de la société Soufflet agriculture ;
– condamné les époux [I] aux entiers dépens ;
– condamné les époux [I] à payer à la société Monsanto, la société Syngenta et la société Soufflet agriculture la somme de 1 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 22 avril 2021, les époux [I] ont relevé appel de l’intégralité des chefs de ce jugement.
Les parties ont constitué avocat et ont conclu.
La société Monsanto est devenue la société Bayer Seeds.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 19 octobre 2023, les époux [I] demandent à la cour de :
– dire recevable et bien fondé, l’appel interjeté par les époux [I] à l’encontre d’un jugement du tribunal judiciaire d’Orléans, en date du 27 janvier 2021, en ce qu’il a rejeté la demande des époux [I] en paiement de 10.500 euros ; rejeté la demande d’appel en garantie de la société Soufflet agriculture ; condamné les époux [I] à payer à la société Monsanto, la société Syngenta et la société Soufflet agriculture la somme de 1 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; rejeté la demande d’indemnité de procédure formée par les époux [I] ;
Y faisant droit,
– réformer cette décision,
– dire et juger que la société Soufflet agriculture a commis une faute contractuelle à l’égard des époux [I], s’analysant en un manquement à son devoir de conseil.
– condamner la société Soufflet agriculture à payer aux époux [I] une somme de 10 500 euros à titre de dommages et intérêts.
– statuer ce que de droit sur les recours en garantie engagés par la société Soufflet agriculture à l’encontre des sociétés Bayer Seeds et Syngenta France.
– débouter les sociétés Soufflet agriculture, Bayer Seeds et Syngenta France de l’ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires.
– condamner la société Soufflet agriculture à payer aux époux [I] une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner la société Soufflet agriculture aux frais d’expertise de première instance.
– condamner la société Soufflet agriculture aux entiers dépens de première instance et d’appel, et accorder, en ce qui concerne ces derniers, à la société Laval – Firkowski, le droit prévu à l’article 699 du code de procédure civile.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 24 octobre 2023, la société Soufflet agriculture demande à la cour de :
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
– débouter les époux [I] de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire :
– débouter les époux [I] de leur demande d’indemnisation à hauteur de 10 500 euros ;
– fixer le quantum du préjudice à la somme de 5 900 euros diminuée de 50%, soit 2 950 euros ;
– condamner les sociétés Bayer Seeds et Syngenta France à relever et garantir la société Soufflet agriculture de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre.
En tout état de cause :
– condamner les succombants au paiement de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
– condamner les succombants aux entiers dont distraction au profit de Me Audrey Palmace en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 31 octobre 2023, la société Syngenta France demande à la cour de :
– déclarer les époux [I] mal fondés en leur appel et les en débouter.
– confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 27 janvier 2021 par le tribunal judiciaire d’Orléans ;
– débouter les époux [I] de toutes leurs demandes ;
– débouter la société Soufflet agriculture de son appel en garantie formé à titre
subsidiaire à l’encontre de la société Syngenta France ;
– débouter en conséquence la société Soufflet agriculture de toutes ses demandes formées à l’encontre de la société Syngenta France ;
– débouter toutes demandes formées à l’encontre de la société Syngenta France ;
A titre véritablement très subsidiairement,
– fixer le quantum du préjudice, indépendamment de la question des responsabilités, à la somme de 5 900 euros diminuée de 50 %, soit 2 950 euros ;
– condamner tout succombant à verser à la société Syngenta France une somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner tout succombant aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Elisabeth Mercy en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 13 janvier 2022, la société Bayer Seeds demande à la cour de :
– déclarer les époux [I] mal fondés en leur appel, les en débouter ;
A titre principal :
– confirmer le jugement du tribunal judiciaire d’Orléans du 27 janvier 2021 dans son intégralité ;
A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel d’Orléans venait à réformer le jugement du tribunal judiciaire d’Orléans du 27 janvier 2021 et condamnait la société Soufflet agriculture :
– débouter la société Soufflet agriculture de son appel en garantie à l’égard de la société Bayer Seeds compte tenu de l’absence de faute contractuelle mettant en cause la responsabilité de la société Bayer Seeds ;
A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour d’appel d’Orléans venait à réformer le jugement du tribunal judiciaire d’Orléans du 27 janvier 2021 et venait à entrer
en voie de condamnation à l’encontre de la société Bayer Seeds :
– constater l’erreur dans le calcul de l’indemnité réclamée les époux [I] ;
– limiter le montant de l’indemnité octroyée à la somme de 2 950 euros ;
En tout état de cause :
– débouter toute partie de toutes demandes plus amples ou contraires aux présentes conclusions ;
– condamner tout succombant au paiement de la somme de 8 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits et des moyens des parties, il convient de se reporter à leurs dernières conclusions.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 6 novembre 2023.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la société Soufflet Agriculture
Moyens des parties
M. et Mme [I] font valoir que la responsabilité contractuelle de la société Soufflet agriculture est engagée pour manquement à son devoir de conseil.
Ils soulignent qu’il résulte de la facture de la société Soufflet que le commercial a conseillé le type de produit à utiliser et les proportions, à savoir le produit Colzor trio, et qu’il résulte des conclusions du GEVES que l’application du produit 24h après le semis a engendré des anomalies comme des plantules déformées, racines courtes, cotylédons décolorés/nécrosés’. Ils en déduisent que l’origine des désordres est une inadéquation du produit Colzor trio utilisé sur les semences EXPRIT dans les proportions conseillées par la société Soufflet. Ils relèvent que les conclusions du GEVES, qui a procédé à cette analyse à leur demande, ont été portées en temps utile à la connaissance de l’ensemble des parties, et constituent un complément au rapport d’expertise judiciaire, de sorte que la cour peut se prononcer sans investigations supplémentaires.
La société Soufflet agriculture sollicite la confirmation du jugement qui a rejeté les demandes de M. et Mme [I].
Elle fait valoir :
– que M. et Mme [I] ne démontrent pas que les dommages sont dus à une inadéquation du produit phytosanitaire au type de semence utilisé, dans la mesure où :
– les analyses de GEVES dont se prévalent M. et Mme [I] ne sont pas contradictoires ;
– l’analyse et l’expertise des produits phytosanitaires, dont le Colzor trio fait partie, ne relèvent pas du domaine de compétence du GEVES, ce qui résulte sans ambiguité d’un courriel de M. [R], de la société GEVES (pièce n°12 des époux [I]) ;
– l’expert judiciaire a estimé que ces analyses complémentaires réalisées par les époux [I] n’étaient pas pertinentes car elles n’apportaient aucun élément nouveau à l’expertise en cours;
– le rapport GEVES mentionne uniquement les produits utilisés et leur application mais ne fait pas allusion aux quantités et conseils qu’auraient prodigués la société Soufflet, de sorte qu’aucune faute de sa part n’est caractérisée au terme de ce document ;
– le courrierl de M. [T], technicien commis par l’assureur de M. et Mme [I], la société Pacifica, ne remet pas en cause les conclusions de l’expert judiciaire.
– que le désordres est dû, au terme du rapport d’expertise, à un enchaînement de causes toutes non imputables à la société Soufflet, l’inadéquation du produit Colzor Trio ayant été écartée à tous les stades du litige ; que l’expert judiciaire a expressément écarté une faute de conseil ;
– qu’en tout état de cause, l’agriculteur est un professionnel averti qui connaît mieux que la société Soufflet les contraintes et les caractéristiques de son exploitation.
Réponse de la cour
En application de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du février 2016, applicable au litige, la responsabilité de la société Soufflet étant recherchée pour un contrat conclu avant l’entrée en vigueur de ce texte :
‘Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.’
Il incombe à M. et Mme [I], qui se prévalent d’une faute de la société Soufflet agriculture, d’en rapporter la preuve.
Il résulte des éléments du dossier que Mme [I] a acquis, auprès de la société Soufflet, 4 doses de semences de colza de la variété DK EXPRIT et 3 doses de semence EXPERTISE, lesquelles leur ont été livrées le 25 août 2014.
La zone ensemencée avec les semences DK EXPRIT ne s’est pas développée normalement. Mme [I] a précisé à la société Soufflet, dans son courrier du 26 février 2015, que si la variété EXPERTISE (ainsi qu’une autre variété semée sur la parcelle) étaient levées, ‘quelques rares plantes de la variété EXPRIT lèvent difficilement sur 16 hectares ‘.
Une expertise judiciaire a été ordonnée à la demande de M. et Mme [I].
Les conclusions du rapport de l’expert, déposé le 28 septembre 2015, confirment que la partie ensemencée avec les semences EXPRIT comporte ‘une quasi absence de colza, mais un enherbement très important. La perte de plantes est proche de 100%’, tandis que la partie ensemencée avec la variété EXPERTISE est ‘dans un état végétatif correct, même avec une faible densité de pieds au mètre carré (75% des graines semées n’ont pas donné de plantes viables)’).
Ses conclusions quant aux causes de ce désordres sont les suivantes :
‘Lers produits utilisés, mis en cause par le demandeur (la semence produite par MONSANTO et le desherbant produit par SYNGENTA) ne présentent ni cive, ni défaut. Plusieurs paramètres peuvent expliquer la difficulté de levée et la disparition du colza:
– les conditons climatiques sèches au moment du semis et de la levée,
– les ravageurs du colza : la présence de limaces, ou d’altises, avec une protection insuffisante et incomplète,
– une lutte chimique conte les limaces, différente entre les deux zones du champ,
– une irrigation par enrouleur à la suite du désherbage.
Nous avons la conviction que les 3 défenderesses n’ont pas fourni de produits défectueux. Nous n’avons pas constaté de faute de conseil. Les désordres sont consécutifs à un enchaînement de circonstances qui ne sont pas le fait des 3 entreprises mises en cause’.
Cette conclusion fait suite à l’analyse de plusieurs hypothèses, qu’il a successivement écartées :
– la qualité germinative du lot de semence est hors de cause puisque les tests de germination, réalisés par Monsanto et par M. [I] lui-même, sont satisfaisants, et qu’en outre, un défaut de germination aurait concerné des centaines voire des milliers d’hectares, ce qui n’a pas été le cas ;
– le défaut de sélectivité du produit COLZOR TRIO : l’expert a écarté cette hypothèse, après avoir relevé que le taux d’argile de la parcelle permet et nécessite des doses élevées, et dans la mesure où la matière active contenue dans ce produit produit des symptômes de blanchiment ou décolorations sur le feuillage des cultures, non évoqué en l’espèce, sans perte de rendement significative et que le CETIOM évoque la possibilité d’une réaction différente selon les variétés, mais pas la destruction du semis.
Il relève en outre que les deux variétés EXPRIT et EXPErTISE ont le même comportement par rapport au principe actif de ce produit (la Clomazone) et y sont très peu sensibles.
– une pulvérisation de Colzor trio trop tardive, sur plantules levées, alors que le produit doit être appliqué avant la levée : il écarte cette hypothèse en considération du cahier d’enregistrement des pratiques culturales des époux [I]. Il relève en revanche que l’irrigation après l’application du désherbant par canon et enrouleur n’est pas favorable.
– une panne mécanique ou une erreur de l’opérateur, mais il écarte cette hypothèse dès lors qu’une alerte se serait déclenchée et qu’à défaut le conducteur s’en serait aperçu en fin de semis.
Il estime probable en revanche que la partie semée en EXPRIT n’ait pas reçu le passage de micro-granulés contre les limaces. Il relève au demeurant que la parcelle semée avec la variété EXPERTISE a une densité relativement faible (10 plantes par mètre carré), ce qui correspond à une perte de 75% de plantes, et que des photographies montrent des ‘dégâts de limace’. Il considère en conséquence qu’il s’agit d’un accident cultural, lié à la conjonction de conditions climatiques sèches en septembre 2014, à la présence d’un ravageur et à une irrigation mal positionnée.
M. et Mme [I] contestent ces conclusions et soutiennent qu’il résulte de l’analyse d’un échantillon de semences litigieux par un laboratoire indépendant, le Groupes d’Etudes et de contrôle des Variétés et des Semences (GEVES), organisme d’Etat, à laquelle ils ont fait procédé, que l’application 24h après la semence des semis d’un traitement au ‘Colzor trio’ avait conduit à des anomalies importantes, telles que des plantules déformées, des racines courtes, des cotylédons décolorés ou nécrosés, de sorte que 95% des plantules germées se sont avérées anormales. Ils en déduisent que c’est l’utilisation du produit Colzor Trio sur cette variété de semences qui est à l’origine du désordre.
Toutefois, il convient de relever, en premier lieu, que cette analyse, sollicitée unilatéralement par M. et Mme [I], ne revêt pas de caractère contradictoire et n’est corroborée par aucun autre élément de preuve.
En second lieu, les échantillons de semences analysés ne sont pas les semences vendues par la société Soufflet, puisque le technicien commis par la société Pacifica, lors de ses opérations, a relevé (en page 13 de son rapport) que ‘Nous rappelons que l’ensemble de la semence en cause a été utilisée. Par conséquent, il ne sera pas possible de faire réaliser un test de la semence fournie à Mme [I]’, ce qui est corroboré par l’observation figurant page 4 de son rapport selon laquelle ‘Il ne nous a pas été possible de constater les 7 sacs de semences en cause, ceux-ci ayant été détruits par M. [I]’.
En tout état de cause, ce rapport d’analyse, figurant en pièce 7 de M. et Mme [I], ne permet pas de prouver le lien qu’ils font entre l’application du produit Colzor Trio et les désordres qu’ils ont subis, puisque deux analyses, avec application du produit Colzor trio, ont été réalisées successivement (résultats des 16 septembre et 22 septembre) dont les résultats sont radicalement différents :
– les résultats du 16 septembre 2015 ont permis de constater qu’après essais effectués à la demande de M. [I] avec un protocole de mise en germination en terreau et traitement au Colzor trio 24 h après le semis, il y avait à 7 jours 84% de plantules normales, et 78% à douze jours, ce qui ne démontre donc pas que le colzor trio est à l’origine de l’absence de levée des plantes constatées par M. et Mme [I] ;
– les résultats du 22 septembre 2015, après essais selon un protocole légèrement différent demandé par M. [I], ont conduit à un résultat de 5% de plantules normales et 95% de plantules anormales. Le pourcentage de semences germées à 40h après le semis et donc 16h après le traitement au colzor est de 90%, de sorte que le GEVES conclut qu’ ‘il est évident que l’application du produit 24h après le semis a engendré des anomalies comme des plantules déformées, racines courte, cotylédons décolorés/nécrosés’.
Ces deux résultats, dont les résultats sont forts différents, ne permettent donc pas de démontrer que c’est l’application Colzor trio qui est à l’origine de l’absence de levée des plantes de M. et Mme [I], alors que seule l’application du Colzor trio selon un protocole bien spécifique, dont on ignore si c’est celui qui a été mis en oeuvre par M. et Mme [I] et qui n’a en tout état de cause pas été conseillé par la société Soufflet, a conduit à un taux d’anomalies important.
Il convient en outre de constater que M. et Mme [I] ont quant à eux constaté une absence de levée de leurs plantes, alors que le GEVES constate que le pourcentage de semences germées après l’application du traitement au Colzor trio est de 90%, de sorte que rien n’indique que les désordres subis par M. et Mme [I] sont bien la conséquence de l’application de ce produit selon ce protocole.
S’agissant enfin du fait que la société Soufflet n’ait pas communiqué le nom d’autres utilisateurs de mêmes semences (portant le même lot) avec le même herbicide, la société Soufflet s’en est expliquée auprès de l’expert judicaire (son dire n°1) auquel elle a expliqué ‘Nous ne souhaitons pas communiquer les noms d’agriculteurs ayant des parcelles pouvant servir de témoins pour l’unique raison que M. [I] a entrepris de contacter nos clients par LRAL en les invitant à déclarer un sinistre alors qu’ils n’en voyaient pas l’utilité…’.
En conséquence, cet élément n’est pas de nature à établir que, contrairement à ce qu’a retenu l’expert judiciaire au terme d’une analyse précise et motivée, le défaut de levée des plantes de la variété EXPRIT serait la conséquence de l’application du produit Colzor trio.
Il sera surabondamment relevé qu’à supposer même que le défaut de levée des plantes soit la conséquence de l’application de ce produit selon un certain protocole, la société Soufflet, qui a seulement préconisé l’application de ce produit, ne saurait être tenue pour responsable de n’avoir pas conseillé son client sur les modalités d’application de ce produit, alors qu’il incombe à l’agriculteur, qui est un professionnel en la matière, de déterminer les modalités d’application des produits phytosanitaires qu’il utilise.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté l’ensemble des demandes de M. et Mme [I] contre la société Soufflet et les appels en garantie subséquents.
Sur les demandes accessoires
M. et Mme [I] seront tenus in solidum aux dépens de la procédure d’appel, dont distraction au profit de Maître Elisabeth Mercy et de Maître Audrey Palmace en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Les circonstances de la cause justifient de les condamner à verser à chacun des intimés une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe, publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME en toutes ses dispositions critiquées le jugement entrepris ;
Y ajoutant :
CONDAMNE in solidum M. et Mme [I] à payer à la société Soufflet agriculture, à la société Syngenta France et à la société Bayer Seeds une somme de 1000 euros à chacun sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum M. et Mme [I] aux dépens de la procédure d’appel, dont distraction au profit de Maître Elisabeth Mercy et de Maître Audrey Palmace en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame Anne-Lise COLLOMP, Présidente de Chambre et Mme Karine DUPONT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
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